Le Cadavre vivant
Tolstoï écrit cette pièce en 1900 ; achevée en 1904, elle sera publiée et jouée en 1911 après sa mort.
C'est avec la Puissance des ténèbres la meilleure pièce de l'auteur.
Tolstoï fut déçu de la pièce de
Tchékhov, l'
Oncle Vania, qu'l venait de voir montée, alors qu'il aimait l'oeuvre du dramaturge. Il eut alors l'idée de relever le défi avec ce qui sera le Cadavre vivant. Dans son journal intime il note le 9 février 1894 qu'il ambitionnait de créer une pièce mettant en valeur deux protagonistes, l'un généreux, débauché, l'autre honnête et respecté, l'un le mari qui par ses outrances s'éloigne de sa femme, l'autre un ami qui en est singulièrement épris, se rapproche de celle-ci, du moins objectivement. Un fait divers à Moscou : l'affaire des époux Himmer qui défraya la chronique va lui donner l'occasion, curieuse coîncidence, de s'emparer du thème dans le droit fil de ce qu'il voulait faire à l'époque.
Je ne vais bien entendu pas dévoiler l'épilogue de cette pièce truculente dont les scènes s'enchaînent à merveille. Tolstoï oublie son ton moralisateur de l'époque pour nous livrer une étude de moeurs lyrique et enjouée où le déroulement de l'histoire prendra plutôt l' allure d'une farce macabre.
Les scènes se déroulent tantôt chez les Protassov, tantôt chez les tziganes, ou tantôt chez les Karénine ... La référence aux tziganes est largement féminine comme on peut s'y attendre avec les fêtes habituelles ..
Elle est vraiment enlevée cette pièce ! Qu'est-ce qu'il était en forme le grand Léon. C'est toujours pareil avec lui, quand il a une excellente idée en tête, c'est le génie qui parle. J'y vois les causeries de Guerre et Paix dans les salons, la conversation est toujours haletante, altière, instruite. Que de mots prononcés en français qui signifient toute l'éducation de l'aristocratie de l'époque. La plume du cher Léon né comte est vraiment l'expression de sa noblesse pour le coup, c'est un art où il excelle : heureusement qu'il nous montre ce talent là quand les tolstoïens s'acharnent à tirer la couverture vers eux, comme s'il voulait sauver quelque chose de précieux avant sa mort, la part un peu oubliée à regret de sa lignée.
Léon Tolstoï semble ici soucieux de montrer qu'il avait aussi du talent pour la dramaturgie et pouvait frapper quand il voulait, comme il l'a fait en littérature avec
La Mort d'Ivan Ilitch et
la Sonate à Kreutzer, pour se montrer à lui-même qu'il pouvait surenchérir pour d'autres sommets, alors qu'il pouvait se reposer sur ses lauriers, après les monuments universels que sont Guerre et paix et
Anna Karénine .;
Dans cette forme étincelante, disais-je, que semble manifester
Léon Tolstoï avec à l'ouvrage cette pièce, il faut noter que l'artiste russe, la grande conscience de la Russie au tournant du siècle est alors au faîte de sa gloire dans le monde et fait figure de plus grand romancier.
Ce qu'on sait moins de ce Cadavre vivant qui s'appela au départ le Cadavre, voir pas du tout ici, c'est que cette pièce connut un succès retentissant en Russie lorsqu'elle fut montée pour la première fois dès 1911 par la troupe du grand Staninslavski qui se défonça pour l'occasion, faisant appel au grand acteur Ivan Moskvine au
Théâtre artistique de Moscou.. Rien qu'entre le 1er janvier et le 15 octobre 1912, le Cadavre vivant fut représenté neuf mille fois sur plus de 200 scènes russes. Des grands noms ensuite jouèrent cette pièce comme l'allemand Alexandre Moïssi, chez Max Reinhardt, ainsi que Georges Pitoëff en France.
Le grand poète russe
Alexandre Blok écrira à ce propos : "Merveilleux alliage de la vie et de l'art"
Le destin des protagonistes de cette pièce qui s'enchevêtre comme un écheveau que les consciences et les intérêts de chacun vont démêler au fil des pages va connaître un dénouement pour le moins inattendu ..