Coimbra, 17 février 1943
J'ai passé tout mon temps, ce matin, à regarder abattre un peuplier, juste en face de la fenêtre de ma chambre.
Quelle dignité dans cette mort ! Tant qu'il a pu, il a supporté les coups de hache sans frémir, droit comme une conscience pure; et quand l'acier lui a touché le coeur, d'un seul coup, sans plier, il est tombé.
Leiria, 15 mars 1941
La science est une merveille, et nous le savons tous. Mais par un jour d'orage comme celui-ci, la vérité est que je me souviens de la Sainte Barbe de ma province, de Saint Jérôme dans le désert, de la gravure d'une histoire naturelle montrant des sauvages en train de décocher des flèches aux éclairs ; bref, que je me souviens de tout, sauf de Franklin.
Coimbra, 26 mai 1942
Encore un livre. Encore une tonne d'énergie gaspillée et qui, si je l'avais utilisée à défricher les landes de mon village aurait donné, pour le moins, une rangée de plants de vigne. Malheureux, celui qui avec une plaie ! Malheureux celui qui a été condamné à être poète et à l'être dans ce pays ...
Foz Coa, 31 octobre 1960
Mon secret est le suivant : je soigne les blessures avec des pansements de terre.
Foz Coa, 1er novembre 1960
L'homme a l'ampleur de vue que son regard peut embrasser.
Le vrai et celui de son imagination.
L’exil des exils, c’est d’être exilé au Portugal. D’un côté l’Espagne où les appels ne sont pas entendus ; et de l’autre la mer, où les gémissements se perdent… Je me démène dans ma camisole de force et j’en fais craquer les coutures. Tel est mon sort, depuis quarante ans. Quand je réussirai à me dégager complètement si j’en ai jamais la force, je serai trop vieux pour me servir de ma liberté. Celle qui n’est pas seulement une franchise intérieure.
Ana Maria Torres, traductrice de "Folles mélancolies" de Teresa Veiga nous parle de sa région de coeur Trás-os-Montes au PorTugal et de l'auteur qui en parla le mieux dans la littérature : le grand Miguel Torga. Merci à elle et bon visionnage !