Jour sans faim est le premier roman de
Lou Delvig, paru en 2001, avec sur le bandeau rouge accompagnant le livre des éditions Grasset, un sous-titre plus accrocheur, plus abrupte, Roman d'une anorexique. Mais sous ce pseudonyme se cache l'auteur de
No et moi,
Delphine de Vigan, ce titre Jour de faim fut réédité en poche avec son vrai nom et aussi amputé du dernier chapitre.
Delphine de Vigan est une romancière et réalisatrice française, auteur de nombreux romans comme,
Un soir de décembre,
Les heures souterraines,
No et moi,
Rien ne s'oppose à la nuit,
D'après une histoire vraie et ceux que je n'ai pas encore lu. J'aime beaucoup ces romans, son écriture, ses histoires s'articulant souvent sur des faits authentiques, mais aussi ces intrigues nous plongeant dans une réalité sociétale assez violente, des personnages touchants et plus névrosés aussi, cet univers caresse mon âme dans un chavirement plaisant, happé par cette force invisible tissée par ses mots, ses phrases, ses paragraphes et chapitres enfantant ces romans venant poussièrer ma bibliothèque, mais surtout mes lectures dévorantes.
Ce premier roman absorbe la nourriture psychique du lecteur, par tout d'abord le titre, jour sans faim, sans fin, aimant l'infini de de cette double sonorité, un homonyme savant, se nourrissant de l'interprétation que le lecteur désire en avoir, nonobstant aussi la perpétuité de la fin sans faim. Je viens de lire
le corps des femmes- La bataille de l'intime de
Camille Froidevaux-Metterie, celle-ci dans un chapitre, aborde les troubles du comportement alimentaire à travers le roman d'
Annie Ernaux,
Mémoire de fille, et de l'anorexie et de son paradoxe, en citant Dorothée Legrand et Carla Taramasco, l'anorexique rejette l'autre comme un vomissement, pour Agnès Baron, l'anorexie est « une maladie de la séduction », cette dualité de l'obsession de plaire et de la détestation de l'idée propre. J'aborde ce roman avec ces idées lues, cette imprégnation d'une anorexie maladive d'un corps et d'un esprit en conflit, à la philosophie/maladie assez complexe.
Le récit est à la troisième personne féminin singulier, « elle » tinte le regard de l'autre, la personne est palpable et impersonnel, le « je » serai trop intime, comme un journal personnel, ce « elle » signe plutôt une proximité incertaine, une amie, voisine, une collègue, une inconnue, une personne lambda au prise avec ce mal profond, de ce froid envahissant ce corps en privation, ce « elle » est aussi impersonnel, l'invisibilité de la personne perdue dans la masse de note société. Petit à petit le « elle » s'entremêle avec le prénom de la je
une femme, Laure, ce prénom apparaissant vers la trente neuvième page, ainsi que sa vie se dévoile en même temps que sa guérison. Dès le début, Laure est sauvée, la page treize « Il m'a sauvé la vie. », ce récit est surtout une autopsie de la guérison d'une anorexie dans un hôpital avec tous ses patients, se liant l'un à l'autre pour former une société nouvelle, des liens « invisible, incompréhensible. », c'est une vie nouvelle, formatée, une bulle où certain sont en sécurité comme peut l'être Laure.
Tout le long du livre se livre cette je
une femme en prise avec cette maladie, ce mal être existentialiste d'être en vie et d'exister envers les autres, devenir une adulte et respirer la vie d'être en liberté, vivre. Laure se perd dans le monde qu'elle veut fuir, dans cet espace sombre où elle navigue en aveugle dans cette anorexie, sa peau, ses os, sa physionomie est celle « d'un trombone démantibulé, d'un cintre de pressing, d'une antenne télé après une tempête. » , pour son père, c'est aussi violent, il la voit tel les « Éthiopiens à la télé, il ne manque plus que les mouches. », les autres c'est pire dans leur réflexions de tel façon qu'on puisse les entendre, « T'as vu les jambes de la fille ? Eh ! Auschwitz c'est fini, t'es pas au courant ? », Elle aussi ironise qu'elle puisse sortir d'un camp de concentration, Laure existe au regard des autres d'une façon plutôt dangereuse, il aime lire dans le regard des autres « la méfiance, la violence, la compassion. », Laure accepte d'être vivante de cette façon, accepte aussi la pensée des autres « A voix haute les insultes, à voix basse la compassion. ». Son image à l'hôpital reste aussi monstrueuse à ses yeux, comme ses souvenirs de son enfance, qui sont « entreposés comme des cochons égorgés, suspendus par les pieds, leur peau maculée de sang séché. », son corps grossissant lentement, « elle fait du gras », «elle n'est qu'un gros bout de viande offert en pâture. », elle s'insurge d'être alimentée par une machine, lui injectant directement dans l'estomac des protéines prémâchées, « j'en pouvais plus d'être gavée comme une oie par ce putain d'engin. », Laure continue d'avoir une image négative d'elle-même, mais, elle résiste, elle combat, elle respire la vie que le Docteur lui suggère, de ces visites, de ses silences, de ces mots, de son absence, désirant au plus profond d'elle-même de sentir ses bras auteur d'elle, d'avoir la joie d'être dans ses bras, se lovant dans le creux de ses bras, Laure est magnétisée par cet homme, qui lui sauvera la vie, elle lui écrira, elle gardera des liens avec cet homme, ce fil d'Ariane la maintenant en vie.
Ce roman à la force fragile de Laure, l'anorexie est la façade pour cette je
une femme du passage entre l'adolescence et l'adulte, entre le passé de ses parents en l'avenir de ces choix, c'est ce passage que Laure franchit avec ce dernier chapitre que le livre de poche J'ai lu a amputé, car il est la vie de Laure, l'espoir d'un corps qui enfantera, d'un corps de femme libre.
L'écriture est simple, des phrases courtes, un chant lexical autour de la vie, du regard, de la guerre, l'homophone du titre, de certaines phrases « Parce qu'elle est devenue presque sourde, bouffée de l'intérieur à force de ne rien bouffer. », ce roman est facile à lire, et des fois se perd dans des retours sur le passé de cette je
une femme, une mère bipolaire, un père alcoolique, tyrannique, narcissique, une belle-mère insignifiante, transparente, noyée dans l'alcool et sa fainéantise, un lourd héritage à digérer. Sa vie à l'hôpital est un charivari, des patientes, des infirmières, femmes de ménages, des anecdotes entre ses femmes, ses âmes en peines cherchant à guérir leur maux, rendre la vie des malades plus faciles, et la vie de Laure, entre la tricotage, le collage, l'écriture et ses escapades dans cet immeuble de ces douze étages qu'elle côtoie, s'animant chaque jour à faire plaisir aux autres, aspirant à vouloir échapper aussi à cette vie aseptiser, vivre sa vie dans son propre appartement qu'elle à laisser, comme sa petite soeur chez son père.
Un roman léger, une écriture évaporant, des personnages virgules, un style efficace à améliorer comme son succès
Rien ne s'oppose à la nuit, plus aboutit en 2011,
Delphine de Vigan pour un premier roman creuse, sillonne, arpente son sujet avec beaucoup d'émotion et de fragilité, un roman aux fissures de jeunesse.