La famille, quelle aventure !
Et ce n'est pas l'américain
Kevin Wilson, traduit pour la deuxième fois en français après
La Famille Fang aux Presses de la Cité, qui dira le contraire !
Avec
Les enfants sont calmes (traduction étrange de
Nothing to see here), l'auteur explore de nouveau une famille pas comme les autres dont les enfants…prennent feu ! Littéralement, oui.
S'ils se mettent en colère, surpris ou tristes, Bessie et Roland, des jumeaux âgés de dix ans, se transforment en torche humaine.
Alors attention, n'ayez crainte, aucun enfant n'est blessé durant cet embrasement soudain, à peine quelques vêtements innocents disparaissent durant le processus. On conseillera par contre aux autres personnes de s'éloigner des enfants, sauf si ceux-ci ont perdu la raison.
Mais est-ce qu'aimer ses enfants, ce n'est pas justement de perdre toute raison ?
Des enfants encombrants
Lilian et Madison sont amies. du moins, c'est ce que la première, narratrice pour l'occasion, nous explique. Une amitié plutôt étrange et asymétrique, puisque Lilian s'est fait renvoyer à cause de Madison d'Iron Mountain, une prestigieuse école que seule une bourse et d'excellents résultats lui ont permis d'intégrer. Bien des années plus tard, la même Madison demande à Lilian de venir lui prêter main forte chez elle, dans le Tennessee, où elle vit avec un certain Jasper, un éminent homme politique en pôle position pour la prochaine course à la Maison Blanche, et Timothy, leur jeune garçon renfermé et un peu bizarre qui adore les peluches. Pourtant, ce n'est pas ce dernier qui inquiète Madison mais bien les jumeaux issus de la précédente union de Jasper, et dont la mère vient de passer l'arme à gauche.
Contraint de les prendre en charge sous peine de briser l'image de parfait père de famille qu'il renvoie à ses électeurs, Jasper craint le pire.
Lilian, elle, vit encore chez sa mère, avec un job merdique et à peine de quoi vivre… bref, comment refuser un salaire avec autant de zéros derrière ?
Dès lors, le roman nous raconte le périple de Lilian et sa rencontre avec des jumeaux qu'on s'attend à être imbuvables et hautement dangereux.
Kevin Wilson, lui, a une autre idée en tête et il s'avère que ces enfants différents sont simplement victimes à la fois de leur « don » mais aussi de leur histoire familiale pour le moins difficile à porter. Au lieu d'en faire une sorte de thriller horrifique facile, l'américain choisi de braquer son attention sur la psychologie de Lilian, elle qui semble avoir raté sa vie, et sur sa relation avec des enfants que tout le monde juge par leur particularité au lieu de les voir pour ce qu'ils sont, c'est-à-dire de simples gosses un peu paumés et abîmés. À la fois drôle et grave, le roman de
Kevin Wilson prend le prétexte de ce pouvoir de combustion pour explorer à la fois une famille complètement dysfonctionnelle mais aussi pour analyser les effets collatéraux du pouvoir sur l'empathie ainsi que le rôle du déterminisme social.
Devenir parents
En effet, l'enjeu des Enfants sont calmes n'est pas tant de résoudre le mystère fabuleux de Roland et Bessie que de comprendre comment l'éducation, le milieu et l'entourage d'un enfant va déterminer son parcours en tant qu'adulte et sa façon de raisonner.
Pour se faire, voici donc Lilian et Madison, deux faces d'une même pièce, la première élevée dans la pauvreté et la seconde dans l'opulence.
L'acte fondateur de leur relation, ou plutôt celui qui y met un brutal coup d'arrêt, sera le marchandage entre leurs parents pour savoir qui devra abandonner sa vie au profit de l'autre. Par la suite,
Kevin Wilson démontre de façon brillante et maligne que les enfants d'hier deviennent les adultes prévisibles d'aujourd'hui. Madison reproduit à la perfection le comportement de son père, mélange d'opportunisme et de manipulation (sentimentale et pécunière), pour s'assurer une bonne place sur l'échelle sociale. Lilian, victime de ce comportement et qui a devant elle l'exemple d'une mère que l'argent mal acquis n'a en rien permis de sortir de la misère, comprend plus justement les jumeaux car, en quelque sorte, elle aussi était différente et négligée à l'époque qu'eux le sont aujourd'hui.
C'est cette capacité empathique et cette volonté de ne pas reproduire des erreurs qui l'ont tant fait souffrir par le passé qui vont aboutir à cette relation si tendre et particulière avec les jumeaux, passant à ces yeux du statut de monstres inquiétants à celui de gamins en détresse. C'est aussi la complexité de sa relation avec Madison, sorte d'amour-haine-amitié indémêlable aussi bénéfique que néfaste, qui va offrir au lecteur deux personnages pleins de nuances derrière leur façade de bonne mère ou de mauvaise mère présumée.
Au passage, l'américain en profite pour étriller les riches, et notamment le politique, à la fois fourbe et plein de ressources dès qu'il s'agit de tromper son monde, complètement égoïste et aveuglé par son envie de rester au sommet par tous les moyens.
Enfin, et puisqu'il s'agit tout de même de l'élément central du roman, c'est le rôle parental qui en prend pour son grade ici puisque Wilson prouve de façon magistrale que l'on ne naît pas parent, qu'on le devient… mais qu'on est d'autant meilleur dans ce rôle quand on possède les qualités fondamentales pour s'en acquitter. Que l'empathie, le courage, la persévérance, l'amour sont intimement liés à notre personnalité. Que le fait d'être un bon parent se mesure à l'aune de ce que l'on est prêt à sacrifier de soi pour sa progéniture.
Les Enfants sont calmes reste bien peu spectaculaire par rapport à ce que semblait promettre le postulat de base. Il se contente tout au plus de quelques serviettes calcinées et d'une maison en flammes. Pourtant, le spectaculaire ici se trouve ailleurs, il se trouve dans les portraits humains d'une justesse sidérante, dans les relations amicales ou filiales tissées et, surtout, dans la façon de normaliser des enfants étiquetés différents pour mieux les traiter et les aimer.
Sur un prétexte fantastique particulièrement bien trouvé,
Kevin Wilson confie deux torches à une jeune ratée dont on n'attend plus rien. Roman tendre, drôle, intelligent et finalement passionnant,
Les enfants sont calmes dissèque les rapports humains et l'influence de l'environnement pour déterminer ce qui façonne les adultes que nous sommes.
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