Sous la torpeur du mois d'août, le père Biard a rejoint sa dernière demeure et son fils Étienne dit Tiennot, qui vivait avec lui sur un petit bout de terre plantée sur la Loue, se retrouve seul. Tout ce qu'il sait, toutes les tâches qu'il accomplit pour s'occuper des bêtes et de son lopin de terre, pour louer sa force lors de durs travaux alentour, c'est du père qu'il l'a appris. Sa mère a été fusillée par les SS il y a longtemps.
Après l'enterrement, c'est le coup chez Flavien, le cafetier du village, pour se rafraîchir un peu et voilà que ce dernier lance « — Au fond [… ] il a raison de vouloir rester chez lui ; seulement faudrait qu'il trouve une femme. » Ébranlé, Tiennot tout rougissant jure qu'il sait tout faire et qu'il sait se débrouiller tout seul mais bon, une femme, ce ne serait peut-être pas si mal…
Bernard Clavel raconte la Loue lors d'un été de sécheresse, dans le Jura, alors que son cours est au plus bas. La brume laiteuse s'attache parfois à sa surface et les rives plantées de peupliers trembles et de saules s'y reflètent. Il nous fait entendre le bruit du barrage en aval de la petite île sur laquelle Tiennot parle à ses poules, ses lapins et surtout à son baudet, la Miaule. Cet homme robuste, un peu simple d'esprit, exécute consciencieusement son travail, s'interrogeant pour chaque décision et chaque pensée « le père, qu'est-ce qu'il dirait ? »
Les médailles de son père, ancien combattant et résistant, ainsi que l'article du journal qui lui rend hommage sont soigneusement épinglés sur le calendrier. On y devine tout l'amour filial et paternel qui devait unir ces deux êtres.
Lorsque Flavien se présente en compagnie de Clémence et de son père, tout va basculer. Ce dernier propose de louer les services de sa fille à Tiennot pour deux mois moyennant 50 000 francs. Une vente en somme. Lorsque Clémence en apprenant le montant de la somme s'écrie « La vache », on comprend que ceux-ci viennent de faire une bonne affaire au détriment de Tiennot. Mais celui-ci, trop content de cette présence féminine n'y voit pas de mal, du moins pas encore…
L'écriture classique, tout en simplicité, qui s'apprécie à sa juste valeur, renvoie parfaitement les gestes, les paroles qui s'échangent dans ce petit coin du Jura des années 70. Elle nous raconte l'île où vit Tiennot, l'habitation d'une seule pièce, où tout se tient. de l'autre côté de la rive, nous partageons la soupe avec un vieux couple qui couve ce grand Tiennot qu'ils avaient recueilli un moment pendant la guerre.
Avec les pluies d'automne qui font grossir la Loue, l'auteur nous montre un Tiennot fier de maîtriser habillement sa barque dans les remous de la rivière en crue. Saura-t-il aussi bien mener sa vie à deux avec la Clémence ?
Son destin nous emporte dans cette lecture prenante malgré le sentiment d'injustice qui prévaut tout au long de l'histoire. le récit coule comme la rivière « La Loue », accélère, ralentit au rythme des évènements et des descriptions qui le jalonnent.
Tiennot et Clémence symbolisent en quelque sorte l'opposition entre le monde rural et le monde dit moderne qui se profile. L'un est laborieux, qui ne ménage pas sa peine et résume sa vie à l'essentiel : travailler pour se nourrir, soigner ses bêtes, arroser le potager. L'autre exige du confort moderne et s'installe dans la facilité.
Grâce au challenge solidaire, j'ai redécouvert
Bernard Clavel qui avait sa place dans mes lectures de jeunesse. Il mérite vraiment d'être ressorti du grenier littéraire où sommeillent de très bons auteurs.