Mon père était comme moi (ou plutôt c'est moi qui suis comme lui) un ogre de lecture. Si maman se contentait d'une poignée de livres dans sa table de nuit, papa, lui, avait aménagé dans un cagibi quatre étagères où croulaient plusieurs dizaines de livres : en majorité, c'était plutôt des romans policiers ou des romans d'espionnage (
Jean Bruce,
Paul Kenny,
Serge Laforest, Jean-Pierre Conti,
Claude Rank) mais on trouvait aussi des romanciers plus ou moins connus
Balzac (la Rabouilleuse), Colette (La Chatte),
Gide (
La Porte étroite)
O. P. Gilbert (Carpant), Plisnier (Meurtres), Curtis (Les Forêts de la nuit),Lartéguy (Les Centurions),
Malaparte (Kaputt)… Et dans ce bric-à-brac merveilleux, j'ai trouvé un jour le Pont des soupirs et sa suite Les Amants de Venise, d'un certain
Michel Zévaco.
Je dis "un certain
Michel Zévaco" car je ne le connaissais, comme on dit, ni des lèvres ni des dents. Je n'avais pas encore lu Les Pardaillan, ni le Capitan, ni
Nostradamus, et c'est donc avec intérêt, mais en toute ignorance de ce que j'allais trouver, que j'ai entamé la lecture du Pont des soupirs. Et j'y ai découvert à la fois une oeuvre et un auteur.
L'oeuvre. L'histoire se passe à Venise, vers la fin du XVème siècle, début du XVIème, donc grosso modo, en pleine Renaissance italienne. le doge Candiano s'apprête à célébrer les noces de son fils Roland avec la belle Léonore Dandolo. Une conjuration renverse le doge et condamne Roland à la prison. Aidé par un codétenu, Scalabrino, Roland s'évade et commence une revanche qui ne s'arrêtera que lorsque tous les méchants (fomenteurs de la conjuration, et vrais menteurs) seront punis. A la fin les amants sont réunis dans une Venise en fête.
Le Pont des soupirs, c'est donc une sorte de Monte-Cristo sans trésor, mais avec une trame encore plus échevelée.
Pas De temps mort dans cette histoire. Roland n'a pas la richesse de Monte-Cristo, mais il en a la force et la volonté. Les péripéties s'enchaînent, les personnages sont hauts en couleur, il y a de l'amour et de la romance, mais aussi des scènes violentes et cruelles, à l'image de l'époque. Un excellent roman pour qui cherche à la fois l'évasion et le dépaysement.
L'auteur. Zévaco n'est pas Dumas, bien sûr. le style, plus à l'emporte-pièce, est moins littéraire, mais tout aussi efficace. Il emporte tout sur son passage. A la fin le lecteur comblé crie "Encore!"… et cherche un autre roman du même auteur. Zévaco est un auteur à redécouvrir, comme la plupart des romanciers dits "populaires" qui, à la Belle Epoque, remplissaient les colonnes de journaux de feuilletons haletants : dans le domaine de la cape et de l'épée, il y avait
Michel Zévaco,
Paul Féval fils et
Amédée Achard; dans le domaine policier,
Maurice Leblanc et
Gaston Leroux, dans le domaine du roman d'aventure
Paul d'Ivoi, dans le fantastique le singulier Gustave Lerouge…