Ce livre eût une composition des plus étranges. Conrad a commencé à l'écrire en 1896, l'année de parution de ses deux premiers romans,
La folie Almayer et
Un paria des îles. Il abandonna un roman, qui repris plus tard deviendra
La flèche d'or pour se consacrer à
La rescousse. Mais après trois ans de travail, Conrad le met de côté en 1899. Il s'est remis à sa rédaction en 1916, mais c'est en 1918 et 1919 seulement qu'il écrivit la plus grande partie de la deuxième moitié du roman. Donc la composition finale a duré 23 ans, un record, même pour un écrivain aussi lent que Conrad.
Le personnage central du récit, le capitaine Lingard, était déjà un personnage important de
la folie Almayer et le paria des îles. Dans
La rescousse il est au centre du récit, il est plus jeune que dans les deux premiers romans de Conrad, et possède une personnalité des plus intrépide.
La rescousse nous plonge vraiment dans le même univers que les premiers romans de l'auteur,
La folie Almayer, le paria des îles, et
Lord Jim. Nous sommes dans les îles de la Malaisie, les indigènes même s'ils parlent peu sont très présents, nous voyons les mêmes paysages, l'essentiel se passe sur la mer, peuplée de pirates et d'aventuriers souhaitant faire rapidement
fortune. C'est un roman d'aventures, le plus pur dans le genre que Conrad n'ait jamais écrit à mon avis. Il y a un radjah et une princesse qui ont perdu leur royaume, il y a une amitié indéfectible scellée dans une bataille, il y a aussi un yacht échoué, avec une bande de dangereux pirates et guerriers à proximité, deux femmes fascinantes, une guerre en préparation, enfin l'action ne manque vraiment pas. C'est aussi une histoire d'amour, la plus clairement identifiée comme telle dans tous les livres de Conrad. Mais comme il s'agit de Conrad il est aussi question de loyauté et de trahison, d'amitié et de fidélité à soi-même, et les héros ont peu de chances de sortir indemnes de leurs aventures, pas physiquement, mais moralement.
Et je dois dire que j'étais tout particulièrement ravie de retourner dans cet archipel malais que dans la suite de son oeuvre Conrad a progressivement délaissé pour d'autres contrée. Ce roman ne fait pas partie de ceux appréciés par les critiques, et j'ai été très heureuse de constater que c'était un excellent livre, sans doute moins profond que les plus grands romans de l'auteur, mais néanmoins très réussi dans son genre, et parfaitement maîtrisé dans la structure narrative. Tous les personnages sont parfaitement bien caractérisés, et c'est bien sûr dans la personnalité de chacun d'entre eux que se noue l'intrigue.
Conrad a toujours le même regard acéré sur le monde, il a en particulier l'art de décrire les relations coloniales d'une façon subtile et impitoyable, la façon dont chaque communauté perçoit l'autre est sans aucune illusion, et comme c'est le cas avec les grandes oeuvres, c'est complètement intemporel. Les riches passager du yacht ont terriblement évoqué pour moi quelques prises d'otages dans ces parages.
Pour résumer, peut être pas le plus grand roman de l'auteur, mais incontestablement un livre très réussi, que j'ai pris beaucoup de plaisir à lire. Heureusement que l'auteur ne l'a pas abandonné, et qu'il l'a fini après toutes ces années de composition.