Quelques heures à peine avant de débarquer à Naples , j'ai surpris , dans la nuit brune , deux passagers qui sirotaient du whisky sur le pont .
L'un , silencieux , subissait les lunes de l'autre , frappé de fureur , et , qui tirait de fréquentes bouffées de fumée de sa pipe en délirant ; il racontait ses dernières heures en Malaisie ; il se disait chargé d'une mission pour réparer sa propre folie .
Il bégaie , il ânonne mais il s'ouvre lentement .
Bribe par bribe , je découvre , en même temps que le voyageur , les démons qui dévorent le médecin et le pourquoi de sa présence sur le transatlantique .
Tous deux ressemblent à des spectres qui se balancent au gré du roulis du bateau qui contraste avec le roulis de ses phrases désordonnées .
Le docteur s'affirme en implorant son compagnon de fortune de ne pas dévoiler sa présence à qui que ce soit , et avance les raisons .
" C'était là-bas dans mon trou maudit , ( ... ) C'était précisément après la saison des pluies . ( ... ) Personne n'est venu , aucun Européen . Chaque jour , j'avais passé le temps chez moi , avec mes femmes jaunes et mon bon whisky . "
Voilà quelques années qu'il est cloué dans cet endroit retiré où seules des créatures à la peau jaune et au caractère soumis lui tiennent compagnie . Il rêve de rues lumineuses et de ladies .
" Je me lève vivement . Je n'ai entendu venir ni voiture ni automobile . Une femme blanche ici, dans ce désert ? "
Elle essaie de passer incognito et laisse le voile lui cacher le visage tout en discutaillant de choses anodines .
Pian-pian , elle évente le but de sa visite .
" Car ce qu'elle voulait de moi , je le savait bien , je l'avais su tout de suite . Ce n'était pas la première fois que des femmes me demandaient un service semblable . "
La sentence est tombée : grand coup de foudre assuré .
Lui , si doux , si bon , si secourable , si médecin , devrait asservir une femme si hautaine , si glacée à l'extérieur et si bouillante à l'intérieur ?
Seul le désir de la posséder , lui aussi , le rend " amok " car il agit en enfant capricieux et non en amoureux .
Un amalgame de sentiments le traversent et s'emparent de sa personnalité où amour-propre , désir , abstinence , privation de chair blanche , le rendent fou face à cette nana à l'orgueil démesuré .
Il se venge en lui refusant son aide .
La machine infernale va se mettre en route . Saura-t-il l'arrêter ?
La passion détruit le passionné et pas l'objet de la passion .
Il est difficile de ne pas accrocher à chaque mot , chaque image qui s'assemblent et forment un film où tout se précipite trop vite et l'on peine à en accepter la tragédie .
La plume de
Stefan Zweig s'envole dans notre esprit , y crèche avec toute sa poésie et pour toujours , avec l'espoir , cependant que seul son personnage soit raciste et sexiste et pas lui .