Quand , dans les ruelles sombres d'un port , il déambule tel un vieux loup de mer , il ignore quelle misère il va fouler .
Un tourment plus puissant encore que la tempête qui l'a secoué sur le bateau qui le menait en France , et , qui , bien sûr , l'a empêché de regagner son pays chéri par le train de nuit .
" Je sentais toujours sous mes pieds le glissement et le balancement du navire ; le sol me semblait remuer comme une poitrine qui respire , et la rue avait l'air de vouloir s'élever jusqu'au ciel ."
Tout à la contemplation de ces chemins de débauches où la beuverie , la lubricité mais la détresse aussi , habitent tous les quartiers , son coeur s'emballe .
Quelques paroles d'une ronde allemande s'envolent d'un lieu étrange ; elles lui rappellent son pays natal qui lui manque tellement .
Il s'approche , tout haletant , et si content de découvrir cette maison qui pique sa curiosité , quand il frôle soudainement une ombre collée à la vitre ; elle s'enfuit très vite , apeurée .
" Un homme me dévisagea fixement avec les yeux grands ouverts , il murmura une sorte d'excuse , et il disparut dans la pénombre de la rue "
Est-il un confrère de la lune , un de ces cocus qui se cachent et épient leur concubine ?
Notre inconnu doit-il s'en méfier quand il entre et voit le tableau d'une matrone qui houspille une jolie fille , pendant qu'une autre , au mauvais français s'approche de lui ?
Quel jeu joue ce drôle de zozo qui rentre et sort du bistro , les mots pleins d'amour et de regrets face à la prostituée qui l'invective avec hargne et mépris ?
" Mais , monsieur , c'était seulement parce que je l'aimais ... son orgueil faisait plaisir , et pourtant je voulais toujours la briser . "
Ces paroles hantent l'Allemand qui est dégouté et mal à l'aise à la fois .
Il sent qu'une tragédie se prépare ; peut-il l'éviter ou préfère-t-il fuir ?
Quand les mots précis , colorés , imagés et si variés , s'harmonisent avec autant de poésie , il est difficile d'accepter autant de désarroi , de tristesse ; on aimerait pouvoir intervenir dans la nouvelle et raisonner les personnages .
Stefan Zweig avait -il une personnalité si complexe d'aimer et de détester , en même temps , les femmes fières et arrogantes au point de les punir dans ses écrits ?