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Interview du lecteur JustAWord

À la rencontre des membres de Babelio

 

Article publié le 28/01/2022 par Nicolas Hecht

 

Nous donnons régulièrement la parole aux membres du site pour qu'ils partagent avec nous leurs coups de cœur et nous dévoilent leur bibliothèque. Pour bien commencer l'année 2022, nous avons posé quelques questions à un lecteur très porté sur l'imaginaire (science-fiction, fantasy et fantastique), attentif aux nombreuses parutions dans ce domaine tout au long de l'année. Il est d'ailleurs souvent le premier sur Babelio à chroniquer de nombreux titres de SFFF, et ainsi permettre aux autres lecteurs de s'orienter.

 

 

Rencontre avec JustAWord, inscrit sur Babelio depuis le 12 septembre 2013

 

 

Comment êtes-vous arrivé sur Babelio ? Quel usage faites-vous du site ?


C’est en recherchant un moyen de retrouver facilement mes lectures en cours que je suis tombé sur Babelio. Pour moi, et vu mon rythme de lecture, il était capital de pouvoir me souvenir en un clin d’œil des ouvrages lus les mois précédents. Mieux encore, cela permet aussi de se constituer une bibliothèque virtuelle pour savoir facilement si on possède déjà un livre ou non. Cette assertion peut sembler ridicule mais quand on dépasse le nombre symbolique de 1 000 livres chez soi, on commence à perdre le compte de ce que l’on a rangé ou pas ! Babelio permet, en plus, de voir passer les nouveautés et de s’ouvrir aux lectures des autres membres, ce qui est parfait pour élargir son horizon et piocher dans des genres qui ne nous sont pas forcément familiers d’emblée. C’est un vrai plus pour le lecteur éclectique que je suis.



Pouvez-vous nous parler de votre bibliothèque (organisation, genres, apparence visuelle, etc.) ? Lisez-vous aussi sur support numérique ?


Dans mon appartement, mon salon comprend une énorme bibliothèque avec assez d’étagères pour mettre un paquet de livres dessus. Et malgré cet espace, je dispose de deux autres bibliothèques de taille plus modeste pour entreposer mes ouvrages. En effet, une bibliothèque est, selon moi, toujours vouée à déborder… et c’est ce qui arrive dans mon appartement où plusieurs piles de livres s’accumulent également. Tant que faire se peut, j’essaye de séparer mes livres selon le format (bandes dessinées, mangas, comics, romans grand format et poche) et de les organiser par collection. Au sein d’une même collection/maison d’édition, mes livres sont rangés par ordre alphabétique sur le nom d’auteur/autrice. Il y a bien sûr une écrasante domination des mauvais genres et de l’imaginaire mais je commence également à avoir une belle collection de littérature blanche.

 

J’ai tenté d’endiguer cette masse de livres en me lançant dans le numérique et en essayant la liseuse. Et si cela a marché un temps, je reste envers et contre tout de la vieille école et j’ai besoin de mon objet-livre, de sa texture et de son odeur pendant la lecture. J’utilise cependant toujours le numérique lorsque je reçois des épreuves de romans ou autres services presse en avance.

 



Qu’aimez-vous particulièrement dans les littératures de l’imaginaire (fantasy, science-fiction, fantastique) ?


En voilà une question difficile. J’ai une affection toute particulière pour l’imaginaire car j’ai été nourri par ce genre d’œuvres lorsque j’étais gamin. Ma mère adorait les films d’épouvante et fantastique et c’est tout naturellement que j’ai développé une grande appétence pour ces genres car je n’ai pas été exposé au snobisme habituel qui régnait en France à l’époque à l’encontre de l’imaginaire. Je suis donc passé naturellement des séries, films et dessins animés vers le livre. De Brisby et le Secret de Nimh à Batman ou Judge Dredd que je feuilletais volontiers à Auchan en attendant la fin des courses.


Ce qui constitue pour moi l’attrait principal des littératures de l’imaginaire, c’est qu’elles reviennent au principe fondamental de l’exercice littéraire, s’affranchissant du réel, de l’espace et parfois même du temps pour devenir un pur exercice de fiction. L’imaginaire, c’est la libération de l’esprit du carcan du réel pour mieux y revenir et le saisir dans toute sa complexité. Quelque soit le genre de l’imaginaire dont on parle, il permet à l’auteur et au lecteur d’engager une conversation dépaysante, surprenante mais qui permet avant tout de décrire demain et hier avec un langage unique. L’imaginaire est un judas sur l’avenir et sur le passé, une façon d’explorer nos mythes, nos peurs et nos espoirs en s’affranchissant des limites du quotidien.

 


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?


J’ai eu plusieurs grandes premières découvertes littéraires. Je pourrais parler de la première fois que j’ai lu le livre de base de Warhammer 40 000 mais je préfère tout de même revenir sur LE roman fondamental qui a tout fait basculer à mon sens. Et pour cela, il faut remonter à ma première année en faculté de médecine durant laquelle nous devions étudier en sciences humains et sociales un livre en particulier.

 



Cette année-là, ce fut Voyage au bout de la nuit de Louis-Ferdinand Céline, certainement l’un des écrivains les plus importants et fondamentaux du XXe siècle. Pourquoi a-t-il constitué ma première grande découverte littéraire ? Parce qu’il m’a fait renoncer à l’idée que je n’aimais pas lire après avoir été traumatisé par la lecture imposée au lycée d’Une vie de Maupassant, un roman qui m’avait détruit et complètement découragé à l’époque. J’étais convaincu que je n’aimais pas lire. Et puis voilà qu’en lisant Voyage au bout de la nuit, je m’aperçois que c’était juste une affaire de mauvaise rencontre au mauvais moment. J’en ai gardé une farouche conviction qu’il ne faut jamais imposer une lecture à un jeune lecteur mais le guider vers ce qui va lui donner envie de lire.

 

Pour en revenir à Voyage au bout de la nuit, disons simplement que ce roman symbolise pour moi tout le talent de Céline qui capture la misère humaine et la condition terrible du médecin. Même si nous vivons dans une époque où une partie des gens est désormais incapable de replacer un auteur dans son contexte historique et incapable de comprendre l’œuvre d’un auteur sans pour autant l’excuser, le talent de Céline ne se discute pas et ceux qui mettent en doute sa place dans le corpus littéraire français n’ont certainement rien compris à ce qu’est fondamentalement la littérature et son rapport à l’Histoire.

 
Vous publiez en moyenne deux critiques par semaine sur le site : est-ce un rythme de lecture/écriture que vous vous imposez ? Avez-vous un partenariat avec certains éditeurs pour recevoir leurs dernières parutions ?


Non, je n’ai aucun rythme et aucun calendrier. Je lis au gré de mon envie du moment et selon les livres que je reçois, je ne calcule pas ce que je fais même si j’essaye souvent de coller à l’actualité littéraire. Je n’ai aucun partenariat avec les éditeurs, j’en refuse même l’idée.


J’ai commencé à écrire des critiques en 2008, soit depuis 14 ans bientôt. De fil en aiguille, j’ai rencontré et dialogué avec la quasi-totalité des éditeurs de l’imaginaire et certains sont même devenus des amis. Lorsqu’un livre m’intéresse, je le demande directement à l’éditeur en question qui choisit de me le faire parvenir ou pas. Et ce n’est pas toujours le cas. J’essaye désormais d’étendre mon réseau vers la littérature blanche qui est, je trouve, un milieu plus posé et apaisé ces dernières années. Ce qui est certain par contre, c’est que je déteste fondamentalement qu’on m’impose des conditions pour recevoir un livre ou écrire une critique. Ceux qui l’ont tenté n’ont plus jamais eu de contact avec moi. Il faut toujours se souvenir que le service presse envoyé par l’éditeur à quelqu’un d’un tant soit peu sérieux, c’est toujours un pari gagnant pour ledit éditeur.

 

Sur votre blog Just A Word créé en 2014, on peut découvrir vos chroniques et interviews concernant la littérature évidemment, mais aussi des films/séries et articles autour de Warhammer 40 000. Comment décidez-vous quel sera votre prochain sujet ?


Encore une fois, c’est souvent l’envie du moment. Je suis quelqu’un qui s’intéresse fondamentalement à tous les sujets pour peu que ceux-ci soient abordés de façon originale et talentueuse. Je déteste le militantisme forcené et l’article « putàclick ». En général, je choisis tout de même de publier des choses qui ont rapport avec l’actualité ou avec un sujet qui me fascine sur le moment. Comme lorsque je publie un dossier sur ce qu’est l’horreur au cinéma et les films méconnus qui redorent son blason face aux choses commerciales qui bouffent nos écrans. Ou lorsque j’écris des dossiers pour mettre en valeur nos auteurs francophones de fantasy ou de fantastique qui méritent souvent plus d’attention qu’ils n’en reçoivent. J’aime aussi parcourir l’œuvre d’un auteur de façon chronologique pour le voir évoluer et comprendre ce qui l’obsède. C’est par exemple ce que je fais avec Thierry Di Rollo actuellement, grand écrivain de l’imaginaire français et bien trop méconnu à mon sens.

 

Un mot pour finir sur la section Warhammer 40 000 un peu en jachère ces derniers temps mais j’adore cet univers depuis mon adolescence, je continue à penser que c’est le meilleur univers de science-fiction jamais créé et je ne cesse de m’ébahir qu’il n’ait jamais fait l’objet d’une seule vraie adaptation sur grand/petit écran (autre que le merveilleux court-métrage Astartes, qui décroche littéralement la mâchoire). Cette interview sera peut-être l’occasion de m’y remettre d’ailleurs…

 
Comment voyez-vous la place de la SFFF dans la littérature en général aujourd'hui ? A-t-elle évolué au cours des dernières années ?


La SFFF est partout. Vraiment. J’ai récemment organisé une soirée sur le thème de l’imaginaire dans la littérature générale à la Chouette Librairie à Lille. Non seulement la soirée a été un large succès mais elle permet aussi de réaffirmer que l’imaginaire se retrouve partout dans la littérature, et notamment dans les collections de littérature dite blanche. Ce qui me surprend à l’heure actuelle, c’est à quel point les romans d’imaginaire se glissent en masse dans les collections de littérature générale et certains des meilleurs ouvrages récents n’ont pas posé un pied chez des éditeurs imaginaires. Prenons par exemple le monumental Notre part de nuit de Mariana Enriquez ou le génial Friday Black de Nana Kwame Adjei-Brenyah sans même parler du futur Léopard noir, Loup rouge de Marlon James à venir en français en cette fin d’année chez Albin Michel dans sa sublime collection Terres d’Amérique.

 



La SFFF, avec la pandémie et les nombreuses avancées technologiques de ces dernières années, a pris une place qui me semble encore plus essentielle pour réfléchir sur notre époque qui court littéralement après le futur. C’est aussi, et surtout, une façon de parler des peurs qui nous obsèdent et, à ce titre, les auteurs français sont très concernés et très politiques. Bien davantage que les anglophones. Ce qui peut parfois devenir un travers quand la littérature se fait démolir par le militantisme et oublie qu’elle doit raconter une histoire au lecteur et construire des personnages plutôt que les étiqueter pour les vendre.


L’imaginaire a d’ailleurs bien évolué depuis mes débuts dans le milieu. Certains best-sellers ont mis le genre en lumière, d’Harry Potter à Game of Thrones en passant par Le Seigneur des Anneaux. Mais il me semble malheureusement qu’ici aussi, la théorie du ruissellement ne marche pas et que le marché reste concentré sur quelques locomotives qui cachent les nombreux wagons que constitue le Transperceneige de la SFFF. Une autre tendance récente, c’est la redécouverte des novellas, ces romans courts pourtant si courants outre-Atlantique. Le succès de l’excellente collection Une Heure Lumière le prouve de façon magistrale et l’arrivée chez Agullo ou encore L’Atalante de formats du même type montre bien qu’il existe un public pour ce format très sériesque.

 
Quelle est la perle méconnue de la littérature de l’imaginaire que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?


Pour une fois, permettez-moi de tricher et de mettre en avant un titre francophone et un titre étranger.


Côté français, impossible de ne pas citer Régis Messac, un auteur français du XXe siècle et son chef-d’œuvre, Quinzinzinzili. C’est un peu Sa majesté des mouches revu et corrigé par un écrivain de l’entre-deux-guerres avec la lucidité d’un homme de gauche quand celle-ci avait encore un sens. Quinzinzinzili nous parle d’un groupe de gamins perdus dans une grotte en Lozère alors que le monde meurt sous les bombes. On y assiste, médusé, à la reconstruction de la violence et de la bêtise, mais aussi de la croyance et de la loi du plus fort. Je pense que c’est l’un des romans les plus fondamentalement importants à remettre sur le devant de la scène à l’heure actuelle.

 


Côté étranger, je vais tout simplement citer l’une des plus grandes lectures de ma courte existence de lecteur compulsif : Le Quatuor de Jérusalem d’Edward Whittemore. Un immense chef-d’œuvre qui explique le Moyen-Orient et réinvente l’homme quitte à le transformer en fable. Cette œuvre culte n’a malheureusement pas connu le succès qui lui est dû en France malgré la traduction impeccable de Jean-Daniel Brèque. Je crois que Le Codex du Sinaï, premier tome de cette tétralogie, est le premier roman qui m’a touché au point de devoir interrompre la lecture pour reprendre ma respiration. Tous ceux qui ont lu le chapitre Smyrne comprendront ce que je veux dire.

 
Pourriez-vous nous parler en quelques mots de vos auteurs et éditeurs de l’imaginaire préférés ?


J’en ai trop, vraiment vraiment beaucoup trop. Que ce soit côté éditeurs ou côté auteurs. Je ne dirais jamais assez de bien d’Ada Palmer, la brillante autrice derrière la série Terra Ignota, peut-être le plus grand classique en devenir actuel de la science-fiction. Idem pour Sofia Samatar, autrice du sublime Un étranger en Olondre qui sera très bientôt réédité par les éditions Argyll dans la fabuleuse traduction de Patrick Dechesne. J’adore également Brian Evenson, ce génie du glauque ou encore Antoine Volodine et ses nombreux clones qui incarnent la plume française dans ce qu’elle a de plus audacieuse. Je ne me lasse jamais de rappeler le talent de Chloé Chevalier et de son Demi-Loup ni de l’écriture et de l’intelligence de Franck Ferric. Il existe aussi des auteurs que j’achète aveuglément comme Ken Liu ou Guy Gavriel Kay sans parler de Jeff VanderMeer.

 

Gilles Dumay © Nicolas Winter


Pour les éditeurs, il est rigoureusement impossible de ne pas parler de Gilles Dumay, LE plus grand éditeur de l’imaginaire à l’heure actuelle, passionnant dans tout ce qu’il fait. C’est à lui que je dois la découverte d’un nombre incalculable de chefs-d’œuvres et d’auteurs passionnants. C’est aussi lui qui a amené en France certains des auteurs les plus intéressants de ces vingt dernières années. Impossible aussi de ne pas parler de Davy Athuil, qui est non seulement une personne éminemment sympathique mais également un éditeur passionné qui tente toujours de dénicher des perles rares. Enfin, et pour ne pas finalement me retrouver à citer tous les grands noms de l’imaginaire français, deux mots du boss du Bélial’, Olivier Girard, inlassable défenseur de la science-fiction dans son ensemble et éditeur audacieux s’il en est. C’est grâce à lui et à sa collection que certains des plus grands auteurs de science-fiction ont pu parvenir jusqu’à nous.

 

Davy Athuil © Nicolas Winter
 


Avez-vous une citation ou une scène fétiche issue d’une de vos lectures ?


Je crois que la citation qui m’a le plus marqué reste à ce jour celle qui ouvre l’un des chapitres du Codex du Sinaï d’Edward Whittemore : « Les hommes tendent à devenir des fables, et les fables des hommes. »

Et si l’on me permet de dévier de l’imaginaire, je ne quitte jamais cette fameuse citation de Shakespeare dans MacBeth, que j’aimerais même me faire tatouer sur la peau pour ne jamais l’oublier : « J'ose tout ce qui sied à un homme, qui ose plus n'en est pas un. » (I dare do all that may become a man. Who dares do more, is none.)

 



Quelle sera votre prochaine lecture ? Comment l’avez-vous choisie ?


Ce sera Lady Chevy de John Woods, un premier roman américain qui m’a été envoyé par Francis Geffard, le formidable éditeur derrière Terres d’Amérique. Je ne l’ai donc absolument pas choisie, c’est elle qui est venue à moi… j’ai une confiance aveugle dans tout ce que publie Francis.



Une anecdote particulière en rapport avec Babelio ?


Ce n’est pas vraiment une anecdote mais une chose qui m’arrive régulièrement : recevoir un message d’un membre qui s’étonne que je l’ai ajouté en ami alors que nous n’avons aucune lecture en commun. Et je lui explique alors que c’est pour justement aller vers des lectures que je ne connaîtrais pas autrement. Car s’ouvrir à l’inconnu incarne certainement l’ultime forme de liberté intellectuelle qu’il nous reste.

 

Merci à JustAWord pour ses réponses ! Retrouvez tous nos entretiens ici.
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