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Critiques de Anna Funder (62)
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Stasiland

« L’immeuble semble avoir été conçu sur le même principe architectural de polyvalence que tous les autres bâtiments : le « Runden Ecke » (musée de la Stasi) à Leipzig et le QG de la Stasi à Normannenstrasse , les prisons, les hôpitaux, les établissements scolaires ou administratifs de tout le pays et sans doute aussi l’intérieur du palais de la République marron. D’ici à Vladivostok, voici la contribution du communisme à l’art de la construction : linoléum, ciment gris, amiante, béton préfabriqué et toujours et encore des couloirs interminables et des pièces polyvalentes. Et derrière chaque porte, tout était possible : interrogatoires, emprisonnements, examens, enseignements, administration, abri nucléaire, ou, dans ce cas précis, propagande. »



Anna Funder est australienne. Elle s’est toujours intéressée à l’Allemagne jusqu’à étudier l’allemand à l’école à la grande déception de sa famille qui considérait cette langue comme celle de l’ennemi.



En 1996, elle loue à Berlin-Est un petit appartement afin de s’immerger dans le Berlin d’avant la chute du mur et de partir à la découverte des lieux emblématiques de la STASI : La redoutable police secrète de cet état policier. Journaliste, elle se trouve un job à mi-temps à la télévision de l’ex Berlin-Ouest et part en quête de témoignages.



C’est abasourdie que je referme ce livre. J’ai beau avoir lu plusieurs ouvrages sur toutes les formes de dictatures, je suis toujours médusée par la capacité d’innovation dont peut faire preuve l’être humain afin d’asservir ses semblables : Les asphyxier dans un régime pervers pour mieux asseoir son pouvoir. Si seulement il pouvait mettre la même créativité au service de la philanthropie. Et cela fonctionne, cela conditionne, cela alimente la délation, cela fait appel aux plus bas instincts de l’individu, c’est difficile de résister !



Anna Funder nous convie à une enquête qui tente de s’approcher au plus près de la réalité de cet état policier en revenant en Allemagne quelques années après la chute du mur de Berlin. Elle se transforme en guide touristique et nous propose des visites extrêmement détaillées de « ces palais au lino marron » dont tout superflu est banni « adieu l’esthétique ». Elle va à la rencontre des allemands de l’ex Berlin-Est pour les écouter, recueillir leur témoignage et découvrir avec nous la réalité du « Rideau de fer », ce terrible « régime camisole » qui s’est abattue sur cette partie de l’Allemagne. Si ce récit « fait froid dans le dos », il est aussi passionnant, animé, c’est une véritable plongée oppressante dans une société anesthésiée par la peur, une œuvre choc et réussie.



Mi-1989, les premières manifestations (les manifestations du lundi) éclatent après les prières pour la Paix à l’église Saint-Nicolas-de-Leipzig. « La démocratie c’est maintenant ou jamais » - « La Stasi dehors ! ». Elles font tache d’huile et atteignent Erfurt, Halle, Dresde et Rostock. La première faille dans le système est ouverte, rien ne pourra plus arrêter l’Histoire. Sous la plume vibrante d’Anna Funder, je suis partie avec entrain à la suite du peuple de l’Allemagne de l’Est. Plus rien ne pouvait arrêter la mécanique. « Le goût de la Liberté est un goût à nul autre pareil. »



Emouvants et instructifs tous ces entretiens avec des personnes ayant eu affaire à la Stasi comme le récit incroyable de Miriam, de Julia, terrible et ahurissant celui de Frau Paul dont l’enfant gravement malade se retrouve dans un hôpital de Berlin– Ouest alors que les parents résident à Berlin-Est, troublantes les déclarations de ces nostalgiques du communisme, sidérantes les confessions des anciens de la Stasi.



Mais comment vivre après une dictature ? Après tant de souffrances, de privations, de peur, de délations, les vieux réflexes viennent encore empoisonner le quotidien de toutes ces personnes. Les stigmates de cette période sont encore à vif et c’est parfaitement bien décrit dans cet ouvrage. Tous ces témoignages révèlent l’anéantissement psychologique des opposants et le conditionnement dogmatique des autres. Le mur s'est immiscé dans leur tête!



Et le comble « L’association des anciens de la Stasi » va tout mettre en action pour empêcher la parution du livre d’Anna Funder et ce : au nom des droits de l’Homme !



Ce pays réunifié s’est promis de faire la transparence sur cette période d’Inquisition modèle soviétique. Dans ce livre, il y a des découvertes inconcevables tels que les « bocaux d’odeurs, la chaîne noir ». Mais aussi les femmes-puzzles !



Après ce livre, j’ai très envie de partir à la découverte de cette Allemagne que fut la RDA !



Petit bémol : il y a une erreur dans ce livre et une confusion certainement liée à la traduction. Il est question de la ville de Lindau en RDA à trente kilomètres de Dessau. Impossible, Lindau est au bord du Lac de Constance, en Allemagne de l’Ouest, en zone française, à six cents kilomètres de Dessau. Originaire de la ville de Chelles, nous sommes jumelés avec Lindau et mes enfants ayant fait allemand première langue, sont partis en stage à Lindau. C’est en connaissance de cause que je souligne cette erreur. Maintenant, je ne peux dire de quelle ville il s’agit, je n’ai trouvé aucune ville dont il pourrait s’agir.



Si vous avez aimé le film « La vie des autres », vous aimerez le livre d’Anna Funder.



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Tout ce que je suis



2001 - Ruth reçoit un paquet de la « Columbia University of New York » contenant le manuscrit original d’ « Une jeunesse en Allemagne » d’Ernst Toller, retrouvé dans la cave du Mayflower Hotel avant sa démolition et où le romancier séjournait en 1939.



Les feuillets posés sur ses genoux, Ruth, malgré une mémoire vacillante mais suffisamment sollicitée par cette lecture, se rappelle l’amour, l’amitié, les joies mais aussi les épreuves, l’exil, les combats, les trahisons qui ont marqué sa jeunesse mais aussi les évènements de ces années trente. Période funeste qui a vu l’inéluctable montée en puissance d’Hitler.



Après la première guerre mondiale, des intellectuels et des journalistes anti militaristes ont créé des mouvements pacifistes très vite étouffés. Malgré cette répression, certains de ces acteurs, souhaitant construire une Allemagne plus ouverte, plus égalitaire et moins belliciste, n’ont pas pour autant renoncé à leur projet.



Ils sont quatre amis, Ernst Toller et son amie Dora Fabian, Ruth et son mari Hans. Très engagés à gauche dans la vie politique allemande, ils vont s’opposer à la politique du national-socialiste. L’incendie du Reichstag déclenche une chasse aux communistes. Cet incendie devient l’instant fondateur de la perte des libertés individuelles. Nos quatre amis soupçonnant une mascarade fomentée par le pouvoir au détriment des communistes, vont se retrouver en proie aux persécutions. Ils devront alors s’exiler à Londres d’où ils tenteront d’alerter l’opinion sur la dérive de l’Allemagne et de faire chuter le dictateur. Ils furent nombreux les écrivains, les journalistes et intellectuels à fuir, un transfert de près de 55000 allemands et que l'on surnommait d'emigrantsia. De grands noms de la littérature se sont retrouvés aussi à Sanary-sur-Mer.



Anna Funder s’est appuyée à la fois sur le témoignage de son amie Ruth mais aussi sur les écrits et les rencontres des biographes de Dora Fabian et d’Ernst Toller pour nous offrir cette fiction qui a le mérite de dresser un portrait réaliste de cette époque et de mettre en lumière cette résistance allemande. Avec exactitude et habileté, elle reconstitue le quotidien de ces jeunes gens qui tentent d’informer, de secouer l’opinion publique aux périls de leur vie. Ils acceptent la perte de leur liberté, de vivre dans la peur, dans la misère, dans la suspicion, étrangers dans un pays qui leur interdit toute prise de position. La Grande Bretagne aura d’ailleurs un comportement complaisant à l’égard de la politique allemande. On mesure la force psychologique qu’il faut pour résister à une telle pression d’autant que si l’un s’écroule, c’est tout un réseau qui tombe.



Cette fiction m’a rappelée l’atmosphère anxiogène de « L’Armée des Ombres », tout est parfaitement restitué et la très belle histoire d’amour d’Ernst Toller et de Dora Fabian vient alléger l’inquiétante ambiance du roman jusqu’à l’inévitable fin. C’est un très beau portrait de femme engagée que celui de Dora Fabian dont l’esprit flotte sur cette fiction. Ernst Toller lui a dédié « Une jeunesse en Allemagne » en ces termes :



« A la mémoire d’une femme, à son courage grâce auquel je dois le salut de ce manuscrit. Quand, en janvier 1933, le dictateur de Braunau a reçu le pouvoir contre le peuple allemand, Dora Fabian, dont la vie s’achevait douloureusement en exil, s’est rendue à mon appartement pour y prendre deux malles de manuscrits et les placer en lieu sûr. La police a eu vent de ce qu’elle avait fait et l’a jetée en prison. Elle a affirmé que les documents avaient été détruits. A sa sortie, elle a fui l’Allemagne et, peu avant sa mort, est parvenue à faire sortir les documents du pays avec l’aide d’un nazi repenti.



J’ai souvent rencontré Ernst Toller au détour de mes lectures et je terminerai sur cette citation de W.H. Auden « In Memory of Ernst Toller » - mai 1939



Cher Ernst, repose enfin, sans ombre, aux côtés de ces vétérans qui, comme toi, vécurent le temps d’avoir accompli quelque chose qui serve d’exemple à la jeunesse.





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Tout ce que je suis

Ils étaient jeunes, ils étaient beaux, ils rêvaient pour leur pays de paix, de solidarité, de liberté, d'égalité. "Ils", ce sont Ruth, Dora, Hans et Ernst, une bande d'amis, journalistes ou auteurs, photographes ou étudiants. Et leur pays, c'est l'Allemagne, une nation exsangue après la défaite de 14-18 mais où tout est à faire pour un monde meilleur. Adhérents du Parti des travailleurs socialistes, ils luttent pour ne plus jamais être soldat et devoir se battre dans les tranchées, pour que les femmes soient les égales de des hommes, pour que les ouvriers puissent vivre décemment. L'arrivée d'Hitler au pouvoir brise leur élan. Elu démocratiquement, le führer ne tarde pas à s'emparer des pleins pouvoirs et à instaurer la terreur. Les opposants au régimes sont abattus, envoyés dans les premiers camps de concentration ou déchus de leur nationalité et contraints à l'exil. Ruth, Dora, Hans et Ernst arrivent ainsi à Londres où, malgré l'interdiction faite par le gouvernement , ils s'organisent pour dénoncer le régime nazi et ouvrir les yeux des démocraties européennes sur les velléités guerrières du nouveau chef d'état. Mais l'Allemagne ne tolère aucune critique. Les dissidents sont menacés, enlevés, tués, même en territoire étranger. C'est au prix fort qu'ils paient leurs convictions et leurs engagements.

Quelques soixante-dix ans plus tard, Ruth, professeure de littérature à la retraite, reçoit, en Australie, son pays d'adoption, un colis contenant les derniers écrits d'Ernst, un récit de ces évènements rédigés dans une chambre d'hôtel new-yorkaise, juste avant la deuxième guerre mondiale. Au fil de sa lecture, Ruth se souvient...de sa jeunesse, de son amour pour Hans, de sa cousine Dora et d'Ernst son éternel amant. Défilent alors la lutte, la politique, les engagements, les amours, les trahisons, les persécutions, tous les amis qui se sont battus en vain contre la montée du nazisme.





Intrigues politiques et amoureuses se conjuguent dans cette fiction très réussie, basée sur des faits réels, que l'auteure a entrepris d'écrire après sa rencontre avec Ruth, seule survivante de la bande d'amis idéalistes. Elle a choisi d'entremêler les souvenirs de Ruth, en Australie en 2001 avec ceux d'Ernst Toller, à New-York, en 1939. Le procédé, déstabilisant dans les premières pages, finit par ne plus gêner, à mesure que l'on s'y habitue et que les deux récits se rejoignent. Finalement, on est pris dans cette histoire et on ne la lâche plus jusqu'aux dernières pages. Avec brio, Anna FUNDER revient sur une époque qui a fait l'objet de tant de livres, films et documentaires, qu'on croit la connaitre par coeur, mais elle le fait du point de vue de la résistance allemande dont on parle peu en définitive. Et pourtant, quel courage il fallait pour oser s'opposer aux nazis ! Réfugiés en Grande-Bretagne, en France, en Tchécoslovaquie, ou ailleurs, désormais apatrides, ils vivaient de peu, n'ayant droit à aucune activité professionnelle ou politique. Révoltés par les agissement d'Hitler, inquiets pour leur pays, mais profondément convaincus que le nazisme ne saurait perdurer, ils ont sacrifié jeunesse, amours, famille au service de leur cause. Comment penser à l"avenir quand l'Allemagne prépare la guerre? Comment envisager de fonder une famille alors que le danger rôde, partout, tout le temps ? Jeunesse perdue, avenir incertain, ils se sont brûlés les ailes au feu de l'Histoire. Certains, perdus loin de leur pays, de tout ce qui était leur vie, ont renoncé à leurs idéaux dans l'espoir de redevenir "quelqu'un", ils ont trahi par faiblesse, par peur ou par désespérance.

L'histoire bouleversante de Ruth, Hans, Dora et Ernst, de vraies personnes devenues personnages de roman, est rendue merveilleusement dans un récit balayé par le souffle de l'Histoire. Ces destins tragiques, brisés, nous emportent dans un tourbillon d'émotions qui vont de l'admiration à la pitié, en passant par la tristesse et l'effroi. Une belle réussite, portée par une plume sensible, qui a su s'effacer pour laisser la parole à ses héros méconnus. Enrichissant, passionnant, magistral !
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Tout ce que je suis

Un grand livre, l'histoire avec un grand H vue par différents personnages , simplement incroyables. Ils se souviennent de Dora, syndicaliste , femme d'action et anti nazis. Chacun leur tour, leur récit débute a l'avènement d'Hitler en 1933 , leur fuite, leur détermination a prévenir le monde du danger . Ils vont jusqu'au bout de leurs convictions, courent tous les risques . Très enrichissant historiquement et humainement . A lire absolument .
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Tout ce que je suis



L'auteur est australienne, son long roman , inspiré par la vie de son amie Ruth Blatt, à qui elle veut rendre hommage, je l'ai trouvé captivant et poignant aussi.



Deux points de vue alternent, au présent et au passé : celui de Ruth, très âgée et malade, et celui d'Ernst Toller, auteur allemand qui a réellement existé , ayant dû s'exiler, décédé en 1939.



Tout commence en 1933, à Berlin. Ruth et sa cousine Dora intègrent un groupe de militants anti-nazis . Inquiétés par la police, ils devront tous quitter l'Allemagne. Depuis l'Angleterre, ils essaieront d'alarmer les autres pays du danger que représente Hitler. L'exil difficile, les trahisons terribles, les meurtres froidement et injustement prémédités vont alors faire exploser l'unité de leur groupe idéaliste.



A travers son autobiographie, Ernst Toller évoque la femme qu'il a aimée, Dora, et qui est morte tragiquement. Il laissera dans un coffre-fort un message demandant que son manuscrit soit envoyé à Ruth. Mais elle ne le recevra que longtemps après...



J'ai beaucoup aimé ce que Ruth dit à propos de son lien et de celui d'Ernst à Dora:" Nous étions les deux êtres dont elle était le soleil. Nous évoluions dans son orbite, et c'est sa force à elle qui nous faisait avancer." C'est vrai que Dora était une belle personne, passionnée, courageuse, déterminée dans ses convictions. Jusqu'à en perdre la vie.



La pensée de toutes ces vies brisées par le nazisme fait toujours frémir.



Un témoignage fort et émouvant.

Des destins tragiques à ne pas oublier.

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Stasiland

S.T.A.S.I, Le ministère de la Sécurité d’État, ces initiales font encore frémir à notre époque.

Ce livre nous fait découvrir ce que voulait dire « vivre » sous le régime totalitaire de l'ex R.D.A, que l'on pourrait décrire comme une immense prison.

Avec quelques témoignages représentatifs, l'auteur arrive à décrire l'absurdité d'un état paranoïaque, dont le symbole est cette balafre à ciel ouvert, ce mur, qui revient de manière lancinante dans le récit.

On peut regretter la manière qu'a l'auteur de se « raconter », même si elle démontre les obstacles qu'elle a dû surmonter.

Un livre très instructif, une immersion dans le quotidien des « ossies », mais également sur l'après « chute du mur » et les réactions paradoxales de certains allemands de l'est.

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Tout ce que je suis



Dans les années 30, quatre jeunes intellectuels berlinois s'opposent à la montée du Parti national-socialiste. Ils sont pacifistes et juifs.



Ernst Toller, Ruth Becker, Dora Fabian et Hans Wesermann ont participé à la révolution socialiste allemande de 1919. Ernst Toller est le leader du Parti social-démocrate et est un écrivain reconnu de l'entre-deux guerres. Il est au centre d'un groupe d'amis et militants socialistes qui combat l'accession au pouvoir d'Hitler et du parti nazi en Allemagne.



Après l'incendie du Reichstag — prétexte pour des arrestations et assassinats de communistes et de juifs— ils vont être contraints de quitter leur pays et de se réfugier à Londres. Déterminés à continuer la lutte malgré leurs visas anglais qui prohibent « toute activité politique de quelque nature qu'elle soit », ils organisent des réunions, distribuent des tracts et collectent des fonds pour soutenir les émigrés les plus démunis.



En Allemagne, les nazis prennent des mesures visant à éliminer totalement ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis. Certains d'entre eux sont déchus de la nationalité allemande et perdent tout ce qu'ils possèdent ; c'est le cas d'Ernst Toller. Cela n'empêche pas les émigrés allemands d'organiser à Londres un contre-procès de l'incendie du Reichstag — procès visant à prouver le complot nazi contre les communistes et à montrer aux yeux du monde le danger que représente Hitler.



Anna Funder utilise un récit à deux voix pour nous rappeler qu'il a existé une opposition allemande à l'avènement du troisième Reich. Ces voix sont celles d'Ernst Toller en 1939, exilé aux Etats-Unis, et de Ruth Weisermann aujourd'hui, installée en Australie. Cette construction du récit est parfois déroutante – on se perd parfois entre les époques et les narrateurs – mais elle est à l'image de la complexité de la situation des personnages et du contexte politique mondial dans lequel ils évoluent.



Inspirée d'une histoire vraie, ce roman nous montre que le monde n'était pas prêt à résister au nazisme. Ceux qui, comme Ernst Toller, Ruth Becker ou Dora Fabian, ont révélé ce qui se passait en Allemagne, n'ont pas été écoutés. Ils y ont laissé leur vie.







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Tout ce que je suis

Ce livre passionnant retrace la vie de quatre jeunes allemands: Ernst, écrivain,Hans, journaliste,Dora et Ruth,pamphlétaire et photographe, pacifistes socialistes dont les voix s'élèvent avec générosité, force et courage indomptables malgré les dangers inhérents à l'époque,pour dénoncer la montée du national socialisme entre 1918 et 1933 et la naïveté ou la cécité coupables de leurs concitoyens....

Leur vie privée est mêlée intimement à leur idées politiques....

Dés lors , leur insouciance bascule......

Ces quatre jeunes berlinois sont obligés de s'exiler en Angleterre..

Depuis la capitale londonienne, ils essaient en vain, avec des moyens dérisoires, d'une manière désespérée, d'alerter le monde sur les menaces que représentent

Hitler et le régime Nazi...

"La peur fait le lit de la dictature", dans une langue belle et simple, on traverse le siècle aux côtés de Ruth, qui se souvient de la destinée héroïque, tragique de ses compagnons, plongés dans un climat de terreur, rongés par l'angoisse et l'incertitude: Dora, jetée en prison pendant cinq ans, dont trois à l'isolement,Ernst , surveillé constamment, Hans dont le destin changera....

Les amours se fragilisent. La trahison,l'oubli et le mal se profilent dans cet ouvrage impressionnant! Le mal en tant qu'outil extérieur mais aussi en tant que force obscure....

Comment de jeunes intellectuels allemands, d'origine bourgeoise,pour certains aisés, organisèrent t- ils, au péril de leur vie, par idéal politique, une résistance acharnée contre le mal absolu?? peu d'ouvrages retracent ce côté chez les allemands .....

Les cent cinquante premières pages sont assez difficiles à suivre, chaque chapitre est consacré à un personnage avec des retours en arrière constants....

Ensuite on épouse le rythme de ce ballet d'ombres inspiré d'une histoire vraie....où la politique côtoie l'histoire, l'amour et la trahison....

C'est quand même un roman mais je dirai qu'il est traversé par une vision politique au contexte historique fort....
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Tout ce que je suis

Mais quel prodigieux ennui !!!



Et pourtant le sujet ne manque pas d'intérêt puisque l'histoire - basée sur des faits réels - nous relate le parcours de militants allemands anti-nazis dès l’ascension au pouvoir de Hitler et dont l'action se situe principalement avant la guerre. Ils veulent avertir le monde du danger qui menace, dénoncent l'incendie du Reichstag comme une mascarade orchestrée par les dignitaires nazis eux-mêmes. Bref, de quoi attiser l'intérêt des férus de seconde guerre mondiale, tant la matière n'a que peu été traitée sur ces points.



Mais la manière dont est traité le sujet m'a laissée à l'agonie...

Vous êtes dans un train à voir défiler longuement des paysages monotones et insipides comme le flot de détails dont la narration ne tarit pas. Le train ralentit et une vague torpeur s'empare de vous à tel point qu'elle vous berce et menace vos paupières de se fermer... Jusqu'à ce que l'agacement de l'immobilité vous saisisse. Et là, vous ne souhaitez qu'une chose, c'est que le train démarre enfin, qu'il se passe quelque chose !! Mais vous vous impatientez tout le trajet qui dure et dure si longtemps... que c'est comme une bouffée d'oxygène que d'en sortir !



Outre la longueur des descriptions inutiles et le peu de passages finalement qui concernent réellement le sujet principal, il faut regretter les incohérences. La narration alterne entre deux personnages comme s'ils se remémoraient des souvenirs, mais cela ne les empêche pas d'être omniscients et de connaitre par le menu (détail !) ce qui a pu se produire là où ils n'étaient pas... L'agacement est double car le traitement de l'histoire est du coup factice et ne nous apporte ni émotions, ni vie aux personnages.



J'ai donc dû me cramponner à cette histoire, étant plus d'une fois à deux doigts d'interrompre ma lecture ou quand l'entêtement tourne au masochisme (à vrai dire je considère un peu comme un échec personnel de ne pas aller au bout d'un livre) ! Mais je dois tout de même reconnaitre que j'ai triché un peu en tournant ici et là quelques pages, et en lisant de-ci de-là quelques lignes en diagonale sur la fin... pour que cesse le supplice.



Un livre qui n'était définitivement pas fait pour moi. Qui sait s'il est fait pour vous...
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Tout ce que je suis

Le livre retrace le parcours de quatre jeunes allemands dissidents pendant la montée au pouvoir d’Adolf Hitler. Malgré le danger imminent que représente Hitler, ces quatre jeunes ne vont pas renoncer à leurs idéaux. Ils continuent leur engagement politique contre le régime nazi, occasionnant en cela la méfiance de leurs compatriotes. Cela les obligera rapidement à fuir leur propre pays afin de rester en vie, gagnant alors le statut de réfugiés à Londres.

« 3 juillet 1934

Loi sur les mesures de légitime défense de l’Etat



Les mesures prises le 30 juin, les 1er et 2 juillet 1934 pour réprimer les complots contre la sûreté de l’Etat et les actes de haute trahison sont égales à titre de légitime défense de l’Etat. »





« Légitime défense de l’Etat » cache en fait des assassinats politiques.





Ce roman est profondément dramatique. Grâce à la connaissance de Ruth Blatt, survivante de ce groupe de jeunes allemands dissidents qui a passé quelques années en Australie, Anna Funder s’inspire de la vie de cette femme pour en faire une fiction digne des plus grandes tragédies. L’auteur n’existe plus. Elle se contente de donner voix aux membres du groupe dissident. L’histoire narrée ici est passionnante. Toutefois, je suis restée sur ma réserve tout au long de ma lecture. A mon sens, cette histoire aurait pu être écrite par n’importe quel passionné de recherches historiques ou scénaristes de films. Pourquoi cette critique de ma part ? Ce livre a visiblement fait l’objet d’énormément de recherches. Je lui tire mon chapeau car le travail est impressionnant et mérite qu’on le remarque. Cependant, lorsque l’auteur met l’accent sur le roman, je vois une pointe de déception apparaître. A ce niveau, j’attendais quelque chose de plus créatif. Un roman se base sur l’imaginaire. Ici, la frontière est mince pour le désigner comme un roman ou un témoignage historique.



Fiction ? Réalité ? Dans la construction même de ce livre, la question se pose de déterminer dans quelle mesure ce livre est un témoignage. Quand entrons-nous dans la fiction ? Même si à plusieurs reprises je me suis sentie quelque peu assommée par la somme de détails historiques, m’obligeant à m’accrocher pour ne pas laisser mon esprit vagabonder, j’ai adoré découvrir autant d’informations sur notre passé européen. Ce livre apporte beaucoup de lumière sur la montée au pouvoir d’Hitler et notamment sur les moyens dont il a usé pour faire taire toute personne opposée à ses principes sans pour autant outrepasser le seuil de l’illégalité (assassinats, extraditions, camps de concentration). Beaucoup d’ouvrages sont parus depuis 1945 concernant les nazis, mais aucun à ma connaissance ne mentionnait la résistance qu’Hitler a affrontée pendant cette période. Nous n’entendions parler que des atrocités commises par les nazis. En même temps, comment ne pas en parler vu la quantité de crimes commis par eux au nom de l’Allemagne. Malheureusement, beaucoup trop d’Allemands ont été assimilés aux nazis. Je suis heureuse de constater que le contraire est démontrable. Anna Funder s’attache ici à décrire cette résistance. Ce livre est donc rare.



Oui mais voilà… Cela était sans compter sur le couperet : ce livre est un roman.



Le livre est écrit en suivant scrupuleusement les souvenirs alternés de deux rescapés vieillissant : Toller aux États-Unis en 1939 et Ruth en Australie en 2001. Le récit est lent, comme les personnes qui le racontent et qui vieillissent. Procédé étrange que de décrire deux protagonistes raconter leur vie à deux périodes distinctes ou erreur de ma part ? En fait, Ruth est malade. Elle ne se souvient plus des évènements récents. Juste du passé…. On comprend mieux la technique de l’auteur. Anna Funder est en cela une véritable romancière. Elle semble ici maîtriser parfaitement les outils ingénieux de la narration.

Pendant toute la lecture, le lecteur est propulsé dans leurs vies intimes actuelles et passées, et ce jusqu'à leur dernier soupir.



Le courage et l’amitié que partagent ces personnes sont émouvants, les traitrises nous fendent le cœur. Oui mais voilà…. Ce roman se veut une « reconstitution » de faits véridiques. C’est un peu contradictoire, non ?

« Quand Hitler est arrivé au pouvoir le 30 janvier 1933, mon amie Ruth et ses amis ont fui l’Allemagne, et c’est en cet exil qu’ils ont tenté de faire tomber le dictateur. Ce livre retrace leur histoire, ou plutôt ma version de leur histoire. Ce livre en est une reconstitution à partir de fragments fossiles un peu comme l’on pourrait garnie de peau et de plumes un assemblage d’os de dinosaure, pour tenter de se faire une idée de la bête dans son entier. (…) la plupart des personnages portent des noms authentiques, à quelques exceptions près ».

Jusqu’où a-t-elle puisé dans ses sources ? Ce roman est-il hautement réaliste ou relève-t-il au contraire plus du rêve historique? J’avoue avoir été perdue, ballotée d’un côté comme de l’autre, ne sachant trop où je me trouvais.



Ces questions m’ont mise mal à l’aise et m’ont empêchée de profiter pleinement de l’histoire.



Ruth confie à l’auteur : « Qui je suis ? Personne ». Anna Funder semble, elle, persuadée du contraire en voulant arracher de l’oubli cette dame courageuse dont l’histoire serre le cœur. N’oublions pas qu’Hitler a tenté de supprimer les identités de ces dissidents qui osaient le défier via des suppressions de passeport par exemple. Ce livre est magnifique car il touche à la difficulté de continuer à exister lorsqu’on est officiellement inexistant et en cela, ce livre est extrêmement touchant. Ces jeunes dissidents aspirent à un « chez soi » alors qu’ils n’en ont plus. Ils cherchent à se construire alors qu’on fait tout pour les annihiler.

Cet ouvrage nous remémore l’ascension d’Hitler faite avec l’appui des démocraties européennes aveugles. Aveugles ? Pas si sûrs. Cela n’est pas sans rappeler l’excellent film anglais Glorious 39 révélant un épisode historique méconnu de cette époque : de nombreux membres du gouvernement anglais, ont fait pression sur leurs collègues pour signer un traité de paix avec Hitler en 1939. Ce traité consistait à laisser Hitler envahir l’Europe si, en contrepartie, il épargnait le Royaume britannique. Peur de perdre la guerre face à Hitler? Pression économique? La Seconde Guerre mondiale cache beaucoup de choses.



Malgré mes réserves, ce livre a le mérite de mettre en lumière une période trouble où la morale était douteuse chez beaucoup de monde, tous milieux et pays confondus. L’héritage du sang, voilà ce que nous offre ce livre.



Un roman que je recommande donc sans hésiter.
Lien : http://aupetitbonheurlapage...
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Tout ce que je suis

Le fil rouge est un livre de mémoires.

Un livre écrit et remanié par son auteur Ernst Toller, une ébauche écrite en Allemagne entre les deux guerres, retrouvée et complétée en exil aux Etats unis, un livre qui finira par être lu des dizaines d'années plus tard en Australie par Ruth, vieille dame à la mémoire défaillante. Réminiscences et lecture ressuscitent Hans, Dora, Bertie, les disparus d'une génération idéaliste et contestataire, qui voulait refaire le monde.



Cinq jeunes allemands partagent vie privée et vision politique, entre la fin de la guerre de 14/18 et la montée du national-socialisme.

Ecrivain, journaliste, pamphlétaire, photographe, socialistes et pacifistes, de la révolution éphémère de 18/19, de la république de Weimar à l'avènement d' Hitler, leurs voix s'élèvent avec courage et détermination pour dénoncer l'aveuglement de leur concitoyens.



Les purges de 1933 imposent l'exil en Grande Bretagne à quatre d'entre eux, où ils tentent, avec des moyens dérisoires et souterrains, d'alerter l'opinion mondiale du danger nazi et d'aider l'opposition allemande muselée. Dépossédés de leur vie et de leur avenir, entre travail accompli au nom de la cause et leur propre sécurité, ils en paient pour certains le prix fort.



Livre un peu hermétique à aborder, par ses multiples allers et retours temporels, passant des souvenirs de l'un à la réalité de l'autre, sur une période de près de 80 ans. Il m'a fallu une petite centaine de pages pour me faire plaisir et ne plus le lâcher. Un fois la trame narrative apprivoisée, les cinq personnages composent un kaléidoscope d'énergie, d'idées, et de liberté, dans l'époque de plus en plus noire de leur pays.



Pour être parfait, un peu de souffle et de densité auraient apporté la touche d'empathie pour le lecteur en donnant plus de corps à l'humain par rapport au contexte historique. Très peu de sentiments sont exprimés. L'ensemble est un peu froid et factuel, proche du documentaire. Malgré cela, c'est une vision de l'intérieur passionnante de l'opposition intellectuelle allemande dans la première moitié du 20ème siècle. Cela reste un roman mais à l'ossature historique solide et documentée.

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Tout ce que je suis

Il manquait si peu de chose pour faire de Tout ce que je suis une belle et franche réussite. Un petit supplément d’âme et la capacité à rendre les personnages attachants. Ceci est tellement dommage quand on a entre les mains un sujet qui prête à un traitement littéraire émouvant et puissant. Ruth, Dora, Hans, Ernst sont de jeune berlinois qui très tôt ont tenté d’avertir l’Europe du danger que représentait Adolf Hitler et ce dès son accession au pouvoir. Réfugiés à Londres, ils seront les victimes du désintérêt profond de l’Europe pour leur témoignage, d’une volonté non assumée des gouvernements d’éluder le plus possible les dangers encourus et de nier l’inévitable.

Il faut reconnaître à Anna Funder la capacité à avoir su parfaitement restituer cette atmosphère d’ébullition intellectuelle ainsi que l’enthousiasme de ces jeunes militants prêts à tout risquer pour la liberté et la justice. Force est de constater qu’on se sent proches de leurs aspirations et qu’on comprend leur profond désarroi face à l’indifférence. Pourtant une lenteur et une pesanteur ont perturbé ma lecture. J’ai difficilement terminé le roman. Il manquait cet élan, ce dynamisme et cette émotion auxquels je m’attendais. La lecture a été empesée par les incessants allers retours entre les époques et les points de vue de deux personnages : Ernst Toller et Ruth Becker. D’original c’en est devenu pesant.

Pour conclure, une lecture en demi-teinte : édifiante par le témoignage historique et la découverte d’un pan de l’histoire qui m’était méconnu ; mais décevante par le traitement littéraire qui en a été fait.


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Tout ce que je suis

"Quand Hitler arriva au pouvoir, j'étais dans mon bain". Au début des années 2000, en Australie, Ruth est une vieille dame à la mémoire volatile et à la santé défaillante. Pourtant, l'arrivée d'un paquet par la poste va soudain faire rejaillir les souvenirs d'une époque douloureuse. Il s'agit des Mémoires et des derniers écrits de Ernst Toller, mort à New York en 1939 et compagnon de route et de résistance des années 30.



Par des allers et retours entre ces écrits et les souvenirs retrouvés de Ruth, l'auteur nous ramène en Allemagne, en pleine montée du nazisme, avec la prise de pouvoir d'Hitler et la négation progressive de toute démocratie. Ruth a grandi sur les ruines de la guerre de 14-18 et son adolescence a été guidée par un engagement pacifiste et un espoir de révolution inspiré de celle de la Russie. Mariée à Hans, un journaliste satirique, elle admire sa cousine, Dora Fabian, engagée pour cette cause qu'elle entend défendre à tout prix aux côtés d'intellectuels dont Ernst Toller avec lequel elle vit une histoire passionnelle mais contrariée par leurs deux personnalités indépendantes. Bientôt repéré et menacé par les nazis, le petit groupe est forcé à l'exil comme des milliers d'allemands qui fuient le régime hitlérien.



Depuis Londres, ils tentent d'organiser une chaîne d'informations pour alerter les gouvernements européens des véritables visées d'Hitler alors que les Anglais et les Français persistent à le considérer comme un chef d'état tout à fait normal. Dora est la plus engagée, celle qui prend le plus de risques et qui parviendra notamment à sauver les écrits de Toller et même à les faire sortir d'Allemagne. Pourtant, l'opinion publique reste sourde. Les mouvements des réfugiés sont entravés par leur statut qui leur interdit toute action ou prise de parole politique mais ils réussissent malgré tout à se procurer et à diffuser des informations qui mettent en lumière les mensonges d'Hitler qui, malgré les termes du traité de Versailles est en train de reconstituer une armée et de l'équiper de matériel dernier cri. Le Reich continue à avancer ses pions, menaçant, jusque sur le sol britannique.



Dans ce contexte dramatique, alors que chaque destin est sur un fil, les personnages se battent entre amours et trahisons, complots et mensonges, guidés par un idéal de vérité et un espoir de liberté. L'auteur rend ici un bel hommage à ces combattants qui ne sont pas souvent mis en lumière en littérature. Inspiré d'une histoire vraie, basé sur une documentation méticuleuse recensée en fin d'ouvrage, ce roman qui se lit comme un polar est aussi poignant qu'instructif.



On espère qu'il y aura toujours des Ruth, des Toller et des Dora pour alerter. On espère que la prochaine fois ils seront écoutés et réussiront là où ils ont malheureusement échoué : éviter la guerre.



Un roman riche et très éclairant sur la condition des réfugiés que ce soit pour des raisons politiques ou pour échapper à l'antisémitisme. Des personnages magnifiques et terriblement romanesques. Une belle réussite.
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Tout ce que je suis

J'avais lu de la même romancière, il y a quelques années, "Stasiland" qui m'avait laissé un très bon souvenir. J'étais donc très impatiente de découvrir son nouveau roman "Tout ce que je suis".



Anna Funder raconte le parcours de quatre jeunes intellectuels allemands réfugiés à Londres pour fuir le régime nazi naissant. Fuir ne veut pas dire l'occulter, car ils sont déterminés à dénoncer au monde le danger potentiel que représente le nazisme. Le problème, c'est qu'en Angleterre, les réfugiés ne doivent pas avoir d'activités politiques ni professionnelles. Il est très compliqué de survivre et de s'exprimer. Ajouter à cela la présence d'agents du régime hitlérien qui, pernicieusement, cherchent à les déstabiliser, les persécuter et à les supprimer.



Le récit alterne entre les confidences de Ruth, une vieille dame en fin de vie résident en Australie et celles d'Ernst Toller, écrivain réfugié aux Etats-Unis à la fin des années 30.



Si d'un point de vue historique (la plupart des personnages évoqués ont réellement existé), on apprend beaucoup de choses, d'un point de vue littéraire, le parti pris narratif de l'auteure rend l'histoire confuse et difficile à suivre. J'ai personnellement eu des difficultés à m'attacher aux personnages. Ce n'est qu' à la fin de l'ouvrage que l'émotion surgit, hélas, tardivement.



Mon avis sur ce livre reste très mitigé.



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Stasiland

Sept ans après la chute du Mur de Berlin, Anna Funder, journaliste australienne passionnée par l’Allemagne et son histoire, est partie en ex-RDA sur les traces des victimes du régime communiste et des dirigeants de la Stasi, l’ancienne police secrète du régime de l’Allemagne de l’Est. Les témoignages qu’elle a pus recueillir nous révèlent des vies ordinaires brisées et des histoires individuelles glaçantes. Dans un monde ultra surveillé où la paranoïa, la manipulation et la délation déformaient la vérité, les victimes avaient peu de chances de pouvoir se défendre. Tel est le cas de Myriam arrêtée à seize ans pour avoir distribué des tracts et qui recherche toujours les circonstances de la mort de son mari soi-disant suicidé pendant son incarcération. C’est également Julia, emprisonnée pour être tombée amoureuse d’un Italien et pour ne pas avoir voulu coopérer avec la Stasi contre sa famille. Des victimes de ce régime policier et totalitaire, il y en a encore beaucoup… Anna Funder s’est également intéressée aux bourreaux et a pu en rencontrer quelques-uns. Elle nous parle ainsi de cet agent zélé qui se faisait passer pour un aveugle afin de mieux espionner les gens à leur insu. Très souvent, c’est la nostalgie qui se ressent dans leur propos, mais certainement pas les regrets pour les brimades et les tortures de gens arrêtés arbitrairement.



« Stasiland » nous décrit une époque hallucinante, une société où la vie quotidienne était totalement oppressante. La machine infernale de la Stasi y est parfaitement décrite entre les méthodes de surveillance, les arrestations arbitraires et les interrogatoires où menaces et manipulation psychologique était le mot d’ordre. Si cette enquête se lit comme un roman, c’est avant tout parce qu’Anna Funder n’a pas caché son émotion face aux propos qu’elle recueillait. Les entretiens sont mêlés à ses propres observations, ce qui dénote parfois en effet un manque d’objectivité. Pour autant, son livre est le remarquable témoignage d’une période complexe et revient sur l’histoire d’une partie d’un pays qui, de manière stupéfiante, est passé d’un régime totalitaire à un autre. Surtout, la journaliste australienne permet aux victimes d’exprimer leur douleur et leur incompréhension et révèle des personnes partagées entre la volonté de se souvenir et d’oublier.



Un récit passionnant donc, teinté de l’empathie de l’auteur pour les victimes de la Stasi, mais qui a le mérite de nous faire découvrir une période de l’histoire de l’Allemagne de manière très vivante. J'ai pour ma part été totalement immergée dans cette enquête. Une très bonne lecture.

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Tout ce que je suis

J'ai eu beaucoup de mal à rentrer dans ce roman. Un procédé de relation des souvenirs qui fait des allers-retours dans l'espace et dans le temps sans transition dans les chapitres et une première moitié qui traîne en longueur ont fait s’étioler ma concentration. Mais parvenu en sa seconde moitié, cette construction déstabilisante digérée, les événements relancent l’intérêt. On s’imprègne alors du dramatique de la situation.

C’est un roman à deux voix. Dont une s'est éteinte en 1939 à New York, celle d'Ernst Toller, un écrivain socialiste, juif allemand, exilé depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir en 1933. On comprend plus tard que les souvenirs qu’il dicte à sa jeune secrétaire le sont dans l'urgence de l'adieu.

La deuxième voix est celle de la narratrice principale, Ruth Becker, photographe de métier, militante de la cause des exilés et amie d’Ernst Toller. Tous deux veulent alerter le reste du monde sur la promesse des jours sombres qui plane sur l’Europe dans les intentions du dictateur. "Le monde va-t-il oublier ces efforts gigantesques que nous avons faits pour le sauver".

La solitude et la peur sont leur lot quotidien. Bien que réfugiés en Angleterre, ils ont compris que la mollesse des Européens ne les mettrait pas à l’abri des atteintes des Nazis. "La peur a le pouvoir de révéler le murmure du silence, le bruit de l'univers qui, tranquillement, se déplace pour vous accueillir." La mort de leur parente et amie Dora en sera la triste preuve. Le savant maquillage en suicide de sa disparition sera l'argument de ceux dont la prudence sera synonyme de lâcheté. Ce roman tiré de faits réels est l'ultime témoignage d’une survivante de cette période, moins souvent évoquée que les horreurs qu'elle annonce, mais au cours de laquelle les Européens se sont cantonnés dans un immobilisme coupable face à l’ascension du monstre.

Intéressant, mais un peu fade quand même pour un thème aussi grave.
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Stasiland

En façade, la Stasi était le Ministère est-allemand de la sécurité d’Etat de la RDA pendant la Guerre froide. Mais en réalité, c’était une armée interne qui permettait au gouvernement communiste d’identifier et de neutraliser ses opposants afin de garder le pouvoir. Après 40 années d’existence, la Stasi fut dissoute à la chute du Mur de Berlin en novembre 1989.



Décidant d’en savoir plus sur le fonctionnement de cet organisme tentaculaire pour qui travaillait ou collaborait 1 personne sur 63 en RDA, Anna Funder vient s’installer en Allemagne réunifiée et se lance dans une grande enquête auprès des gens qui en ont été les victimes mais aussi les acteurs.



Au fil de ses rencontres, elle croise plusieurs personnes qui acceptent de raconter leur traumatisme d’avoir été surveillées, dénoncées, emprisonnées pendant des années. Elle passe également une annonce dans un journal pour tenter d’obtenir les témoignages d’anciens membres de la Stasi.



Avec cet essai romancé, l’autrice mêle les deux types de point de vue et c’est ce qui lui donne toute sa richesse. Elle nous permet de mieux comprendre comment s’est mise en place la manipulation à grande échelle et comment l’a vécue une population encore sous le choc des révélations engendrées par l’ouverture au public des dossiers individuels.



Tout y est décortiqué, la propagande, la désinformation, la dénonciation, l’emprisonnement, la torture. C’en est terrifiant. Sous des airs de balade à travers les grandes villes de la RDA, l’autrice nous fait découvrir un système d’espionnage machiavélique, face à des personnages ordinaires qui ont fait preuve d’un courage admirable.



J’ai été atterrée par cette enquête édifiante, menée de façon originale au fil de rencontres et de visites des hauts lieux de la Stasi. Tout en révélant l’existence d’une fragile résistance, elle soulève la question de savoir comment un gouvernement a pu avilir ainsi tout un peuple et cette interrogation me trottera longtemps dans la tête.

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Tout ce que je suis

Un livre sur la mémoire

Un livre à deux voix, celle de Ruth et de Toller, où les époques et les temps se mêlent, pour évoquer le souvenir de la figure centrale de ce roman, Dora, cousine de l’un et amour de l’autre. Ce roman est construit sur une double narration fort bien maîtrisée : la voix de Ruth, devenue presque centenaire qui raconte son quotidien, au présent, en 2002, en Australie. Elle souffre d’une mémoire immédiate déficiente mais, paradoxalement, se remémore d’anciens souvenirs qui nous laissent découvrir sa jeunesse aux côtés de sa cousine Dora. Ce récit au présent de Ruth est souvent drôle, d’une grande lucidité grâce à son goût de l’autodérision. Puis c’est Ernst Toller, dramaturge socialiste allemand, qui prend le relais du récit pour faire écho à la voix de Ruth. Dans une chambre d’hôtel, en 1939, à New-York, il apporte des modifications au récit autobiographique qu'il a écrit quelques années plus tôt en Allemagne, récit qui lui permet lui aussi de faire revivre Dora et qui passe alors à la 3e personne.

Pour ces deux personnages (ayant existé), le passé envahit peu à peu le présent et nous raconte l’histoire, la petite et la grande. On découvre alors de jeunes militants allemands – Ruth, Dora, Hans et bien d’autres – engagés dans la lutte contre la montée du nazisme alors qu'Hitler vient d’être nommé chancelier. C'est un combat sans merci qu’ils engagent contre l’oppression nazie, d’abord à Berlin, puis en exil à Londres, pour avertir le monde sur la menace grandissante du régime hitlérien. Ersnt Toller est en marge du réseau de ces militants, il est intellectuel engagé avant d'être militant mais ses souvenirs coïncident avec ceux de Ruth pour faire revivre Dora, qui est le personnage central de l’histoire, celle qui sera au cœur du réseau des résistants allemands, celle qui aura consacré sa vie et son énergie à ses convictions, sa foi en la liberté et son combat contre le nazisme. L’histoire de Dora nous est racontée à travers le prisme des souvenirs de Ruth et ceux de Toller, à travers les mots écrits par Toller et que lit Ruth. « Quelle sensation… de me retrouver dans la tête de Toller… à regarder Dora » dit Ruth.

Ce livre est formidablement écrit et documenté. Il nous éclaire sur une page méconnue de l’histoire, celle de la résistance allemande à l’aube de l’arrivée au pouvoir d’Hitler et de la montée du nazisme et nous rappelle au passage la révolution qu'a connue l'Allemagne après la première guerre mondiale en 1918-1919. « Tout ce que je suis » est un roman magnifique, formidablement enrichissant, dont la trame, inspirée de faits et de personnages réels, en renforce la puissance. Un vrai coup de cœur.

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Tout ce que je suis



Avec l’avènement du Troisième Reich, l’existence insouciante de Ruth, Hans, Ernst et Dora bascule. Persécutés, ces quatre jeunes Berlinois s’exilent en Angleterre. Depuis Londres, ils tentent d’alerter le monde, désespérément aveugle, sur la terrible menace que représentent Hiltler et le régime nazi.

Inspiré d’une histoire vraie, « Tout ce que je suis » met en lumière la destinée héroïque et tragique de ce petit groupe de militants qui organisèrent au péril de leur vie une résistance acharnée contre la cruauté indicible….



La dernière page tournée, le livre fermé, j’étais « sonnée »… et pourtant j’avais pris la peine de le poser de temps à autre, pour que l’angoisse ou le bonheur me permette de reprendre souffle…. Je suis sortie dans le froid de cette journée de novembre, le soleil brillait encore, la mer resplendissait toujours, insensibles à ce que je venais de « vivre » durant près de 500 pages. La terre bien que marquée au fer rouge, ne s’est pas arrêtée de tourner, pire les conflits avaient succédé aux conflits même s’ils n’étaient plus mondiaux mais clairsemés de ci et là pour que chaque partie du globe ait sa portion de malheur.



Ce récit est mené de mains de maître par Anna Funder, une mine de documentation, un incroyable travail de recueil des informations historiques, politiques, et un talent incontestable de romancière. Elle nous balade à des niveaux chronologiques différents, sans avertissement, les souvenirs des uns se mêlent au présent des autres, les récits s’entremêlent, se rejoignent, s’éloignent donnant des versions différentes et pourtant dirigées vers une même perspective. Rien n’est laissé au hasard, l’intrigue politique, les événements historiques, une touche de romantisme, pour alléger l’impact des horreurs indicibles… Elle ne nous fait grâce de rien, ni de la « surdité » des gouvernants, aux appels au secours de ces militants, ni de la difficulté de l’exil de ces jeunes et moins jeunes allemands, premières victimes d’un fascisme naissant, ni de leur capacité à trahir leurs propres amis, leur faiblesse, leur égoïsme, mais aussi leur héroïsme.



Et l’on retrouve les fondements invariables de l’idéal humain quand celui-ci se dresse face à l’horreur et la barbarie. On retrouve les mêmes difficultés à s’organiser, les mêmes conflits d’intérêts, les hommes restent des hommes et même face à l’horreur alors que leur idéal est commun des luttes naissent, les orgueils se dessinent, les jalousies s’exercent… Les femmes qui font partie du combat sont « utilisées » un peu manipulées malgré l’importance de leur travail, et quand elles revêtent l’habit de l’éminence grise, elles sont mises à mal, sous-estimées et la seconde place leur est offerte… C’est Dora instigatrice essentielle de ce groupe de résistants, qui laisse la première place à … l’homme, l’intellectuel, le dramaturge, le romancier, celui qui marquera l’époque… Ruth femme fidèle, ne pourra que très difficilement admettre la trahison… Mais je n’irais pas plus loin, je conseille à tous de lire ce livre passionnant, et qui malgré la douleur, malgré la déception, fait chaud au cœur et remet les pendules à l’heure, même aujourd’hui…. Et puis, s’il faut le dire, et le redire, ces jeunes étaient allemands, et résistaient contre leurs gouvernants, même s’ils étaient en grande partie d’origine juive. J’aimerais d’ailleurs que l’on fasse plus de place à la littérature, pour la mémoire, de cette « résistance » allemande….

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Tout ce que je suis

Dans la plupart des romans, la narration respecte tout au long du récit le temps grammatical employé dès les premiers verbes. On découvre l'univers d'un personnage, le lecteur est comme immergé dans la vie de celui-ci – ses amours, ses tracas, ses faiblesses - puis viennent les dernières pages et l'on quitte ce personnage sur un bonheur, un mariage, un voyage : bref, sur un événement qui clôt glorieusement le récit et apporte une satisfaction attendue au lecteur. Cependant, après cette dernière page les personnages continuent d'exister - au moins dans l'imagination de l'écrivain - et libre à chacun de rêver la suite.

Tout ce que je suis déroge à ce schéma classique. Grâce à une double narration, les époques se croisent et les temps nous jouent des tours : le présent revit le passé, et le passé se souvient d'un passé lointain. Les personnages, découverts sous différents angles temporels, sont comme mis à nus. Anne Funder propose un récit minutieusement réfléchi et agréablement soigné, qui ne laisse aucune question en suspend lorsque l'on tourne la dernière page : il s'agit vraiment d'un excellent roman.



« Un colis FedEx sur le paillasson. Je me penche tant bien que mal pour le ramasser, avec ma patte raide : imaginez une girafe chauve dans une robe de chambre sans nom... Je plains le passant qui pourrait m'apercevoir, pauvre gloire avec ses trois poils de cul sur la tête. Un frisson de plaisir pervers me traverse à cette idée, puis je me dis que les enfants pourraient me voir, et là, non merci, je n'ai aucune envie de les épouvanter. »



Le roman commence de manière inattendue par le récit teinté d'humour d'une dame presque centenaire qui raconte son quotidien au présent de l'indicatif. Si celui-ci n'a rien de drôle et semble morne et insipide, elle parvient à le rendre intéressant en maquillant sa souffrance ainsi que la détresse de sa vieillesse par une bonne dose d'autodérision comme seules les personnages âgées peuvent le faire. le récit est parfaitement honnête et le rire est franc. On tourne les pages et l'on découvre Ruth : sa maladie, sa maison, sa calvitie, sa femme de ménage. le récit s'attache aux plus petits détails et l'on s'impatiente quelque peu de ce récit qui piétine : qu'il est difficile de réaliser combien la vieillesse rend la vie fade et insignifiante.



« J'adore Central Park. En ce moment, un homme juché sur une caisse à savon harangue les passants, et tente de les rassembler comme des papiers chassés par le vent. Je connais ce sentiment, ces yeux qui hurlent « le monde m'appartient, arrêtez et écoutez moi, je peux tout vous révéler ». C'est cette promesse, d'une pensée tout juste éclose, d'une foi nouvelle, que fait l'Amérique à tous ses nouveaux arrivants. »



Le deuxième chapitre s'ouvre sur un nouveau personnage : Toller, qui prend le relais de la narration. Sa voix masculine est moins fraîche, moins drôle : il semble vieux et fatigué, engoncé dans le fauteuil d'une chambre d'hôtel. C'est un vieux bonhomme qui souhaite apporter quelques modifications au récit autobiographique qu'il a écrit quelques années plus tôt et ainsi faire revivre par la magie des mots son amour disparue. On découvre sa vie à l'hôtel, encore plus terriblement morne que la vie toute ridée menée par Ruth, et on fait brièvement connaissance avec sa secrétaire, Clara. Lorsque Toller commence à dicter quelques phrases à celle-ci, on comprend que non seulement son récit, mais également tout son existence sont imprégnés par la politique allemande et les deux grandes guerres.



« A l'été 1914, tout le monde voulait la guerre, moi compris. On nous disait que les Français avaient déjà attaqué, que les Russes se massaient à nos frontières. le Kaiser nous avait tous appelés à défendre la nation, quelle que soit notre appartenance politique ou religieuse. « Je ne connais plus de partis, je ne connais que des allemands... », avait-il déclaré, avant de poursuivre : « Mes chers Juifs... » Mes chers Juifs ! Quelle émotion pour nous d'être personnellement conviés au combat ! Cette guerre semblait sacrée et héroïque, pareille à ce qu'on nous avait enseigné à l'école. Quelque chose qui donnerait un sens à la vie et nous rendrait purs.

Qu'avions-nous fait, de toute notre existence, pour mériter ce genre de purification ? »



A ce stade du récit, le lecteur trépigne : nulle trace des quatre jeunes militants allemands présentés dans la quatrième de couverture, nulle évocation du régime nazi. le récit est lent, à l'image de ces deux narrateurs que l'on sent fatigués, physiquement comme intellectuellement – la lecture n'est donc pas captivante. Néanmoins, on s'étonne du choix d'une double narration par chapitres alternés – et la surprise est plus grande encore lorsque l'on découvre que soixante-trois années séparent ces deux récits : Toller confie ses pensées en 1939, alors que Ruth narre son assommante réalité en 2002.



« le chat gratte à la porte ! Qui l'a laissé sortir ? Scratch, scratch.

Mein Gott, ce que j'ai mal au cul à force d'être assise. Ah, ben oui c'est vrai, je n'ai pas de chat. C'est une clé dans la serrure, quelqu'un qui entre.

Bev se tient devant moi, l'air contrarié. Par ma faute, c'est sûr. Quoique, à y regarder de plus près, d'autres options me paraissent possibles : sa teinture maison, d'un rose-orangé venu d'ailleurs, ou son oeil malade qui parpalège comme un fou aujourd'hui. A moins que ce ne soit sa voleuse de fille, Seena, une ex-infirmière accro à l'héroïne, dont le triste sort, je m'en suis rendue compte au fil des ans, est tellement terrible que Bev préfère éviter le sujet.

-Bon, alors, bougonne-t-elle, on prend racine ? »



Encore quelques pages et le mystère se dénoue par la magie de quelques phrases : on comprend et on jubile ! Car si le choix narratif d'Anne Funder est audacieux, il est surtout ingénieux.

Ruth commence à souffrir d'une dégénérescence de la mémoire qui se traduit par une quasi-incapacité à restituer des événements très récents – ainsi, elle ne parvient pas à se souvenir du nom du médecin qui la soigne - ainsi que par un reflux d'anciens souvenirs qui semblaient oubliés, mais qui resurgissent dans son esprit aussi nettement que s'il s'agissait de la réalité. Durant les premiers jours, ces souvenirs sont brefs et sont déclenchés par des éléments du présent – un bruit, une couleur, une odeur. Puis, progressivement, ces souvenirs s'allongent et empiètent de plus en plus sur le présent et la réalité de Ruth. Celle-ci se laisse submerger et n'essaie pas de reprendre le contrôle de sa mémoire, car ces souvenirs la font revivre et surtout, insuffle une nouvelle vie à des êtres chers disparus. Ainsi, le passé envahit le présent graduellement et le lecteur est emmené très naturellement dans le passé, alors qu'Hitler est sur le point d'être nommé chancelier.



« ...nous étions convaincus que le peuple, une fois correctement informé, reprendrait ses esprits et pencherait du côté de la liberté. Nous nous trompions : c'était sous-estimer le pouvoir de séduction du nazisme, ce dépassement du moi qu'il offrait, cet abandon, corps et âme, au collectif. »



On découvre quelques jeunes Allemands engagés dans la vie politique de leur pays : alors qu'Hitler est nommé chancelier, ils ne renoncent pas à leurs idéaux et poursuivent leur militantisme contre le régime nazi. C'est tout entier, corps et âme, qu'ils s'engagent dans leurs actions politiques, même dans l'exil, alors qu'ils n'ont plus ni maison, ni famille, ni vêtements, même dans la misère et la famine, même sous les menaces et l'oppression nazie: ces hommes et ces femmes donnent leur vie pour défendre leurs convictions. Ils souhaitent anticiper la guerre, changer l'opinion publique allemande, faire comprendre aux pays d'Europe qu'Hitler se prépare à les attaquer, mais le monde est sourd à leurs cris et aveugle à leurs écrits. Ils se démènent pour braver les interdits imposés par leur statut de réfugié et correspondre avec ceux qui sont encore en Allemagne et qui n'ont pas encore été emprisonnés ou assassinés - ces héros dont on ne parle jamais et grâce auxquels de précieux documents sont sortis des bureaux d'Hitler. Ruth, Dora, Hans et tant d'autres rassemblent des preuves, traduisent jours et nuits des courriers et rédigent des articles qu'ils parviennent à glisser dans la presse anglaise. « L'épée de Damoclès de l'expulsion se balançait au-dessus de nos têtes. »

Durant près de cinq cents pages, on suit leur terrible combat contre les injustices du Troisième Reich, mais aussi le combat qu'ils se livrent à eux-même pour ne pas sombrer dans la détresse et dans la peur, pour ne pas succomber à leurs propres démons.



Le récit de Toller est différent mais tout aussi enrichissant. Détaché du réseau des militants, il est surtout dramaturge et poète avant d'être un militant socialiste. Grâce à ses pièces de théâtre, il transmet des messages forts au peuple et dénonce ainsi les injustices du Troisième Reich. Excellent orateur, il participe à de nombreuses conférences : il use ainsi de sa notoriété et de son charisme pour soutenir les actions des militants socialistes. Ses souvenirs coïncident avec ceux de Ruth et permettent de les étoffer car il s'attache plus à la psychologie des personnages et aux événements externes à cette lutte politique permanente.

Alors que les personnages décrits par Ruth sont forts et dynamiques, toujours dans la réflexion et dans l'action, le récit de Toller permet d'en montrer les faiblesses, et notamment celles de Dora qui est le personnage le plus fort de l'histoire. C'est elle qui est au coeur du réseau des résistants allemands, toute sa vie et toute son énergie sont consacrés à son combat contre Hitler et le nazisme. Elle fume cigarette sur cigarette, se ronge les ongles jusqu'au sang et ne dort quasiment plus depuis son exil forcé : sa chambre est envahie de dossiers et de piles de lettres qu'elle traduit, de journaux qu'elle étudie, et d'autres documents illégaux. Toller est son amant. Leur amour est puissant, mais les moeurs de l'époque prônent la liberté sexuelle et le détachement sentimental – alors ils taisent la profondeur de leurs sentiments et s'amusent de leur relation. Malheureusement, lorsque Dora décide de se donner toute entière à sa lutte, elle néglige sa vie sentimentale et oublie l'essentiel. Toller, bien qu'artiste engagé, souhaite vivre un amour intense et peut-être construire une vie de famille : c'est ainsi que petit à petit, leur relation s'étiole. Toller emménage avec une autre femme. C'est une défaite pour Dora, cette battante qui se dédie entièrement à une cause et oublie de se battre pour elle-même : le peu d'énergie qu'elle conservait pour Toller, elle le consacre alors à son combat. Ce n'est plus une femme, c'est l'incarnation même du militantisme social anti-nazi : elle fait le choix de mourir pour idées qu'elle défend. Car s'opposer à Hitler, c'est décider de mourir. le récit de Toller permet donc de donner plus de profondeur aux personnages et de réaliser l'ampleur de leurs sacrifices.



L'écriture d'Anna Funder est parfaite, chaque phrase est écrite avec intelligence. Malgré la complexité des événements politiques en Allemagne, le récit reste simple à comprendre et se lit avec une étonnante facilité. Les personnages apparaissent subtilement et prennent au fil des pages une vraie épaisseur : l'auteur s'attache à les décrire aussi bien physiquement que sur un plan psychologique, et leur investissement politique vient parfaire cette description. Rien n'est négligé ou laissé au hasard, la plume de l'auteur sert efficacement l'histoire. Tout semble si vrai ! J'avais l'impression de lire une autobiographie, tellement le récit est réaliste et les émotions vivantes ! L'écriture est si joliment travaillée qu'elle se laisse oublier, ce qui permet au lecteur de se concentrer sur l'histoire et de l'apprécier à sa juste valeur.



Tout ce que je suis est un roman très fort et très enrichissant. Enfin un roman traduit en français qui met en avant la lutte des allemands contre la montée du nazisme ! La résistance française est régulièrement mise à l'honneur dans les libraires, mais il est bien plus intéressant de se plonger dans la résistance allemande de l'avant-guerre ! Les Allemands ont si souvent été critiqués que l'on oublie les actes héroïques accomplis par ceux d'entre eux qui ont refusé de se plier à un gouvernement totalitaire et ont décidé de se battre pour sauver des vies. Il faut un courage immense et une force de volonté incroyable pour se battre contre des frères, des maris, des amis, des collègues, pour se battre contre son propre peuple au péril de sa vie. Déchus de leur nationalité, contraints à l'exil et menacés d'assassinats dans les camps de concentration, ces militants allemands n'ont jamais cessé de se battre pour la liberté et les droits individuels. Tout ce que je suis est un roman à la fois magnifique et tragique dont la trame est constituée de faits réels et de personnages ayant existé, ce qui renforce la valeur de l'ouvrage et sa puissance littéraire. C'est un livre que je relirai sans hésitation, une vraie excellente découverte, un coup de coeur exceptionnel.



« Quand Hitler est arrivé au pouvoir le 30 janvier 1933, mon amie Ruth et ses amis ont fui l'Allemagne, et c'est en exil qu'ils ont tenté de faire tomber le dictateur. Ce livre retrace leur histoire, ou plutôt ma version de leur histoire. Ce livre en est une reconstitution à partir de fragments fossiles – un peu comme l'on pourrait garnir de peau et de plumes un assemblage d'os de dinosaures, pour tenter de se faire une idée de la bête dans son entier.(...) »





Je remercie l'équipe de Libfly ainsi que les éditions Héloïse d'Ormesson pour la confiance dont ils m'honorent.
Lien : http://reverieslitteraires.fr/
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