Ils possèdent les mêmes initiales, ont un prénom similaire et sûrement une passion commune pour la fiction. L'un a vécu dans la Grêce Antique et a découvert un manuscrit : Antoine Diogène. L'autre est Anthony Doerr en personne, qui s'est appuyé sur l'histoire réelle de la découverte d'Antoine Diogène, rapportée dans son roman. Le contenu mythique du codex deviendra ici « La Cité des nuages et des oiseaux », inventée par Antoine Doerr (le véritable codex est indéchiffrable), qui servira de voûte et d'entrée aux 24 parties. Mais si les deux auteurs se mettent ainsi en lien à travers les siècles, ils ne seront pas seuls. Ça sera aussi le cas pour les cinq personnages principaux du roman, avec le fameux manuscrit comme objet de relais entre leurs mains, leurs esprits ou leurs destinées.
Parmi les 5, il y a Konstance que l'on découvre dans un espace-temps inconnu pour nos repères habituels, à bord de la capsule numéro 1 de l'Argos, An 65 de la mission. Elle et d'autres humains sans doute triés sur ce qui restait sont en partance pour Béta Oph2, située à 42399 années-lumière. Autant dire qu'elle et ses compères ne sont pas prêts d'arriver, ils n'en verront pas même la couleur de cette planète rêvée. C'est la descendance qui en profitera. Mais ce qui importe, c'est la transmission et la régénération de l'espèce, quelque part où cela sera possible. Et ils peuvent y croire, les moyens sont là : Sybil le robot leur dicte la vie, la bibliothèque numérisée est une source abyssale où même l'ouverture de l'Atlas permet, grâce au Pérambulateur, de se déplacer virtuellement dans les mondes terrestres disparus.
Puis Anna et Omeir tout droit sortis du XVè. L'une orpheline à Constantinople travaille dans un atelier de broderie et s'évade dans les récits de Licinius, rêve de raconter des histoires comme lui en décodant les mystérieux symboles. Omeir quant à lui naît à 300 km de Constantinople avec une bouche fendue, échappe de peu à l'effroi qu'il suscite et à l'abandon par le grand-père dans la campagne enneigée.
Enfin Zéno, à 80 ans passés, se rend à la bibliothèque de Lakeport en ce 20 février 2020. Il a rendez-vous avec cinq élèves de CM2 pour peaufiner avec eux les derniers détails de « La Cité des nuages et des oiseaux », dont la représentation publique aura lieu le lendemain. Mais sans le savoir, il a aussi un autre rendez-vous. À 17 ans, Seymour se rend lui aussi à la bibliothèque, mais pas avec l'intention d'y découvrir des livres, ni d'y reposer son hyperacousie incessante depuis toujours. Même s'il est déjà venu ici, à la section Non Fiction notamment, pour en apprendre plus sur les chouettes quand il avait huit ou neuf ans. Non, en ce 20 février à 16h54, Seymour est attifé de son casque antibruit et d'un énorme sac vert foncé, et il a une simple mission : « Entrer tranquillement, cacher le sac, ressortir l'air de rien. Puis rouler plein nord, attendre la fermeture de la bibliothèque, composer les deux premiers numéros. Laisser sonner cinq fois. Boum. »
Cinq personnages dans des espaces-temps éloignés, autant de bios révélées peu à peu, toutes sujettes à questionnements et intrigues, rendues passionnantes sous la plume féconde et multi-genre d'Antoine Doerr. Mais peu à peu se dessinera aussi les contours d'un ensemble beaucoup plus vaste, cohérent et unique, à l'instar des souvenirs d'Anna à la fin de sa vie : « … ces souvenirs-là se mélangent à ceux des histoires qu'elle a le plus aimées : Ulysse malade de nostalgie qui abandonne son radeau dans la tempête pour nager vers l'Île des Phéaciens, Aethon-devenu-âne enfournant des orties piquantes dans sa bouche délicate, et pour finir, toutes les époques et toutes les histoires n'en font plus qu'une».
Ici il restera l'histoire d'un roman vertigineux à la fin inattendue, dans une ode à la littérature et l'imaginaire, au monde des livres et des bibliothèques. Il questionne la disparition des époques avec en filigrane la fin supposée de l'humanité et ses restes, tous reliés par le codex Diogène à la résonance constante tel un relais de transmission entre les personnages. Comme si les histoires étaient essentiels à l'humanité, et leur transmission sa caractéristique principale.
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