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Citations de Antonio Lobo Antunes (327)


Pour entrer en communication avec cet œuf de silence, son fils entamait une sorte de danse zouloue rythmée par des cris perçants, sautait sur le tapis en déformant son visage avec des grimaces de caoutchouc, battait des mains, grognait, finissait par sombrer exténué sur un canapé dodu comme un diabétique hostile au régime, et c’était alors que, poussée par un tropisme végétal de tournesol, sa mère levait son menton innocent de son tricot et demandait :
— Hein ? les aiguilles suspendues au-dessus de sa pelote à la façon d’un Chinois immobilisant ses baguettes devant son déjeuner interrompu.
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Peu à peu, l'usure de la guerre, le paysage toujours pareil, de sable et de maigres bosquets, les longs mois tristes de crachin qui jaunissaient le ciel et la nuit d'un même iode que celui des daguerréotypes déteints, tout cela nous avait transformés en des sortes d'insectes indifférents, mécanisés pour un quotidien fait d'attente sans espoir, assis de longs après-midi de suite sur les chaises en planches de tonneaux ou sur les marches de l'ancien poste d'administration en train de fixer du regard les calendriers excessivement lents où les mois s'attardaient avec une lenteur affolante et les jours bissextiles, pleins d'heures, enflaient, immobiles, autour de nous, comme de grands ventres pourris qui nous emprisonnaient sans salut possible.

N.
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Êtes-vous capable d'aimer ? Excusez-moi, la question est bête, toutes les femmes sont capables d'aimer et celles qui ne le sont pas s'aiment elles-mêmes à travers les autres, ce qui, en pratique, et, au moins pendant les premiers mois, est presque impossible à distinguer de la véritable affection.

C.
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Le matin où mon beau-frère est décédé c'est lui-même qui m'a réveillé en m'appelant au téléphone pour me raconter tout retourné qu'il avait rêvé cette nuit-là qu'il était mort tandis que moi, dans les vapes, empêtré dans un rêve confus où apparaissaient des bestioles et des nains, je tendais ma main libre, pas encore tout à fait la mienne, à la recherche de l'heure sur ma table de chevet, vu que c'est là que je la laisse au moment de me coucher après avoir retiré le temps de mon poignet, le temps qui passe bien plus vite ici qu'en Province, tout en ville est agité d'un mouvement qui m'a fait donner un coup de pied à la petite qui vit avec moi et elle a immédiatement protesté, pâteuse, en me tournant le dos
- Maintenant pas question je dors
réduite à une ombre allongée avec une touffe de mèches en bataille à l'extrémité visible tandis que j'ouvrais et refermais les doigts dans l'espoir de trouver les aiguilles de ma montre dans une position qui me permettrait de le maudire jusqu'au Luxembourg, où il formait le vœu que la police l'ait oublié après un problème dans une bijouterie où une caméra sacrément maligne l'avait attrapé au moyen de deux phalangettes comme un cheveu de femme sur un col avant de l’exhiber, accusatrice, aux policiers
-Et ça vous pouvez me dire ce que c'est je vous prie ?
en tapotant sur le sol avec le bout de sa pantoufle cependant que mon beau-frère, minuscule à l'intérieur de mon oreille, exprimait le désir de se faire enterrer dans le cimetière où sa mère fabriquait de l'azote depuis des siècles...
(incipit)
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C'était le père de ma grand-mère maternelle, laquelle, le dimanche, avant le déjeuner, me montrait fièrement la photographie d'une sorte d'antipathique pompier moustachu, propriétaire de nombreuses médailles qui trônaient dans une armoire vitrée du salon, conjointement à d'autres trophées guerriers, tout aussi inutiles, mais auxquels la famille semblait vouer une vénération comme à des reliques.

D.
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Quand on a amputé la cuisse gangrenée du guérillero du M.P.L.A. pris Lussuma les soldats se sont fait prendre en photo avec elle, comme un fier trophée, la guerre a fait de nous des bêtes, entendez-vous, des bêtes cruelles et stupides qui ont appris à tuer ; il ne restait pas un seul centimètre de mur dans la caserne sans une gravure de femme nue, on se masturbait et on tirait, le-monde-que-le-portugais-a-créé ce sont ces noirs concaves de faim qui ne comprennent pas notre langue, c'est la maladie du sommeil, le paludisme, l'amibiase, la misère.

P.
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Antonio Lobo Antunes
... il faut écrire contre les écrivains qu'on aime : "maintenant je vais détruire Balzac, maintenant je vais détruire Dickens". Il faut écrire contre eux tout en les respectant, tout en les aimant. Parce que c'est si difficile d'écrire. C'est si difficile que je ne comprends pas qu'il y ait tant de gens qui écrivent. J'ai commencé à écrire parce que j'étais malade, je n'avais plus de femme, j'étais seul. Et puis ça devient un vice et la vie n'a plus de sens sans ça. Et ton cercle d'amis diminue parce que de plus en plus de gens commencent à ne plus t'intéresser ou s'intéressent à des choses qui ne t'intéressent pas.
(extrait de l'interview donnée au Matricule des anges N°153 de mai 2014)
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Nous pourrions vieillir l'un à côté de l'autre et de la télévision du salon, avec laquelle nous formerions les sommets d'un triangle domestique équilatéral protégé par l'ombre tutélaire de l'abat-jour à franges et d'une nature morte représentant des perdrix et des pommes, mélancolique comme le sourire d'un aveugle, et trouver dans la bouteille de Drambuie du buffet, un antidote sucré à l'acceptation du rhumatisme. Nous pourrios nous frictionner mutuellement nos becs de perroquets avec du baume Ménopausol, compter à l'unisson, à la fin des repas, les mêmes gouttes contre la tension, et le dimanche, après le cinéma, grâce au dernier baiser du film indien nous unir en enlacements spasmodiques de nouveau-nés soufflant par nos dentiers des bronchites affolées de bouilloire.
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...le château tout là-haut après des files et des files d'oliviers somnolents, après une volière et un restaurant de muletiers avec un réfrigérateur de cornets de glace à l'entrée, on tournait à gauche et on tombait sur le portail du domaine, son nom en lettres peintes sur un azulejo, ses colonnes de pierres, l'allée de cyprès conduisant à la maison, sauf que cette fois aucun chien n'a aboyé, le moulin s'est arrêté, les oranges du verger, sans éclat, se ramollissaient éparses sur le sol, le tracteur gisait immobile à demi-renversé parmi les décombres de la serre et une de ses roues arrière tournait en silence depuis des semaines et tournerait toujours (les vitres brisées de la serre, les châssis fracassés, les vases en morceaux, les orchidées aux pétales dilatés pendillant en longues lèvres violacées) ...
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Et en pénétrant dans l'enceinte du tribunal à Lisbonne, c'est au domaine que je pensais. Non au domaine d'aujourd'hui avec ses statues brisées dans le jardin, la piscine vide, le chiendent qui envahissait les chenils et qui ravageait les parterres, la grande maison au toit percé où il pleuvait sur le piano garni d'un portrait autographié de la reine, sur la table de l'échiquier auquel manquaient des pièces, sur les déchirures de la moquette et sur le lit en aluminium que j'ai rangé dans la cuisine, adossé au fourneau, en vue d'un sommeil torturé toute la nuit par le ricanement des corbeaux et en pénétrant dans l'enceinte du tribunal à Lisbonne, je ne pensais pas au domaine d'aujourd'hui mais à la maison et au domaine du temps de mon père quand Setùbal (une ville aussi insignifiante qu'un village de province, aux lumières voltigeant autour du kiosque à musique dans un vibrement de ténèbres et lacérées par les hurlements des chiens) n'était pas arrivé jusqu'aux saules et au portail du mur, et ne descendait pas droit jusqu'au fleuve dans une pagaille de tavernes et de chalutiers, Setùbal où la gouvernante m'emmenait avec elle faire les commissions les dimanches matin en me trainant par le coude sous le volettement des pigeons...
(incipit)
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Je me demande parfois si la guerre est vraiment terminée ou si elle continue encore, quelque part dans moi avec ses odeurs dégoûtantes de sueur et de poudre et de sang, ses corps désarticulés, ses cercueils qui m'attendent. Je pense que, quand je mourrai, l'Afrique coloniale reviendra à ma rencontre, et je chercherai, en vain, dans la niche du dieu Zumbi, les yeux de bois qui n'y sont plus, que je verrai, à nouveau, la caserne de Mangando en train de se dissoudre dans la chaleur, les noirs des villages dans le lointain, la manche à air de la piste d'aviation s'envolant en signes d'au revoir moqueurs que personne ne recevait. À nouveau ce sera la nuit et je descendrai de l'unimog en direction du poste de secours où le type sans visage agonise, éclairé par le petromax qu'un caporal tient à la hauteur de ma tête et contre lequel les insectes se défont dans un bruit chitineux de friture.

T.
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Peu à peu, l'usure de la guerre, le paysage toujours pareil, de sable et de maigres bosquets, les longs mois tristes de crachin qui jaunissaient le ciel et la nuit d'un même iode que celui des daguerréotypes déteints, tout cela nous avait transformés en des sortes d'insectes indifférents, mécanisés pour un quotidien fait d'attente sans espoir, assis de longs après-midi de suite sur les chaises en planches de tonneaux ou sur les marches de l'ancien poste d'administration en train de fixer du regard les calendriers excessivement lents où les mois s'attardaient avec une lenteur affolante et les jours bissextiles, pleins d'heures, enflaient, immobiles, autour de nous, comme de grands ventres pourris qui nous emprisonnaient sans salut possible. Nous étions des poissons, vous comprenez, des poissons muets dans des aquariums de toile et de métal, simultanément féroces et doux, entraînés à mourir sans protester, à nous coucher sans protester dans les cercueils de l'armée, où l'on nous enfermerait au chalumeau, et où on nous couvrirait du
drapeau national pour nous renvoyer en Europe dans les cales des bateaux, la médaille d'identification dans la bouche pour nous empêcher d'avoir la velléité du moindre cri de révolte.
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Une pendule inlocalisable perdue parmi les ténèbres des armoires laissait s'égoutter des heures étouffées dans un quelconque couloir lointain encombré de malles de bois précieux et conduisant à des chambres raides et humides où le cadavre de Proust flottait encore, éparpillant dans l'air raréfié un relent usé d'enfance. Les tantes s'installaient, avec peine, sur le bord de fauteuils gigantesques décorés de filigranes en crochet, elles servaient le thé dans des théières ouvragées comme des ostensoirs manuélins et complétaient leur jaculatoire en désignant avec la cuiller à sucre des photographies de généraux furibonds décédés avant ma naissance, à la suite de glorieux combats de trictrac et de billard dans des mess mélancoliques comme des salles à manger vides où les " Dernière Cène " étaient remplacées par des gravures de batailles.
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Sofia ajustant son serre-tête en rougissant de timidité, les corbeaux ricanant sous les hêtres, le reflet de la maison miroitant dans la piscine, la femme du sergent nous souriant, à nous en mal de témoin, et mon père jaugeant Sofia, de cette même voix distraite avec laquelle il parlait des animaux dans l'étable
- Un portemanteau, un squelette, tu n'as jamais rien compris en matière de génisse -
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Les politiciens de Lisbonne m'apparaissaient comme des marionnettes criminelles ou imbéciles défendant des intérêts qui n'étaient pas les miens et qui le seraient de moins en moins, et préparant simultanément leur propre défaite.

O.
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Ce que j'aimerais réussir, par exemple, sans ostentation ni honte, ce serait de couronner ma calvitie naissante d'un chapeau tyrolien à plumes. Ou alors de laisser pousser l'ongle de mon auriculaire. Ou de coincer mon billet de tramway dans mon alliance. Ou d'accueillir mes malades vêtu en clown pauvre. Ou de vous offrir ma photo dans un petit cœur en émail pour que vous la portiez quand vous serez très grosse, parce que vous engraisserez un jour ne vous inquiétez pas, nous tous, nous serons gros, gros, gros et tranquilles comme les chats châtrés qui attendent la mort.

D.
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Les boas engraissaient dans l'humidité des lacs, et la dame en deuil qui leur avait loué leur chambre passait ses journées, un pied chaussé et l'autre nu, à brandir sa bottine en vernis pour écraser des moustiques sur les murs. Le dimanche, quand leurs corps se cherchaient et se touchaient dans les draps poisseux de chaleur, la démarche claudicante de la dame de l'étage du dessous, au milieu de centaines de pendules désynchronisées et les claquements vengeurs de la semelle sur les murs en brique finissaient par leur passer leur envie et les poussaient à sortir dans la rue, aveuglés par la lumière, et à aller s'asseoir sur l'un des bancs d'une petite place plantée de manguiers nains dont les troncs dépérissaient dans la brume du crachin.
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Il faut que vous compreniez, entendez-vous, que dans le milieu où je suis né, la définition de noir c'était " créatures adorables quand ils sont petits ", comme si on parlait de chiens ou chevaux ou d'animaux étranges et dangereux qui ressemblent à des gens et qui dans l'obscurité du village noir de Santo António me criaient :
— Rentre dans ton pays, Portugais.

R.
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Macaco qu'une mine a assassiné à cinquante mètres de moi, le sac de sable lui a écrasé les côtes contre le volant dans la voiture tombée sur le côté, j'ai voulu faire un massage cardiaque et la poitrine était molle et sans os et craquait, mes paumes pétrissaient une pâte confuse ; il a suffi d'un fracas pour faire de Macaco une marionnette de son et de tissus, le capitaine a disparu dans la maisonnette du mess et en est ressorti avec un peu de whisky dans son verre, la plaine se décolorait annonçant la nuit, l'infirmier ne cessait de répéter : Putain, Putain, Putain, et il est venu s'accroupir à côté de nous, nous disions tous Putain, la bouche fermée, le capitaine chuchotait Putain à son verre de whisky, l'officier de jour s'est placé au garde à vous devant le drapeau et ses doigts, qui ajustaient son béret, criaient Putain, les chiens errants qui se frottaient à nos chevilles gémissaient Putain dans leur regard mouillé et implorant.

H.
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Il me semblait que lorsque la radio avertirait que nous pouvions rentrer chez nous, un pénible réapprentissage de la vie nous serait nécessaire, à la manière des hémiplégiques qui exercent leurs membres, nouilles difficiles à tenir, dans des appareils et des piscines. […] Une fois passé le concierge, la fausse indulgence des médecins, édifiée en carton peint par une bonne volonté postiche, on trouve, peu à peu, en descendant la rue, la matinée géométrique de la ville […], on pénètre dans un bistrot fantasmagorique pour un premier café-crème libre, on regarde les retraités jouer aux dominos dans l'éternelle attitude des joueurs de cartes de Cézanne, et on sent que l'on a cessé, irrémédiablement, d'appartenir à ce monde-là, net et direct, où les choses ont la consistance des choses, sans subterfuges, ni sous-entendus, et où les journées peuvent encore nous offrir, vous savez ce que c'est, malgré les angines, les créanciers et les traites de la voiture, la surprise de gagner le gros lot d'un sourire que l'on n'a pas demandé.

G.
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