The Battle For Spain
Traduction : Jean-François Sené
ISBN : 9782253120926
Sept-cent-soixante pages (plus une soixantaine de pages de notes et puis la bibliographie et les sources) pour raconter la tragédie de l'une des guerres les plus étranges, sinon la plus étrange, qui aient ensanglanté le XXème siècle. Eh ! bien, ce n'est vraiment pas trop, croyez-moi. En effet, que savons-nous de la Guerre d'Espagne ? Grosso modo, en France en tous cas et surtout de nos jours, on vous répondra : "C'était une guerre civile. A droite, il y avait les méchants avec le général Franco. A gauche, il y avait les bons avec les communistes espagnols. Les gentils communistes ont été battus parce qu'aucune grande démocratie européenne n'a accepté de les aider. Il n'y avait que l'URSS, ce Paradis de la démocratie, qui a accepté mais Staline, forcément, il avait tellement de soucis avec les trotsko-fascistes (sic), qu'il n'a pas pu faire grand chose. Après la victoire de Franco et des Affreux, ça a été un manque de démocratie absolue, les Espagnols étaient très malheureux et les prisonniers de guerre ont été horriblement traités."
Oui, en gros, c'est ça que vous entendrez alors que la situation, tant d'un côté que de l'autre, était sinistrement bien plus compliquée. Le livre du Britannique Anthony Beevor, qui cherche à rester un observateur impartial, ne prend parti ni pour les uns, ni pour les autres mais pose l'affaire en des termes beaucoup moins simplistes et fait l'effort - ce qui déplaira à certains - d'éclairer notre lanterne. Il a eu d'ailleurs l'excellente idée de placer, au début de son ouvrage, une sorte de dramatis personae qui reprend, côté nationaliste (Franco) et côté républicain (Negrín), la liste des principaux mouvements qui s'opposèrent sous les deux étiquettes. Malgré tout, se plonger dans un livre de ce type et surtout aussi long, si vous n'avez pas déjà un peu tâté de la Guerre civile espagnole et pas seulement en lisant Malraux ou Hemingway, a des airs de gageure. Il faut du calme, de la patience ... et du temps. Prendre des notes serait aussi une bonne chose, même si vous avez dépassé depuis longtemps l'âge des cours à l'université.
Résumer ce livre n'est évidemment pas mon but. Simplement, j'aimerais poser tout net la question que tout le monde (à moins d'être un sectataire obligatoirement sectaire de l'extrême-gauche et des rares communistes qui survivent en France) se pose après lecture de "La Guerre d'Espagne" : pourquoi le Parti communiste soviétique, sous les ordres de Staline, a-t-il fait ça aux Républicains espagnols ? Avec les "conseillers" envoyés par Moscou pour les aider, entre autres, à mener une stratégie militaire efficace, les Républicains étaient vaincus d'office. Les "conseillers" soviétiques menèrent les troupes républicaines en dépit du bon sens, s'acharnant à leur faire perdre leur temps sur de petites poches de résistance au lieu d'aller de l'avant, tout ça pour ne gagner, au final, que quelques kilomètres carrés. Bien entendu, les échecs étaient imputés aux responsables républicains qui n'appartenaient pas au Parti, notamment aux "trostko-fascistes" ou "facho-trotskystes" (je n'y peux rien si ça me fascine, moi, ces mots-valise ! ;o) ) et la Propagande rouge allait bon train.
Ce qui ressort surtout de l'attitude des membres du Komintern, c'est qu'ils voulaient par-dessus tout instaurer une véritable "dictature du prolétariat" en Espagne et y implanter le communisme à la soviétique. Mais ils n'ont absolument pas tenu compte des caractéristiques du peuple espagnol. Si le courage, voire l'héroïsme, fut grand et farouche des deux côtés, les Républicains étaient peut-être un peu plus "débraillés", un peu plus ... hum ... comment dire cela sans vexer personne ? ... "siestiques" que leurs homologues à droite (plus disciplinés, semble-t-il, pas assez toutefois pour ne pas provoquer l'indignation de leurs alliés allemands, beaucoup plus stricts question commandement et tenue des uniformes). C'est ainsi que deux tempéraments, deux Histoires s'affrontaient avant même d'affronter l'"ennemi" . Les nationalistes ont eu la chance d'avoir un Franco à leur tête, c'est-à-dire, qu'on approuve ou pas ses opinions, un homme volontaire et qui savait la plupart du temps où il allait. Du côté républicain, ils n'en eurent pas de pareil, rien que ces foutus conseillers soviétiques et membres étrangers, mais communistes à mort, du Komintern (comme le Français André Marty), lesquels, après avoir littéralement épuisé des Brigades internationales enthousiastes et naïves, après les avoir envoyées à la boucherie, finirent par s'éclipser parce que, devant l'affaire de la Tchécoslovaquie et la peur honteuse qu'inspiraient Hitler et son régime aux démocraties européennes, Staline se dit que, en définitive, mieux vaudrait s'allier avec ... l'allié de Franco.
Du livre de Beevor, il ressort aussi très clairement que, tant l'Italie et l'Allemagne d'un côté que l'URSS de l'autre, utilisèrent le conflit interne espagnol pour expérimenter les armes, en particulier aériennes, qu'elles utiliseraient quelques années plus tard dans une guerre devenue mondiale. La Guerre civile espagnole fut en ce sens une sorte de "laboratoire" pour les puissances de l'Axe comme pour Staline. Si les belligérants espagnols s'en rendaient compte, quel que fût le parti auquel ils appartenaient, que pouvaient-ils y faire ? Franco a tenté de laisser le moins possible de terrain à ses deux "alliés", rognant par la suite sur le remboursement des dettes contractées. Et, quelle que fût la dureté du régime franquiste, on n'ose penser à ce que l'Espagne serait devenue si les Républicains - ou plutôt l'URSS derrière eux - l'avaient emporté. Finalement, le peuple espagnol - il s'en aperçut sur la fin - n'a eu que le choix entre deux dictatures. Pas question de privilégier l'une aux dépens de l'autre. Mais à ceux qui évoquent la répression franquiste après la victoire, on peut toujours objecter que, chez les Républicains, les conseillers de Staline et les officiers communistes ne se sont pas gênés, pendant le déroulement de la guerre, pour abattre froidement tous ceux qui, pourtant "à gauche", ne partageaient pas leur point de vue sur quoi que ce fût. Ces gens ne tuaient pas parce que les soldats et les officiers non-communistes refusaient de se battre : ils les exécutaient - y a-t-il un autre mot ? - parce que leur bon sens ou simplement leur idéologie politique originelle (pour les anarchistes du POUM et les syndicalistes de l'UGT par exemple), s'opposaient à la pensée stalinienne.
Tout cela, répétons-le, en pleine guerre, alors que le sort pouvait encore jouer en faveur de ces Républicains qu'ils prétendaient être venus "aider" ...
Evidemment, ayant, par mes origines paternelles, quelques connaissances de la Guerre civile en Espagne, j'étais au courant de certains points "délicats." Mais la démonstration de Beevor est implacable : il ne justifie en rien la répression franquiste, bien sûr mais on sent tout de même son mépris envers ces gens du Komintern et ces communistes espagnols purs et durs qui, en fait, pour la plus grande gloire du Parti, ont lutté contre leur pays. Franco avait, pour reprendre une expression célèbre, "une certaine idée" de l'Espagne mais au moins, il croyait en ce qu'il faisait, il croyait en l'Espagne. Dussé-je m'attirer les foudres de certains , je répèterai désormais que, du côté républicain, beaucoup trop de personnes croyaient au Parti communiste soviétique mais certainement pas en l'Espagne. Les agissements "internes" de ces gens-là dans le conflit en est la preuve à la fois accablante et incontournable : ce n'est pas toujours celui qui crie le plus fort "¡ Arriba España !" qui est vraiment un patriote ! Une leçon sur laquelle, aujourd'hui, en France, beaucoup d'entre nous méditent depuis déjà longtemps - et sur laquelle de plus en plus de Français qui aiment leur pays commencent à se pencher, malgré les discours des politiciens.
Car ne vous faites pas d'illusions : tous les beaux parleurs communistes qui avaient embouteillé les rangs des Républicains durant la Guerre civile - dont la plus célèbre, "la Pasionaria" - ne se sont pas gênés pour fuir Madrid en avion à temps, avant que ne débarquent les troupes franquistes. "Ils ne passeront pas," peut-être mais, un fois qu'"ils" sont passés, eh ! bien, chacun pour soi et Dieu, s'Il existe, reconnaîtra les siens !
De l'autre côté, on ne saurait trop reprocher à Franco, qui avait fait carrière en Afrique, d'avoir utilisé contre ses compatriotes la furie des regulares arabes, ces "Rifains" que, quelques années plus tôt, le gouvernement espagnol combattait avec acharnement. En ce qui concerne son alliance avec Hitler, rappelons que les deux hommes ne s'aimaient guère et que Franco a toujours traîné les pieds pour livrer des juifs espagnols à son "allié." Et puis, Staline aussi a fini par s'allier au Führer, non ? ... Quant à ses rapports avec Mussolini, selon Beevor, le sanguin Duce trouvait l'Espagnol horriblement paresseux en matière militaire (il y eut en effet quelques batailles où Franco eut le tort de laisser l'ennemi récupérer des forces). C'est parfois assez curieux mais on a l'impression, au fur et à mesure que l'on avance dans sa lecture, que l'alliance de Franco avec Hitler et Mussolini était presque "contre-nature" et que seule l'opportunisme du Caudillo et de ses partisans la lui avait dictée.
Que dire encore de ce texte ? Il est passionnant, vous l'avez compris. Il est assez ardu mais sans jargon spécialisé. Il dérange par son désir de reconstituer les événements tels qu'ils furent et par le fait que, l'auteur le souligne, au contraire de ce qu'il se passe habituellement, ce sont les vaincus qui ont écrit (réécrit ?) l'histoire de la Guerre civile espagnole. Beevor s'oppose aussi à la croyance - presque un mantra - qui veut que les Brigadistes aient joué le rôle que leur ont prêté des journalistes et des écrivains prêchant de toutes façons pour leur chapelle. Et quand on sait quelle importance eut, pour un George Orwell comme pour un Arthur Koestler, qui partirent combattre en Espagne avec des idées bien communistes et en revinrent pour le moins fortement troublés, tout ce qu'ils vécurent justement dans les Brigades internationales et dans les combats auxquels ils se retrouvèrent mêlés, on se dit qu'il est essentiel, surtout de nos jours, d'approfondir nos connaissances sur la Guerre civile espagnole.
N'attendez plus : lisez "La Guerre d'Espagne", d'Anthony Beevor. ;o)
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