Citations de Camille Laurens (799)
Marguerite Duras a écrit quelque chose là-dessus, sur l'idée que les hommes aiment surtout se retrouver entre eux, vous voyez, cette espèce de paresse d'intérêt pour les femmes - trop différentes, trop fatigantes. Elles nécessitent un effort qu'ils n'ont pas envie de faire, pas au long cours en tout cas. Sauf pour baiser, j'imagine.
L'amour, c'est un roman que quelqu'un écrit sur vous.
Disparaitre de son vivant reste une épreuve. On se fond dans le décor, on devient une silhouette, puis rien. L'indifférence est une autre sorte de burqa, une autre façon pour les hommes de disposer seuls du désir. On a servi, on ne sert plus. Hier fantasme, aujourd'hui fantôme.
Nous sommes tous, dans les fictions continues de nos vies, dans nos mensonges, dans nos accommodements avec la réalité, dans notre de désir de possession, de domination, de maîtrise de l'autre, nous sommes tous des romanciers en puissance. Nous inventons tous notre vie. La différence, c'est que moi, je te dis que j'invente, je la vis. Et que, comme toute créature, elle échappe à son créateur. (...)La vie m'échappe, elle me détruit, écrire n'est qu'une manière d'y survivre - la seule manière. Je ne vis pas pour écrire, j'écris pour survivre à la vie. Je me sauve. Se faire un roman, c'est se bâtir un asile.
Etre à la merci de quelqu'un, voilà qui enlève au mot toute son urbanité et ramène le corps social dans la féodalité, où nous nous voyons malgré nous taillables et corvéables à merci. (p.50)
Merci est le SMIC linguistique sans quoi la communauté se désagrège (...) Car il y a du lien dans ce mot, du lien social: il exige un destinataire, quelq'un qui donne et quelqu'un qui reçoit, et l'on rêve qu'un merci puisse éviter un crime, son anagramme" (p.49)
Ça a commencé comme ça, voilà ce qu'il faut montrer : le début de l'amour, comment c'est, la peur que c'est. Il faut le montrer parce qu'ensuite on l'oublie, il y a une ellipse, un blanc pareil au trou de mémoire creusé dans le début de la vie : on passe tout de suite aux photos de famille et aux goûters d'anniversaire, maman et ses bras, et l'ours en peluche. On oublie la naissance, on oublie qu'on a eu froid, qu'on a eu mal, qu'on a eu peur, on ne veut pas le savoir. (...) L'amour commence comme il finira, il finit comme il a commencé.
On peut parler des filles et de leur Prince Charmant, mais que dire du rêve que poursuivent les hommes avec au moins autant d'obstination : l'Autre Femme, la femme d'à côté, l'autre côté de la mer ?
Vous avez des enfants ? demande le monsieur.
Non, dit mon père. J'ai deux filles.
"Tu sais, maman ...", reprend-elle - elle articule, et il y a dans sa voix, c'est drôle, un soupçon de pédagogie -, "tu sais, une fille, c'est bien aussi. Et même ..." - elle sourit comme à un souvenir -, "c'est merveilleux, une fille".
Parfois, il suffit d'une phrase pour faire tomber des monuments. Donjon d'effroi, remparts de honte, la tour s'écroule dont on était à la fois la prisonnière et la geôlière, et d'un seul coup c'est plein soleil, c'en est fini des meurtrières. L'air âpre emplit les poumons, ça râpe et ça répare, et bien que la lumière soit vive, on n'est pas aveugle. Il suffit d'une phrase, à peine une phrase, un mot, un adjectif laissé en blanc dans la phrase incomplète, un petit quelque chose qui lui manquait, qui lui a tant manqué et qu'elle vient remettre, elle, Alice, qu'elle vient poser doucement à sa place, l'air de rien, et soudain le monde s'ouvre, un sens nouveau éclôt sous la langue, tu débarques et c'est le pays des merveilles. Alors, tu n'as qu'une chose à faire et je l'ai faite : il faut prendre la phrase et la recueillir, la sauver, répéter le lot de passe, le transmettre et ne jamais l'oublier.
"Tu as raison, ma chérie, ai-je dit, c'est merveilleux, une fille."
Le divorce avec Christian est prononcé l'été suivant. " La barque d'amour s'est brisée contre la vie courante. " dit l'exergue de Maïakovski au roman dont je termine la traduction.
Des heures s’écoulent, la pensée est stupide, frissonne et fuit.
J’ai le ventre en avant, je suis trop cambrée, maman m’emmène voir un médecin puis un kinésithérapeute (j’entends : qui n’hésitera peu – à quoi faire ?)…
Il ne faut avoir peur que de la peur.
P 113
A force d'être modelée par le désir et la vision de Degas, n'avait-elle plus qu'à s'effacer ? Est-ce payer trop cher le tribut à l'art, ou bien n'aurait-elle pu rêver essor plus vaste à sa vie minuscule ? (...)
Degas a eu un destin à la hauteur de son projet. quant à Marie, son destin n'est pas mesurable, parce qu'elle n'avait pas de projet-certainement pas celui d'être une icône de l'art moderne ni de tenir la pose éternelle dans les plus grands musées du monde. Cependant, ne sachant rien de sa mort à elle , j'ai tendance à la confondre dans mon imagination avec sa vieillesse à lui, d'une solitude épouvantable. (p. 147)
Il s'obstine à vouloir m'expliquer que l'amour et le désir, ce n'est pas pareil. Le désir veut conquérir et l'amour veut retenir, dit-il
Moi en fait, si vous voulez tout savoir, ça me dégoûte, tout ce qu'une femme doit faire pour plaire, pour être séduisante. Bien sûr je le fais, je le fais à mon corps défendant, je l'ai toujours fait, même très jeune, je n'ai jamais été la dernière à acheter des crèmes de beauté à deux cents euros ni des robes hors de prix, décolletées et tout, comme ma mère, à me payer des séances d'épilation chez l'esthéticienne, qui faisaient un mal de chien, à quinze ans je me suis même acheté un gel anti-cellulite avec mon premier salaire de baby-sitter, je me souviens, je m'en mettais sur les mollets parce que mon petit copain les trouvait trop gros. Non, pour être tout à fait juste, ce qui me fait vraiment horreur, ce qui me rend amère, c'est que ça marche, que ce soit la seule chose qui marche. Je me souviens, quand je voyais un homme apprécier ma silhouette dans un tailleur moulant et lorgner mes fesses avant de venir me parler, j'étais à la fois contente et infiniment triste. J'aurais voulu être aimée pour moi-même, vous comprenez ? Sans la gym, sans les fringues, sans le rouge à lèvres. Qu'il me rencontre, moi, et pas l'objet artificiellement créé de son attente. Je me souviens d'un collègue, un jour, il m'avait invitée à déjeuner, il était gras et laid, on discute de la fac, des cours, et au milieu de la conversation, il me regarde et il me dit d'un ton de reproche : "Pourquoi est-ce que vous ne mettez pas de rouge à lèvres ?" Ne pas être obligée de me vendre, de m'exposer comme sur l'étal d'un marché. Le marché des femmes, le marché des femmes. La perpétuelle relance sexuelle. Etre sexy, être...
Va mourir. VA MOURIR. Les paroles des autres les poursuivent comme des fantômes hostiles. Leurs voix profèrent des injonctions impossibles à fuir. Du harcèlement textuel, en quelque sorte, ah ah!
Le problème dans le jeu du cache-cache,c’est quand vous restez caché sans que personne ne s’en aperçoive. Si tout le monde abandonne la partie alors que vous êtes toujours derrière votre buisson, qu’est ce que vous devenez ? Perdre à ce jeu, ce n’est pas être trouvé ; c’est quand personne ne vous cherche. On a plus d’autre solution que d’ouvrir la fenêtre, de se débusquer à la vie.
Sur une affichette placardée aux entrées des marchés on trouve les tarifs c'est là que vous pouvez lire Fillette de 1 à 9 ans: 200 000 dinars (138 euros) Fille de 10 à 20 ans : 150 000 dinars (104 euros) Femme de 20 à 40 ans : 75 000 dinars (52 euros) Femme de 40 à 50 ans : 50 000 dinars (35 euros )