Citations de Camille Laurens (799)
Si tu étais née en Inde ou en Chine, tu serais peut-être morte. À Rouen, tout va bien. On t'aime quand même.
Tu me diras que dans quelques régions du monde c'est le contraire : au Mexique, chez les Zapotèques de Juchitan de Zaragoza, on fait de grandes fêtes quand naît une fille car les femmes y sont les chefs de famille et lèguent leur nom à leurs enfants...
"Un syllogisme s'imprime dans les prémices de ton cerveau : l'amour, c'est être là. Les filles sont là. Donc les filles sont l'amour. Ta sœur toutefois fait exception à la règle. Elle porte des robes, a une voix de crécelle, mais elle n'est pas souvent là et quand elle l'est, tu ne te sens pas en sécurité. Il n'est donc pas certain que ta sœur soit une fille. A vérifier."
Il n'y a jamais eu de grande différence pour moi entre le désir et le désir d'écrire - c'est le même élan vital, le même besoin d'éprouver la matérialité de la vie.
Je préfère l'angoisse à l'oubli, quand on est malheureux, il vaut mieux le savoir, vous n'êtes pas d'accord ?
Car les mots ont un grain, qu'on peut toucher comme une peau, qui nous émeut comme une voix, ils ont un grain de beauté qui nous bouleverse, un grain de folie par quoi soudain le monde apparaît différent, bizarre, nouveau.
(...) je ne suis pas hantée par l'exactitude, je laisse ma mémoire avoir de l'imagination.
L’équivalent de la virginité pour la fille, chez le garçon c’est l’expérience. La valeur est inversement proportionnelle dans un couple : elle ignare, lui savant, c’est le principe.
Ce n'est pas le tout d'être heureux, encore faut-il que les autres ne le soient pas: la devise est connue.
En classe de première, Alice fait ses TPE sur les femmes et le féminisme. « Ce qui est terrible, tu sais, maman, c’est que les femmes ont peur tout le temps, partout, à toutes les époques. Evidemment, elles ont moins peur chez nous qu’en Inde ou je ne sais où, mais enfin, que ce soit conscient ou non, elles vivent dans la peur, la peur des hommes. « Je pose mon couteau à côté du petit tas d’épluchures, je m’essuie les mains. » C’est vrai, ma chérie. En même temps, les hommes aussi ont peur. Faut-il vraiment les opposer à nous ? Est-ce que … ? «
Ça n’a rien à voir. La domination vient des hommes.
Que certains aient peur, ok, on ne va pas pleurer pour eux. Tandis qu’une femme vit sans arrêt sous la menace, et très tôt dans sa vie. Sinon, pourquoi tu m’as appris à me défendre, quand j’étais petite ? Tu te souviens, pif, paf ? » Elle mime le coup de genou. « C’est parce que tu avais peur pour moi. Parce que toutes les femmes ont peur, c’est tout. C’est tellement ordinaire, elles ont tellement intériorisé le danger que certaines n’en ont même pas conscience, et pourtant … Une femme menacée, c’est un pléonasme.
C'est quoi, l'amour ? C'est quoi, sinon l'envie de retrouver toujours un certain corps, et le récit qu'on s'en fait ?
J'ai du mal à terminer ce livre, car j'ai du mal à quitter Marie. Je ne pensais pas formuler jamais une telle phrase. "Je suis triste de quitter mon personnage. Il m'obsède. Je continue de penser à lui, à elle..." D'habitude, les auteurs qui prétendent cela m'exaspèrent, je les trouve conventionnels, hypocrites, ridicules. Pourtant, c'est ce que j'éprouve aujourd'hui avec la petite danseuse, avec -ma- petite danseuse, ai-je failli écrire. c'est peut-être parce qu'elle a un corps; fût-il en cire ou en bronze sous mes yeux, ce corps a existé, il a traversé des rues de Paris où je peux suivre sa trace aujourd'hui (p. 149)
L'écriture, c'est de la pêche - pêche à la ligne, pêche au gros, c'est plus ou moins physique, mais le principe, c'est l'attente. Une attente active, un aguet. L'impression que si vous attendez bien, si vous savez attendre, à l'écoute du moindre frémissement de ligne, du plus petit friselis, vous ne serez pas bredouille, ça va mordre. Écrire, c'est comme l'amour : on attend, et puis ça mord.
Vous la connaissez , celle-là? " Quel super-pouvoir acquiérent les femmes de cinquante-ans ? Elles deviennent invisibles !"
Tu sais ce qu’a dit Sacha Guitry quand sa femme Yvonne Printemps a demandé le divorce pour épouser son ami Pierre Fresnay : Je vais me venger de la pire des manières : je vais la lui laisser.
Tu connais l'histoire des deux bébés à la maternité ? "C'est deux bébés qui viennent de naître, ils sont couchés l'un à côté de l'autre dans la garderie. Le premier dit à l'autre : "T'es quoi toi ? Un garçon ou une fille ? — Je sais pas, répond l'autre. — Attends", dit le premier en se penchant vers son berceau. Il soulève la couverture, regarde dessous et lui dit : "T'es un garçon. — Comment tu le sais ? demande l'autre. — Ben, t'as des chaussons bleus."
Le désir nous fait éprouver le vide, c'est vrai, le puissant chaos qui nous environne et nous constitue, mais ce vide, on l'éprouve comme le funambule sur son fil, on le tâte comme l'équilibriste quand il y balance sa jambe, on est à deux doigts du désastre et de la chute, de l'angoisse mortelle, et pourtant, on est là, tout vibrant d'une présence agrandie, décuplée, immense, on se déploie dans le chaos, retenu par le seul fil de ce qui nous lie à l'autre, notre compagnon de vide, notre funambule jumeau.
L’amour c’est vivre dans l’imagination de quelqu’un. Une fiction, oui. Et alors ? Être aimée, c’est devenir une héroïne.L’amour c’est un roman que quelqu’un écrit sur vous. Et réciproquement. Il faut que ce soit réciproque sinon c’est l’enfer.
Les hommes libres peuvent partir, et quelquefois ils restent. Voilà la plus belle preuve d'amour : prendre la liberté de rester alors qu'on pourrait s'en aller.
les voilà donc tous deux ensemble
dans cette surgie d’âme
elle et lui comme des bourgeons éclos
l'artiste et le modèle,
unis par le même désir à la fragilité fugitive
celui d'une vie en espalier.
p 115
Si la vie est une biographie qui dit tout, le biographe, lui a la lourde responsabilité de choisir quoi montrer de la vie. Que privilégier ? Les archives, les témoignages, l'instinct, l'intuition,voire l'imagination ? Quel sens lui donner enfin ? Qu'est ce que la vérité d'une vie ?