Certains romans possèdent le merveilleux don de nous faire rêver et voyager, de nous ancrer à l’autre bout du monde, de nous poser au beau milieu d’une histoire, riche et foisonnantes, de vies, perdues dans l’immensité d’un pays et d’un continent, imperceptibles, indécelables, qui manqueraient de retourner dans l’anonymat, si la plume, l’œil, l’imagination d’un auteur ne s’était pas décidé à s’y attarder. Le Chant du Perroquet rentre dans cette catégorie de romans, et quand bien même j’ai beau avoir un attachement particulier à une certaine catégorie de littérature, je ne rechigne jamais à explorer d’autres horizons, le coup de cœur n’est parfois pas là où on l’attend. Et mon coup de coeur est bel et bien là.
Le Brésil est un de ces pays dont je n’ai que quelques images préfabriquées en tête, et j’avoue parfois un peu clichées: la forêt, le christ, les défilés de carnaval, les favelas, les terrains de foot, les longues plages surabondées, la mer d’un bleu profond, et l’infecte Bolsonaro. C’est toujours un plaisir pour moi de m’évader en Amérique Latine, les lectures que j’y ai faites, et je pense à L’Amour aux temps du Choléra, m’ont laissé des impressions littéraires aussi passionnés que colorés. Le roman de Charline Malaval n’y fait pas exception. Les déserts arides, une végétation racornie et desséchées, des cultures de maïs et de haricots noirs totalement fanées, c’est un Brésil dur et passablement aride, tant au niveau de la nourriture que des sentiments, auquel Fernando et Josefa font face: le manque de tout, eau, parents, argent, travail, nourriture, a bâti peu à peu des êtres tout aussi asséchés et indigents.
Ce Brésil agreste des années 50 aux espaces démesurément désertiques, lourds et accablants, forme un contraste saisissant avec celui de ce nouveau siècle, profondément citadin, ou la légèreté des liaisons et des sentiments apaise ce sentiment d’oppression née du surpeuplement des villes, de l’intensification agricole et industrielle. Deux jeunesses, celle de Fabiano et de Josefa, face à celle de Tiago et Juliana, opposées en tout, ancrées dans un épisode de l’histoire qui a enterré des milliers d’opposants Brésiliens. Entre la pauvreté qui les accable, puis la dictature qui scelle non seulement le droit à vivre pleinement et dignement, leur droit à s’exprimer ses convictions librement, mais aussi et surtout leur destin.
Le contexte historique transforme ce bout d’histoires, celle du Brésil, celle de Fabiano, de Josefa, et dans un sens celle de Tiago et Juliana, en un récit particulièrement fascinant et passionnant, le genre qui vous tient en haleine jusqu’au bout du bout. Fabiano et Josefa traversent, dans le temps et l’espace, un Brésil impitoyable, aux frontières impalpables, par leur travail, mais aussi par leur passion et leur volonté aussi vive que farouche de vouloir s’élever dans la société afin de se sortir de leur condition. Deux caractères bouillonnants, deux personnalités ardentes qui vont se découvrir et s’imposer peu à peu, s’affirmer avec force, au son de leur voix, dans le monde impitoyable de la manufacture et des cadres de Volkswagen, après le coup d’État militaire de 1964, qui destitua Joao Goulart, président.
L’auteure française de ce beau roman, Charline Malaval, partage avec passion son amour pour ce pays, dont j’ai parcouru avec un empressement délectable les interminables routes aussi désertiques que poussiéreuses qui mènent aux grandes villes, Brasília, São Polo. Comment ne pas être envouté par le charme de ce récit mélodieux, ponctué par les affres d’une histoire, qui est à l’image du rythme de la vie, houleuse, orageuse, fiévreuse. L’auteure a eu le talent de retranscrire le rythme, les battements de ce fil de vie, qui s’assombrit sous les cieux dictatoriaux tout comme le destin des trois jeunes brésiliens. C’est un pays impitoyable partagé entre arrière-pays indomptable, mis à mal par la sécheresse exténuante et écrasante, comme l’est sa population, divisée entre ouvriers agricoles, du bâtiment, les candangos, les mécaniciens qui peinent à gagner de quoi manger et les gros bonnets.
Le récit est adroitement agencé entre deux temporalités: celle, actuelle, de Tiago, qui est à l’écoute du récit de ce Fabiano, qui raconte des histoires oubliées, avalées par la gueule du totalitarisme et de ses sbires. Si l’ensemble du roman est tout bonnement captivant, rien ne vaut la dernière partie du récit, lorsque notre auteure met un bon coup de pied dans la fourmilière, qui donne encore un peu plus d’intensité dramatique et de dimension au roman.
Le chant du perroquet est un coup de cœur inattendu, un récit puissant et mémorable sur les méfaits cette dictature à travers le destin de trois jeunes gens partis de la misère et de la poussière du Nordeste, rythmé par le son de la bossa-nova, sur la folie de ce coup d’état. Un putsch qui a transformé certains individus inoffensifs en tortionnaires pervers et sadiques. qui a assis les petits cadres zélés hostiles à l’amélioration de la condition de vie des ouvriers dans leur toute-puissance sans oublier les escadrons de la mort. Le chant de Chico le perroquet est le révélateur de cette vérité enfouie dans les archives de Volkswagen, que Tiago et Juliana, comme un double de Fernando et Josefa, mettront en lumière face au tout nouveau gouvernement conservateur.
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