Citations de Claude Pujade-Renaud (248)
La journée s'étire mollement entre la volière et le salon de musique, entre trilles et triolets.
Visionnaire de l'Histoire, voyeur au quotidien. Sans doute s'agit-il du même désir ? Tout percevoir, tout savoir, relier et englober. L'Histoire universelle et mes entrailles, comme il dit. Méticuleusement archivées dans ce journal: "La connaissant comme si j'eusse vécu dans ses entrailles". Du sang ou de l'excrémentiel, je ne saurais dire ce qui le fascinait le plus, dans mon corps et dans le cours de l'Histoire. Cette Histoire qu'il dévorait, digérait, déféquait - comme s'il craignait d'être englouti dans ses flots de fange et de sang.
A propos de Michelet.
Parfois je ne sais plus si je t'aime. Ou si je m'aime moi t'aimant.
Mes préférées, les années trente : l'ère des filles spartiates et des longs lainages. Mes danseuses et moi désignons ainsi ces jerseys de laine épais mais souples avec lesquels nous confectionnons ns tenues de scène. Souvent les robes aux chevilles, près du corps et bougeant fidèlement avec lui, presque en symbiose. Une danse qui me va comme ma peau me va. Un costume telle une peau. En fait ce terme de costume m'agace, il implique un artifice alors que je veux fondre mouvement, corps et tissu en une seule matière.
Pourquoi tant d'hommes et de femmes ont-ils besoins d'une religion constituée, organisée? Sans parler de cette rage de vouloir l'imposer aux autres, cette rage parfois si meurtrière
Chez moi, on disait pommes de terre en robe de chambre. Ou serait-ce moi qui l'entendais ainsi car ma mère les posait sur la table enveloppées d'un torchon afin de les gardée au chaud ? Plus âgée, je fus stupéfaite de découvrir qu'il s'agissait de robe des champs. Quelle déception !
La blancheur en mouvement. En quelque heures, j’ai ébauché un poème : » De la blancheur je me souviens ». Cet oisillon , si léger à nos paumes, si lourd à nos coeurs, avait par sa disparition, convoqué, mis en branle la masse énorme de Sam, la pulsation si vivante du galop, cette alliance de staccato crépitant et de houle fluide, puissante – badaboum, badaboum, cascade de triolets. Cette houle revenant irriguait mes muscles, mes neurones, les mots que je traçais. Sam, le premier cheval que j’enfourchais, et j’avais bien failli être précipitée à terre. J’avais tenu bon, à ma façon, quasiment folle, mais j’avais tenu. Ce 9 juillet 1958, nous avons achevé l’oiseau et j’ai mis en place ce poème. Me fallait -il l’atrocité de la perte pour écrire ? Bien sûr, ce n’était pas le premier poème que je rédigeais depuis notre installation à Boston, mais quel étrange jaillissement au beau milieu des larmes….Et avec ce retour de Sam, enfin une blancheur dynamique ! Si souvent j’associais le blanc à la pétrification ou à la glaciation, marbres des statues, ivoire des os, pâleur stérile ou cancéreuse de la lune, plâtres chirurgicaux, blouses et draps d’hôpital…Le blanc pommelé de mon brave étalon dansait, j’entendais le martèlement allègre de ses sabots, je maîtrisais les décasyllabes du poème tout en me laissant emporter.
Trop jeunes pour savoir que, un jour ou l'autre, tout un chacun est amené à ramoner les conduits encrassés par la suie de la mémoire, à gratter, recueillir, trier débris, poussière et cendres.
Sitôt entrée dans la pièce principale, j'ai flairé la présence des parchemins. Cette très lointaine, très discrète odeur de sauvagine : chèvres, veaux, agneaux, gazelles parfois, ces gazelles qu'on chasse dans le Sud et qui confèrent au parchemin un parfum si doux. (...) et dire que toutes ces bêtes si vives, si bondissantes ont été sacrifiées afin que sur leurs peaux, travaillées, traitées, transformées, s'inscrivent des mots ! Et lui de rétorquer : mais ces mots frémissent et bondissent allègrement vers les lecteurs, présents ou à venir, l'essentiel c'est de rendre vivant le langage. p11
... avec son accent bostonien, me lit " Dame Lazare":
Mourir
Est un art, comme tout le reste.
Je m'y révèle exceptionnellement douée.
Tous les dix ans, précise le texte, si bien que, très sereinement, je plaisante: Août 1963, juillet 1962, pour cette dernière tentative vous étiez légèrement en avance, peu importe, c'est accompli, eh bien rendez-vous dans dix ans !
Je commence à comprendre que pour un même lieu il est autant de chemins que d'interlocuteurs. Sans doute ne trouverai-je que ma propre voie. Je ne sais plus si je vais chaque jour dans les collines sur les traces des demoiselles ou par toxicomanie. Drogué d'odeurs, suffoqué soudain par une bouffée acide et chaude. Si je m'arrête ou si je fais demi-tour pour la ressaisir, elle a disparu. Il convient de se laisser surprendre. Je me lève en état de manque. Avide, je pars chercher ma dose de sarriette ou de lentisques. Je parviendrai peut-être à en faire sortir cette maison, à la lever, telle une hallucination.
Ciel
de sel
gemme
Pré
crissant
sous le gel
Un cheval roux
réchauffe le regard
L'acmé de l'été. Une lumière incendiaire et le ciel couleur de mort pâle. La chaleur monte à l'assaut des murs, des arbres, des corps asphyxiés. Un vent africain altère les feuilles et les muqueuses. Même Glaukia, l'Egyptienne demeure affalée sur le flanc, poil terni et gueule béante.
La nuit, des mois ou des années après, suinte une horreur lourde, telles ces gouttes huileuses, exsudées par le bois de cade, larmes lentes. Le sommeil me déserte et s'il m'arrive de m'abandonner à un rêve, voilà qu'il met en scène ce que je tentais d'oublier, saccages et pillages, cris des blessés ou des torturés, relents de charnier ou d'incendie. Je m'éveille, traqué, assiégé. Des chairs brûlées ou des chairs putréfiées, je ne sais ce qui est le plus insoutenable...
Diké devine la vibration subtile qui émane de cette peau. Pas seulement de la peau... D'une pulpe, plutôt d'une chair secrète irradiant dans la semi-obscurité. Diké ne peut s'y tromper. Lorsque sa soeur descend de cheval, elle offre une texture serrée, dure presque, tenue par la rage et la jouissance de la domination -à l'image de leur père. En ce moment, son corps semble à la fois tendre et dru. Il diffuse une tiédeur moelleuse. En quel lieu Harmonia a-t-elle été chercher ce mélange d'ardeur et de langueur ?
Des volutes de mouvement giclent puis se disloquent, une houle terrifiante menace de la broyer, un tourbillon de vertige l'aspire vers elle ne sait quel gouffre. Si elle en avait la force, elle se lèverait et danserait au lieu de se laisser ainsi submerger. L'impulsion s'estompe et Doris reprend son ressassement : la maladie, se dit-elle, tout en condamnant à l'impuissance, permet d'atteindre ces zones d'ombre d'où pourrait jaillir une création plus intense.
(p. 155)
Le mal de mère ne se traite pas avec des potions.
Parfois je ne sais plus si je t'aime. Ou si je m'aime moi t'aimant.
Quand vous dansez je vous souhaite une vague de la mer
Qu'à jamais vous puissiez ne faire que cela. SHAKESPEARE
Une mère peut abandonner son enfant, mais l'inverse n'est pas possible. L'enfant s'en va, choisit de vire ailleurs, autrement. (p278)