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Critiques de Dave McKean (104)
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Batman : L'asile d'Arkham

Paru en 1989 aux Etats-Unis, puis traduit en français en 1990, Arkham Asylum est un roman graphique qui fit date dans l'univers de Batman. Ecrit par Grant Morrison et mis en image par Dave McKean, il se distingue, en premier lieu, par un graphisme sophistiqué, mêlant peinture, collage et photo. C'est sans doute le premier comic book à aller aussi loin dans l'innovation formelle, frôlant l'art contemporain dans ce qu'il a de plus expérimental, mais sans sacrifier la narration et en offrant, à un scénario déjà bien torturé, un écrin d'une noirceur absolu.



Le Joker, et d'autres patients d'Arkham, ont pris le contrôle de l'asile et exigent que Batman les rejoigne, à défaut de quoi ils exécuteront leurs otages. Certes, le synopsis est plutôt mince mais n'est qu'un prétexte aux auteurs pour nous raconter la fondation de l'institution, à travers l'évocation de la vie de son créateur : le Dr Amadeus Arkham. C'est très probablement le récit de Batman qui va le plus loin dans cette voie. Par ailleurs, dans la veine de l'idée récurrente d'une certaine proximité entre le Joker et Batman, Grant Morrison semble poser la question de l'état de la santé mentale de Bruce Wayne, alors que ce dernier ferait plutôt le procès de la psychiatrie et ses méthodes, dans une tentative de protection, somme toute logique. Mais là ou Batman, plutôt Bruce Wayne, apparaît comme un "simple" traumatisé Morrison avance l'idée (et c'est peut-être la première fois dans la continuité du chevalier noir) que le Joker serait au-delà de la folie et donc impossible à comprendre par le prisme des théories classiques.



Un récit sombre, violent, esthétiquement fascinant, mais dont le graphisme novateur ne doit pas faire oublier la qualité du scénario et des réflexions qu'il amène.
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Raptor

Il y a dans l'œuvre de Dave McKean une approche de la surface et du trait digne d’un archéologue. Les strates de la couleurs, des matières se chevauchent tel des palimpsestes, plusieurs styles de graphisme semblent se superposer sur la même image, plusieurs histoires aussi.

L’aquarelle s’étale sur le papier, semble sauvage, livrée à elle-même, la tâche devient personnage, animal, les formes surgissent de l’encre ou du brouillard, entre la précision la plus poussée, chaque plume de l’oiseau émerge de l’encre, et l’abstraction la plus libre, simple expression des émotions.



Pour le scénario, c’est un peu la même chose, du coup ça reste évasif, mais d’une belle force poétique et gothique.

Arthur l’écrivain vit douloureusement son veuvage, Ed, son ami, l’emmène à leur club ésotérique. Qui est alors ce fauconnier, un personnage issu de son imagination, le personnage de ses écrits ? C’est un peu flou, Dave McKean aime perdre son lecteur et le laisser se débrouiller avec sa propre interprétation, laissant nos propres fantasmes s’accaparer l’histoire.



Le thème de l’inspiration, ou simplement une écriture surréaliste ? Une première lecture ne vous dira peut-être pas grand-chose, alors il faut le relire, tel un vieux grimoire énigmatique, le déchiffrer doucement, et le lecteur se fait archéologue.



On a le droit de dire j’ai rien compris mais j’ai beaucoup aimé ? C’est un peu comme de la danse contemporaine, il faut accepter de se laisser emporter par le mouvement, ici, c’est l’encre qui coule sur le papier qu’il faut suivre.

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Black dog, les rêves de Paul Nash

Percevoir autrement…

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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. L'histoire a été publié sans prépublication, la première édition datant de 2016. Cette bande dessinée est l'œuvre de Dave McKean, auteur complet, illustrateur hors pair. Il s'inspire de la vie du peintre Paul Nash (1889-1946). Elle s'ouvre avec une introduction de Jenny Wadman, directrice du programme quinquennal 14-18 NOW, une autre de Julie Tait & Aileen McEvoy, directrices du festival international de bandes dessinées de Lakes.



Chapitre 1 : 1904, la maison de Wood Lane, à Iver Heath dans le Buckinghamshire. C'était son premier rêve, en tout cas le premier rêve dont il se souvienne. De toutes les histoires qui produisent des échos dans le passé de l'être humain, comme des bougies allumées s'accrochant à la vie contre le froid, l'humidité et le courant d'air, les rêves sont les plus insaisissables, se cachant dans les vallées et les plis de l'esprit, solitaires. S'affaissant dans les ombres des temps passé et présent, dans les tranchées. Paul avance dans son rêve, avec les pieds comme dans un labyrinthe, vers une ouverture lumineuse, mais avec des ombres géométriques menaçantes semblant fondre sur lui. Toujours dans la pénombre, il progresse, encore enfant vers la sortie qui a perdu en luminosité, mais il aperçoit un chien noir aux yeux rouges devant lui. Le chien lui barre le chemin, et l'enfant n'ose pas l'approcher pour forcer le passage. Le chien s'éloigne vers l'embrasure, et l'enfant le suit en courant. Le chien sort dans la lumière, et l'enfant en fait autant, ébloui par tant de lumière. Il aperçoit devant lui un menhir avec un trou circulaire, une grosse Lune dans le ciel, et une femme assise au soleil sur une chaise au dossier très droit, en train de lire.



Paul enfant s'approche de la femme. Le chien se trouve déjà devant elle, la regarde, lui lèche la main doucement. La femme écarte sa main en lâchant son livre et regarde le chien. La plume rouge au ruban de son chapeau semble s'écouler dans le ciel comme du sang qui forme bientôt un nuage recouvrant toute la zone. C'était le premier rêve du petit Paul, en considérant les détails maintenant, l'enfant qu'il était, le lieu, le chien, sa mère, l'inquiétude que tout cela exprimait, il a pensé à ce rêve à de nombreuses reprises. Il a essayé de l'interpréter et de lire entre les lignes. Il a même essayé de rendre ces émotions dans des dessins parfois. Mais comme le chien noir étrangement sensible à la maladie, se méfiant de la vaste tristesse dévorante de la mère, Paul semble percevoir le paysage à travers un sens élémentaire, sans faux-semblant. Quand il se réveille, il réalise un sketch rapide de ce qui subsiste dans son esprit, pendant que l'image plane encore, dans cet état hypnagogique derrière les yeux. De grands traits pour la composition, une touche d'ombre, un effort pour représenter les détails encore présents à l'esprit, pour fixer une ressemblance qui est déjà en train de s'estomper, de se brouiller, de mourir. Se ressouvenir d'un rêve est comme d'essayer de réaliser une esquisse à partir d'une esquisse.



La première page explicite l'intention de l'ouvrage : une plaque de rue indiquant que Paul Nash (1889-1946) a vécu à cet endroit. Au cas où cela ne suffit pas, les deux introductions permettent de se faire une idée de la portée de l'œuvre de cet artiste britannique : un des plus influents et des plus importants de son époque, ayant fait la première guerre mondiale à l'âge de vingt-cinq ans. Il a peint cette première guerre mondiale en tant que soldat, puis il est devenu un peintre officiel de l'armée. Il s'est concentré sur la représentation des paysages plutôt que des individus, ses œuvres s'inscrivant dans le surréalisme. Les responsables de 14-18 NOW ont alors passé commande à Dave McKean, d'une bande dessinée sur cet artiste, et il a accepté étant depuis longtemps fasciné par lui et son imagination. Un vrai défi : rendre hommage à l'œuvre artistique d'un peintre, et évoquer sa vie et ses inspirations. S'il est familier des œuvres de McKean, par exemple Cages, le lecteur sait qu'il va plonger dans une œuvre graphique ambitieuse. Sinon, il en prend conscience dès la première page. Il y a des éléments figuratifs tout du long du récit : Paul Nash lui-même, le souvenir qu'il a de sa mère, de son ami Gordon, de son frère John croisé dans une tranchée, d'un professeur de mathématiques, son ami Claude Lovat Fraser, d'autres soldats et même du chien noir. Encore que pour ce dernier, sa représentation fluctue et le lecteur peut sentir qu'il s'agit parfois plus d'un concept ou d'une métaphore émotionnelle, que d'un animal de chair. L'illustration d'ouverture en pleine page, une scène d'un rêve récurrent de Nash, s'inscrit dans le registre surréaliste avec la représentation d'un rêve.



Le récit est découpé en 15 chapitres, chacun s'ouvrant avec une photographie, certaines sans retouche, d'autres reprises à l'infographie. Chaque chapitre a droit à un titre avec une année et un lieu u parfois deux : 1904 à Wood Lane House, 1905 à Hawk's Wood & 1913 au cimetière Highgate à Londres, 1914 à Silverdale & 1914 au café Royal à Londres, 1917 dans l'hôpital militaire de Gosport, 1906 à l'école préparatoire à Londres, 1917 à Southampton au bord de la Manche, 1917 au saillant d'Ypres, 1921 à l'hôpital Queen Square pour les maladies nerveuses, à Londres. Au fil des chapitres, le lecteur découvre des éléments biographiques de l'artiste : la maladie de sa mère, son mariage et le découpage du gâteau, sa relation avec son grand-père, sa blessure en 1917 et son séjour en hôpital militaire, ses mauvais résultats scolaires en particulier en mathématiques, la rencontre avec son frère au saillant d'Ypres, la mort d'un jeune soldat plein de projets d'avenir sous yeux, son deuxième séjour en hôpital pour syndrome de stress post traumatique, etc. Ces moments dans la réalité sont représentés avec la même liberté picturale que ceux relevant de la vie intérieure de l'artiste. McKean conçoit ses séquences en fonction de leur nature, pas en imposant une grille prédéfinie de cases alignées en bande. Il peut aussi bien organiser sa planche avec des cases bien alignées avec une bordure propre, que alignées mais sans bordure, ou dans une grille de 16 cases (4*4), ou seulement deux de la largeur de la page, ou des illustrations en pleine page, ou encore deux dessins entremêlés sur les cases d'un échiquier de 8 par 8, un personnage représenté plusieurs fois dans une illustration en double page pour montrer qu'il se déplace, une pellicule de film déroulée sur deux pages en vis-à-vis avec un dessin par image, etc. De la même manière, il ne se sent pas tenu par une technique de dessin particulier et utilise celui qui lui semble le plus adapté : de la photographie retouchée à l'infographie, à des dessins aux crayons de couleurs, en passant par de véritables tableaux, certains reprenant ceux de Paul Nash, ou encore de savantes compositions à base de plusieurs outils de nature différente.



Ainsi le lecteur découvre un récit qui rend compte de la liberté d'expression de l'artiste, aussi bien le peintre que le bédéiste. Il découvre une narration quelques fois en dialogue, souvent en flux de pensée, parfois sous forme de poésie en prose, à quelques reprises sous forme de poésie en vers. Mckean rend compte de la vie intérieure de Paul Nash, ou tout du moins reconstruit celle-ci à partir de la sensibilité du peintre et de ses écrits. Il est donc question de cette figure du chien noir, un élément récurrent de ses cauchemars, une incarnation de ses angoisses vives ou diffuses. Sur le canevas assez lâche de la biographie parcellaire de l'artiste avec quelques inversions chronologiques, l'auteur développe les thèmes récurrents du peintre, parfois par association d'idées quand il rapproche des événements de deux années différentes ou par association de visuels : la perte de la réalité dans la représentation picturale mais aussi la mise à jour d'un élément implicite, la beauté dans les paysages naturels, la marchandisation de l'art et sa futilité en temps de guerre, la relation de son père avec son grand-père en ce qu'elle peut augurer de sa propre relation à son père, les conditions de vie terrifiantes des soldats dans les tranchées, l'absurdité existentielle de certaines situations de vie, la vie apportée par les végétaux sur le champ de bataille, la symbolique d'oiseaux comme le corbeau, le rouge-gorge ou la crécerelle, la translucidité d'un œuf opposée à un obusier de 140 tonnes tirant des obus d'une tonne, le dessin comme thérapie des traumatismes, l'espoir que tout cela ait un sens, etc. Au fil de cette introspection artistique et existentielle, le lecteur arrête parfois sa lecture pour savourer une sensation picturale extraordinaire : la chaleur humaine régnant dans un café, un zeppelin amalgamé à une forme de poisson au-dessus de Londres, la cruauté d'un professeur, la force de la couleur verte contrastée avec le gris brun des tranchées, la vague démesurée de la vie déferlante, s'opposant à la désolation du champ de bataille dévasté, le rappel de cette vague dans le geyser de terre soulevé par un obus, les couleurs atténuées mais vibrantes dans le visage et le corps de Claude Lovat Fraser, la verdure irrépressible d'un bois, etc.



C'est un pari insensé que de vouloir rendre compte de la vie intérieure d'un artiste pour mieux comprendre son œuvre. Dave McKean se glisse dans la peau de Paul Nash et sait faire vivre cet artiste, au travers des événements de sa vie, de son expérience des champs de bataille de la première guerre mondiale, de ses relations avec ses parents, de ce qu'il souhaite retranscrire et exprimer avec son art. Il lui rend hommage en reprenant des éléments de ses tableaux, tout en utilisant comme bon lui semble les nombreuses techniques picturales qu'il maîtrise, et la construction de pages en fonction de ce qu'il souhaite exprimer. Le tout forme une expérience de lecture à nulle autre pareille, d'une rare richesse, d'une rare diversité, tout en offrant une cohérence parfaite. Le lecteur voit sa perception du monde changée, élargie, adaptée pour être en phase avec celle de Paul Nash, enfilant sa sensibilité pour voir le monde autrement, en partie par ses yeux, en partie par ceux de Dave McKean se glissant dans la peau du peintre. Extraordinaire.
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Raptor

Voir n'est pas croire.

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Ce tome contient une histoire complète, indépendante de toute autre. La première parution date de 2021, sans prépublication. Elle a été réalisée par Dave McKean pour le scénario et les illustrations, le lettrage, tout.



Si vous avez marché seul dans les bois, ou sur un chemin des douaniers, ou dans un sentier en bordure de la mer et de la terre, ou si vous avez écouté avec attention le souffle du monde, ce livre est pour vous. Je suis revenu à moi, voilà une expression qui interroge. Un rapace plane haut dans le ciel, le long d'une falaise, au-dessus de l'océan. Il effectue un piqué sur un petit oiseau, le lacère de ses griffes et coupe sa moelle épinière d'un coup de bec. Le narrateur éprouve l'impression de pouvoir sentir le sang, métallique, chaud, avec une petite montée d'acide dans sa gorge, à la fois de la faim et de la répulsion. Puis il sent qu'il revient à lui. Et il descend. Un homme emmitouflé, avec un capuchon et un masque sur le visage, une écharpe masquant le bas de son visage : Sokól. Il descend un escalier taillé à même la roche de la falaise, vers la grève. Il voit les veines de roches dans le flanc, trois bondrées apivores dans volant haut dans le ciel. Il atteint la plage, et se fait la remarque que c'est un lieu de transition, parfaitement adapté à son rendez-vous. Il avance entre les poteaux de bois rongés par la marée, étendant son bras gauche en avant : le rapace vient se poser sur son gant de fauconnier. Il regarde ses deux yeux totalement blancs, puis le rapace va se percher sur le sommet d'un des poteaux. Sokól continue d'avancer se rendant au poteau suivant, comme un mot sans contexte sur une page vierge. Il y a un bruit non identifiable.



Sokól attend car il est sûr d'avoir correctement interprété les signes. Mais il n'y a rien, juste des mots, comme de petites floraisons bactériennes sur un papier de Petri. Il n'y a rien de tangible, alors que dans le brouillard devant lui la silhouette d'un monstre d'une vingtaine de mètres de haut semble se dessiner. Le reste de l'après-midi se déroule dans le calme. Le rapace s'envole de son perchoir et se dirige vers la silhouette fantomatique du monstre. Il effectue un passage devant lui et le griffe, faisant gicler un peu de sang. Le silence continue de régner. Des hommes approchent de Sokól sur la plage. Le monstre s'agit en tous sens, alors que les serres du rapace lacèrent à nouveau sa carapace. Il semble cracher une pièce au loin. Puis s'effondrer. Sokól se baisse et ramasse la médaille, usée par le temps. Le rapace vient se poser sur le gant de fauconnier. Les hommes se sont rapprochés de Sokól : celui en tête lui demande s'il veut bien être leur maire. Sokól lui jette la médaille en la qualifiant de pourboire. Dans un village du pays de Galle, dans le cimetière à l'arrière de l'église, une cérémonie d'enterrement prend fin, à laquelle assiste une douzaine de personnes. Arthur est assis à sa table de travail en train d'écrire un roman. Il relève la tête et regarde le portrait de son épouse défunte. Ed, son ami, entre dans la maison.



C'est un événement : Dave McKean a réalisé une nouvelle bande dessinée, la précédente étant Black Dog: The Dreams of Paul Nash (2016). Ce créateur a durablement marqué le monde des comics de la bande dessinée, avec Arkham Asylum (scénario de Grant Morrison), puis ses collaborations avec Neil Gaiman, et sa bande dessinée Cages (1998) sur l'acte de création artistique. Le lecteur sait qu'il va plonger dans un monde à nul autre pareil sur le plan graphique, et certainement dans une histoire racontée de manière très personnelle. Il commence par s'immerger dans ce monde mangé par le brouillard, aux côtés de ce personnage tellement emmitouflé qu'il est impossible de voir une zone de peau. Il regarde le rapace voler, le monstre à la consistance douteuse, à la forme indiscernable dans le brouillard, cette plage sans autre élément visible que les poteaux de bois rongés par la mer et l'air. Il lit les dessins qui racontent l'histoire. Il se demande si le flux de pensée qui les accompagne est bien celui du personnage représenté, ou celui d'un autre qui sera montré plus tard. Il s'imprègne du vocabulaire recherché qui est utilisé pour décrire les lieux. Il ressent que les dessins oscillent entre descriptif et impressionniste. Il ne perçoit pas d'intrigue à proprement parler, mais l'expérience esthétique est agréable et divertissante.



Rapidement, le lecteur comprend qu'il suit deux fils narratifs distincts. Celui de Sokól à une époque médiévale dans une région côtière d'un pays qui peut être la grande Bretagne, mais ça n'est pas précisé. Celui d'Arthur, récemment veuf, écrivain, vivant dans une petite ville du pays de Galle, et recevant régulièrement son ami Ed. Ces deux fils narratifs sont racontés de manière linéaire et traditionnelle. Ils se côtoient, et s'intriquent de temps à autre, à un degré plus ou moins élevé. Ça va d'une sensation similaire dans l'un et l'autre, à une forme de rencontre des deux personnages principaux. D'un côté, Sokól est un voyageur qui séjourne plus longtemps que d'habitude dans un village et ses abords. De l'autre côté, Arthur essaye de se remettre à écrire, espérant ainsi faciliter son travail de deuil pour son épouse. Le lecteur suit Sokól se baladant dans les bois au gré son inspiration, jusqu'à l'incendie d'une ville. Il voit Arthur essayer d'écrire, papoter avec son ami Ed jusqu'à une surprenante séance de spiritisme, impliquant une douzaine de personnes. L'histoire est donc celle de ces deux hommes, le premier semblant prendre la vie comme elle vient et vendant ses services guère précisés, à des villageois, le second subissant son deuil, affecté d'un vague à l'âme. Il règne une forte composante introspective, sans qu'elle ne devienne psychanalytique, plutôt nourrie par des états d'esprit.



S'il ne connaît pas déjà d'autres œuvres de cet artiste, un simple coup d'œil à la couverture indique au lecteur qu'il possède une forte personnalité graphique. La première page s'apparente à une image à l'aquarelle (la paroi de la falaise), illustrant un texte qui est une citation du premier chant des Enfers de la Divine Comédie de Dante Alighieri (1265-1321). Les deux pages suivantes ressemblent également à de l'aquarelle, avec des cases à fond jaune Flave, sans bordure, avec une représentation impressionniste beaucoup plus évocatrice que descriptive, et deux cases pouvant relever de l'abstraction car incompréhensibles sur le plan figuratif et narratif si on les détache des cases adjacentes. Au fil des pages, le lecteur relève plusieurs particularités graphiques qui transcrivent la personnalité de l'artiste, et qui confèrent un caractère totalement unique à cette bande dessinée. Régulièrement, mais pas systématiquement, McKean gauchit ses perspectives pour leur donner un caractère étrange, mais aussi pour indiquer l'état d'esprit du personnage qui contemple ou qui habite cet environnement. Il joue également sur les proportions des visages, les allongeant, les penchant, exagérant la dimension d'un front, ou des joues, ou des yeux. Ces écarts avec les proportions anatomiques rendent les visages plus expressifs, mais aussi plus vivants, comme si l'artiste avait saisi un soupçon de la trace d'un mouvement de tête, de bouche ou des yeux. Le lecteur se rend compte que le mode de dessin ou de peinture varie en fonction des séquences : formes détourées avec un trait de contour encré, aquarelle diaphane, peintre à l'huile ou à la gouache pour des séquences oniriques muettes, motif complexe intégré en arrière-plan. Le lecteur ne retrouve pas de manière flagrante des photomontages comme pour les couvertures de Sandman, mais l'artiste a expliqué qu'il avait dessiné chaque planche de manière traditionnelle ou en tout cas sur un support physique, avant de les traiter l'infographie, soit simplement pour les nettoyer et les rendre propres à l'impression, soit en les complétant, modifiant, triturant avec des effets spéciaux.



Il ne s'agit pas pour l'artiste d'étaler sa maîtrise de telle ou telle technique picturale, mais d'exprimer ce qu'il souhaite avec les outils appropriés. Le lecteur peut d'ailleurs n'y prêter aucune attention car il est plus absorbé par ce que racontent les pages, que par la manière dont elles ont été réalisées, cet aspect n'étant pas démonstratif. En fonction de sa sensibilité, certaines images ou certains propos attirent plus fortement son attention, ou génèrent une émotion ou un écho plus parlant. Il peut ressentir plus d'empathie pour la mélancolie d'Arthur que pour les pensées teintées d'ésotérisme de Sokól. Il peut se sentir emporté par le vol du rapace, ou plutôt par l'utilisation d'un registre de vocabulaire sortant de l'ordinaire (bondrée apivore, bécasse, huard, mouette tridactyle, bécasse arctique, le papillon sphinx, bractée, crécelle, tégument…). Ainsi, l'auteur emmène le lecteur sur cette grève, dans les bois pour une balade avec une personne en parlant avec le vocabulaire spécifique approprié. De la même manière qu'il ferait connaissance avec une personne, cherchant les points en commun, les thèmes familiers pour établir un premier contact, les prémices d'une nouvelle relation, il se sent plus intéressé par telle ou telle remarque ou tel thème : la responsabilité du pouvoir, la relation entre le réel et l'imaginaire, la révélation que peut amener l'usage des cartes du tarot, les métaphores (le miroir est la porte, le livre est la clé), Sokól qui se sent piégé entre deux états (celui du chasseur, et celui de la proie). Il perçoit également l'amour de la nature qui se dégage de plusieurs passages, l'écart en vie civilisée et vie sauvage, les interactions à double sens entre rêveur et rêve, la vie de l'esprit qui donne un sens personnel aux événements. Il peut aussi être rétif à certains passages, par exemple la cérémonie ritualisée d'une séance de tarot divinatoire.



Dans le même temps, il se dit que l'auteur l'invite à plusieurs reprises à prendre chaque passage comme une image, comme une interprétation de la réalité, une représentation sciemment biaisée pour en faire ressortir une facette sous un éclairage choisi et orienté. Il perçoit plus ou moins consciemment que le thème de l'entre-deux, de la transition est présent dans chaque séquence, la mise en scène d'un déséquilibre entre deux états opposés, réalité ou fantaisie, humain ou oiseau, artiste ou public, réalité matérielle et vie spirituelle, etc. Avec ce point de vue en tête, il se surprend à sourire quand un personnage dit que Voir n'est pas croire, comme si l'auteur encourageait le lecteur à ne pas croire les images qu'il voit. À un autre moment, Arthur affirme que ce n'est pas lui qui a écrit les phrases qui se trouvent dans le livre qu'il écrit, à nouveau proposant au lecteur de prendre du recul et de ne pas attribuer littéralement chaque image ou chaque phrase à l'auteur. Il apprécie la manière dont l'auteur imagine en toute liberté et en toute sensibilité. Il comprend mieux pourquoi Arthur a choisi le mot d'Apophonie pour le titre de son livre : l'accent que le lecteur met sur une phrase ou une image en change significativement le sens. Il y a autant d'interprétations de l'œuvre que de lecteurs : la bande dessinée est différente à chaque fois qu'elle est lue.



Dès la couverture, le lecteur sait qu'il va plonger dans une bande dessinée singulière. Il en a immédiatement la confirmation par la personnalité diverse de la narration visuelle, et par l'intrigue dont la nature ne se discerne que très progressivement. Il se laisse bien volontiers emmener dans ces déambulations sortant de l'ordinaire, une expérience esthétique, émotionnelle et spirituelle, un flottement entre deux réalités, entre deux états, une liberté imaginative incomparable qui lui donne la sensation de se détacher d'un monde convenu et prévisible pour dériver dans un monde imaginaire qui lui permet de considérer autrement son existence, d'y retrouver du merveilleux. Chef d'œuvre.
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Cages

Cages, roman graphique de Dave McKean, je suis tombée dessus dans une librairie, l'ai feuilleté et ne m'en suis plus décollée jusqu'au moment où le libraire me dit d'une voix on ne peut plus polie : C'est l'heure de la fermeture, merci.

Je l'ai payé et suis sortie.

Pourquoi tellement happée ? Pour 1001 raisons que je vais partager avec vous :

Le titre, la couverture, la magie des lignes et des couleurs, le tissage des factures, savant et harmonieux, et ô combien surprenant en même temps: dessin, peinture, photo, collage, art numérique et le passage d'une cage, non d'une case à une autre qui contredit la cage tout en lui laissant l'isolement, la solitude, l'interrogation solitaire des grands comme des petits, de dieu, quel qu'il soit, et du chat, ça va de soi. Une atmosphère !

Une allégorie sur les mystères de la vie, où des vies se rencontrent, s'enlacent, se séparent, le mystère de la création, toute création, tout ce qui prend vie, sur une toile, dans le ventre, dans le jardin, dans un nid, dans les nuages, sa conception, sa gestation, son accouchement, son cheminement, sa fin. Mais il n'y a pas de fin.

Et l'histoire ? Il n'y a pas d'histoire non plus, ou alors il y en a plusieurs imbriquées, sans commencement, sans fin. Un artiste arrive dans une ville et y rencontre des gens étranges, et il y a un chat noir qui, telle une caméra en travelling latéral , rend visite à tous. Un bâtiment à plusieurs appartements, à Londres. Ça a l'air simple et c'est tout son contraire ! Fenêtres sur cour, tout voir, ne rien voir, imaginer avec et sans danger.

Le mystère et la complexité vont ensemble à plusieurs niveaux du dessin et du sens de la compréhension. Un voyage sans destination, une musique sans partition, une curiosité sans objet, un plaisir tout entier.

La composition est magistrale, les dessins ont la force, le rêve, l'expression et l'épure et les photos y trouvent leur place comme si elles avaient poussé naturellement, le tout crée un style évocateur, une vision intrinsèque, une atmosphère à sentir et pas à définir, une pièce musicale bien plus qu'une histoire, un forage en soi, un regard sur l'ensemble et un autre sur le détail, le texte et le dessin se répondent, se complètent, sont complices. Même que souvent la ligne, magistrale danse des lignes et des ombres, dit chut au texte qui s'y plie de bon gré.

Et les dessins m'entraînent, me transportent d'une cage/case à une autre, d'une énigme à une autre, des histoires en abîme, une sorte d'oignon qui ajoute à chaque fois une feuille à sa collection et toutes se font écho, un arrangement orchestral où les cuivres répondent aux cordes, les basses aux aiguës dans un ensemble sans fausses notes, et dont l'harmonie ne s'offre pas facilement, faut entrer dedans.

Une pointe surréaliste, le texte copine avec l'humour simple et naïf, festoie avec les mythes, visite Kafka et Beckett, passe un moment dans l'atelier de Schiele, s'effraie mais ne fuit pas devant certaines grandes gueules révoltées, violentes et intolérantes, le sens a une très longue portée.

Réalisme magique et métaphysique, ça pourrait sembler un peu trop, ce ne l'est pas, car le dosage est finement travaillé et ajusté pour que l'harmonie s'y retrouve sans corset et mon plaisir aussi, immense ; les ombres ne font pas peur, les cages non plus, même s'il s'agit de sortir des petites pour entrer dans de plus grandes et très noires.

Charlie Parker, John Coltrane et Miles Davis y trouveraient leur musique, le jazz "wild and free".

Livre dense, riche, toile somptueuse de 1000 petits détails, aucun superflu, de larges coups de brosse enveloppant nos craintes, nos joies, nos peines et nos malheurs, dans une spirale qui tourne à l'infini, revient sur elle-même de temps en temps pour s'élancer après au-dessus des toits, vers les nuages et leur sourire sans réponse. Un voyeurisme, comme voyage intérieur, au delà des masques qui cachent à peine, au delà d'une simple curiosité, dans un effort de compréhension, dans une envie de dialogue, à la recherche d'une relation, ou d'un lien avec l'autre, tâche ardue, avec peu d'adhérents, mais la récompense est sans prix quand l'âme trouve sa nourriture et quand le masque tombe.

Un livre sur le créateur et sa création et si sa création est l'homme eh bien ce n'est pas toujours une réussite, plutôt un gâchis, c'est ainsi, et les nuages continuent à filer et l'homme n'en est même pas conscient.

La création possède, à son insu ?, une étonnante et souple discipline face à l'incertitude et elle en fait une amie, contrairement à la discipline de fer de tous ceux qui ne croient pas que l'incertitude existe.

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La comédie tragique ou la tragédie comique de M..

Intrigué par la couverture, j'ai emprunté cet ouvrage à la médiathèque dans laquelle je travaille sans trop savoir ce qui m'attendait. Je pensais y découvrir quelques histoire de lutins ou quelque chose dans ce genre et qui me divertirait voire m'amuserait mais il n'en est rien...bien au contraire.

Ici, on découvre l'histoire d'un jeune garçon qui va grandir trop vite, malgré lui en étant confronté aux problèmes des adultes bien trop tôt. Si il n'a pas saisi toute la porté de ce qu'il voyait étant enfant, cela restera gravé dans son cœur à tout jamais et ce n'est que plus tard qu'il comprendra toute la signification. Comment un spectacle de marionnettes pourrait-il à ce point marquer la vie d'un enfant au pont même de le traumatiser me direz-vous ? Impossible au premier abord mais c'était sans compter sans la cruelle démonstration de Punch and Judy. Punch, dans l'histoire, est en effet, un horrible personnage qui ne fait que le mal autour de lui, en commençant pas tuer le bébé, puis sa femme et cela en allant crescendo. Certes, ce n'est qu'un spectacle mais les personnes qui montrent ce spectacle, qui sont-elles réellement ? Il s'agit bel et bien d'hommes de chair et de sang et comment font-ils pour supporter pour se détacher des personnages une fois le spectacle terminé ? En réalité, derrière cette farce grotesque où apparaît le diable en personne se trament des histoires d'adultes, bien réelles cette fois-ci et qui ne sont pas forcément ni plus drôles ni moins dramatiques que ce qui se déroule sur scène.



J'avoue avoir été complètement déstabilisée par cette lecture et ne pense pas avoir réellement saisi toute la portée des messages que les auteurs veulent nous faire passer et ce, à mon grand regret car du coup, je ressors de cette lecture douce amère avec un sentiment partagé, comme quelque chose d'inachevé. Le graphisme est exceptionnel, mélange de dessins et photos, propre à un bon roman graphique. L'histoire ou devrais-je plutôt dire les histoires extrêmement bien ficelées et qui ne manquent pas d'imagination mais dans lesquelles je n'ai pas réellement réussi à m'immerger complètement et c'est bien dommage. A découvrir !
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Celluloid

J’ai ouvert ce livre à la médiathèque parce que j’étais intrigué par l’image de couverture, un graphisme pas du tout conventionnel, j’ai ouvert quelques pages vers le milieu, le traitement teinté de surréalisme m’a tout de suite attiré, c’est après que je remarque une petite étiquette sur la couverture “Public averti”.

Dans le livre, pas de mots, mais ce livre n’a rien à voir avec une simple suite d’images suggestives. Dave McKean explore l’univers du fantasme, pas du tout à la manière de Crepax ou Manara. C’est un travail sur l’image et le désir, le personnage central est une femme, elle rentre dans son appartement, son amant, est retenu au travail, il ne peut la rejoindre. Elle se met un film, avec un vieil appareil de projection pour bobines celluloïdes. Les images du début sont traitées avec un trait fin, sec, de surfaces claires, de beiges et verts, et le trait et les couleurs vont se transformer en fonction des fantasmes de la femme. On démarre sur une référence à Egon Schiele, ou la peinture de la période bleue de Picasso, puis on évolue vers un expressionnisme plus coloré, plus en surfaces sombre et les formes s’inspirent ensuite d’un graphisme post-cubiste, et surréaliste, quelques références à Picasso, Dali, Chirico et même Tanguy et Miro, pour revenir ensuite, avec quelques intégrations de photos vers un travail plus en effets de matière, sur le grain, la lumière... C’est très sensuel et onirique, les sens sont en émoi, on ressent le trouble et l’ivresse à travers le graphisme, et même les mouvements artistiques évoqués prennent une autre dimension et ne peuvent plus être vus de la même manière. On est très loin de la Bande dessinée SM, Dave McKean ne tombe jamais dans les clichés de la soumission, du rapport de force et de pouvoir dans la relation sexuelle tellement imbuvable dans une grande partie de la littérature érotique et pornographique. Le terme de pornographie est d’ailleurs pour moi trop axé sur l’idée d’excitation du lecteur pour pouvoir s’appliquer ici, l’auteur se concentre sur celle de son personnage avant tout, mais certaines scènes sont tout de même très crues. Ici, Dave McKean représente le désir, la montée de l'excitation, le plaisir, l’orgasme, avec une véritable exploration graphique, l’image raconte des sensations, c’est ce qui est très fort dans cette bande dessinée, et trop rare dans l’univers de l’érotisme et de la pornographie.

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Mes cheveux fous

Masse critique "imaginaire" Nov. 2012



La curiosité est un fort joli défaut! Oui, oui! Bye bye messieurs les moralistes! Bienvenue dans la douce folie du tandem Gaiman-McKean (qui n'avait plus rien à prouver mais qui le prouve quand même)!



La petite Bonnie vient mettre son nez dans le délire capillaire d'un grand échalas chevelu un tantinet dépeigné. Ca décoiffe pour le moins. On ne lui avait pas appris la politesse, à Bonnie? Franchement, ça ne se fait pas de se planter devant quelqu'un pour lui faire remarquer que ses cheveux sont fous! Bon, même si ça ne se fait pas, elle l'a fait. Et l'échalas chevelu ne se formalise pas. Il répond l'échevelé.

Ben oui, il a les cheveux fous comme le monde de Prévert. Il a les cheveux fous et conserve son sourire.

Dans l'abracadabrante tignasse, nichent nuées d'oiseaux et perroquets colorés, dorment des paresseux, s'abritent des félins, s'égarent des explorateurs, dansent des danseurs. Survolés par un bataillon de montgolfières, les poils crâniens recèlent piscines, toboggans et manèges. "On s'amuse comme des sapajous au milieu de mes cheveux fous". Faut même se garder des pirates filous, c'est dire!



C'est bien joli tout cela, mais Bonnie, ça la défrise. Elle dégaine un peigne, histoire de mettre bon ordre dans cette différence de mauvais aloi. Elle lisse les mèches, démêle les noeuds rebelles, frotte les poils récalcitrants. Oui mais… Fou un jour, fou toujours. La chevelure la happe. V'la Bonnie, désormais bien au chaud dans les cheveux fous, qui vient rajouter un grain de fantaisie à toute cette extravagance. Va finir les doigts de pieds en éventail, la morpionne, bien décidée à ne jamais plus bouger.



Comme quoi…

Faut s'accepter tel que l'on est (aurait pu dire l'échalas qui ne cause que de ces cheveux)

Faut accepter la différence (aurait pu dire Bonnie qui ne cause que des cheveux de l'autre).

Finalement, il y avait une morale dans ce méli-mélo (dixit moi qui me découvre une fibre capillaire).



Les phrases s'enroulent dans les poils en délire, les mots fondent leur poésie dans le chaos graphique, les couleurs chantent l'imaginaire. Les deux pieds dans le merveilleux, on patauge avec ou sans grâce (selon son bon vouloir ou son âge) mais on patauge joyeusement.

Cinq bonnes grosses étoiles à rajouter à ce fatras ébouriffant que je ne céderai pas à la marmaille familiale. Dussé-je me tondre!

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Batman : L'asile d'Arkham

Dirigé par le Joker, les fous ont pris le contrôle de l’asile Arkham. Cernés par les forces de la police, ils menacent d’égorger les psychiatres et les infirmiers pris en otages, si Batman ne se livre pas à eux. Le justicier accepte de se rendre dans les entrailles de l’asile pour y affronter ses vieux ennemis, entraînant le lecteur avec lui dans une plongée dans un dédale hallucinatoire, où démence et raison, rêve et réalité, passé et présent s’entremêlent et se confondent… En parallèle, on découvrira l’histoire dramatique du fondateur de l’asile, Amadeus Arkham, un malheureux philanthrope qui, après avoir créé l’établissement pour aider et soigner son prochain, finira par succomber au vice enfermé dans ces murs.



Je ne suis pas particulièrement amatrice de super-héros, mais j’ai toujours gardé un petit faible pour Batman, pour son humanité et sa noirceur. De tous les justiciers, il est peut-être celui dont la psychologie se rapproche le plus des criminels qu’il poursuit et emprisonne. Grant Morrison et Dave McKean prennent directement le taureau par les cornes en posant la question de la santé mentale du justicier : ombre meurtrière rongée par la douleur et la colère, la place de Batman n’est-elle pas parmi les déments ? Une question angoissante qui plane sur tout cet album aussi captivant que troublant. Car la thématique principale de « L’asile d’Arkham » est la folie. Une folie qui imprègne chaque page, chaque case. La folie des criminels, celle des psychiatres fascinés par le vice qu’ils devraient soigner, celle du justicier obsédé par la vengeance…



Comme on peut s’en douter, la lecture de « L’asile d’Arkham » n’est pas de tout repos : Grant Morrison a orchestré son histoire comme un long cauchemar, parfois décousu comme peuvent l’être les rêves, mais toujours fascinant et horriblement prenant. Son scénario est magnifiquement servi par le dessin halluciné de Dave McKean (le très talentueux illustrateur des couvertures de la série Sandman de Neil Gaiman). L’album ne serait surement pas ce qu’il est sans son talent. Il parvient à créer une ambiance sans pareille, angoissante et d’une noirceur absolue comme une plongée dans un gouffre sans fond, mais aussi empreinte de poésie et parfois même de touches d’humour noir inattendues.



Et si cette description ne vous a pas décidé à vous lancer dans la lecture de cet album, amis amateurs de chauve-souris, je tiens à souligner un dernier point en sa faveur : « L’Asile d’Arkham » est probablement le seul album de toute la série des Batman où l’on voit le Joker mettre la main aux fesses de sa némésis ! Alors, convaincu ?

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Cages

Écrire une critique sur ce roman graphique, c'est un peu comme le serpent qui se mord la queue, le sujet même du livre est sa propre critique, d'ailleurs, une mise en abîme apparaît régulièrement au fil des pages.



Un immeuble habité par différentes personnes, on passe de l'un à l'autre de ses habitants, un peintre en mal d'inspiration, un écrivain vivant caché, la concierge, un musicien, une femme qui a perdu son mari… et un chat de gouttière qui semble faire le lien entre tous ces personnages, passant d'un appartement à lautre. J'ai eu en tête "La vie, mode d'emploi” de Georges Pérec. On semble déambuler autour de ce microcosme, abordant des sujets divers, le sujet de la création artistique, son accueil vis à vis du public, la vie, les relations, tout un univers à dénicher au fil des pages. je vous conseille l'analyse de Présence, :

« du coup, le plaisir de lecture dépend de l'investissement et de l'implication du lecteur dans son interprétation, de sa capacité à se mettre en phase avec les personnages, avec le ressenti de l'auteur. »



Les clés sont à trouver vous même, la plus évidente, c'est la référence Salman Rushdie avec le personnage de Jonathan Rush, mais il y en à tout un trousseau, il m'en reste surement encore beaucoup à découvrir. c'est une “oeuvre ouverte” selon la définition d'Umberto Eco. Elle prendra des aspects variés suivant les différentes lectures. Assez hermétique, mais plutôt réjouissant, nous invitant à la réflexion.



Le graphisme participe à cette réflexion : brut et anguleux, en noir, agressif et vif, agrémenté dune couleur comme en bichromie, parfois certaine vignettes sont une peinture en soi, parfois la couleur vient ponctuer, devenant même l'opposé de la sècheresse du graphisme général, évanesçant, brouillé, mêlé parfois de photos. Parfois les formes tendent vers plus d'abstraction, le graphisme évolue au fil des doutes, des questionnements.



Je crois que je n'arriverai pas à en dire plus, il n'y a pas vraiment d'histoire, il y a “DES” histoires, certaines triviales, d'autre sensible, d'autre encore fantastique. Dave McKean nous offre ses doutes, ses questionnements, à nous d'y coller les nôtres.



J'ai adoré, mais c'est totalement subjectif.
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Batman : L'asile d'Arkham

« Batman : L’asile d’Arkham » est l’une des plus étranges bande dessinées que j’ai lue au cours de ma vie.



Le mode narratif est volontairement atypique et met en parallèle le parcours de Batman avec celui du professeur Arkham qui hérita de la propriété dans les années 1920 pour en faire un asile, avant de lentement basculer dans la folie après le meurtre de sa femme et de sa fille par un de ses malades.



Mais plus que le fond, c’est surtout le style unique de Dave Mc Kean qui se montre complètement en rupture avec l’approche traditionnelle des comic books.



Chaque page est une œuvre en elle même mélangeant dessin avec peinture et photographie pour produire des personnages monstrueux plus suggérés que franchement dessinés évoluant dans une pénombre quasi absolue.



Le résultat est incroyablement terrifiant et donne une grande impression de malaise qui ne vous quitte pas de la première à la dernière page.



Ceci contribue à faire de « Batman : L’asile d’Arkham » une aventure oppressante qui ne laissera aucun lecteur indemne et provoquera par la suite assurément beaucoup de cauchemars.



Principal reproche à cette œuvre, sa noirceur inimaginable proprement étouffante par l’exploration des replis les plus douloureux et abjects de l’être humain.
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Signal / Bruit



Existe-t-il un rapport entre les apocalypses collectives et les apocalypses individuelles ? Appréhende-t-on différemment le deuil de soi-même et du monde lorsque, dans un cas, il concerne l’humanité, et dans l’autre, la seule sphère de son individu ?





Le duo Gaiman/McKean s’interroge sur cette question dans leur roman graphique Signal/Bruit. Jamais apocalypse ne semblera plus attirante que dans cet ouvrage aussi riche visuellement que formellement.





L’histoire est celle d’un réalisateur de cinéma qui apprend qu’il est atteint d’un cancer alors même qu’il venait d’avoir l’idée du scénario de son prochain grand chef d’œuvre. Etonnamment, l’idée de ce film fait écho avec la situation du réalisateur puisqu’elle aborde le thème de la mort : le 31 décembre 999, à la veille du premier millénaire, quel degré de terreur avait pu atteindre les habitants d’un petit village isolé, persuadés de voir approcher la fin du monde ?

Il faut se souvenir que cet album a été initialement publié en 1992 en Angleterre –à l’approche du passage de cap d’un nouveau millénaire- et que les spéculations à ce sujet étaient alors légion. L’est toujours autant le phénomène pandémique du cancer –question qui ne posait toutefois pas encore en 999.





Le réalisateur s’éloigne et se rapproche à chaque fois de sa réalité. Il se sait condamné, et accepte de ne pas avoir le temps de réaliser son chef d’œuvre et de le transmettre au public. Il ne se résigne toutefois pas complètement à l’idée d’enfermer son scénario dans un placard et commence à réaliser le film dans sa tête, visualisant toute la progression de l’histoire à mesure que le temps s’écoule pour lui aussi. Ainsi, il n’abdique pas totalement face à sa maladie, et trouve une échappatoire qui lui permet de se couper du monde l’espace de quelques heures. Cela n’empêche pas ses interrogations de revenir sans cesse. Les apocalypses –globales ou individuelles- se répondent. Le monde est chaotique, ce que traduit le titre de l’ouvrage : à un signal doté de sens –acte déclencheur à la portée rationnelle- succède le bruit –ensemble de sons discordants et sans cohérence. Nouvelle définition de l’apocalypse ?





La lecture de cet album fait d’ailleurs courir le risque d’être envahi par le bruit… Sa forme est dense : visuellement, le graphisme transporte dans un univers sombre et électrique –rejeton froid des systèmes virtuels. Mais le texte rivalise avec cette atmosphère visuelle : très présent, il évite toutefois le bavardage, et chaque nouvelle page apporte matière à réflexion. Là où court le risque de voir émerger le bruit, ce serait lorsque le lecteur, plus absorbé tantôt par le texte, tantôt par l’image, oublierait de superposer les deux pour obtenir cet ouvrage intégral qu’est Signal/Bruit. Un autre risque, peut-être, tient au statut expérimental de cet album. La couverture au graphisme électrique pourrait nous porter à croire que nous allons nous plonger dans la lecture d’une histoire nerveuse nous présentant des apocalypses plus dévastatrices les unes que les autres. Ce n’est pas du tout le cas et l’histoire se déroule dans le plus grand calme, seulement rendue angoissée par la prédiction des désastres à venir –l’un réel : le cancer ; l’autre fantasmé : la fin du monde. Plus proche du roman que de la bande dessinée, Signal/Bruit ne se dévore pas mais se lit progressivement, avec toute la retenue qui sied à ceux qui savent que leur dernière heure est venue.






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Mes cheveux fous

Bonnie découvre un monsieur à l’incroyable chevelure. Ce dernier lui explique : « Vous savez, ces cheveux sont tout ce que j’ai, depuis mes deux ans ils ont poussé. » A tel point qu’aujourd’hui on y trouve des oiseaux, des tigres, des explorateurs en mission, des montgolfières, des manèges ou encore des pirates. Et quand Bonnie sort un peigne de sa poche pour tenter de domestiquer ces cheveux fous, un grondement retentit…



Neil Gaiman et Dave Mc Kean, quel duo ! Depuis près de 25 ans, ces deux-là ont commis ensemble quelques ouvrages remarquables comme Le jour où j’ai échangé mon père contre deux poissons rouges ou encore Signal-bruit. Gaiman est aussi l’auteur du cultissime Sandman tandis que Mc Kean a réalisé un des Batman les plus torturés (L’asile d’Arkham) et a illustré un roman graphique jeunesse époustouflant (Le sauvage sur un texte de David Almond). Bref, on a affaire ici à du lourd, aucun doute là-dessus. Avec Mes cheveux fous ils nous embarquent dans un voyage onirique haut en couleur. Le texte oscille entre la comptine et une forme de poésie plus libre tandis que l’univers graphique est proprement enivrant. Chaque double page est un petit tableau. Collage, dessin, peinture, Mc Kean compose une œuvre digne d’un plasticien. Son travail sur les textures et le mouvement est juste bluffant. Ajoutez-y des couleurs incroyables et vous vous retrouvez face à un petit bijou d’illustration.



Même si l’ouvrage est catalogué jeunesse, pas sûr que les enfants soient les plus à même d’apprécier cet album qui puise sa source dans les contes victoriens et chez Lewis Carroll. Peu importe. C’est beau, c’est poétique et ça fait rêver. Le reste…
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Cages

Pour moi, Dave Mc Kean c’était juste le créateur des somptueuses couvertures de la série "Sandman", ainsi que l’artiste de renom qui avait réussi à faire ressortir la folie ambiante de l’asile d’Arkham de façon magistrale. A présent, c’est devenu le génie qui a créé "Cages", car cette intégrale est une véritable tuerie, un OVNI du neuvième art que je classe parmi les œuvres qui m’ont abandonné bouche bée, sans voix et conscient d’avoir lu quelque chose d’exception.



Cette brique de 500 pages invite à suivre les habitants d’un immeuble pour le moins insolite. Les trois personnages principaux sont Leo Sabarsky, un peintre en mal d'inspiration, Jonathan Rush, un romancier obligé de vivre cloîtré, et Ange, un musicien de jazz qui sait jouer de tous les instruments, même des pierres. Le quotidien de ces trois artistes baigne dans l’étrangeté et permet de croiser d’autres personnages pour le moins bizarres. De cette botaniste qui fait pousser une forêt entière dans son appartement à cette ménagère paumée qui se raccroche avec nostalgie à un quotidien sans perspectives, en passant par un homme nu qui tombe du ciel ou un type coiffé de planètes et d’étoiles miniatures, l’auteur s’amuse à croiser ces nombreux destins, alors qu’à travers les fenêtres un mystérieux chat noir observe toutes les scènes d’un air intéressé. Et Dieu dans tout ça ?



A travers ces personnages, leurs craintes, leurs aspirations, leurs doutes et leur détresse, Dave Mc Kean se lance dans une réflexion personnelle sur l’Art et sur la difficulté d'en faire. C’est avec beaucoup d’intelligence et sans prétention qu’il philosophe sur la création, celle d’artistes en tous genres, mais également celle de Dieu. Et au final, cette œuvre parle de nous, de notre place dans l’univers, des cages que l’on se construit, de la vie, de la mort, de la liberté, de la religion, de la solitude, de l’espoir, de l’amour et de l’Art sous toutes ses formes.



Cette œuvre extrêmement dense, qui dévoile toute sa richesse au fil des pages, est également portée par un graphisme qui multiplie les styles et les formes avec une virtuosité déconcertante. Passant d’un dessin en bichromie assez simple à des peintures abstraites, de photographies retouchées à des montages ingénieux, Dave Mc Kean remet constamment son art en question, repousse ses limites et imprègne chaque planche d’une émotion propre, d’un langage artistique qui se place au diapason du texte. Du grand art !



"Cages" est un véritable bijou, une œuvre forte, belle et intelligente, le genre de claque qui fait réfléchir et laisse sans voix !
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Black dog, les rêves de Paul Nash

Un grand livre magnifique à regarder, sorte d'hommage à Paul Nash, artiste de guerre.

Un texte assez poétique et songeur, évoquant les drames d'une vie, l'horreur de la guerre et de la mort. Des dessins torturés, illustrant magnifiquement ces grandes pages qu'on savoure lentement. Le dessinateur a réussi grâce aux graphismes à nous transporter dans une sorte de rêve sombre.

C'est un petit bijou graphique, quelque chose à découvrir.
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Cages

Il s'agit d'une histoire complète et indépendante de toute autre, écrite et illustrée par Dave McKean, parue à l'origine sous la forme d'une série de 10 comics publiés de 1990 à 1996.



L'histoire s'ouvre avec un prologue constitué de 4 récits différents des origines du monde, 4 variations sur la création du monde par Dieu. Il s'agit de textes, illustrés par des compositions graphiques entre peintures et collages.



Le récit en bande dessinée commence page 28, avec un chat dont la silhouette se détache contre la Lune, qui descend du toit en passant devant les fenêtres d'un bâtiment appelé "Meru House" et abritant des appartements. Le chat observe les activités de chaque locataire. Puis Leo Sabarsky (un artiste) arrive dans le quartier cherchant Meru House. Il rencontre Joffrey, un simple d'esprit s'étant construit un mobile représentant les planètes du système solaire dont il s'est coiffé en guise de couvre-chef. Après une discussion à sens unique, il demande son chemin à un sans-abri. Il pénètre enfin dans Meru House, et tente de se faire comprendre de, la logeuse dont les propos trahissent une forme de logique déconcertante. Leo Sabarsky est un artiste peintre à la recherche de l'inspiration, d'une nouvelle motivation artistique. Il va rencontrer Jonathan Rush (un écrivain devant se cacher), Angel (un musicien de jazz) et Karen qui habite un appartement dans l'immeuble d'en face.



Dave McKean est un artiste à part entière qui s'est fait connaître dans le monde des comics par ses collaborations avec Neil Gaiman (Violent Cases, La comédie tragique ou la tragédie comique de Mr Punch, ou Signal / Bruit), et pour ses couvertures époustouflantes de la série Sandman.



Quand le lecteur ouvre "Cages", il commence par être un peu déçu parce que Dave McKean n'illustre pas ce récit par le biais de ses compositions complexes mêlant dessins, peintures, photographie et infographie, mais à l'encre, pour des dessins assez dépouillés, avec une esthétique de surface peu séduisante. Il n'y a qu'une vingtaine de pages réalisées à l'infographie, soit un très petit nombre par rapport à ce récit de près de 500 pages. En outre, ces dessins à l'encre ne sont rehaussés que par une seule couleur, un gris (entre gris acier et gris souris) assez froid.



Il faut donc avoir envie pour commencer cette lecture conséquente. Passés les 4 contes de la création du monde, le lecteur découvre quelques personnages (une dizaine) dont 3 principaux (les 3 artistes), des rencontres entre des individus au comportement parfois étranges, des moments de la vie quotidienne, des conversations banales, et quelques réflexions sur la créativité et les œuvres artistiques. Il s'agit donc d'un roman sur quelques facettes de l'existence, dépourvu de péripéties, au rythme un peu indolent. Les personnages sont plutôt sympathiques, mais ils gardent tous une part de réserve, une forme de distance.



C'est vrai qu'à la première lecture, "Cages" semble hermétique avec beaucoup de séquences gratuites sans rapport avec le fil conducteur et sans grand intérêt. Il y a par exemple le soliloque de la logeuse (de la page 162 à la page 175, puis de 187 à 202), dont l'esprit divague passant du laveur de fenêtre à la vaisselle, à son expérience de vendeuse, son mariage, la disparition de son mari. La regarder faire la vaisselle à la main pendant une page n'a rien d'intéressant ni visuellement, ni par rapport au récit.



De temps à autre, McKean recourt à des symboles ou des visions oniriques, et là encore le lecteur éprouve de réelles difficultés à déterminer leur sens. Ainsi pages 65 à 71, la façade de Meru House se retrouve enserrée par les os d'ailes de créatures surnaturelles et démesurées sans explication. Angel (le musicien) explique qu'il est capable de tirer de la musique de cailloux en les frottant, comme il est possible de faire chanter un verre à pied en frottant doucement son rebord. Là encore, le lecteur veut bien prendre cette information au premier degré, mais le rapport avec le reste n'apparaît pas. Le summum est atteint avec le sans abri (de la scène d'ouverture) déclarant page 325 : j'ai complètement perdu l'intrigue, exprimant à merveille l'impression du lecteur. La scène au cours de laquelle un personnage s'exprime de manière confuse en montrant des mots écrits sur des bouts de carton laisse le lecteur perplexe sur le sens de ce mode de communication, au sein de cette scène à la fois drôle et irréaliste.



Il faut donc de la patience pour s'immerger dans la narration de McKean, et découvrir au hasard d'une page, un élément éclairant, une explication. Ainsi page 255, Leo Sabarsky se définit comme un peintre topologique néo réaliste, explicitant son propos en indiquant qu'il dessine les gens comme il les ressent même si le dessin qui en résulte semble faussé. Le lecteur comprend que McKean parle de lui-même, ce qui explique ces visages asymétriques, un peu de guingois, mais effectivement chargés d'affectif.



De la même manière, au milieu d'une scène onirique (page 347), un personnage du rêve dit de manière explicite qu'un tableau a besoin d'un critique pour interpréter son sens (pourquoi l'artiste a placé un personnage derrière un arbre ?). McKean indique que le lecteur doit faire jouer son sens critique et s'interroger sur ce qui lui est raconté.



Au fur et à mesure, le lecteur constate que le thème principal est celui de l'acte de création. Le lecteur perspicace l'aura compris dès les 4 versions de la création du monde placé en tête d'ouvrage. Il convient donc d'envisager chaque scène comme se rapportant à l'acte de création. Ce point de vue ne permet pas de tout déchiffrer (pourquoi la petite fille porte un masque page 144 ?), mais il fournit la clef de compréhension principale.



Dave McKean a donc réalisé un roman graphique sur la création artistique. Il s'agit bien d'un roman dans le sens où le lecteur partage la vie de plusieurs personnages. Il est possible de détecter de ci de là de rares ressorts romanesques, tels que les 2 gardes du corps de Jonathan Rush, l'absence de soucis matériels des personnages, ou le manque d'asservissement à leur travail. Il ne s'agit que de rares éléments ; pour le reste le lecteur côtoie ces personnages comme des individus réels, les découvrant au travers de leurs paroles, de leurs interactions avec les autres, de leurs actes. Seules une ou deux séquences oniriques viennent donner un éclairage supplémentaire sur leur vie intérieure.



Avec presque 500 pages, Dave McKean a toute latitude pour aborder le thème de la création artistique sous tous les angles qui l'intéressent. Ce qui impressionne et déroute à la lecture, est que McKean n'est jamais dogmatique ou coercitif dans sa façon de s'exprimer. Il laisse les personnages au premier plan, charge au lecteur d'interpréter leurs paroles ou leur comportement au regard de l'acte de création. Le lecteur doit garder à l'esprit que McKean a composé son ouvrage, il n'y a pas de scène arrivée par hasard ou jouant les bouche-trous pour étoffer la pagination.



Du coup, le plaisir de lecture dépend de l'investissement et de l'implication du lecteur dans son interprétation, de sa capacité à se mettre en phase avec les personnages, avec le ressenti de l'auteur. Certains éléments parlent plus que d'autres. Il est par exemple assez facile de reconnaître en Jonathan Rush, un hommage à Salman Rushdie, auteur des Les versets sataniques (1988) et désigné comme la cible d'une fatwa par l'Ayatollah Ruhollah Khomeini. McKean ne se lance pas dans un pamphlet politique ; il préfère creuser la question de l'artiste qui se voit privé de ses sources d'inspiration. À nouveau il ne s'agit pas d'une réflexion de type intellectuelle, mais d'un ressenti émotionnel et affectif. Il sonde également le rapport entre l'inspiration de cet artiste et sa relation avec sa femme, dans une prise de conscience aussi feutrée que cruelle. Dans ce moment intime, le lecteur peut apprécier à quel point l'étrange concept de dessiner juste (même si c'est laid ou anatomiquement contestable) est maîtrisé par McKean et très expressif.



En fonction des séquences, le lecteur sera amené à considérer une facette ou une autre de l'artiste en train de créer. McKean propose 3 approches différentes au travers de 3 artistes différents : Leo Sabarsky cherchant à saisir la personnalité intérieure des individus, Jonathan Rush écrivain intellectuel plus intéressés par les idées et les concepts (par l'identification des schémas), ou Angel plus mystique. Le volume de ce roman graphique permet à McKean d'aborder ce sujet de nombreuses manières. Il peut établir une preuve patente que tout peut alimenter la création littéraire, même la logeuse faisant la vaisselle. McKean a recours à un dispositif narratif relevant du théâtre : il montre cette dame en train de soliloquer tout en effectuant sa tâche ménagère. Le lecteur peut voir apparaître les expressions fugaces sur son visage ; McKean capture les apparitions ténues de la personnalité de cette femme attirant l'attention du lecteur sur le fait que le quotidien dans toute sa banalité recèle la saveur des individus, pour peu que l'observateur se donne la peine de réellement regarder.



À l'opposé de ce moment ordinaire sans éclat, McKean arrive aussi faire partager les sensations les plus délicates au lecteur. Par exemple, pages 241 à 253, Leo et Karen prennent un verre attablés dans un bar, sur fond de musique jazz, en faisant connaissance. Au travers de dessins de plus en plus expressionnistes se délitant en simples traits jusqu'à en devenir abstraits, McKean installe le lecteur dans l'intimité de ces 2 personnes se découvrant et appréciant leur conversation.



En déroulant un récit de longue durée avec de nombreuses approches, McKean indique au lecteur qu'il conçoit sa vocation de créer et la réalité de manière complexe, en la considérant sous plusieurs angles, pas forcément tous compatibles entre eux. Cette façon de présenter son point de vue participe à la déroute du lecteur à qui il revient de hiérarchiser ces différentes façons de voir. À nouveau il a l'impression de participer à une conversation, d'être un acteur de sa lecture au travers de l'interprétation qu'il fait des séquences. Il a la liberté de ne pas partager le point de vue de McKean (le chat comme lien entre les individus, capable de percevoir une réalité plus complète que celle perçue par l'être humain), d'y confronter sa propre expérience de la vie. Malgré un rythme indolent, McKean couvre un large territoire thématique connexe à la création artistique. Il évoque aussi bien la part du hasard dans la vie humaine (ce morceau de recette de ratatouille récupéré par les pigeons puis par Angel), que l'asservissement volontaire de l'individu à sa profession (le déménageur littéralement écrasé par le poids d'une caisse).



À l'évidence, le lecteur n'est pas en mesure de déchiffrer ou décrypter tous les symboles conçus par l'auteur. Une séquence livre la clef de l'interprétation du visage humain surimposé à la tête de chat. Par contre, le masque sur le visage de la petite fille reste lettre morte, ou encore la similitude entre le rêve de la logeuse et le portrait chinois de Karen qui semble orienter le lecteur vers la notion de cycle, et de vie stéréotypée.



Au fil des pages le lecteur se familiarise avec les personnages qui gagnent tous à être connus, apprend à apprécier l'humour délicat de McKean (les 2 personnes âgées commentant les performances d'Angel, qui finissent par évoquer Statler et Waldorf, les 2 vieux du Muppet Show). Il apprend également à détecter l'adresse élégante avec laquelle McKean utilise le vocabulaire et la grammaire graphique : du figuratif à l'abstrait en passant par l'expressionisme, qui peuvent être imbriqués dans une séquence admirable de fluidité et de naturelle quand Karen contemple les nuages pour y détecter des formes (un exemple de paréidolie). Il s'imprègne peu à peu de la philosophie de vie de l'auteur.



McKean n'assène pas des vérités absolues et prêtes à l'emploi. Ses personnages finissent par énoncer leur conviction en une courte phrase qui conceptualise et synthétise ce qu'ont montré plusieurs séquences. Il n'y a pas de révélation fracassante sur le sens de la vie, juste des convictions sur des thèmes philosophiques comme le besoin naturel de l'individu d'identifier des schémas, ou l'importance vitale de créer, le développement de la capacité d'un artiste au fur et à mesure que passe les années (en forme de spirale).



Sans pédanterie, sans pontifier, McKean propose au lecteur de découvrir son approche de la vie par l'entremise d'un roman graphique qui a la particularité de nécessiter d'être activement interprété. Il annonce dès le prologue qu'en tant que créateur, il estime que son œuvre est un peu décevante, pas à la hauteur de son ambition de ce qu'il avait imaginé qu'elle pourrait être en la concevant avant de la réaliser (déclaration empreinte d'humilité énoncé par le Dieu d'un des 4 récits de la création du monde).



McKean a la prévenance d'expliquer son titre "Cages" dans le cours du récit. Il estime que chaque individu est en butte à ses propres limites qu'il subit ou qu'il s'impose. En tant qu'artiste, son ambition est de repousser ces limites, de sortir de cette cage (quitte à se retrouver dans une plus grande), en créant, en sortant de son cadre de référence, en quittant sa zone de confort.



Cette forme de narration est aussi sophistiquée que risquée. Il faut que le lecteur accepte de se prêter au jeu du dialogue, se familiarise avec le rythme lent du récit, accepte les méandres de la conversation. Certains passages restent hermétiques faute de culture commune entre l'auteur et le lecteur. D'autres séquences se prêtent à des interprétations multiples, voire le lecteur peut ressentir l'impression de projeter un sens sur des images ou des propos qui n'ont pas été voulus par l'auteur. Il est tentant de se dire que la pension et ses pensionnaires sont autant de symboles représentant les différentes particularités de la personnalité du personnage principal, que les éléments concrets du récit sont autant de métaphores de la vie intérieure du personnage... mais il n'y a aucune certitude qu'il s'agit bien de l'intention de l'auteur.



"Cages" est une œuvre ambitieuse, unique, à haute valeur artistique, respectant son lecteur et attendant sa participation. Elle n'est pas exempte de défauts, mais ses qualités l'emportent largement.
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Raptor

Un individu masqué et accompagné d'un faucon parcourt un territoire de bord de mer. le faucon attaque une proie, un monstre qui recrache une pièce, une insigne. L'homme faucon remet l'insigne à un homme issu d'un groupe venu à sa rencontre. Cette insigne permet d'avoir du pouvoir. Celui qui la détient peut être maire. L'homme faucon la refuse.



Dans un autre univers, Arthur un auteur, se tient devant un livre tristement. Il vient de perdre sa femme. Ed un ami, lui propose de rejoindre un groupe lors d'une réunion secrète où il pourra se mettre en connexion avec son passé.



On navigue entre ces deux univers, ces deux personnages, Arthur et l'homme faucon qui remplit sa mission de chasse à monstres. Mais leur désirs, leurs pensées pourraient être plus liées que l'on ne le croit.



Entre un homme qui cherche à être soi, à s'incarner depuis longtemps et un homme qui voudrait revoir sa femme, comment le fantastique, le mystique peut-il intervenir ? L'un et l'autre vont cheminer et se croiser pour réaliser leur destin. le message est dans le livre d'Arthur, le miroir en est la clé.



Superbe fresque mystique, proche de l'œuvre de Dante, incorporant des rites de type sociétés secrètes, Raptor est une quête de deux êtres perdus qui se trouvent, s'entraident pour dépasser un état de malaise.



Superbement illustré dans des tons sepia, voire bleutés dans certaines scènes particulières, ou des tons flous beige/marron quand le faucon est à l'œuvre.



Cette histoire est fascinante, presque envoûtante.



















































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Batman : L'asile d'Arkham

J'ai lu un article dithyrambique à propos de cet ouvrage, j'ai donc voulu le lire. Je m'attendais à être scotché... Mais pas à ce point.

Esthétiquement, c'est une claque monumentale. Il y a un mélange de collages, de dessins, de photos, pour un résultat haluciné qui fonctionne à merveille. C'est parfois tellement créatif qu'on se demande même si on lit encore une BD.

Au niveau de l'histoire, c'est pervers - normal, c'est le Joker qui mène la danse. Parfois l'histoire est un peu confuse, il manque peut-être un peu de cohérence... Même si ça me semble faire partie de ce récit qui sombre dans la folie.

Le seul vrai défaut, c'est que cette histoire est bien trop courte. Mais quelle densité ! Un régal.
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Mes cheveux fous

Bonnie fait la connaissance d'un monsieur à la chevelure folle. Dans ses cheveux, se baladent toutes sortes d'incongruités : des oiseaux, des tigres, des explorateurs égarés, des poneys marrants, voire même des montgolfières bigarrées. Voilà t-y pas que la petite Bonnie décide de mettre de l'ordre dans tout ça en y passant ... un PEIGNE ! Mais est-ce vraiment une bonne idée ?



J'ai vraiment adoré cet album ultra coloré qui parle beaucoup à l'imaginaire enfantin (qui sommeille encore dans chacun de nous). Ce petit livre m'a fait penser à plein de choses : à Jules Verne, à L île au trésor et même à Chtuluh (il est partout).



Les dessins sont très surprenants dans le style bien particulier de Dave McKean, littéralement remplis de couleurs vives dans lesquelles on ne se lasse pas de plonger.



La traduction est exemplaire. En fait, on ne sent pas du tout que le livre a été traduit, ce qui est d'autant plus à saluer que les sonorités, les rimes et le rythme des phrases sont très importants.



On ne peut s'empêcher de penser, bien sûr, que ce monsieur aux cheveux fous n'est autre que Neil Gaiman (si vous en doutez, cherchez des photos de lui sur le net, vous pourrez constater que sa chevelure est totalement immunisée contre le coup de peigne). Et de s'imaginer que ses idées folles de chaise-garous et de monde caché dans le métro londonien se glissent la nuit dans ses cheveux, il n'y a qu'un pas.



Voilà une brillante démonstration que la folie est bien plus amusante que l'harmonie, que l'imagination prime sur la raison. A mettre dans toutes les chevelures.


Lien : http://ledragongalactique.bl..
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Batman : L'asile d'Arkham

Arkham Asylum est un comic brillant, puissant, violent, complexe, rythmé et, donc, parfaitement maîtrisé par ses auteurs. Il permet accessoirement de retrouver tous les méchants récurrents de l'histoire de l'homme chauve-souris, du Joker (évidemment) au Chapelier fou en passant par l'Epouvantail ou le Pingouin. Une place de choix dans votre bilbiothèque, s'il vous plaît.
Lien : http://croqlivres.canalblog...
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