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Citations de Delphine Horvilleur (640)


On ne sait pas davantage ce que ça veut dire d'"être juif " que ce que ça veut dire de "détester les juifs". On sait juste que le judaisme, ça s'attrape par la mère et l'antisémitisme par l'amer, une aigreur terrible que rien n'adoucit ni n'explique. Va savoir si c'est contagieux, ou si ça se soigne. Pfff...
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Mon oreille d’enfant en reconnaissait parfaitement la mélodie. Elle résonnait comme du klezmer et s’y énonçait une promesse particulière. Elle disait dans cette langue mystérieuse que nous étions à tout jamais reliés à notre histoire. Ces quelques syllabes charriaient de vieilles légendes, transmises presque religieusement, de génération en génération : la conscience du malheur et le devoir d'y survivre, le souvenir de tragédies et le refus de se laisser raconter par elles
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Le jeune homme qui doute de son identité sexuelle et de son intégrité masculine vient abriter son identité à l'ombre d'une haine majestueuse et réconfortante, dans le contrôle absolu sur un féminin soumis.
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Ne lis point tout nu !
L'interprétation juive a la réputation d'aimer "couper les cheveux en quatre". De façon anecdotique, le quatre est un chiffre dont s'est emparée l'exégèse rabbinique. Il existerait, selon les textes traditionnels, quatre niveaux de lecture pour chaque verset, à la manière de quatre univers interprétatifs. Le premier niveau, ou sens littéral, s'appelle Pshat, le deuxième est Remez - le sens allusif. Puis surgit le Drash - le sens allégorique, et enfin, le Sod - le sens caché du texte.
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Imagine la scène :
Tu as face à toi un peuple increvable et hypermnésique, qui n’oublie rien et se souvient de tout. Les juifs peuvent te donner la date de naissance d’Adam, l’heure de la destruction du Temple de Jérusalem. Ils peuvent te dire le temps qu'il faisait ce jour-là et ce que le grand prêtre avait mangé au petit déjeuner.
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Et c'est là qu'elle attaque et qu'elle s'accroche, cette saloperie. Tu sais : "l'identité", comme ils l'appellent tous. C'est fou comme elle les obsède aujourd'hui. Tu as remarqué ? Elle est partout. Elle bouffe toute la place : elle fait se sentir "bien chez soi" à la maison et en manque de rien. Et c'est comme ça qu'on devient muet, con, antisémite, et parfois les trois à la fois.
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Les parents qui ont connu [la mort d'un enfant] le racontent tous : à l'instant où la nouvelle arrive, ils perçoivent que la terre non seulement se dérobe sous leurs pieds, mais que le séisme les expulse à tout jamais hors d'un territoire qui les abritait et dans lequel ils n'auront plus jamais leur place. Les voilà confinés sur une île, coupés pour toujours de la terre de ceux que cette tragédie a épargnés. Ce deuil vous dit que vous habitez dorénavant hors du monde, hors du temps, dans un lieu duquel on ne revient pas. La mort d'un enfant vous condamne à l'exil sur une terre que personne ne peut visiter, à part ceux à qui il est arrivé la même chose.
Et comme tout immigré, il vous faut découvrir une nouvelle langue, dans laquelle vous balbutiez. Aucun des mots que vous connaissiez ne peut commencer à décrire ce qu'il va vous falloir vivre.
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Je dis toujours aux endeuillés, quel que soit l'être cher qu'ils perdent, qu'ils vont devoir, en plus de leur douleur, se préparer à vivre un étrange phénomène : la vacuité des mots et la maladresse de ceux qui les prononcent. Ceux qui vous rendent visite dans le deuil, ou tentent de vous y accompagner, vous disent souvent des bêtises et parfois même des horreurs, en pensant vous apaiser ou vous soulager. Des "les meilleurs partent les premiers" ou des "au moins, il ne souffrira plus", des "vous serez à la hauteur de cette épreuve qui vous est envoyée", en passant par d'autres tentatives de greffer du sens à l'insensé. Les endeuillés doivent s'y préparer.
(...) Ces maladresses pleines de bonnes intentions, que le monde sert à ceux dont la mort a frappé un proche, se multiplient lorsque ce mort est un enfant. Car alors, chaque personne qui adresse une parole doit non seulement gérer son propre inconfort face à la finitude, mais aussi se confronter à la plus grande des terreurs humaines, la perte d'un enfant.
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Voilà pourquoi je suis non pas féministe juive mais féministe « et » juive. Parce que je crois que mon engagement féministe saura enrichir cette lecture juive des textes qui fonde mon identité religieuse. Rien n’est plus impudique que de déshabiller un texte des sens qu’il pourrait encore avoir.

(postface du 24 octobre 2017)
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Chaque génération vient, en principe, poursuivre le travail de couture dont elle hérite, en ajoutant des points, qui étoffent la lecture du texte originel et en assurent la « reprise » et la transmission. Ainsi, sur la page de Talmud, un verset de la Bible commenté par un rabbin et ensuite commenté par un autre sage, puis par un autre. Il convient à chaque génération de surpiquer le commentaire précédent, et de poursuivre une conversation cousue de siècle en siècle. La littérature juive traditionnelle est une « shmattologie ».

Marcel Proust ne procédait pas autrement quand, dans « Le temps retrouvé », il définissait ainsi son entreprise littéraire : « épinglant ici un feuillet supplémentaire, je bâtirai mon livre, je n’ose pas dire ambitieusement comme une cathédrale, mais tout simplement comme une robe ».
(p.40)
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Par simple ajout de voyelles, de suffixes ou de préfixes, trois lettres donnent naissance à autant de mots liés par un sens qui n’est pas toujours obvie*.
[…]
Dans la Bible, l’écriture n’est que consonantique. C’est au lecteur d’y placer à la fois la ponctuation et les voyelles.
(p.36)
*obvie = évident
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Quelle contradiction qu’au sein des traditions monothéistes, ceux qui se revendiquent aujourd’hui seuls lecteurs légitimes des sources religieuses soient toujours précisément ceux qui refusent d’opérer une relecture. La religion est usurpée par des « textolâtres », ces simples lecteurs qui ne peuvent revendiquer la démarche religieuse au sens pur du terme puisqu’ils ont figé le texte.
[…]
Le mot « religion » est souvent devenu synonyme de pensée magique ou de dogme puéril. Il rime avec soumission inconditionnelle, obscurantisme et irrationnalité.
[…]
Un héritage qui cesse d’être interrogé meurt. Le questionnement des sources et des rites, loin de tout dogmatisme, constitue peut-être la religion véritable. Le sens renouvelé d’un texte constitue seul sa seule fidèle lecture. En cela, je veux croire.
(mots de la fin de l’édition de 2013)
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La sagesse juive affirme qu’il faut toujours s’efforcer de commencer son propos par une blague – ce qu’en araméen on appelle « Mila Debdith’outa », un « mot d’humour » - apte à ouvrir l’esprit de celui à qui l’on s’adresse. C’est peut-être l’une des raisons d’être de l’humour juif, qui fascine tant et qu’on peine à définir. Cet humour repose souvent sur la possibilité de faire surgir le rire dans un entre-deux-sens : le jeu de mots ouvre une faille dans le langage, d’où peut surgir l’éclat de rire.
[…]
Je ne compte pas le nombre de fois où la personne qui m’invitait à parler déclenchait le rire des auditeurs en déclarant naïvement : « Delphine Horvilleur présentera son livre ʺEn tenue d’Èveʺ ». L’italique étant inaudible, nombreux sont ceux qui entendaient dans cette phrase la promesse cocasse d’une présentation, disons, originale, de la part de l’auteure. Et tant mieux, parce que, après tout, c’est exactement ce malentendu que traite le livre : du constat que la femme est toujours perçue comme un peu plus nue qu’un homme quand elle prend la parole dans l’espace public, ou simplement lorsqu’elle s’y tient.
(p.175-6)
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Et chaque génération, parce qu'elle vient après une autre, grandit sur un terreau qui lui permet de faire pousser ce que ceux qui sont partis n'ont pas eu le temps de voir fleurir.
page 179.
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Mais existe-t-il une tradition monolithique? Peut-on concevoir un texte hérité et transmis de génération en génération de façon non équivoque ? Qu'il l'affiche, le revendique ou le refoule, un système religieux est toujours composite.
Toute tradition abrite des discours minoritaires et des voix souterraines. Chaque narratif porte (ou cache) des versions alternatives, ou voilées. Ces versions, qui défient ou questionnent la norme établie, sont aussi traditionnelles que les versions dominantes ou autorisées. Elles ont autant de légitimité à se trouver là, malgré leur moindre visibilité. Elles constituent des « sub-versions », titillant la face officielle, sous la sur- face, à la manière d'un palimpseste révélé à celui qui gratte la surface de l'écrit.
Ces récits subversifs, ces fissures de texte doivent aujourd'hui alimenter les discours religieux et susciter leur autocritique. Ils constituent la voie de sortie d'une pensée religieuse mono- lithique, l'antidote à sa sclérose. Ces voix de subversion sont peut-être les meilleurs remparts contre la perversion d'un discours fondamentaliste impudent et impudique dont nous sommnes encore si souvent témoins ou victimes.
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Voiler, pour le judaïsme, au divin non incarné. c'est donc rendre accessible l'inaccessible, et visible I'invisible. C'est permettre la perception du désincarné et de l'infini par-delà les limites matérielles du monde.
De façon remarquable, les textes de la chrétienté déclinent à leur manière cette idée. Selon la tradition chrétienne, à la mort de Jésus, le voile du temple qui recouvrait le Saint des Saints s'est déchiré. Le Dieu de la chrétienté, incarné, ne rendait plus nécessaire le voilement du sacré, puisque le divin s'était enfin dévoilé.
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Telle est la toute première pudeur humaine selon la Bible : au départ tout est un, à commencer par l'humanité, « mâle et femelle ». D'un corps androgyne, non séparé, l'homme et la femme, découpés l'un de l'autre, feront dorénavant deux. Et les corps de ces deux êtres seront séparés par une membrane.
La sortie de l'Eden marque l'entrée dans un monde à la porosité limitée entre les êtres ou, à tout le moins, dans un monde où les hommes ne perçoivent plus de perméabilité totale entre eux. C'est dans ce monde que la nudité et la pudeur ont un sens. On ne se sait nu que lorsqu'on est partiellement couvert, lorsqu'on est un être membraneux, un être à la surface duquel des capteurs nous font percevoir ce qui nous est extérieur.
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Dieu a donc plongé le premier Adam dans le sommeil pour séparer le côté féminin – et non la côte - du côté masculin. La différence de traduc- tion peut sembler anodine mais elle a de lourdes répercussions. Dans un cas, la femme « côte » est un objet construit, un os, c'est-à-dire une structure partielle sculptée hors du corps d'un homme complet. Elle est un bout de son être, élément de soutien qui prend vie mais reste, par son origine, dépendante du corps premier, masculin. Dans un autre cas, la femme « côté » est une césure d'un être originel androgyne dorénavant coupé en deux. Elle est un autre sujet, et non un objet, sorti de l'organisme premier à deux genres, au même titre que l'homme. Dans cette version, les genres sont tous deux retranchés, séparés de l'entité première et indivise qu'ils constituaient.
La théorisation du rapport homme-femme, dans notre civilisation, s'est largement construite et nourrie au cours des siècles de la première de ces traductions et non de la seconde [...]
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Le modèle de la femme d'intérieur ou "domestiquée" n'est pas celui de la Bible. De nombreuses héroïnes bibliques s'illustrent au contraire par leur capacité à jouer un rôle public et politique. Plusieurs sont décrites comme des prophétesses, dont la parole, les actes et les chants guident le peuple. Parmi elles, on peut évoquer Esther, Myriam, Deborah, Ruth, Tamar, ou encore la jeune bergère du Cantique des Cantiques qui chante son désir dans l'apologie d'une féminité libre et d'une relation amoureuse non domestiquée.
Mais les littératures juive et chrétienne éditées aux premiers siècles de notre ère changent radicalement de ton à l'égard des femmes. Les écrits rabbiniques et ceux des premiers chrétiens semblent réorienter le rapport au féminin et à la femme, sans doute sous l'influence du monde gréco-romain.
La femme est soudain décrite autrement. Voilà qu'on fait "porter le chapeau" à la fauteuse de trouble, la responsable de la transgression originelle ou de la décadence humaine. Juifs et chrétiens mettent dès lors l'homme en garde contre la fréquentation des femmes, et une essence féminine néfaste par nature.
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Au nom de la pudeur, toute surface visible ou audible est rendue potentiellement obscène. Chez la femme, la zone d'exposition impudique s'étend au corps tout entier, jusqu'à inclure des éléments anatomiques cachés, comme les cordes vocales. Son corps est ainsi plus nu que celui d'un homme, car il l'est à la fois dehors et dedans, exposé même quand il est couvert. Ce qui, chez l'homme, porte la parole et traduit la pensée -la voix -, constitue chez la femme une génitalité. Le féminin porte atteinte à la pudeur, non seulement dans l'exhibition de ses organes sexuels, mais aussi dans celle de sa tête, érotisée.
Cette obsession constitue-t-elle la pathologie d'un groupuscule ou est-elle légitimée par la tradition? L'obsession du sexuel est-elle d'origine textuelle?L'interprétation des textes pousse-t-elle fatalement à attribuer aux femmes la responsabilité du désir irrépressible qu'elles suscitent?
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