Gérald, Anne et leur fils Pierre viennent de s’installer à Amercoeur, un petit village des Ardennes. Pour ce couple de citadins, c’est un changement radical et Anne a bien du mal à trouver sa place dans cette vieille maison aux meubles surannés qui l’oppresse. Angoissée, sa nouvelle grossesse la fragilise encore plus et Pierre, enfant autiste qui n’a jamais parlé, devient la pierre angulaire des disputes avec son mari. Le couple bât de l’aile et, tandis que Anne se perd dans la culpabilité dû au manque d’amour vis à vis de son fils, Gérald s’échappe de plus en plus pour étudier les superstitions locales, bien décidé à relancer sa carrière de réalisateur. Mais c’est sans compter les habitants du village autour desquels tous les évènements se cristallisent, entre sauvagerie humaine et rites fantastiques.
Dès le départ de cette histoire, nous sommes projetés dans une ambiance délétère et menaçante qui annonce un certain tragique. Les premiers contacts avec les voisins d’apparence sympathiques cachent des ombres menaçantes que nous découvrirons plus loin. Il y a Mr Renard, le fermier intrusif qui s’approprie le téléphone tandis que son fils dégénéré et obsédé sexuel rôde. Plus tard, c’est le curé Schonbroodt qui vient saluer ses ouailles et tente de les ramener dans le giron de l’église en tentant de les convaincre que la télévision est le suppôt du malin. Enfin, il y a la Belette, une jeune femme un peu étrange qui semble vivre en communion avec les animaux.
Peu à peu, de curieux évènements se multiplient, accentuant la peur et l’angoisse d’Anne. Délaissée par son mari qui coure la campagne, elle se retrouve seule face à des faits inexpliqués : animaux sacrifiés dans la maison, rêves perturbants, pouvoir régénérant de son fils. Réalité ou fantasme ? Quelqu’un cherche-t’il à lui faire peur ? Pouvoir de sorcellerie ? Les réponses et l’apaisement se trouveront auprès d’une sculpture de Démeter, déesse de la fécondité et dans « l’appel de la salamandre » et le pouvoir du feu.
Didier Comès a l’art et la manière de nous emporter dans un récit qui se transforme peu à peu en conte fantastique. On imagine aisément l’histoire narrée au coin du feu dans une pénombre qui laisse croître la peur de ses auditeurs. De fait, l’histoire de La belette met rapidement mal à l’aise et laisse affleurer un parfum d’inquiétude à travers la description de la vie au village. Quant les premiers éléments fantastiques viennent interférer, on ne peut être surpris de cette part qui se dévoile alors tout à coup. C’est en suivant les découvertes et les angoisses d’Anne que nous prenons la mesure de ces forces invisibles, avant d’y voir bientôt son fils associé. Personnages faibles en bute au manque d’amour et à la culpabilité, ils vont pourtant se révéler les grands gagnants de cette histoire, riche en figures égoïstes et détestables. Les habitants, friands d’espionnage et de cancanneries, cachent tous un visage haineux, envieux, intolérants et semblent prêts à tout pour mieux servir leur propre cause. Seuls La Belette et son père échappent à ce triste portrait qui brosse une image de la campagne profonde particulièrement archaïque. Une manière d’introduire à la perfection l’opposition entre une foi intolérante qui frise le fanatisme à un culte païen qui se veut en communion avec la nature et les animaux. Je vous laisse deviner qui en sortira grandi.
Le dessin en noir et blanc typique de Comès se révèle d’une grande force. Les grands aplats de noir accentuent le poids de l’intrigue, les paysages se veulent oniriques tandis que les personnages se parent d’une esthétique androgyne. J’ai, pour ma part, longtemps cru que la Belette était un homme avant que sa nudité ne soit dévoilée. Les visages et les corps sont pour certains très allongés tandis que les habitants corrompus offrent des faces plus tordues et grimaçantes. Bien que réussi, on regrettera dans ce dessin le manque d’expressivité des personnages qui semblent figés et extrêmement froids. Les dialogues paraissent mal énoncés et la façon dont Anne accepte la présence du fantastique dans sa vie est un peu trop rapidement amenée.
Pour autant, La Belette reste une œuvre extrêmement forte dont on garde longtemps en mémoire l’ambiance et les protagonistes. Deuxième album de l’auteur, ce récit aux accents fantastiques a de quoi faire frissonner ses lecteurs. Offrant un monde rural pétri de mysticisme et de paganisme, il nous fait entrer de plein pied dans un affrontement entre les êtres que ruralité et modernité séparent. La perte de repères se fait jour dans la peur, la violence et la mort avant de basculer dans un retour aux sources purificateur. Une manière d’appréhender notre monde qui n’a absolument pas vieillie.
30 ans après sa parution (1983), La Belette continue de séduire et de fasciner.
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