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Critiques de Drago Jancar (145)
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Et l'amour aussi a besoin de repos

La photo d'une rue de Maribor (actuelle Slovénie) qui sert de fil conducteur à l'auteur m'a fait penser à la construction du livre d'Italo Calvino « Si par une nuit d'hiver un voyageur » qui a raconté l'histoire de l'histoire en écrivant ce qui lui traversait l'esprit. Drago Jancar anime deux des personnages de cette photo : une jeune femme qui devient Sonja et un officier nazi, Ludek devenu Ludwig.



Le présent roman démarre fin 1944. Sonja, reconnaît l'officier SS, un compatriote passé à l'envahisseur, et intervient auprès de lui pour faire libérer son fiancé, Valentin, soupçonné d'être un partisan. Une fois les trois personnages campés, le rythme s'accélère et la tension monte.



La Styrie, ancien land autrichien, est sous la botte nazie depuis 1941. Certains jeunes gens ont rallié les rangs allemands, d'autres ont choisi la résistance. Comme dans tous les pays occupés, la population se méfie peu à peu de ses voisins, connaît la peur, les dénonciations et les trahisons. Les contrôles et les arrestations sont monnaie courante, les tortures et les mises à mort quotidiennes. le pouvoir soudain de l'uniforme et de la fonction est parfois pervers.



La guerre est atroce partout, les faits de guerre se ressemblent mais ce qui distingue ce roman c'est qu'il se passe en Europe centrale et qu'une grande partie du livre se déroule dans le maquis et raconte le quotidien des résistants qui se déplacent sans arrêt, qui souffrent de faim, de froid, du manque de vêtements et de chaussures mais qui sont prêts à donner leur vie pour leur pays. L'âpreté des paysages – magnifiques en temps de paix -répond à celle des hommes, à la folie meurtrière de certains, à l'amitié à la vie à la mort d'autres, à la peur qui noue les tripes, qui force le courage ou révèle la lâcheté. Beaucoup de ces partisans suivront les communistes de Tito.



Des questionnements poignants mais nécessaires sur la réalité de la guerre, sur les réactions qui rendent insensibles pour ne pas perdre son intégrité ou tomber dans le désespoir, sur les retombées de la violence après la fin des combats, sur l'attitude à avoir avec les prisonniers allemands et les collabos. « Et personne n'est ce qu'il était ou ce qu'il aurait voulu être »



Les trois protagonistes principaux vivent leur destin qui, pour aucun, après la guerre ne sera une étape joyeuse. Ce n'est qu'à la fin du livre que l'on connaît la dimension dramatique du sacrifice de Sonja pour sauver son amoureux. Libérée de Ravensbrück et cassée à jamais. le livre doit son titre à un poème de Lord Byron :



Car l'épée use le fourreau

Et l'âme épuise le coeur,

Et le coeur doit faire halte pour souffler

Et l'amour aussi a besoin de repos.



Ecriture sensible et réaliste, l'auteur ne s'appesantit pas sur la violence de la race humaine mais il ne l'élude pas non plus et le présent roman est à la fois haletant dans son histoire parfaitement construite et cruelle mais aussi pleine d'amour et de mélancolie. le contraste est parfois saisissant.



Drago Jancar est né à Maribor (Yougoslavie à l'époque) en 1948 et a probablement été fort marqué par les souvenirs d'internement de son père qui luttait contre les nazis. Lui a été rédacteur d'un journal étudiant et ses prises de position contre la dictature de Tito lui ont valu des mois de prison. Il lutte pour la démocratisation de la Slovénie et, de manière plus générale, s'interroge sur la participation des intellectuels dans les conflits nationaux. Les prix littéraires de tous ordres pleuvent sur lui.



Un tout grand merci à la Masse Critique de Babélio et aux éditions Phébus de m'avoir permis de découvrir cet auteur bourré de talent. A suivre assurément.

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Cette nuit, je l'ai vue

« L'air du paradis est celui qui souffle entre les oreilles d'un cheval – proverbe arabe ».



Je suis entrée dans ce livre en toute quiétude ayant déjà pu apprécier l'écriture de Drago Jancar lors de la parution « Et l'amour aussi a besoin de repos » et j'en suis ressortie bouleversée et éblouie.



Si certains auteurs possèdent une écriture distanciée, qui nous laisse de marbre, Drago Jancar est l'exact contraire. Et je dois saluer la traduction d'Andrée Lück-Gaye : l'héroïne du roman a dû l'ensorceler pour parvenir à tel rendu. J'ai eu les larmes aux yeux presque du début à la fin, touchée, remuée par la beauté du texte, par cette sensibilité qui s'en dégage, cette fine connaissance de l'âme humaine, cette nostalgie qui sied si bien aux slaves. Je suis et resterai toujours émerveillée par ces auteurs qui possèdent cette capacité de nous communiquer leurs émotions, de nous les approprier, à la manière d'un Zweig.



Dès les premières pages, l'intensité émotionnelle qui se libère de la plume de l'auteur est omniprésente, puissante, attachante. L'écriture est belle, douce et délicate, fluide, passionnée. le drame se situe à la fin d'une sinistre période, celle de la seconde guerre mondiale, en 1944, et porte en elle la dualité des relations humaines – l'amour et la haine.



« Que sont devenus Véronika et Léo Zarnik, disparus un matin de janvier 1944 de leur domaine de Podgorsko».



Le livre se partage en cinq chapitres. Chaque chapitre donne la parole à une personne proche de l'héroïne, Véronika Zarnik. Deux femmes, sa maman et la gouvernante, qui la chérissent et attendent son retour ; trois hommes qui l'auront soit aimée soit désirée mais qui se trouveront confrontés, à un moment ou à un autre, à leurs propres sentiments contradictoires. Tout le livre se concentre sur Véronika dont l'absence alimente toutes les suppositions, tous les espoirs, depuis la disparition du couple. C'est une remontée dans le temps, parfois douloureuse, chaque intervenant tentant de trouver une parcelle d'explication à cette disparition. L'âme de Véronika hante leur sommeil, leurs voix résonnent dans une polyphonie tragique.



Véronika est un être de passions qui ne se reconnait aucune limite. Elle se veut libre à l'image des chevaux qui courent dans les prairies. Elle monte à cheval, elle conduit, elle pilote, elle croque la vie à pleine dents, elle aime les êtres, les chevaux pour lesquels elle s'insurge contre leur sacrifice sur les champs de bataille, les animaux, la musique, l'Art en général. Imaginez-la promenant un alligator comme son animal de compagnie. Elle veut vivre comme si la guerre n'existait pas, d'ailleurs, elle refuse que l'on en parle devant elle. Elle reçoit dans sa demeure aussi bien des uniformes allemands, comme elle peut aider, avec son mari Léo, les partisans communistes, acquis au Maréchal Tito. Elle est si mystérieuse, si hors du commun, si sensuelle, qu'elle suscite attachement, tendresse, intérêt tant des femmes que des hommes.



Mais voilà, dans cette période de fin de guerre, où l'envahisseur est fragilisé, où les partisans reprennent le terrain, est-il possible de vivre dans l'insouciance sans tenir compte du contexte douloureux dans lequel est plongé la Yougoslavie, sous occupation allemande? C'est sans compter avec la versatilité de l'être humain.



L'analyse des personnages est profonde. Leurs sentiments, leurs contradictions, leurs motivations, leurs états d'âmes sont parfaitement disséqués, rendus. le récit est un beau plaidoyer contre la guerre à lui seul. Il souligne à quel niveau d'abjection, l'individu « sans histoire » peut se corrompre. C'est dans les toutes dernières pages que le voile sera levé.



Ce livre possède un grand intérêt historique. Il m'a permis d'approfondir quelque peu mes connaissances sur ce pays mais surtout de m'y intéresser de plus près.



« A ce moment-là, un cheval a henni bruyamment, je suis presque sûr que c'était Vranac, peut-être était-elle passée le voir lui aussi, avant de partir pour toujours, peut-être était-ce de joie quand il l'avait sentie à proximité, quand elle avait probablement, comme elle le faisait toujours, posé sa main sur ses nasaux en disant, Vranac, maintenant je vais te seller. »



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Cette nuit, je l'ai vue

Quelle difficulté !!!! Une critique de ce livre magnifique, lu dans le cadre d'un comité de lecture sur les Balkans, alors que je lis maintenant un autre livre sélectionné qui m'emporte : California dream...



Cette nuit, je l'ai vue m'a plu totalement : le fond, et la forme...

La forme d'abord... Très originale en tant que nous avons affaire à cinq narrateurs qui, tour à tour, nous présentent une perspective de l'histoire, mystérieuse, de Veronika.

D'emblée, l'histoire nous attache et fait de nous non pas de simples lecteurs qui se divertissent, mais des lecteurs actifs, qui cherchent malgré eux à anticiper l'histoire... En quelque sorte, le lecteur se voit contraint d'écrire un peu le livre : l'imagination est totalement ouverte et active... En effet, le lecteur se demande, impatient : mais qui est le narrateur ? Qu'est-il arrivé à Veronika et à son mari ? Ont-ils été tués ? Par les allemands ? Les partisans ? Comment ?

Une très belle écriture, pour un suspens mordant...

A propos du "fond" maintenant, il est essentiel de remarquer la forte présence des animaux : d'abord, le cheval. Symbole de la liberté et de l'amitié avec l'homme, jusqu'à la coappartenance :

"Les chevaux connaissent les pensées de leurs cavaliers, je ne dis pas de leur maîtres, de leurs cavaliers qui sont si souvent une partie de leur corps".

Ensuite, la grenouille écrasée qui hante et le rat. Le rat, qui représente ici et encore la mort. Une mort qui ne tue pas, mais qui ronge.... le corps et l'esprit...



Personnages touchants dans une histoire très attachante, tragique et magistrale...







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Et l'amour aussi a besoin de repos

Un cliché de photo en noir et blanc, qui s’anime. Deux personnages centrales, deux filles, une de dos, et dans le coin droit en bas, un homme en uniforme qui marche et tourne le dos au photographe....c’est ainsi que déambulent dans l’histoire de Drago Jancar, deux des trois protagonistes du roman, Ludwig dit Ludek et Sonja. Nous sommes en 1944, en Slovénie , ex-Yougoslavie à l’époque, à Maribor, “ ville libérée, rattachée à la patrie allemande”. Ludwig est allemand et officier SS, et Sonja, slovène. Ils sont tous les deux de Maribor et se sont rencontrés dix ans auparavant dans d’autres circonstances. A la rencontre de ces deux personnages entre en scène le troisième protagoniste, Valentin, petit ami de Sonja, arrêté par les Allemands. Jancar, caméra à l’épaule, suit ces personnages échappés de la photo et de son imagination, un regard extérieur qui ne juge pas .....Il va nous déployer un scénario assez classique avec sa propre vision des choses, le sel de cette histoire émouvante et éprouvante. Un ton très slave, sobre mais pourtant riche en nuances et détails subtils et sensuels, où l’auteur joue entre l’intimité profonde des personnages, leurs ambivalences et leurs apparences publiques. Comme dans le cas d’Hans et de Ludwig son supérieur qui ne rechignent pas à torturer et tuer des hommes, parlant d’un plat de rognons, dont le premier en raffole dit à l’autre, comme une plaisanterie ,”–Je ne pourrais pas regarder abattre les bêtes,....Et ensuite, retirer les rognons. Et toi ?”....de l’humour morbide qui se plante comme un clou dans l’histoire, comme celle « des clous » de Ludwig !



Je dois avouer que ces histoires de la deuxième guerre mondiale, avec ses allemands inhumains et arrogants et leur classique d’horreurs de guerre me lassent et j’évite d’en lire, mais la plume de Jancar qui m’avait séduite avec « L’élève de Joyce », et le billet d’Arabella ont été trop tentants. D’emblée, il décortique le mal avec le personnage odieux de Ludwig (« ce lézard, ce reptile, ce prédateur, »), suivi de ses subalternes, encore plus violents et plus dégoûtants. Une fois encore je suis sidérée face à l’effort, le temps, l’argent que l’homme dépense pour faire du mal, et à quel fin ? Bien qu’il soit ici question du passé, ça perdure toujours au présent, en s’amplifiant, avec des méthodes plus sophistiquées, et toujours à la base les instincts de l’homme primitif. Son récit pointe aussi le nationalisme, actuellement en forte montée en Europe et de l’autre côté de l’Atlantique et la situation de Valentin, me fait penser à un film coréen, vu récemment , “Entre deux rives”, de Kim Ki-duk: il n’y a pas les bons et les méchants , il y a ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas, et selon que celui-ci change de main, les bons deviennent très vite des méchants. Le seul faible rayon de soleil du récit c’est l’Amour. Un amour soumis au repos, lourdement mis à l’épreuve par la guerre.......



“....qu’est-ce que Dieu a à voir avec ce qu’on a fait, ce qu’on fait ? Dieu n’est ni dans le vacarme ni dans le grondement, mais dans le murmure, le frémissement des feuilles de peupliers là-bas, loin dans la plaine.”







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L'élève de Joyce

Un auteur slovène, figure nationale de la dissidence au temps de l'ex-Yougoslavie,que j'aborde pour la première fois à travers ses nouvelles.



À Trieste, l'élève de "Mr.Zois" , -dont il apprendra sur le tard qu'il était James Joyce-, qui un moment plus tôt pouvait débattre avec lui les questions philosophiques les plus complexes, confronté à une simple description d'une lampe à pétrole, il bloque; chacune de ses pensées disparaissent , laissant un vide total dans sa tête.....



Frank Rutar, représentant de commerce, lecteur avide, se comptant lui-même parmi

les plus hautes réussites de la Création, se fait piéger grave; plus jamais il ne lira par dessus l'épaule de quelqu'un, de surcroît d’une jolie jeune fille,.......



Un jeune officier de l'armée tsariste fuyant les bolcheviques pour se réfugier dans un trou perdu de l'Europe de l'Est est rattrapé vingt-sept ans plus tard, par ses propres démons ......



Son mariage prend de l'eau, coulera-t-il avant lui ?......



le Rat face à l'Homme, « deux conceptions,de l'histoire et de la culture, l'une que l'homme a écrite, développée,systématisée, l'autre qui fonctionne selon des automatismes, l'une qui est la raison du monde et son centre, l'autre qui est l'instinct du monde et l'ombre obscure de l'homme qui l'accompagne éternellement. », brillant et si juste......



Un comte slovène rencontre l'image de son destin dans une petite chapelle castillane.....



Au total dix nouvelles insolites, truffées de références littéraires. Les personnages de Jancar sont d'un niveau intellectuel élevé, parfois trop, mais voilà, leur cerveau n'étant pas réglé pour capter le simple, ils se font piéger par des faits et situations ordinaires, banales et même inexistantes.....s'ensuit dans leur tête, le vide total, pour le meilleur ou le pire. «  le vide » les attire, «  on connaît cette force qui vous oblige parfois à vous pencher au bord d'un précipice.....et qui vous attire vers la chute. ». Un vide aussi qui suscite la violence; bien que semblant bien équipés face à la Vie, ils sont aussi fragiles que tout le commun des mortels, et succombent à leur propre zone d'ombre, qui pourrait ne bien être finalement que leur destin....



Cette descente vertigineuse aux tréfonds secrets des êtres, dans un style assez particulier, où Jancar évoque plus qu'il n'explique, m'a laissée perplexe !

J'aimerais en découvrir plus !



« Et quand son bonheur resplendit au zénith, soudain arriva la chute la plus profonde ...... 
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Cette nuit, je l'ai vue

«Moi, je regarde mon visage dans le miroir et je sais qu'il n'y a plus rien, plus de Veronika, plus de roi, plus de Yougoslavie, le monde a éclaté en morceaux comme ce miroir fêlé qui me renvoie des fragments de mon visage pas rasé.»

L'écriture mélancolique et subtile, si pleine de nuances, de Drago Jancar nous plonge dans la tourmente de l'Histoire de la Yougoslavie, lors de la Seconde Guerre mondiale, avec un beau personnage qui «ne voulait absolument rien avoir à faire avec ces temps horribles».

Beaucoup de finesse, une belle utilisation du roman polyphonique - même s'il est un peu frustrant de ne pas entendre la voix de Veronika, dont les cinq narrateurs font un portrait si séduisant.

C'est qu'elle en a du charme, la flamboyante et excentrique Veronika Zarnik, avec cette joie qu'elle met à franchir ces barrières, ces traits invisibles «jusque là et pas plus loin, là-bas ce n'est pas ton monde» qu'on lui met toujours, dit-elle. Si elle a un animal de compagnie, c'est un alligator, qu'elle emmène en promenade. Elle aime conduire, non seulement les voitures mais aussi les avions. Comme la vie à Ljubljana l'ennuie vu que «Tout le monde se connaît et personne ne s'aime», elle s'échappe, elle fait des fugues, d'abord seule pour voir la mer, et puis avec son professeur d'équitation, Stevo.

Mais celle qui nous est décrite comme «Une apparition merveilleuse dans cette époque sauvage» pourra-t-elle échapper aux convulsions de l'Histoire?

Une belle écriture, un personnage qui fait rêver, un dimension historique traitée avec subtilité, et intéressante pour quelqu'un qui comme moi n'y connaît rien à la Slovénie - bref, une lecture qui m'a bien plu.
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Cette nuit, je l'ai vue

L'histoire dramatique d'une femme et de son pays.



Drago Jancar écrit un roman majestueux, passionné et grave : l'auteur slovane entrelace les faits historiques de l'ancienne Yougoslavie et le mystère d'une disparition.

La disparition de Veronika et son mari Léo Zarnik une nuit de janvier 1944 dans leur domaine de Podgorsko, au pied des montagnes.

J'ai ressenti ô combien Drago Jancar aime la Slovénie comme il aime son personnage flamboyant qu'est Veronika.

Par une force narrative puissante, l'auteur réussit à nous faire sentir la présence physique de Veronika alors qu'elle ne s'exprime jamais directement. Veronika ne vit que dans les souvenirs ou les témoignages des cinq narrateurs, très proches d'elle à un moment de sa vie.

Tous voient Veronika, mais elle est absente, elle est un rêve, un lieu inaccessible. Indépendante, non conformiste et passionnée, Veronika est insaissisable.

J'ai passionnément aimé ce roman de 200 pages lues en une soirée. Comme les ouvrages de Sandor Maraï, Drago Jancar ancre avec force l'effritement des repères culturels, sociétaux et politiques d'une Europe centrale du XXième siècle sur des individus pris au piège d'un mode de vie qui n'existe plus.

Ce très beau roman de Drago Jancar atteint ici la même perfection.

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Cette nuit, je l'ai vue

«Cette nuit je l’ai vue comme si elle était vivante» ainsi débute le beau roman de Drago Jancar hanté par une femme hors du commun, Veronika. 
Stevan Radovanovic rêve en cette dernière nuit de mai 1945. Major, commandant d’un escadron de cavalerie de la première brigade de l’armée royale yougoslave, allongé sur son châlit, dans un baraquement d’un camp de prisonniers, il croit voir Veronica dont il a été l’amant.


Il est le premier à l’évoquer et à se dire aussi «... c’est la fin, la finis du royaume de Yougoslavie, la fin du monde.»



Ce sera également pour les quatre autres témoins qui viennent à sa suite la fin d’un monde, celui qu’ils aimaient, qui va réapparaître à travers leur souvenir de Veronika : Madame Josipina, sa mère, le docteur Horst Hubermayer, médecin militaire allemand, invité et ami de Veronica et de son mari, Jozi la gouvernante et Ivan Jeranek, un paysan employé au manoir.



Le Manoir de Podgorsko acheté en 1937 ou 38 par Leo Zarnik représentera un ilot dans la tempête, une bulle de paix maintenue provisoirement en dehors du conflit par l’art de vivre de Veronika et son mari qui y reçoivent des artistes et organisent des soirées sans se soucier des événements politiques.



Petit à petit au fil de ces différents témoignages, à travers le regard de ceux qui l’ont vu vivre, va se tisser la personnalité de Veronika et apparaître les indices qui mettront sur la voie de sa disparition et de celle de son mari une nuit de janvier 1944.


Pour chacun, les souvenirs qu’ils gardent d’elle reviennent les hanter alors que la guerre qui se termine a fait basculer leur vie, l’a définitivement bouleversée. Véronika représente la vie d’avant, avec sa douceur, sa beauté, la liberté et une part d’innocence qui n’est plus.

Si Veronica reste pour tous le symbole des jours enfuis, du temps de paix, elle sera restée quelles que soient les circonstances une femme libre, fidèle à elle-même, à son amour pour la vie. Chacun se sent coupable de n’avoir pas su la retenir ou mieux la protéger mais ils se disent aussi, dans le doute, qu’elle n’en a toujours fait qu’à sa tête.



Toute l’histoire trouble de la Yougoslavie, à cette époque un royaume, avant d’être lâchée en 1945 par les alliés pour tomber entre les mains de Tito, ressurgit à travers la troublante, libre et sensuelle Veronika qui symbolise la nostalgie de l’avant-guerre, de cette mitteleuropa avec son mélange de cultures différentes.

«... elle ne voulait absolument rien avoir à faire avec ces temps horribles. Même si elle ne pouvait y échapper, à cause des gens qui y étaient profondément mêlés de gré ou de force»

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Et l'amour aussi a besoin de repos

Nous sommes en Slovénie pendant la seconde guerre mondiale. La ville de Maribor, située en Basse-Styrie, est annexée par l’Allemagne nazie depuis 1941 comme toute la région et subit l’aryanisation. Plus un panneau indicateur en slovène, plus un nom de rue en slovène, plus un mot en slovène, tout est germanisé, pire, le but nazi est d’éradiquer les slovènes et les slaves de la région. Alors la résistance voit le jour.



Drago Jancar tient-il une photographie dans ses mains ? L’a t-il observée un jour dans un cadre ou bien est-ce une carte postale trouvée dans une brocante ? ce qui est évident c’est que cette photographie l’inspire.



Il nous la décrit et s’animent alors sous nos yeux deux belles jeunes filles. La première en jupe légère à carreaux et chaussettes sombres, la seconde, dans un élégant manteau noir et avec deux belles tresses qui lui tombent dans le dos. Dans le coin en bas à droite, un homme en uniforme marche, tourne le dos et ne voit pas les jeunes filles : bottes noires, veste militaire grise, pistolet à la ceinture, en un mot, il porte l’uniforme des unités Schutzstaffel. L’image idyllique de deux jeunes filles discutant s’estompe pour laisser la place à l’année 1944.



La jeune fille avec la jupe à carreaux se prénomme Sonja. Elle regarde cet officier. Elle pense reconnaître un ancien patient de son père, médecin, avec qui, avant la guerre, ils seraient tous partis ensemble aux sports d’hiver. Malgré l’horreur que lui inspire cet uniforme, elle hésite, elle voudrait bien lui parler pour lui demander humblement d’intervenir pour libérer son petit ami Valentin Gorjan qui s’est fait arrêter. Alors, l’amour, l’espoir, la poussent à accoster l’homme en uniforme. Il s’appelle Ludwig Mischkolnig, mais avant la guerre se prénommait Ludek. Aujourd’hui, il est tellement investi et convaincu dans son rôle d’Obersturmbannführer, qu’il a germanisé son prénom. Mais « le talon d’Achille » de Sonja, c’est qu’elle est jolie et très inquiète pour Valentin.



A partir de cet instant, Drago Jancar nous propulse à Maribor. Sa plume ne nous laisse aucun répit. Les mots sont précis, le style est vif, passionné, c’est celui d’un homme expérimenté. Il nous happe tant le rythme est soutenu ; rien ne peut arrêter la destinée et rien ne peut stopper la lecture. Drago Jancar nous entraîne dans une succession d’évènements tous plus émouvants les uns que les autres, tous plus fatals les uns que les autres.



C’est la guerre, un peuple est agressé. Personne ne peut échapper à la peur, à la violence, à l’inhumanité, à l’implacable mécanique du pouvoir sur l’agressé, à cette irrésistible pulsion de mort, plus rien n’a de sens sauf détruire, posséder, violenter, vaincre et nous, lecteurs nous sentons terriblement impliqués.



Drago Jancar nous fait réfléchir sur la condition humaine, son tragique. Ayant lui-même connu la prison, s’étant opposé au régime communiste de son pays, c’est de sa vision de l’être humain qu’il nous parle et elle n’est pas séduisante, elle est même très pessimiste. Il n’y a pas de rédemption pour le salut de l’Homme ni ici bas, ni ailleurs. Lorsqu’un peuple a été sauvagement agressé, nié dans son identité, persécuté, sa revanche peut alors devenir terrible. Les vainqueurs se comportent comme leurs anciens bourreaux.



Toutes les réflexions philosophiques sont tenues intérieurement par Valentin dont j’ai vraiment partagé le sort avec le Front de Libération tant l’écriture de Drago Jancar est précise et détaillée avec une grande connaissance des comportements humains. Quant à Sonja, détruite pas la barbarie, pourra-t-elle un jour revoir la Lumière ?



Les trois acteurs de ce drame ne bénéficieront pas d’un happy end. Ils sortiront brisés de cette épreuve.



La question qui reste en suspend « comment peut-on vivre après » : le concept de résilience n’apparaît pas si évident.



Je voudrais remercier vivement les Editions Phébus et Babélio qui m’ont permis de découvrir Drago Jancar ce qui m’autorise à estimer qu’il a largement mérité les prix qui lui ont été décernés.







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Six mois dans la vie de Ciril

Pas que Ciril soit de la race des suiveurs mais l'imitation est à s'y méprendre.



Violoniste de talent, il exerce son art au sein d'un groupe, dans un troquet obscur, lorsqu'il ne joue pas dans le métro.

Vinko Globokar dit un jour, en brandissant sa énième coupette ingurgitée à l'apéro dinatoire de mam'zelle Zwickzzdebrutzw: "Slovène un jour, Slovène toujours!"

Ouais, bon, il aurait pu le dire .

C'est précisément grâce à cet état de fait que notre Ciril, au charisme aussi prononcé qu'une motte de beurre sans sel irritant se dorant la pilule en plein cagnard, se retrouvera, tout comme E.T. maison, de retour sur ses terres, dans les bagages d'un investisseur de renom ayant subitement décidé de le rapatrier parmi les siens pour cause de patriotisme exacerbé.

Štefan, investisseur et mécène à ses heures perdues, aura su convaincre notre musicos, branché sur alternatif, qu'un avenir meilleur n'attendait plus que lui au pays.



Voilà, voilà…

Tout comme son héros, le lecteur suivra, sans enthousiasme démesuré, les nouvelles pérégrinations, assaisonnées sauce nostalgie, de notre Cici imperator du violon à défaut d'Autriche-Hongrie.



Le rythme est puissamment lent.

Les regrets et moult tergiversations de Cici sont à l'unisson, à savoir un tempo et freinez!

Peu d'accroche à se mettre sous le dentier.

Cici déroule son cortège de misères sans faire montre d'un réel désir d'émancipation.

Fatalitas, sur tous les murs j'écris ton nom…



A l'instar de nos amis bovins, il m'a semblé regarder le 12h58 Angers-Angers sans qu'aucune émotion notoire ne vienne effleurer mon système limbique et ça, c'est moche…



J'ai passé six mois dans la vie de Ciril.

Six c'est bien, c'est rond. de plus, c'est un multiple de trois, c'est pas rien.

Autant rester sur une bonne, sur une favorable, enfin sur une impression.



Merci néanmoins à Babelio et aux éditions Phébus pour ces six mois qui m'en auront paru le double.

Devra faire des efforts au second semestre.



PS : j'ai adoré la couv'...
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Cette nuit, je l'ai vue

Veronika et Leo ont disparu , au début de l'année 1944 .On est en Slovénie , ou plutôt sur un territoire qui à l'époque est partagé entre l'Italie, l'Allemagne et la Hongrie.

Ils ont disparu et les témoins de l'époque vont témoigner: La mère de Veronika, un ami médecin allemand, et deux serviteurs .

Avant eux , Stevo, soldat de l'armée yougoslave et ancien amant de Veronika se souvient...



On a donc un livre divisé en cinq chapitres, chacun correspondant à une voix différente.

La première, celle de Stevo , m'a emporté . Une grande intensité dans le récit , une plongée dans la guerre, les disparités du territoire yougoslave, les minorités , l'amour. On partait sur des bases olympiques .

Et puis, le soufflet est un peu retombé, les interventions des autres protagonistes ne desservent certes pas le texte mais n'ont pas l'intensité des soixante premières pages .

Ce style de roman où les personnages se croisent et se recroisent, apportant chacun leur éclairage et leur vision d'un évènement est souvent un bon moment lecture et quand cela est réussi estompe la frustration de ne pas traverser un livre avec un "héro" .

Une lecture très intéressante, une plongée dans les Balkans à feu et à sang , autour d'un personnage mu par l'amour de l'autre, libre au point d'effrayer son entourage, loin du calcul et des manigances politiques .

On notera quand même que la folie de la guerre, qui essaime les pages de ce livre, renvoie dos à dos nazis et communistes.
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Et l'amour aussi a besoin de repos

" C'était la fin d'un soir de mai,

le premier mai, le temps d'aimer

le tendre appel des tourterelles

montait dans la senteur des pins..."



Douceur sensuelle des vers de Macha... Tristesse lancinante de ce roman slovène. Un pays où je devais me rendre l'année du confinement, où je souhaiterais encore plus aller, après avoir lu cette histoire nostalgique et prenante, se déroulant à Maribor ,au bord de la Drave, et sur le massif du Pohorje.



La ville germanophone était sous l'emprise S.S, durant la seconde guerre mondiale. Un front de libération slovène s'est organisé, se cachant dans les montagnes.



Le livre prend comme point de départ une photographie, celle de la première de couverture. J'ai beaucoup aimé cette façon qu'a eue l'auteur de l'animer, comme une séquence de cinéma, en présentant d'abord la jeune fille blonde, l'un des trois personnages principaux, Sonja. Elle se précipite vers un homme, de dos, s'éloignant sur la photo, qu'elle a connu lorsqu'elle était enfant, , Ludek, mais , travaillant maintenant pour la police allemande, il veut qu'on l'appelle Ludwig.



Elle voudrait qu'il intercède pour celui qu'elle aime, Valentin, emprisonné comme suspect. Il fait partie des résistants, ce que les S.S ne sauront pas. On se doute que Ludwig va demander une contre-partie....



On suit le destin tourmenté de ces trois êtres à la dérive, brisés. Au terme des séparations et des visions atroces de la guerre, Sonja et Valentin n'oseront plus raviver les souvenirs de ce temps heureux , ce mai plein de promessses amoureuses. Et Ludwig s'engluera dans ses délires aryens.



C'est vraiment un pan complexe de l'histoire slovène qui nous est raconté ici: trahisons, cruauté , écartèlement entre les habitants d'origine allemande et de souche slovène . Et c'est une émouvante histoire d'amour, au rythme mélancolique de vers murmurés, poésie de ce qui aurait pu être... Merci, Idil. C'est grâce à ta liste Yougo que j'ai découvert ce roman.
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Cette nuit, je l'ai vue

Emouvant, bouleversant, consternant, édifiant, désespérant. Comment qualifier autrement ce roman exceptionnel ? Peut-être une dernière déclaration d’amour à une femme exceptionnelle dans des circonstances exceptionnelles. Belle, libre, joyeuse, séduisante, excentrique, amicale, protectrice, impertinente ou ensorcelante, le lecteur ne tarde pas à se laisser gagner par le charme et l’humeur changeante de Veronika… Au pied des montagnes de Slovénie, en compagnie de son mari, riche industriel, elle ignore la guerre qui l’entoure et qui finit par la rejoindre une nuit de janvier 44, pendant laquelle ils ont quitté le manoir de Podgorsko. De l’été 45 au printemps 46, ils sont cinq à attendre de la revoir, ou au moins à recevoir de ses nouvelles. Ils auraient tous tellement voulu lui prendre la main pour l’accompagner sur cette route enneigée… Mais, pour l’heure, elle ne revient que la nuit, hanter leurs rêves, comme le titre du roman le suggère. Il y a Stevo, l’officier vaillant et compétent chargé avant-guerre de lui apprendre l’équitation et foudroyé en un instant : « Soudain elle se coucha dans mes bras et me regarda dans les yeux. Avec ta permission, dit-elle en s’allongeant dans mes bras. Comme si moi, je pouvais lui donner une quelconque permission. Ou la lui refuser ».

Il y a sa mère qui ignore où elle se trouve, se ronge les sangs en pensant qu’il aurait pu lui arriver malheur et qu’elle en est quelque part responsable. Et puis Jozi, la gouvernante du domaine familial qui, tout en ménageant la vieille dame à coups de paroles lénifiantes, imagine le pire concernant cette châtelaine si douce, si sympathique et si soucieuse de son personnel. Et le médecin allemand qui, revenant du front de l’est, fréquentait le château, venant écouter de temps en temps la sonate au Clair de lune jouée dans le grand salon par un pianiste de Ljubljana. Comme une éclaircie irréelle dans ces temps si noirs. Lui aussi a fini par rendre les armes et tomber amoureux. En quoi pourrait-il être tenu pour responsable de sa disparition ? N’est-ce pas plutôt Ivan le vrai responsable, ce jeune paysan qu’il avait réussi à sortir des griffes de la Gestapo, au risque de s’attirer l’inimitié des tortionnaires, parce qu’elle le lui avait demandé et qu’il ne pouvait rien lui refuser ? Qui sait ? Chacun d’entre eux détient une part de la vérité en ignorant celle des autres. Une part d’espoir, une part de regrets, une part de remords, une part de honte, une part qui ferait dire, après coup : « Là on s’est peut-être gourés ». La force du roman réside dans cette construction fragmentaire qui nous fait découvrir l’histoire et la personnalité de l’héroïne par des aspects et des points de vue différents tout en faisant monter la tension jusqu’à la révélation finale. On commence avec l’avant-guerre et la passion amoureuse, aussi scandaleuse que délicieuse, vécue avec l’officier. On poursuit avec les souvenirs de la vieille dame, sa jeunesse, le bon vieux temps, son inquiétude pour le sort de sa fille. L’angoisse augmente au fur et à mesure que les personnages se rapprochent de ce qui s’est vraiment déroulé cette nuit-là. On aborde la guerre ses drames, ses hasards, sa folie et on termine dans l’abjection, chacun y allant de son « ah, si j’avais su » ou de son « on ne pouvait pas faire autrement ». Avec Veronika, c’est la douceur de la paix, l’innocence, la beauté et l’envie de vivre qui sont dépeints. Stevo, l’amoureux qui n’a rien oublié huit ans plus tard, c’est le soldat courageux, humilié et amer, ayant perdu sa guerre et son pays qui n’existe plus. Tandis que le caporal autrichien (la peste soit des caporaux autrichiens) Josip Broz s’affuble du titre de Maréchal Tito, lui se morfond dans un camp de prisonniers en rêvant de celle qui avait transformé sa vie banale en un feu d’artifice. Avec Ivan, le paysan, lui aussi tombé sous le charme mais empêtré dans des situations et des contradictions qui le dépassent, c’est la guerre qui supprime le libre-arbitre et vous conduit là où vous ne pensiez jamais arriver. Ce sont les sentiments mesquins comme la jalousie, le soupçon, la médisance qui se libèrent, d’abord lentement puis sans retenue jusqu’à causer l’irréparable. Derrière son ami et modèle Janko, c’est enfin la barbarie qui sort d’un type tout à fait ordinaire et fréquentable par temps de paix. Un type tellement bien qu’il est devenu un héros de guerre. Voilà un très beau roman, très fort qui, renvoyant nazisme et communisme dos à dos, fait justice de toutes les mythologies guerrières héroïques dans une conclusion qui invite à se méfier de l’histoire officielle :

« Il faut comprendre qu’on était jeunes et rendus fous par les combats incessants, ils nous pourchassaient comme des bêtes sauvages, comme le disait aussi le camarade Janko, et on devait parfois tailler dans le vif impitoyablement. Il avait raison. Mon fils Janko qui porte le nom de mon ami comprendra lorsqu’un jour je lui raconterai ça. Qu’on savait et qu’on devait tailler dans le vif. Pas ce qui s’est passé avec les châtelains au pavillon de chasse, ça, il ne doit pas le savoir. Il suffit qu’il sache ce qui est dans les livres que j’ai sur une étagère… »

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Et l'amour aussi a besoin de repos

J'aime énormément quand Drago Jancar parle de son pays, la Slovénie avec des personnages forts attachants et un territoire superbe aux cultures multiples qui n'a pas été épargné par les conflits de par sa position stratégique.

Dans son dernier roman, Drago Jancar s'inspire d'une photo d'archives prise à Maribor dans les années 1940 où l'on voit deux jeunes filles qui parlent entre elles et le profil de deux soldats en uniforme allemand.

Cette photo sert de cadre au premier chapitre du livre qui raconte le terrible destin de deux hommes et une femme, tous les trois slovènes.

Ludek qui a changé son prénom en Ludwig est devenu officier dans l'armée allemande, Tine a pris le maquis en tant que résistant et Sonja est la personnification de tout le malheur qui s'abat sur son pays.

Drago Jancar n'épargne aucune scène, les tortures dans les caves, les otages fusillés dont la vie est suspendue à une livraison de clous pour fermer leur cercueil, les faits sont effroyables de vérité.

Le terrible sort réservé à Sonja m'a bouleversée, trahie et abandonnée, elle ne sera plus que l'ombre d'elle-même à son retour du camp qui réserve un sort particulier aux femmes cultivées.



Les faits racontés sont d'autant plus poignants et difficiles à supporter que la vie d'avant la guerre était douce et pleine de promesses pour Sonja et Valentin. Ils étaient amoureux, ils aimaient la nature et la poésie slovène de Macha qu'ils s'écrivaient mutuellement.

Sans la guerre, l'officier Ludwig Mischkolnig serait-il resté Ludek, ce jeune homme aimable qui avait aidé Sonja à se relever alors qu'ils skiaient à la montagne. Lui non plus, il ne sera pas épargné. Il aurait peut-être trouver l'amour et l'affection qui lui manquait pour devenir un homme.



J'ai été sauvée de cette violence par la poésie et les beaux passages sur la nature, toujours bienveillante et présente à l'homme, la nature n'a pas de velléité .

Dans son errance dans les bois lui tenant lieu de maquis, Valentin retrouvera un peu d'humanité au contact de la nature « il sentit que la fraîcheur des hautes fougères humides, brunes et un peu gelées, des riches couches de feuilles tombées des hêtres, et celle des pins odorants et l'âpreté de l'air frais, il sentit que tout ce qui était autour de lui se changeait en sentiments, en respiration, en veines, en battements de coeur qui tapaient sur les tempes après sa longue marche ».

Le secours de la nature et de la poésie pour ressentir à nouveau une onde de joie ou faire jaillir aux yeux de Sonja des larmes libératrices quand elle lira bien des années plus tard ces vers de Byron qui donnent le titre au livre

« 

Ainsi nous n'irons plus vagabonder

Si tard la nuit…

Car l'épée use le fourreau

Et l'âme épuise le coeur,

Et le coeur doit faire halte pour souffler

Et l'amour aussi a besoin de repos ».



Je remercie infiniment Babelio et les éditions Phébus pour ce moment de lecture exigeant et fort.



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Cette nuit, je l'ai vue

Une nuit slovène de 1944, la blonde Veronika a disparu, sans doute enlevée par des partisans avec son mari.



Qui peut se souvenir de cette belle jeune femme intrépide, inconséquente par bravade, épouse fantasque d'industriel fortuné.

Qui est encore présent ou vivant pour l'évoquer, après les années de guerre du second conflit mondial, transformant radicalement les pays des Balkans?



"Elle était curieuse, joyeuse, ouverte à tous et un peu triste". Elle a fasciné les hommes qui l'ont croisée.



Les voix de cinq narrateurs se font écho pour évoquer les temps troublés d'une région morcelée en belligérants innombrables (yougoslaves, italiens, allemands et partisans), offrant plusieurs point de vue et pistes de compréhension historique:

Une ancien amant, officier cavalier de l'armée royaliste serbe vaincue par le nouveau pouvoir communiste, et qui, une nuit, croit voir le spectre de son amour passé...

Une vieille mère, épuisée d'attendre sans comprendre...

D'anciennes relations mondaines entre amitié et compromission avec les allemands d'armée d'occupation, des domestiques fidèles, des paysans maquisards entrainés dans la logique de résistance.



Une belle histoire de vie, dramatique, nostalgique, sur l'absurdité de la guerre et de la mort. Une histoire en tout point semblable aux propres exactions subies par la population française en temps de conflit. Mais ici le dépaysement balkanique apporte un contexte original.

Au final il ne reste de la guerre que des regrets et de la culpabilité.



Un livre salué à raison par le prix du meilleur livre étranger.

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Cette nuit, je l'ai vue

C'est une chevauchée désespérée. Une symphonie profonde, mélancolique, ample qui lentement s'envolerait dans les ombres. Un chant mystérieux et douloureux.

Cette symphonie, Drago Jancar l'écrit pour Veronika Zarnik, mais pas uniquement. Veronika est un souvenir chaleureux et dérangeant. Que lui est-il arrivé ? Tous ceux qui se posent cette question dans ce livre, le savent, mais aucun ne veut l'admettre. Aucun ne veut regarder au fond de lui sa par de responsabilité, sa part d'abîme. Ce sont tous des âmes grises. Ce roman est parcouru par la grisaille, par les nuances de gris. Ce gris de l'âme qui interrogeait Primo Levi, le tourmentait même. Là où le tranchant du blanc et du noir n'existent plus.

Le souvenir de cette femme libre les ronge tous, tel un acide vivifiant et impossible à enlever. Même si dans un coin de leur mémoire chaque protagoniste porte le poids de sa mort - car elle est morte n'est-ce-pas ? - chacun la cajole comme un petit ange gardien. Et à l'aune de leur responsabilité et leur conscience, lui fait une petite place dans son coeur.

Peut-on s'absoudre en temps de guerre du poids des autres ? du poids de leur jugement, de leur engagements, de leur idéologie, pour vivre comme si…. Veronika et son mari Léo vivent comme si la guerre ne pouvait pas crever leur bulle de vie. Et encore plus que la guerre, les convictions des uns et des autres, les conventions de l'époque. Ce sont des harpies que ces deux êtres presque naïfs tiennent à distance. Pour moi, ce sont, encore plus que la guerre, elles, qui ont tués Veronika et son mari Léo.

Veronika est une femme « moderne », fantasque, naïve, on peut la voir aussi avec une certaine frivolité. C'est une femme qui aime et qui est aimée, trop aimée. Elle semble aussi aimer tout le monde. Mais on ne peut pas aimer « tout le monde », surtout en temps de guerre ? Elle croit peut-être trop en quoi ? en l'humanisme de chacun ?

Comment elle et son mari peuvent-ils se croire protégés ? Ne sentent-ils pas la mouvance du danger qui rôde autour d'eux ? Veronika ne peut-elle percevoir que son attitude vis-vis des hommes peut être mortifère pour elle et son entourage ? Susciter un désir qui se meut en jalousie, en haine ? Mais les coeurs exaltés sont-ils prudents ?

Veronika Zarnik et son mari Léo ne sont pas des personnages simples. Ils sont au contraire très complexes. Leurs envies, leurs motivations, leur conscience ont des strates souterraines. Sont-ils des révélateurs de consciences ? Sont-ils juste des feux follets qui vont s'éteindre subitement ? Tout peut être dit et tu à leur sujet.

Ils sont, en tout cas, une certaine incarnation de ce qu'était la "Mitteleuropa ". Un monde qui va s'effacer, s'engloutir, se désagréger. Pour cette raison j'ai pensé à Joseph Roth. J'ai aussi songé à Jorge Semprun, lors du récit de Horst Hubermayer, le médecin militaire allemand. J'ai pensé à son récit, dans « Le grand voyage », de sa conversation avec un soldat allemand (qui durera jusqu'au départ de celui-ci pour le front russe) à la prison d'Auxerre où il était détenu. Et bien sûr, j'ai pensé à Semprun lors du récit d'Ivan Jeranek le partisan communiste, pour des raisons évidentes.

Les deux femmes (la mère de Veronika et la domestique) sont l'accompagnement innocent et virginal de Veronika et de son mari. Elles en font des images inviolables et éternelles d'innocence et de bonté. Mais de part leur récit, les marches de l'absence sont plus dures.

J'aurai voulu que Stevan Radovanovic – Stevo – soit plus présent. J'aime beaucoup ce personnage. Son côté hiératique, presque buté. le plus lucide ? Cette rage rentrée, sans illusion, désespérée, est belle. Son amour s'écroule, son monde s'écroule et peut-il rester debout ? Veronika l'aimait-elle vraiment ? Ou était-ce l'illusion de l'amour ? L'emportement de la nouveauté ? de la transgression ? Car, après tout, n'est-il pas qu'un officier de cavalerie... Peut-il s'en sortir ? Je ne peux passer sous silence le lyrisme contenu et magnifié de l'évocation des chevaux.

Cette polyphonie de souvenirs est belle et poignante.

Le livre de Jancar est un récit poétique, parlant d'amour, de rêves, de guerre, de liberté, de regrets, d'un pays déchiré, vivant, insolant. C'est un écho qui se prolonge longtemps dans la mémoire. L'écho des montagnes surplombant le manoir de Podgorsko.
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Cette nuit, je l'ai vue

Slovénie, janvier 1944.

La Slovénie n’existe pas en tant qu’État, alors.

Depuis 1929, elle est une partie du royaume de Yougoslavie.

(Je fais ma prof d’Histoire, mais vous pensez bien que c’est Wikipedia qui m’a renseignée.)

Lors de la Seconde guerre mondiale (je dis toujours Seconde et pas deuxième, du fait d’un optimisme forcené), son territoire est envahi à la fois par l’Italie et par l’Allemagne nazie.

Et là, ce qui fait la singularité de la Yougoslavie, c’est qu’elle n’a pas attendu les Alliés pour chasser l’armée allemande : c’est la Résistance yougoslave, seule, qui a repris le pays.

(Fait d’armes sur lequel Tito va par la suite construire sa propagande, mais c’est une autre histoire.)

Nous sommes en janvier 44, donc.

Veronika et son mari disparaissent.

Qu’est devenu ce couple riche, fantaisiste et mondain, qui organisait des soirées culturelles où Allemands comme Slovènes venaient écouter du Beethoven ?

Plusieurs voix retracent les évènements, chacun a son explication : l’amant les croit bien à l’abri dans leur manoir, la mère de Veronika les espère émigrés en Suisse…

Chacun, chacune, vit dans l’espoir de la revoir un jour, la belle Veronika, si amicale, si pleine de joie de vivre.

Ces différentes voix permettent d’illustrer les luttes de pouvoir dans la tourmente de cette guerre : il y a l’officier monarchiste, il y a le maquisard.

Il y a aussi l’Allemand.

C’est pourquoi je vous ai enquiquinés avec le contexte historique pour commencer : le propos de Drago Jančar, ce n’est pas seulement de restituer l’Histoire de son pays dans la tourmente de la guerre. C’est aussi de montrer, subtilement, comment le sort des uns ou des autres peut dépendre, en temps de guerre, d’une toute petite chose, d’un tout petit incident, d’un évènement de peu d’importance qui, soudain, peut changer le cours de plusieurs vies.

Un très beau roman, difficile à lâcher une fois commencé, difficile à oublier une fois terminé.

Traduit avec fluidité par Andrée Lück-Gaye.

Challenge Globe-trotter (Slovénie)

LC thématique avril 2023 : "Un roman historique"
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Cette nuit, je l'ai vue

Merci A_fleur_de_mots pour le joli commentaire rédigé sur Babelio qui m'a fait découvrir ce livre et cet auteur slovène.

5 narrateurs. 1 femme, Véronika, décrite à travers leurs différents regards.

Une femme indépendante, impulsive, douce, peut-être naïve au sein de cette Slovénie des années de guerre, Slovénie envahie par les Allemands.

5 témoins de sa vie et de sa disparition.



Un roman qui commence tout doux comme du velours. Plus on avance, plus on sent venir le drame. De la douceur on passe progressivement à la violence.

Un très beau moment de lecture, différent de ce que j'ai pu lire.
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Cette nuit, je l'ai vue

Un roman choisi un peu au hasard des rayonnages de ma médiathèque mais une très belle découverte. Il s’agit d’un roman choral dans lequel 5 personnes se souviennent de Veronika Zarnik. Cette belle femme, libre et indépendante, excentrique aussi, a disparu une nuit de janvier 1944 avec son mari Leo.

Son amant tout d’abord, Stevo, croit la voir apparaitre une nuit alors qu’il est dans un camp de prisonniers en Italie. Il a eu une aventure avec elle en 1937 avant qu’elle ne décide de rejoindre son mari. Il était soldat, chargé des chevaux et son mari Leo était venu lui demander de lui enseigner l’équitation.

Sa mère ensuite, Mme Josipina, pauvre vieille femme qui l’attend.

Un médecin allemand, M. Horst, se souvient aussi de l’accueil que ce couple lui réservait au manoir et des soirées festives qu’on y donnait, remplies de musiques et de conversations.

Puis une domestique, Jozi, qui se souvient de la duplicité du couple : l’aide fournie aux maquisards et l’entente cordiale avec les occupants allemands.

Et enfin Jeranek, fils de paysan travaillant au manoir qui a rejoint les maquisards ensuite …

Un travail de mémoire en quelque sorte, sur la vie de Veronika mais également sur le passé de la Slovénie pendant la seconde guerre mondiale, plein de douceur mais aussi de violence et de déchirements. Je vous le recommande chaudement !

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Six mois dans la vie de Ciril

Si Ciril a quitté Ljubljana pour Vienne, c'est avec l'espoir qu'il s'y passe quelque chose, côté violon. Et il s'y est passé quelque chose. « Tout est possible dans la vie, surtout le plus vraisemblable » dixit Drago Jancar. Ainsi Ciril passe ses nuits dans une cave avec le Sejny Klezmer Band, ses journées dans les couloirs du métro à emmancher son violon. Autant dire qu'il n'a pas trop vu la lumière viennoise.

Mais si Ciril a un don officiel, le violon, il en a aussi un autre : se faire prendre en charge. Désabusé sur sa propre vie, il la laisse dériver au gré d'un « Boglonaj » adressé à un inconnu de Vienne, en guise de remerciement pour une somme conséquente laissée dans son étui de violon. Stefan Dobernik, qu'il s'appelle l'inconnu, décideur d'à peu près tout, notamment de la vie de Ciril. Re-voilà donc notre anti-héros à Ljubljana, intégré à D&P Investments par Stefan le Grand. Ciril ne sait pas ce que peuvent bien signifier les initiales D&P, mais peu importe puisque c'est l'opportunité d'un nouveau départ dans sa vie, et surtout la possibilité de la gagner, cette p... de vie. A trente ans. Alors, qu'il soit coursier ou coiffeur de girafes...



Récit d'une non vie, ou plutôt d'une vie en quête de sens, on s'attend à ce que la réalité ramène Ciril au sens des responsabilités vis à vis de sa destinée, à minima. Il y a bien quelque engrenage malheureux qui titille des vélléités de révolte, mais pas de quoi non plus réveiller le tigre anesthésié en lui. Non décidément Ciril est un apathique. Mystèrieux aussi, comment se fait-il que tant de personnes s'attellent à ses petits soins ?

Au final, il fait presque figure d'observateur détaché de sa propre vie, de celle des autres aussi, comme un témoin relais à l'écriture limpide de Drago Jancar. le roman m'a paru efficace et bien mené, même si, me semble-t-il, prendre pour personnage principal un anti-héros aussi peu maître du cours de sa vie déteint parfois sur l'intérêt porté à celui-ci.



Merci aux éditions Phébus et à Babélio pour ce livre à la couverture aussi originale que son contenu.
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