Marie Grosholz, vous connaissez ? Moi non ! Mais Madame Tussaud ? Bien sûr ! Un sacré petit bout de femme qui a réussi à se faire connaître grâce à ses talents de sculptrice, à une époque, le 18e siècle, où ses semblables devaient vivre dans l'ombre des hommes en restant sagement à sa place, la maison !
Je suis partie dans cette lecture avec enthousiasme. Tout commençait bien, les destins de femmes m'ont toujours passionnée, particulièrement celles qui vont à l'encontre de la mouvance de leur temps. J'allais découvrir le cheminement difficile de cette artiste traversant une période sombre de l'histoire française, la révolution. Peut-être en attendais-je trop, car il a fallu que je m'accroche de toutes mes forces à la moindre aspérité du récit, il y en a quelques-unes heureusement, pour poursuivre cette biographie romancée jusqu'à son terme. La narration m'a étouffée en manquant de rythme, ressassant sans cesse les humiliations subies par la jeune Marie, petite, laide, sans instruction, bonne à faire le ménage et encore... Bien que je comprenne la détresse de cette petite fille si tôt plongée dans l'inconnu, sans aucun repère familier, par moments, j'avais envie d'entrer dans le roman et de bousculer tout le monde à grands coups du mannequin de paille d'Henri Picot (ceux qui ont lu le livre comprendront), Marie pour sa docilité, Curtius pour son aveuglement et sa servilité, la veuve Picot pour sa méchanceté et son avarice, Edmond son fils transparent pour sa soumission d'une platitude révoltante. Oui, je confesse que ce livre m'a mis les nerfs en pelote, je me suis crue dans "Les Misérables" revisité par Calimero, laissant trop souvent de côté l'éveil du talent incontestable de Marie pour la sculpture au profit d'anecdotes redondantes.
"Cette nuit-là, seule dans l'atelier, j'ai pleuré dans ma couverture, car maman n'avait pas de tombe. Il ne me restait rien d'elle, plus rien à l'exception de sa bible, qui semblait contenir qu'une miette de son malheur. Pourtant une idée me vint à l'esprit tandis que j'essuyais mes larmes et me mouchais. J'avais toujours mon nez - son nez. Donc elle était encore là. Maman, ma mère. Plus qu'une idée, c'est devenu une méthode : elle m'avait légué et c'est tout ce dont j'avais besoin pour me souvenir. Deux narines, deux jumelles qui me permettraient de respirer l'amour."
La division du roman en sept "livres" représentant une tranche de vie de Marie, par exemple :"Livre cinq - 1789-1793 --- Un palais pour le peuple - de l'âge de vingt-huit à trente-deux ans" à la manière d'un journal intime dans lequel la "Petite" raconte les péripéties et les gens qu'elle rencontre, me paraît bien trop didactique pour insuffler de la vie à la chronologie malgré l'écriture fluide de l'auteur. Quand la lassitude s'installe, il m'est difficile de la déloger, surtout quand je n'éprouve pas d'empathie particulière pour les personnages, manquant de profondeur et dont la psychologie reste, pour moi, trop superficielle. Malgré mon envie désespérée de rencontrer la vraie Marie, je suis restée sur ma faim. Par contre, j'ai beaucoup apprécié les croquis illustrant régulièrement le texte, imposant un plongeon dans l'Histoire par leur facture.
Heureusement, quelques épisodes ont été les reliefs qui ont pu me soutenir et auxquels je me suis cramponnée. L'apprentissage de la sculpture avec la cire dont Curtius donne une bien belle définition : "Cette substance que j'ai là est essentielle. Même si, en soi, a-t-il dit en la malaxant tendrement dans ses mains, elle n'est rien ni personne. Elle peut être très aimable, ou très timide, se parer de beauté ou de laideur, elle peut se faire os, se muer en paroi abdominale, en réseau artériel ou veineux, en nœuds lymphatique, briller comme un ongle, couler comme le mince sirop qui tapisse nos oreilles, ou s'enrouler comme les mille pieds d'intestins contenus dans notre ventre. Tout, tout, tout, elle peut tout être ! Elle peut même être TOI ! [...] Elle est vision, elle est mémoire, elle est histoire. Grise comme le poumon, ou brun-rouge comme le foie. [...] Elle imite la surface de tout objet avec une précision surprenante. Rêche, lisse, dentelée, brillante, plate, marbrée, grêlée, fendue balafrée, croûteuse, glissante... À toi de choisir. Il n'est pas de surface qu'elle puisse remplacer."
Malgré ma perplexité et ma déception, il est indéniable qu'Edward Carey a minutieusement épluché une documentation sérieuse pour décrire la vie de château, la Terreur, les têtes qui tombent et les sculptées qui sont souvent les mêmes. En effet, la période versaillaise de Marie pour enseigner l'art du dessin et de la sculpture à Madame Élisabeth, sœur du roi Louis XVI, si elle a réellement eu lieu, est riche en enseignements sur le fonctionnement de la Cour, papillonnante et virevoltante, inconsciente de la misère du peuple et de la colère qui se rapproche des ors de la monarchie. C'est ainsi que j'ai appris, pour les serviteurs devant garder une proximité avec leur maître, l'organisation du couchage nocturne sur un rayon de... placard ! Le rouleau compresseur de la Révolution avec les règlements de comptes, les compromissions, la suspicion omniprésente et l'angoisse permanente planant sur tous, sous le régime de Robespierre ne laissent pas insensible non plus.
Plus que le destin de Marie, ce sont les points forts de l'Histoire qui ont retenu mon attention, j'ai donc l'impression d'être passée à côté de l'un des "meilleurs livres de l'année 2021". Je suis pourtant certaine de ne pouvoir oublier ce destin improbable d'une femme que rien ne prédestinait à avoir son nom placardé dans les plus grandes villes d'Europe : Londres (où elle émigre au début du 19° siècle), Berlin, Amsterdam..., d'Asie : Shanghai, Bangkok, Tokyo..., d'Amérique du Nord : Las Vegas, New-York, Washington, Hollywood..., même à Sydney en Océanie.
Il est à noter que le Musée Grévin, bien qu'influencé par la mode des mannequins de cire de Mme Tussaud, a une origine différente. À Paris, les musées de ce type se sont succédés sans jamais égaler celui du docteur Philippe Curtius et ont fermé les uns derrière les autres. En 1881, Arthur Meyer, patron de presse, a eu envie de proposer à ses lecteurs, une représentation réaliste des personnalités paraissant au fil de l'actualité, la photographie n'ayant pas encore atteint ses heures de gloire. Naturellement, il s'est tourné vers un dessinateur-sculpteur qui avait travaillé pour lui en illustrant son journal de caricatures, Alfred Grévin. C'est ainsi que le célèbre Musée parisien a ouvert ses portes l'année suivante en 1882. Bien qu'indépendant, l'ombre de Marie Tussaud plane un peu dans ses couloirs si connus, surtout dans les caves de la Révolution.
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