Voici un roman de fiction sur fond historique : l'auteure née en1969 d'origine haïtienne partie pour les Etats- Unis à l'âge de douze ans, nous conte à travers une histoire familiale et sentimentale, le récit du terrible massacre de 1937, perpétré par les soldats du généralissime Raphaël Trujillo Molina —- président depuis trente et un ans de la République Dominicaine—-
En une nuit sur les ordres de Trujillo —- plus de 20 000 haïtiens —- coupeurs de canne à sucre, ou domestiques sont pourchassés, embarqués , massacrés. .. tués à coups de machettes.
Saint - Domingue n'a plus besoin de ses immigrés haïtiens, Trujillo décide de s'en débarrasser : le président désirait empêcher le métissage des Européens avec les Haïtiens.
Les massacres s'enchaînent alors , tous véridiques puisque l'auteure a travaillé sur des documents historiques.
Humiliés et résignés , les pauvres paysans dominicains sont chargés d'attraper les Haïtiens pour les remettre aux soldats, pourquoi pas les riches aussi. ?
Le Generalissimo avait donné l'ordre qu'on les abatte tous.
Certains Dominicains racontaient à leurs enfants que les haïtiens mangeaient des bébés , des chats et des chiens...
En parallèle nous suivons le passé et l'histoire d'Annabelle , une jeune haïtienne orpheline à huit ans , ses parents se sont noyés.
Recueillie sur la rive du fleuve par une famille espagnole elle devient la servante de la Señora Valencia, une « espagnole » dominicaine , épouse d'un colonel de l'armée Pico Duarte , officier de la garde de Raphaël Trujillo .
Elle aime Sébastien , un coupeur de canne à sucre haïtien malgré ses mains calleuses et ses nombreuses cicatrices .
Tous les haïtiens étaient utiles aux Dominicains mais pas vraiment bienvenus.
Comme les rumeurs courent à propos de la persécution des leurs , Annabelle et Sébastien décident de retourner en Haïti mais l'horreur les attend .
Annabelle survit à ce bain de sang , comme d'autres haïtiens mais épuisée , laminée elle cherche la trace de Sébastien ....
Beaucoup de cadavres ont été jetés dans le fleuve qui marque la frontière , le Rio Massacre, le bien mal nommé...
C'est un ouvrage sensible, dédié à la douleur et à l'amour, une part de la Grande Histoire , aux descriptions sanglantes qui nous prennent aux tripes .
Elles n'occultent pas la tendresse, la compassion , les désordres amoureux , la solidarité , la générosité du peuple haïtien .
Personne , nulle part, n'est à l'abri d'un drame de ce genre.
On a l'impression , en lisant ce livre que ces dialogues représentent peu ou prou les débats à propos des politiques d'immigration actuelles.
L'injustice n'a ni couleur , ni époque , ni territoire privilégié.
« Quand tu restes trop longtemps chez ton voisin , il est naturel qu'il se fatigue de toi et qu'il te haïsse, » P'194
« La ruine des pauvres , c'est leur pauvreté , les pauvres sont vendus pour travailler dans les champs de canne à sucre, pour que notre pays puisse se débarrasser d'eux. le pauvre , peu importe qui il est , est toujours méprisé par ses voisins » .
Une belle écriture maîtrisée, colorée, en guise d'oeuvre de mémoire au nom d'un peuple malmené , au coeur de la culture haïtienne.
L'auteure évoque aussi La guerre d'Espagne qui sévissait à la même époque.
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La prisonnière des Sargasses est un roman de Jean Rhys publié en 1966 à 76 ans. Récompensé par la Royal Society Littérature Award ce roman mit en lumière une auteure restée dans l'ombre. Jean Rhys s'est surement inspirée de sa vie pour créer le personnage d'Antoinette. Comme elle elle est la fille d'un anglais marié à une créole blanche. Bercée dans la culture de la communauté noire de la Jamaïque, Antoinette suite à la maladie de sa mère est mise en pension chez des religieuses. Elle ne sort du pensionnat que pour être "vendue" à un gentleman anglais. Elle en tombe amoureuse mais lui , satisfait d'avoir fait une bonne opération financière en l'épousant , va vite la prendre en grippe. Les rumeurs courent ici et là , folie , comme sa mère, prête à s'abandonner dans les bras du premier venu.La cohabitation devient vite insupportable , l'alcool coule à flots, la tension dans le couple vire à l'affrontement et ils quittent la Jamaïque direction l'Angleterre.
Ce roman est féroce, l'atmosphère étouffante je dirais même suffocante. Malgré ou à cause de la magnificence des paysages, de la beauté des îles l'exacerbation des uns vis ) vis des autres arrive bien vite à un paroxysme délétère. Les représentants blancs du colonialisme anglais méprisent ces créoles blancs . Quelle différence peut il y avoir à leurs yeux entre les nègres blancs et les nègres noirs....Jean Rhys raconte ...
Et bien sur ce roman a une autre facette. J'avoue humblement que si je n'étais pas allée fureter ici ou là je serai passée à côté . Et si Antoinette était la femme cachée de Rochester? et si La prisonnière des Sargasses était le prologue de Jane Eyre de Charlotte Bronte? Ce roman est présent dans la "sélection des 1001 livres à avoir lus avant de mourir" j'avoue ma perplexité de non-britannique.
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Krik? Krak! Haïti nous est conté en 18 nouvelles. De toutes les anthologies éditées par Asphalte, celle-ci est sans doute la plus intéressante et la plus cohérente. Les 18 auteurs, résidant sur l'île ou issus de la diaspora, nous plongent dans la réalité haïtienne, celle des enlèvements ("Rosanna" de Josaphat-Robert Large), des restavek ("Claire Lumière de la mer" d'Edwige Dantricat), des revendications sociales ("Hall de départ" de Nadine Pinède) ou des tremblements de terre ("Odette", de Patrick Sylvain, "Le harem" d'Ibi Aanu Zoboï).
Si les nouvelles concilient les impératifs du réalisme, politique, économique, social, et dénoncent habilement les dérives d'un système inégalitaire, elles s'ancrent également dans l'oralité haïtienne, à travers les figures majeures de son histoire, ses traditions et ses rites.
Six nouvelles se distinguent de l'ensemble des textes et je les cite de manière tout à fait subjective.
"Le doigt", de Gary Victor met en scène un voleur qui coupe le doigt d'un riche homme d'affaire afin de lui dérober sa bague. Impossible, en lisant cette petite merveille de concision, de ne pas songer à Théophile Gautier ou à La Vénus d'Ille de Prosper Mérimée.
Trois récits, "L'auberge du paradis" de Kettly Mars, "Vingt dollars", de Smartt Bell, "Maloulou" de Marie-Lily Cerat, transportent le quotidien haïtien dans une dimension où les repères temporels et existentiels des personnages disparaissent au profit d'un temps mythologique figé dans l'éternité.
Et enfin, "Carrefours dangereux" de Louis-Philippe Dalembert et "L'ultime département" de Katia D. Ulysse, retracent le parcours de deux exilés, l'un au Canada, l'autre aux Etats-Unis, de retour en terre haïtienne.
C'est avec regret que l'on referme Haïti noir, même si grâce au choix établi par Edwige Dantricat de nouvelles lectures nous attendent, je pense à Gary Victor et Louis-Philippe Dalembert. René Depestre et Frankétienne peuvent dormir tranquilles, la relève est assurée. Ne reste plus qu'a patienter encore une année avant de pouvoir lire La Havane noir, toujours chez Asphalte, en octobre 2013.
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Hasard de pêche dans ma vertigineuse PAL qui m'a fait lire La prisonnière des Sargasses de Jean Rhys juste avant L'île sous la mer d'Isabel Allende.
Les deux romans se passent aux Antilles, au moment de la libération des esclaves. Pour Allende, c'est Saint-Domingue qui après une révolution violente deviendra Haïti; alors que Rhys situe son roman dans la Jamaïque des années 1830.
Le point de vue est également différent. Jean Rhys nous emmène auprès d'une famille créole ruinée, mais qui essaie de sauver les apparences et de ne pas se mélanger, aussi bien aux Anglais que des anciens esclaves noirs qui observent leur déchéance avec hostilité, si ce n'est haine. Le vieux propriétaire de la plantation tant détesté étant mort, laissant une jeune et jolie veuve d'origine martiniquaise, un fils débile et Antoinette, une petite fille laissée à elle-même.
La mère se remarie avec un riche Anglais, mais l'incendie de la maison familiale entraine la mort du frère et la folie de la mère. Antoinette est placée chez les Ursulines et ne sort que pour se marier avec un Anglais récemment débarqué, attiré par sa dot.
Pendant leur voyage de noce à la Dominique, Antoinette commence à présenter également des signes de folie. Son mari l'emmène en Angleterre où elle sombre rapidement loin de tout ce qui faisait son univers.
Ecrit en 1966, ce roman raconte l'histoire de l'épouse de Rochester dans le roman Jane Eyre de Charlotte Brontë. Jean Rhys elle-même originaire de la Dominique, décrit merveilleusement bien les rapports entre les créoles d'origine anglaise. L'Océan Atlantique sépare deux mondes très différents, même si la misère ouvrière de l'Angleterre industrielle et minière ne devait pas être très différente de celle des esclaves affranchis de la Jamaïque.
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Une belle descente aux enfers pour une histoire qui se déroule en Jamaïque. Mais entendons nous bien, la descente aux enfers est toujours perpétrée par de fausses rumeurs, des conspirations et autres qui font que nos personnages sont victimes de Folie et catalogués de cette façon aux yeux des autres.
J'ai trouvé que le fond de ce roman était bien intéressant mais trop de longueurs au départ de l'intrigue et un style trop décousu à mon goût. On se demandait vraiment qui parlait dans les dialogues, qui relatait et si notre narratrice n'était pas une autre personne du roman.
Bref, peut-être que le style a été fait de telle façon à nous embrouiller, pour ma part cela n'a pas eu l'effet produit à mes yeux.
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« Malgré l'histoire tragique d'Haïti (ou peut-être à cause d'elle), nous avons toujours été fiers de nos origines. La première république noire au monde. La seconde république du Nouveau Monde, après les Etats-Unis. Le premier pays créé à la suite d'une révolution d'esclaves, en 1804, et mis à l'index pendant des décennies pour éviter de donner de mauvaises idées à d'autres. »
Edwidge Danticat, née en Haïti en 1969 et auteur de romans, d’essais, de nouvelles, récompensée par le National Book Critics Circle Award pour Adieu mon frère a constitué une anthologie de nouvelles haïtiennes contemporaines, écrites pour certaines en français, pour la plupart en anglais.
Ce recueil nous propose un parcours aussi poignant que dépaysant, souvent dérangeant à travers l'île. Chaque nouvelle se déroule dans une ville précise d'Haïti, indiquée sur la page de titre, comme faisant partie intégrante de l'identité et de la tonalité du récit. Des expressions en créole accréditent encore la sensation de dépaysement et l'effet de réel
Les nouvelles sont réparties en trois catégories Magie noire, Eaux troubles et Noir sur blanc.
Les récits regroupés sous le nom « Magie noire » font bien sûr la part belle aux sciences occultes. J'ai apprécié Le doigt, cette histoire de vengeance post-mortem sur fond de vaudou qui n'est pas sans rappeler La main de Maupassant, tout en étant plus solidement ancrée dans une réalité assez sombre de drogue et de banditisme. L'Auberge du paradis raconte la mise à pied du commissaire Vanel, dans une auberge fantasmagorique.
« Eaux troubles » constitue sans doute la partie la plus sombre du recueil, dressant un tableau fort glauque de la vie sur l'île : enlèvement de jeunes héritières à Port-au-Prince comme dans Rosanna, où l'avidité le dispute à la barbarie, lutte perdue d'avance contre des expériences médicales déguisées en meurtres rituels dans Carrefours dangereux, fragilité de la vie dans un pays menacé par les séismes dans Le Harem, où Robby tente de réunir ses trois conquêtes par-delà la mort.
« Noir sur blanc » est l'univers des compromis, un entre-deux où parfois, l'amour et la compassion peuvent l'emporter, lueurs d'espoir dans un monde de violence. Dans Qui est cet homme ?, c'est la générosité d'Orélus et la reconnaissance inattendue de son ravisseur qui vont lui permettre d'échapper au pire ; dans La Merci au portail, l'histoire d'amour de Haba et Colin finit par vaincre les obstacles.
En résumé, un recueil qui n'est pas vraiment une invitation au voyage mais qui a le mérite de nous faire ouvrir les yeux sur un pays en souffrance. J'ai donc beaucoup apprécié cette lecture qui nous prouve que par le biais de la fiction, on peut en apprendre beaucoup sur les dures réalités quotidiennes d'un pays. Les nouvelles qui m'ont le plus émue sont sans doute Odette, qui relate un tremblement de terre p. 21 « La ville qu'on lui faisait traverser à présent était comme Hiroshima, et l'ampleur de la destruction lui rappelait les films de guerre que son mari aimait tant regarder. » ; p. 24 « A la place, elle leva les yeux au ciel, qui n'avait jamais autant brillé et regorgé d'étoiles. Elle chercha sa bonne étoile, mais en vain. Elle l'avait abandonnée en tombant des cieux il y avait bien longtemps. », Rosanna, que j'ai évoquée plus haut, ainsi que Laquelle des deux ? qui montre jusqu'à quelle extrémité peut pousser l'amour d'une mère.
Un petit plus en fin de volume, une playlist disponible sur internet pour prolonger sa lecture en musique.
Merci à Babélio et aux éditions Asphalte pour cette découverte riche en émotions.
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Impressionnant faux roman victorien, invention d'un prélude à "Jane Eyre" aux Antilles.
Publié en 1966, le livre le plus connu de l' Anglo-Dominicaine Jean Rhys étonne. Conçu ouvertement comme un prélude au "Jane Eyre" de Charlotte Brontë, il retrace le destin d'Antoinette / Bertha, l'épouse réputée malade / folle de Rochester, avant sa rencontre avec Jane Eyre.
Antoinette raconte son enfance à la Jamaïque à partir de 1833 et de la libération des esclaves qui y prend place. Sa mère, veuve ruinée d'un gros planteur esclavagiste, glisse lentement dans la folie lorsqu'elle réalise que, faute de fortune et de situation, la bonne société bourgeoise blanche post-esclavagiste la rejette, tandis que le profond et brutal ressentiment des ex-esclaves rôde comme une sourde menace autour de la famille... Après l'incendie criminel de leur manoir déliquescent dans une flambée de violence, et la mort du jeune frère simple d'esprit, la mère d'Antoinette parvient de justesse à les hisser hors de l'abîme social et financier en se remariant à un riche Anglais sans préjugés.
A la mort de celui-ci, sa mère devenue authentiquement folle, Antoinette entre dans un mariage arrangé par son beau-frère, et épouse le jeune Rochester (le futur protagoniste de "Jane Eyre", donc), en échange d'une confortable dot qui remet celui-ci "à flot" financièrement. Les jeunes époux quittent la Jamaïque chargée de souvenirs risqués pour s'installer à la Dominique, dans une vieille propriété de famille juste remise en état. Alors que le mariage aurait - peut-être - pu évoluer favorablement, une succession d'insidieux coups du sort et de remontées du passé, malgré les efforts protecteurs de la vieille gouvernante martiniquaise d'Antoinette, quimboiseuse à ses heures, va le diriger vers l'échec, la folie et le semi-internement en Angleterre que l'on connaît à travers le roman de Charlotte Brontë.
Roman captivant, dans son ambiguïté de faux récit victorien et de vraie narration hallucinée, à plusieurs voix subtilement agencées, sur le poids du passé, l'impossibilité de l'intégration sociale, le pouvoir des préjugés, dans cette Angleterre coloniale du XIXème siècle qui se découvre, très péniblement, comme multi-raciale, et qui ne sait trop que penser de son comportement des siècles précédents...
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Ce roman est véritablement surprenant. Je ne m’attendais pas à être tellement emportée par ce récit et à le lire quasiment d’une traite. J’ai eu un peu de mal avec les premières pages mais très vite, je me suis retrouvée aux côtés d’Antoinette pour suivre sa triste vie. C’est une vraie tragédie et on comprend dès les premières pages que ceci ne peut pas bien finir. D’autant plus quand on sait que ce livre veut offrir au lecteur un autre point de vue sur la première femme de Rochester dans Jane Eyre, dont on sait qu’elle vit enfermée car devenue folle.
Le lecteur suit donc la vie tragique d’Antoinette, créole blanche descendante de propriétaires d’esclaves qui grandit à la Jamaïque. C’est une jeune personne qui n’a pas été préparée à la dureté du monde et qui n’a jamais su trouver sa place dans la société. Rejetée et méprisée de partout, elle n’est ni vraiment de la Jamaïque, ni vraiment Anglaise. Grandissant dans l’insécurité et un état de quasi abandon, elle n’a pas pu surmonter les traumatismes de l’enfance : un père alcoolique décédé rapidement, une mère devenue folle suite à l’incendie de leur domaine lors de la révolte des esclaves et qui a entraîné la mort de son petit frère.
Devenue un poids dont on cherche à se débarrasser, elle est mariée à dix-sept ans avec un Anglais venu spécialement aux Antilles pour ce mariage. Antoinette croit trouver un temps le bonheur dans cette union mais celle-ci va très vite tourner au cauchemar et précipiter sa descente en enfer. Car cet homme se révèle froid, vaniteux, égoïste et il a juste réalisé une affaire financière avec ce mariage dont la dot était généreuse. Mais on lui a caché le passé et les scandales de la famille d’Antoinette et il ne supporte pas de faire pitié à des gens qu’il méprise, lui qui considère les Noirs comme les Blancs des Antilles comme inférieurs. Se sentant trahi et bloqué dans cette union, il retourne sa colère contre sa femme.
C’est cette haine qui est au cœur du roman. L’auteure maîtrise parfaitement la narration à deux voix qui alterne celle d’Antoinette et celle de son mari et qui permet de comprendre comment leur haine mutuelle grandit à chaque jour. C’est une incroyable montée en puissance de ce sentiment qui se voit nourri par les commérages, les rumeurs, les vieilles rancœurs, et est encore renforcé par le poids des convenances et des apparences à sauvegarder. Un gouffre s’installe entre eux et c’est à qui haïra le mieux mais pour Antoinette, plus fragile et torturée, ce sera le point de non-retour. Tout ça est vécu dans une ambiance pesante où la nature omniprésente et luxuriante peut aussi se faire étouffante. Cela donne l’impression d’un monde en vase clos où des gens qui se détestent continuent de vivre côte à côte et se vengent par la société en utilisant les ragots. Sans oublier la sorcellerie, les superstitions et les peurs qui y sont liées qui ajoutent au sentiment de suffocation. L’auteure connait les Antilles de cette époque pour y avoir aussi vécu et est influencée par la langue et la culture de ces îles dont elle sait montrer la beauté et la tragédie. Elle a créé avec une grande justesse des personnages complexes et ambigus. Son écriture est à la fois puissante et subtile. Au final, c’est un roman envoutant, violent, cruel à la construction splendide qu’elle nous offre sur la destinée de cette femme qui n’aura jamais eu les commandes de sa vie.
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Quelle claque! Quelle beauté! Quel malaise aussi doublé d'une violente sensation d'étouffement...
J'ai adoré "La Prisonnière des Sargasses".
J'ai tout aimé dans ce roman étrange et singulier, aux parfums moites et capiteux. Dans ce roman triste et sombre, à la lisière du désespoir et de la folie qui emprunte autant à la tradition des romans gothiques et victoriens qu'aux tourments de son autrice dont j'ai lu ça et là qu'elle avait mis dans sa prisonnière beaucoup d'elle-même et de sa vie, de son enfance antillaise à ses souffrances et ses déboires.
L'héroïne tragique de cette histoire est une "créole blanche", Antoinette Cosway, qui grandit à la Jamaïque dans les années 1830, peu de temps après l'abolition de l'esclavage, dans un climat aussi fiévreux que survolté. Son père, marchand d'esclaves ruiné, n'est plus, et la petite fille est élevée en compagnie de son petit frère dans le luxuriant domaine familial par sa mère, seule, indifférente et désoeuvrée. Après l'abolition, seuls quelques domestiques sont restés dans cette famille solitaire,décimée et détestée. Antoinette grandit en fleur sauvage entre un frère handicapé et une mère absente, angoissée et malheureuse. Une mère dont on sent qu'elle danse sans cesse au bord du précipice. Dehors, il y a la haine et la colère. le sang et le feu. le désir de vengeance des anciens esclaves.
Le mariage de sa mère avec le riche Mr.Mason apporte cependant un regain de sérénité chez les Cosway jusqu'à l'incendie volontaire et meurtrier de leur demeure. C'est là que la mère d'Antoinette perd pied. C'est là que son frère disparaît et pour la petite fille, tout devient encore plus noir, encore plus sombre, qu'elle s'enfonce dans une mélancolie tenace et tragique. Son beau-père l'envoie au couvent dont elle ne ressortira qu'à l'âge de dix-sept ans pour être mariée par son beau frère, Richard Mason, au fils cadet et désargenté d'une noble famille anglaise, un certain Mr. Rochester... Celui-là même qui, des années plus tard, tombera amoureux d'une certaine Jane Eyre...
Car en effet, ce roman aussi sombre que mélancolique et publié en 1966 se propose d'imaginer et de raconter la vie de Bertha, personnage secondaire mais non moins marquant du roman de Charlotte Brontë, première épouse de Rochester. C'est un choix curieux, singulier mais également très ingénieux, passionnant et qui donne lieu à un ouvrage extrêmement prenant, d'une puissance assez folle. Un roman qui m'a complètement happée, hypnotisée, renversée.
"La Prisonnière des Sargasses", c'est d'abord un roman d'atmosphère et cette dernière est oppressante, un peu comme si le parfum capiteux des fleurs qui peuplent l'île nous prenait à la gorge, qu'il se muait en poison... Les personnages, tragiques et englués dans un mariage de convention, se confrontent dans une lune de miel devenue un huis-clos angoissant qui vire au cauchemar, à la haine. L'écriture, volontairement heurtée et presque hallucinatoire, alterne les points de vue, donnant ainsi à voir au lecteur l'incompréhension mutuelle des deux époux, leurs souffrances respectives, leurs colères, leurs frustrations jusqu'à ce que la tension décrite et accumulé atteigne son paroxysme, de déploie et éclate...
D'un côté, l'épouse en proie à de violentes crises de mélancolie, pleine des langueurs du climat, affamée d'amour et d'attentions qui ne se sait choisi que pour un argent qu'on lui prend.
De l'autre un époux frustré, effrayé, à la vanité blessée. Un époux qui se persuade d'avoir été dupé, qui croit en la rumeur comme d'autre croient en dieu.
Un époux de plus en plus cruel poussant chaque jour un peu plus sa femme au bord du précipice, vers la folie.
Et puis, le soleil et son implacable chaleur et le bruit entêtant des vagues.
Et puis les serviteurs plus ou moins bien intentionnés (moins plus souvent que bien).
Et puis l'obi, ses croyances, ses rituels.
Et puis la rumeur, les mensonges, la manipulation...
Tout cela concourt à la création d'un cadre inquiétant, violent...
On ne peut que se prendre de pitié et d'affection pour Antoinette. On ne peut que détester Rochester... On en peut que s'attacher à Christophine, qui m'a parfois rappelée Tituba.
On ne peut qu'adhérer à cette écriture magnifique bien que tourmentée. A cette écriture poétique malgré sa crudité, sa cruauté. Cette écriture blessée mais opulente et soyeuse, lourde se couleurs, de parfums, de texture.
Et en creux de ce récit, un tableau saisissant du monde post-colonial jamaïquain. Et une autre, plus saisissant encore, de la folie et de la place des femmes aliénées aux hommes, de ces femmes qu'on coupait de leurs racines, qu'on n'écoutait pas et qu'on traitait si mal. de ces femmes qui sombraient parce que le sort qui leu était fait était bien trop cruel. J'ai d'ailleurs trouvé un peu de l'"Adèle H."de Confiant et de Truffaut dans Antoinette, que dans un dernier élan de férocité son mari rebaptisera Bertha, jusqu'à la fin que l'on sait.
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Ce livre est un très bel hommage rempli d'amour et de tendresse. Dès les premières lignes, Edwige Danticat entre dans le vif du sujet, à savoir l'histoire de sa famille et plus particulièrement celle de son oncle Joseph. Avec un style d'écriture très doux, elle nous raconte des fragments de son enfance, de sa vie d'adulte, de la vie des siens originaires d'Haïti.
Mais c'est aussi un aperçu de ce pays que nous livre l'auteur. A travers son histoire familiale, elle apporte un constat malheureusement sombre de l'évolution politique et sociale de la soit disant démocratie haïtienne. Elle montre également l'envers du décor en ce qui concerne le rêve américain, les difficultés de se faire une place dans ce pays où les préjugés et la suspicion dominent.
Au final, j'ai découvert un auteur de talent et l'oeuvre d'Edwige Danticat est une belle surprise.
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Cette nouvelle d’une soixantaine de pages écrite par Edwidge Danticat, écrivaine haïtienne expatriée au Québec, est un joli conte pour petits et grands enfants. Il permet aux lecteurs de voyager en Haïti à travers les aventures parfois épiques de la jeune Célimène. « Célimène, Conte de fée pour fille d'immigrante » est un récit jeunesse qui raconte l’histoire de Célimène, une jeune orpheline, qui vit au village de Pik Rose avec son frère Mo. Issue d'une famille de paysans, Célimène connaît tous les secrets de la terre et des animaux. Toutefois, elle mène une vie ordinaire jusqu’à ce que surgisse le beau Zaken, qui la demande en mariage. Célimène doit alors quitter son village natal pour suivre son mari, selon la coutume. La jeune fille vit là-bas de multiples aventures, et doit faire face à quelques surprises. Dans cette aventure, elle apprend aussi ce qu’est l’exil : changer de pays, changer de peau, sans pour autant renoncer à ce que l'on est. Dans ce conte touchant, Edwidge Danticat offre des épisodes de vie d’une famille paysanne qui découvre, au travers de plusieurs épreuves, la douleur de l’exil. Une bien jolie nouvelle !
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Jean Rhys, qui a vécu son enfance aux Caraïbes avec une mère créole et un père gallois, nous raconte le destin d'Antoinette Cosway de la Jamaïque étouffante à l'Angleterre froide, sa mère tombée dans la folie, son éducation confiée aux domestiques puis au couvent, son mariage et sa propre descente dans la folie.
Avec les deux voix d'Anroinette Cosway et de Rochester, Jean Rhys nous entraine dans cette histoire avec talent et une écriture sensible.
Nous sommes en Jamaïque, pays de sortilèges, nous sommes dans la tête de ces deux personnages en proie à l'incompréhension de leur union.
Et coup de maitre Jean Rhys a écrit également avec ce livre la "préquelle" du très célébre "jane Eyre" publié plus de 100 ans auparavant par Charlotte Brontë.
Elle éclaire le drame de Rochester et de sa première épouse, dont les hurlements hantent les nuits de Jane. Rochester n'y apparait plus comme la seule victime de ce mariage d'argent.
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Insatisfait de la manière dont Charlotte Brontë présentait l'épouse jamaïcaine de M. Rochester dans Jane Eyre, Jean Rhys (1890-1979) écrivit La prisonnière (1966) pour humaniser la folle stéréotypée du grenier. Élevé à la Dominique, Rhys a écrit cette préquelle non officielle en utilisant un point de vue postcolonial et féministe, repositionnant la première épouse de Rochester en victime du patriarcat, du colonialisme et de l'isolement permanent.
Le roman est divisé en trois parties : la première détaille l'enfance d'Antoinette en Jamaïque, la seconde parle de son mariage malheureux avec un gentleman anglais et du déclin de son état mental, et la troisième se concentre sur son emprisonnement dans le grenier.
Il suit la vie tragique d'Antoinette, une descendante créole blanche de propriétaires d'esclaves qui a grandi en Jamaïque. C'est une jeune femme qui n'était pas préparée aux rigueurs du monde et qui n'a jamais su trouver sa place dans la société. Rejetée et méprisée partout, elle n'est ni vraiment jamaïcaine ni vraiment anglaise. Ayant grandi dans l'insécurité et dans un état de quasi-abandon, elle n'a pas pu surmonter les traumatismes de son enfance : un père alcoolique décédé rapidement, une mère devenue folle après l'incendie de ses biens lors de la révolte des esclaves et qui a entraîné la mort de son fils. , frère cadet du protagoniste.
Devenue un fardeau dont on cherche à se débarrasser, elle s'est mariée à dix-sept ans avec un Anglais venu spécialement aux Antilles pour ce mariage. Antoinette croit trouver le bonheur dans cette union pendant un moment, mais celle-ci va vite tourner au cauchemar et précipiter sa descente aux enfers.
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Tenter d'arracher de l'espoir et du rire intérieur à la misère, à la corruption et aux illusions...
Publié en 2011 en anglais et en 2012 en français, ce nouveau recueil fruit de la collaboration entre les New-Yorkais d'Akashic Books et les Françaises d'Asphalte est un nouveau cru très réussi dans ce concept présentant à chaque fois une vingtaine de nouvelles bien noires sur une ville (ou un pays, lorsqu'il est relativement "petit" comme c'est le cas d'Haïti).
Parmi les 18 nouvelles ainsi sélectionnées par Edwige Danticat, cinq ont largement retenu mon attention et sept m'ont franchement enthousiasmé.
On goûtera ainsi les risques des mauvaises fréquentations adolescentes dans l'enlevée "Au bout de l'arc-en-ciel" (M.J. Fievre), le combat quotidien pour la survie quand sont alliées pauvreté, petits boulots improbables et trafic de drogue dans l'enjouée mais rude "Vingt dollars" (Madison Smartt Bell - considéré ici à raison comme une sorte de "Haïtien d'adoption", depuis son monumental triptyque romanesque sur l'indépendance du pays et sa biographie romancée de Toussaint Louverture), la violente présence des très riches au sein de la misère environnante, et certaines de ses conséquences, avec la tragique "Rosanna" (Josaphat Robert-Large), le rôle social et psychologique du vaudou comme refuge face à l'injustice et au crime du plus fort, dans l'étonnante "Maloulou" (Marie Lily Cerat), ou enfin la lumineuse et tragi-comique incursion dans les trafics en tous genres pouvant prendre place entre l'île et la Floride, avec "Le Léopard de Ti Morne" (Mark Kurlansky - autre Haïtien d'adoption, en tant que journaliste américain spécialiste du pays).
Sept nouvelles se haussent donc avec bonheur au-dessus du lot : la gestion très particulière et néanmoins ritualisée de la disgrâce des policiers trop curieux, dans "L'auberge du Paradis" (Kettly Mars), le fantastique déroulé à rebours, accéléré et magique, du destin cruel d'une petite fille de pêcheur, dans "Claire Lumière de la mer" (Edwige Danticat), la magnifique tentative d'un policier pour mener une enquête criminelle sans céder aux conseils gentiment corrupteurs, dans l'ironique "Carrefours dangereux" (Louis-Philippe Dalembert), une bien étrange exploration de la folie dans "Blues pour Irène" (Marvin Victor), une formidable fable du déracinement et de la vengeance glacée dans "L'ultime département" (Katia D. Ulysse), une manière plus contemporaine de traiter de ce déchirement entre culture traditionnelle, locale, et modernité américanisée, avec la quête personnelle de "Hall de départ" (Nadine Pinede), et enfin, la sublime marche triomphale et cruelle pour réparer l'injustice subie, avec l'énorme "La Merci au portail" (Marie Ketsia Theodore-Pharel).
Un recueil qui fouille Haïti au cœur, qui retourne sans hésitations ses terres les plus noires, qui y saisit les drames intimes, les espoirs fugaces ou les espaces libres arrachés avec tant de peine à la misère, à la corruption, aux illusions, anciennes ou modernes, en laissant toujours un discret espace au rire intérieur, même désespéré. Une lecture à recommander sans aucun doute.
"Deux semaines plus tard, la police avait découvert que ma fille s'appelait elle-même Irène Gouin, qu'elle était un peu barjot, mais très belle, pourtant, m'avait soufflé un agent sur un ton de regret. C'est à dater de ce jour-là qu'était arrivé l'inspecteur Joseph, avec ses questions, sachant que j'avais eu une liaison avec Jimmy, et que Jimmy n'était pas seulement mon mort, mais celui de tous les habitants du Bel-Air qui l'avaient aimé et haï. C'était un mort public, lui avais-je dit de prime abord, sifflant entre mes dents. Un mort dont sans cesse les gens parlaient, cherchant en lui avec force proverbes et métaphores la part de l'ange et du démon, annulant notre histoire et celle, ancienne, poussiéreuse, de toutes les autres femmes aussi, sachant que de lui il ne me restait qu'un vague souvenir de draps en fouillis moites de sueur et d'haleine de vieilles paroles chuchotées. Ainsi toute histoire est faite, avais-je conclu, me disant en pensée que Jimmy avait peut-être eu une belle mort, sur le point de jouir, agrippé à la croupe de la meurtrière, beuglant." (in "Blues pour Irène")
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Ce livre m'a bousculée ! Anglophile et passionnée par Jane Eyre, il m'a été difficile d'admettre qu'il puisse y avoir une autre vérité que celle de la vieille Europe. Bertha est une héroïne fragile et forte (il faudra lire le roman pour comprendre cette contradiction!) qui sombre dans la folie à cause de son héritage certes mais surtout parce qu'elle ne trouve pas sa place dans ce monde qui ne lui en laisse aucune. Non noire, ni blanche, et pourtant les deux à la fois, son identité est diluée, elle ne se reconnaît plus. On serait presque aux frontières du fantastique avec la magie indigène et les hallucinations alcoolisées. J'ai été particulièrement sensible aux descriptions de la nature exubérante et étouffante, on sentirait presque la chaleur des Antilles émaner des pages. Pour moi c'est un chef d'oeuvre et je vais relire Jane Eyre avec un nouvel oeil sur ce personnage !
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