Eliette Abecassis

Son corps fut transféré en ambulance de l’hôpital, lieu de son agonie, jusqu’à son domicile. Il fut alors posé à terre et recouvert d’un drap, selon la tradition. Puis on ouvrit le bureau où le rabbi priait, étudiait et lisait, et les fidèles y dirent des textes sacrés. Ceux qui l’aimaient, nombreux, vinrent rendre un dernier hommage à leur maître.

C’était un après-midi d’avril. Selon les nombreux médecins qui le suivaient, le coma survenu un jour plus tôt était dû à une défaillance cardiaque. Entre trois heures et trois heures trente de l’après-midi, ils arrêtèrent les transfusions.

Sa poitrine, un agneau pris au piège par le loup, se souleva d’un bond, comme si le cœur allait en sortir tel qu’il éstait, nu, éclatant, sacrifié.

Ses membres étirés, percés par les aiguilles, maculés de taches violacées, semblèrent s’affaisser. De ses mains trouées, recroquevillées sous la douleur, coula le sang ; une lave tiède jaillie du cœur, remontant jusqu’à la bouche desséchée, aride des paroles d’amour qu’il aimait tant prononcer, prostrée en une expression muette de crainte et de surprise, sa dernière, juste avant l’attaque.

autour de ma taille, je nouais une cordelière, le guertl, long ruban de soie noire tressée, afin que soient séparées la partie directrice du corps et la partie prosaïque. Pour le Chabbath et les jours de fêtes, je me revêtais de ma lévite de soie noire, satinée et brillante.

Le jour et la nuit, je ne quittais la calotte faite de velours noir, qui recouvrait largement ma tête, sous mon chapeau. J’avais des souliers noirs, plats et sans lacets qui accueillaient mes pieds déjà enfilés dans des bas noirs. Noirs aussi mes pantalons, selon la tradition. Mais ma chemise était blanche sous ma longue veste sombre et, sous la chemise, je portais toujours un petit châle de prière fait de deux carrés de laine de couleur crème, avec une ouverture sur le haut, un pan reposant sur la poitrine et l’autre sur le dos, et dont dépassait, attachée à chaque angle inférieur, une frange rituelle en souvenir de l’Alliance

Ariane tremble, rougit de s'être trompée de destinataire, elle a honte et honte d'avoir honte, elle préfère ne plus rien écrire, elle voudrait se déconnecter de tout, hors Tinder, WhatsApp, Facebook, Insta. Être hors du monde. Elle est devenue une boîte de réception de centaines de messages par jour. Sous tension, embrumé, son esprit ne peut plus se concentrer sur une activité, il lui faut répondre et renvoyer toute la journée, comme dans un match de tennis sans fin. Lecture, réponse. Action, réaction.

Mais qu'est-ce qui est beau, qu'est-ce qui est laid ? Instagram a introduit de nouveaux standards qui modèlent les imaginaires selon des critères précis, les orientant de façon implacable selon des lois mystérieuses que tous respectent tacitement, sous peine de ne pas être instagrammable.

Solal sourit devant ce rêve inatteignable [montré par l'Instagram de Renaud Capuçon]. Est-ce que Renaud Capuçon se dispute avec sa compagne, parfois ? Lui arrive-t-il d'être d'être de mauvaise humeur ? Ses amis sont-ils toujours aussi élégants et sympathiques ou peuvent-ils le décevoir ? est-ce qu'il s'entend bien avec toute sa famille sans que jamais ceux-ci ne posent de problèmes ? A-t-il des soucis de travail, de concerts annulés, d'épineuses histoires d'agent qui assombrissent ses journées, ou cela ne lui arrive-t-il vraiment jamais ?

[...] elle voudrait se déconnecter de tout, hors Tinder, Facebook, Whatsapp, Insta. Être hors du monde. Elle est devenue une boîte de réception de centaines de messages par jour. Sous tension, embrumé, son esprit ne peut plus se concentrer sur une activité, il lui faut répondre et renvoyer toute la journée, comme dans un match de tennis sans fin. Lecture, réponse. Action, réaction.

Des moments pareils, elle n'en a pas beaucoup et elle a du mal à le savourer sans saisir avec son portable, l'immortaliser et le garder, comme si un instant non photographié, non partagé, n'était pas réel, comme si vivre sans images et sans se mettre en scène, c'était faire semblant.

Le soir pour oublier ses soucis et s'évader dans un monde meilleur, Ariane regarde une série, miroir de sa vie morcelée : des segments, brefs moments sans continuité, comme le flux d'informations qu'elle consulte cent fois sur Twitter. Elle ne lit plus, ne discute plus, ne regarde rien ne s'appartient plus depuis qu'elle s'adonne aux réseaux sociaux.
Elle s'endort avec le téléphone à portée de main : sur le lit, à côté de l'oreiller. Plus qu'un fidèle compagnon, quand elle a une insomnie, il reste éveillé avec elle et lui donne des nouvelles du monde entier, la distrait, la met en relation avec des contacts professionnels, lui indique où en est son compte en banque, lui propose d'acheter tout ce qu'elle souhaite. Il sait le moindre de ses goûts et de ses désirs, et parfois même il les devance.

Elle n'a plus le temps. Le temps, elle l'a perdu avec la technologie qui est supposée lui en faire gagner, mais qui la projette dans une activité trépidante, à courir après quoi ? Après le temps...
Les textos, les messages, les demandes d'amitié sur Facebook, les parents, la famille, les amis virtuels, les amis réels : son cerveau est sollicité en permanence par le bip d'une notification. Peu importe son contenu, elle signifie : "Tu n'auras pas de temps pour toi, tu as perdu la maîtrise de ta vie, tu ne t'appartiens plus car tu appartiens férocement aux réseaux sociaux."

Mais une notification concernant une attaque terroriste islamiste vient perturber ce doux rêve, puis un sms d'une amie au sujet d'un livre de maths oublié et les soldes sur Sarenza : tout parvient à son esprit en même temps, sans hiérarchie. Plusieurs centaines de mots, plusieurs milliers de morts, un tsunami en Indonésie et le scandale au sujet du rappeur Roméo Elvis.

Un jour vous saurez que ce n'est pas dans la ressemblance et l'identité que les hommes doivent se respecter et être en paix les uns avec les autres, mais dans la différence. Nous sommes tous des êtres uniques. Et si nous pouvions voir tous les êtres humains qui se sont succédé sur la terre, nous pourrions constater qu'aucun être humain n'est identique à un autre. Quand nous disons que Dieu a créé l'homme à Son image, il s'agit bien de l'homme. Dieu n'a pas créé le juif à Son image, ni le mahométan, ni le chrétien, ni l'homme blanc, ni l'homme noir, mais l'être humain !

Le dimanche, quand il fait beau, ils apportent un pique-nique jusqu’à l’île Saint-Louis, et ils déjeunent au bord de l’eau devant les bateaux-mouches et un Paris de carte postale. Et bien sûr, le jardin du Luxembourg, où ils aiment se promener, par tous les temps, par amour, par légèreté, par nostalgie, pour son ambiance bucolique et ses chaises vertes, les rêves et les discussions, tant de souvenirs.

Je suis à votre service à tous les trois. Je ne fais rien d’autre que ça. Et ma vie de femme…elle n’existe plus. Je suis à bout.

Nous sommes empruntés et confisqués par notre passé que nous empruntons et confisquons à notre tour, essayant de savoir qui nous sommes, en cette quête infinie qui commence au premier cri, qui ne s’achève jamais- et qui s’appelle la vie.

De la mort. J'ai peur de mourir avant toi et de te laisser seule. Et aussi j'ai peur de ne pas mourir. Je ne veux pas rester sans toi. Je ne sais plus quoi faire, quoi penser. J'ail l'impressionde perrdre la tête. Tout m'effraye.

concernant leur deux enfants :
"Ils ne viennent pas souvent me voir. Quand on pense à toute la place qu'ils avaient dans nos vies. Maintenant ils sont comme des étrangers