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Citations de Elsa Osorio (119)


La peur la gagne de nouveau, elle arrive par vague, comme la mer et elle les brise une à une jusqu'à les vaincre.
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Mais je me demande ce qu’elle faisait quand on a jugé les commandants. Si je me rappelle bien, je n’ai jamais entendu parler de ce procès à la maison. Les séances étaient publiques. Est-ce que maman aurait assisté à l’une d’elles ?
Elle est dans sa chambre. J’entre et je lui demande. Elle me regarde abasourdie.
— Qu’est-ce que tu dis, Luz, tu es folle ? Comment peux-tu penser que j’aie pu assister à ces séances où tous ces misérables apatrides ont osé agresser ceux qui les avaient délivrés du danger de la subversion.
Je ne l’avais jamais vue aussi véhémente et convaincue.
 — Mais tu as dû lire des articles à l’époque du jugement.
 — Jugement ! Mais de quel droit ces types-là jugeaient ? Qui étaient-ils ?
 — Il y a bien eu un procès, avec des juges, des avocats de la défense, des procureurs, et il y a eu une sentence.
 — Et qu’est-ce qui s’est passé ? Rien, ils ont tous été remis en liberté, sauf les commandants qui donnaient les ordres. S’il y a eu des erreurs, elles viennent d’eux, les autres n’ont fait qu’obéir. Mais ne crois pas pour autant que j’approuve la condamnation des commandants, ce n’était pas une guerre conventionnelle, et en fin de compte ce sont eux qui ont sauvé le pays.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « ce n’était pas une guerre conventionnelle » ? – je m’efforce de ne pas m’emporter, d’essayer de savoir ce que croit maman, parce que ce n’est pas possible qu’elle soit au courant de faits si abjects, si dégradants, et qu’elle les défende.
 — Elle n’était pas conventionnelle parce que l’ennemi n’était pas à l’extérieur mais s’était infiltré dans le pays, c’est pourquoi il a fallu agir d’une autre manière. Il y a eu peut-être quelques excès, mais c’était une guerre et l’important dans une guerre c’est de la gagner, à tout prix.
Je voudrais lui demander si elle considère que la guerre consiste en des enlèvements à l’aube par des bandes anonymes, des « affrontements entre des cadavres putréfiés et des fantômes », comme l’a déclaré un témoin, la torture et le vol, mais je me tais et la laisse continuer : Ils ont sauvé le pays, par contre qu’a fait ce crétin qui les a discrédités quand il était au pouvoir, qu’est-ce qu’il a fait ? Je vais te l’expliquer, Luz, il a plongé le pays dans le plus terrible des chaos, l’hyperinflation. Bien sûr, tu ne t’en rendais pas compte, heureusement tu n’as jamais manqué de rien. Mais toi qui aimes les pauvres – cette ironie qu’elle veut insultante –, eh bien, les pauvres ils n’avaient plus de quoi manger, il est vrai qu’ils sont habitués. Elle allume une cigarette et sa voix revient à des registres plus courants, comme si son couplet sur Alfonsín et l’hyperinflation l’avait purgé de son exaltation patriotique et rendu à son snobisme, à sa stupidité distinguée. Les pauvres ont toujours été habitués à ne rien avoir, mais quand on a des biens et qu’on voit ses propriétés menacées, son mode de vie, alors c’est bien pire.
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Les fantômes sortent maintenant de ces minutes du procès, de ces pages déjà jaunies par le temps, et peuplent mes jours et mes nuits. Je vois cette fille, Beatriz, la jambe cassée, au camp de détention, qui se traîne aux toilettes et y trouve les lettres et le journal intime de sa mère que l’on a accrochés pour se torcher le cul. Je l’imagine essayant de cacher sous ses vêtements ces papiers de sa mère qui s’est suicidée peu de temps auparavant, folle d’horreur devant le destin de sa fille. C’est exprès qu’ils ont placé là ces papiers, pour qu’elle les y trouve, comme si ses tortures physiques n’étaient pas suffisantes. Et cet homme que ni l’électricité sur les gencives, le bout des seins, partout, ni les séances systématiques et rythmiques de coups de baguettes en bois, ni les testicules tordus, ni la pendaison, ni les pieds écorchés à la lame de rasoir, ne parviennent à faire s’évanouir ni parler, et à qui on présente un linge taché de sang : « C’est de ta fille », lui disent-ils, elle a douze ans sa fille, voyons s’il va collaborer, s’il va parler maintenant.
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Quand Ramiro m’a dit : « En vérité, Luz, je suis dégoûté que tu sois la petite-fille de Dufau. Tu peux me comprendre ? » J’ai haussé les épaules, je ne trouvais pas de réponse. Qu’est-ce que je pouvais faire ? Je ne savais pas si je le comprenais, mais qu’il soit dégoûté me faisait mal. Je ne suis pas mon grand-père, je suis moi.
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Luz buvait ses paroles avec avidité, observait son visage, s’émut au récit de cet après-midi où ces salauds de militaires avaient été condamnés à la réclusion à perpétuité et où Ramiro avait trinqué avec sa mère et Antonio.
 — Puis il y a eu cette loi d’obéissance due, le point final et la grâce. Ils ont été graciés après avoir été jugés et condamnés, tu te rends compte ? Ah ! ce crétin de Menem. Ce pays est amnésique.
Obéissance due… Natalia. Comme bousculée par ces mots, Luz bondit hors du lit de Ramiro. Elle s’assit par terre en face de lui.
 — C’était quoi cette loi d’obéissance due ?
 — Luz, dans quel monde tu vis ?
 — Je veux que tu m’expliques bien. J’étais toute gosse à l’époque.
 — La loi d’obéissance due a été adoptée en 1987 et a signifié la liberté pour des centaines de tortionnaires et d’assassins, reconnus non responsables parce qu’ils ne faisaient qu’exécuter des ordres, comme si on pouvait obliger quelqu’un à commettre des actes aussi aberrants que ceux qu’ils avaient commis.
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Tu repenses à l’incident d’hier soir et tu sais maintenant ce qui t’a le plus gêné : Pourquoi, après tout ce qu’elle avait dit, Carola avait-t-elle éprouvé le besoin de présenter ses excuses à Mariana ? Pourquoi était-il si important que Mariana ne pense pas qu’ils étaient d’accord avec les guérilleros ? Une seule explication : parce que Mariana est la fille de Dufau et Luccini doit avoir peur de lui. Quand tu lui as demandé dans la voiture pourquoi elle ne laissait pas chacun libre de penser et de sentir à sa guise, elle est devenue furieuse : alors c’est comme ça que tu veux élever Luz, en lui disant que chacun est libre de penser ce qu’il veut, et si demain elle devient guérillera ou droguée… Et là a commencé cette salade de drogué-guérillero-homosexuel qu’elle place du côté des « méchants », tandis que de l’autre se trouvent les « bons », son papa, par exemple. Dans les schémas de Mariana, Dolores ferait partie des méchants. Si Carola lui a paru suspecte par ses propos, que penserait-elle de Dolores ? Parfois, l’infantilisme de Mariana t’amuse, mais sur ces questions-là il te rend malade. Bien sûr que tu vas parler avec Mariana, tu ne vas pas laisser les choses ainsi, c’est elle qui ne voit pas ce qui s’est passé dans le pays pendant ces années. Dolores n’avait jamais milité et pourtant elle aussi ils l’ont enlevée.
 
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— On lui donnait une nourriture spéciale et ils ne la torturaient pas comme ils le faisaient aux autres.
— Tu trouves que ce n’est pas une torture d’être là-bas et de savoir que toutes ces attentions, ce régime spécial, c’était pour lui voler son enfant – la haine voilait la voix de Carlos. Ils venaient là pour choisir les mères, comme si c’était un vivier d’êtres humains ! C’est monstrueux, aberrant.
— Oui, c’est répugnant. Je parlais de la torture physique, de la picana.
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Lili, si la Bête me tue, tu dois te rappeler, écoute-moi bien, tu dois te rappeler que ta maman s’appelait Liliana et qu’elle était très gentille. Et ton papa, Carlos. Et qu’on les a tués parce qu’ils voulaient une société plus juste. Et souviens-toi aussi de moi.
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«  On l’appelait la Bête à cause de sa force. Quand ils faisaient une descente, ils sonnaient et si on ne leur ouvrait pas, ils lui disaient :
«  Vas- y La Bête » et il y allait , quelques pas en arrière, et de tout son poids il se jetait contre la porte et la défonçait . »
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Ils ont recouvert son cercueil d'un drapeau. Je ne connais pas ce monstre en uniforme qui est en train de parler. Je ne veux pas l'écouter. La main de maman serre la mienne, et la colère qui monte en moi aux paroles de ce fils de pute menace la douceur de ce contact entre sa main et la mienne. Maman m'aime, sinon elle ne chercherait pas ma main en ce moment. Elle se détache de moi et, avec sa mère et ses sœurs s'avance vers le cercueil. Elle pleure, accablée. Je regarde ces quatre femmes devant le cercueil. Elles ont la chance de savoir que dedans repose le corps d'un père et d'un mari. Combien sont-ils, dans ce pays, qui n'ont pas eu la possibilité de faire leurs ultimes adieux aux êtres qu'ils aimaient à cause de ce salaud, là-dedans, couvert d'un drapeau ? J'observe les autres, au garde-à-vous, tout fiers dans leur uniforme. Comment osent-ils s'exhiber dans cet accoutrement après ce qu'ils ont fait ? Pourquoi, eux, personne ne les tue ? Pourquoi n'y a-t-il personne ici pour les insulter ?
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- Mais puisque tu n'étais pas dans la guérilla, ils n'avaient pas de raison de te tuer.
(…)
- Non, je ne militais pas. Mais quel rapport ? Tu penses que c'est pour cela qu'ils m'ont relâchée ? - Elle se tait un instant, pour revenir à la charge, avec plus de rage encore – Ou tu penses que ceux qui militaient, ou qui avaient simplement des idées différentes des tiennes, méritaient qu'on leur mette le corps en bouillie, qu'on les humilie, qu'on les assassine, ou qu'on les brise idéologiquement en les obligeant à une trahison douloureuse ? Voyons, explique-moi un peu.
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Lili, adorable Lili, tu ne me pardonneras jamais de te livrer aux méchants. Mais que veux-tu que je fasse, la Bête m'a menacée. Si je reste en vie, un jour je reviendrai te chercher ; morte, il n'y a aucun espoir. Lili chérie, je veux que tu saches que je t'aime beaucoup, beaucoup, ce que tu m'as donné pendant ces quelques jours, et ta maman aussi, ta pauvre petite maman, personne ne me l'avait jamais donné. Lili, si la Bête me tue, tu dois te rappeler, écoute-moi bien, tu dois te rappeler que ta maman s'appelait Liliana et qu'elle était très gentille. Et ton papa, Carlos. Et qu'on les a tués parce qu'ils voulaient une société plus juste. Et souviens-toi aussi de moi, quand je te chantais "Manuelita".
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Le général Dufau était de ceux qui pensaient que plus on en liquidait, mieux cela valait, qu’il fallait pour gagner la guerre élimine toute cette génération d’apatrides, et non pas en faire des partenaires, comme les autres qui voulaient récupérer les « montos ». (…) Récupérer les terroristes lui semblait absurde: le seul bon subversif était un subversif mort. (p. 305)
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Elle a peut-être raison, c'est cette chose noire, sans nom, qui ne laisse rien voir, et que j'ai toujours eue.
- Comme le bandeau des prisonniers. une chose noire qui ne laisse rien voir. Mais tu l'as enfin enlevée.
- Il m'a fallu vingt ans !
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Elle pleure ? Oui, elle sèche ses larmes. Maintenant tu en es sûr : C'est Dolores.
Tu as l'impression de sentir dans ta bouche la chair douce et fraîche des pêches que vous cueilliez aux arbres pendant les siestes chaudes d'Entre Rios. Et il t'arrive encore, de temps à autre, de mordre une pêche et de te souvenir de cette envie irrésistible que tu ressentais alors pour elle.
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Là-bas, on touchait le fond tous les jours. Et même après avoir refait surface, dans cette autre vie que nous sommes quelques-uns à avoir conservée, combien de fois, en dépit des joies et des réussites, nous retombons dans ce fond boueux.
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Les marguerites sont des fleurs stupides et sournoises, ne les cueille pas, ne compte pas leurs pétales. On te ment. Ne te brosse pas les cheveux. Ne te regarde pas dans le miroir.
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J'aimais tellement les interprétations que je faisais de mes rêves que j'avais hâte de dormir, non par besoin de me reposer, mais pour les rêves surgissent dans la nuit opaque de ma chambre et grimpent comme du chèvre-feuille en envahissant tout. Je ne me souciais pas de comprendre (ni moins encore de résoudre) quelque problème de ma vie selon les interprétations que m'inspiraient les rêves. Le plaisir que me procuraient leurs phrases merveilleuses était tel que rien d'autre ne m'importait.
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Le cahier bleu, c'est comme ça que je l'appelle, bien qu'il n'en reste plus que le mot bleu, mes notes et quelques photocopies pâlies. Le cahier, que tu as écrit entre 1931 et 1933, je l'ai perdu il y a bien des années, quand je l'ai rendu, avec d'autres documents, à Guy Prévan, à qui tu l'avais confié.
Je ne suis pas découragée par la trame effilochée et parsemée de trous de tes écrits. Parmi ces chroniques de ce que vous avez vécu, on trouve des commentaires de livres, des descriptions de monuments et de paysages, des listes de tâches à effectuer et des coupures de presse, j'adore ces éclairages en coin par lesquels tu décris Paris avec la minutie de ces peintres flamands qui te touchaient tant. Je m'installe confortablement sur les moelleux oreillers de tes mots et je profite de la vue que m'offre la fenêtre de la mansarde de la rue des Feuillantines, où tu t'es installée avec Hippo : les magnifiques marronniers du Val-de-Grâce, les toits de zinc brillants, argentés, des couples sur le boulevard de Port-Royal, la coupole claire de l'Observatoire, et ce vaste ciel de Paris posé sur trois sveltes cheminées. De tes lignes me parviennent nettement le chant de ce chardonneret amoureux, le chuchotis des merles qui campent comme une bande de gitans, le roucoulement des pigeons, le piaillement des moineaux qui se chicanent. Et je peux même vous entendre, vous, crier d'amour à l'unisson des chants de la terrasse voisine.
Je suis éblouie par la vie que vous meniez, une vie simple, riche, libre et engagée, unique, éthique et belle, la vie des idées, des émotions, de la passion partagée pour un monde meilleur. Je vous vois si heureux dans le cahier bleu...
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Ce pays est amnésique.
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