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Critiques de Emmanuel Carrère (2221)
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D'autres vies que la mienne

C'est un titre porteur et tellement évocateur... Emmanuel Carrère nous parle d'autres vies, de la vie des personnes qu'il croise sur sa route, des amis intimes ou non mais qui ont tous laissé leurs empreintes à un moment donné.

Ces autres vies, ce sont celles de Jérôme et Delphine, les parents de la petite Juliette emportée par le tsunami, au Ski Lanka en décembre 2004. Emmanuel Carrère, en gage d'amitié envers ce couple les aidera autant qu'il le pourra à surmonter ce deuil, autant que cela puisse être possible.

Ces vies, ce sont celles de Juliette, la sœur de la compagne d'Emmanuel Carrère, magistrate. Atteinte d'un cancer à l'âge de 18 ans, elle s'en remettra mais la maladie, sournoise, reviendra quelques années plus tard.

Ces vies, ce sont aussi celles d'Emilie, de Clara et de Diane, les trois petites filles de Juliette qui devront apprendre à vivre sans leur maman.

Ces vies, ce sont celles aussi d'Etienne, ami et collègue de Juliette. Réunis dans le même drame de la maladie puisqu'il est amputé d'une jambe, ces deux êtres vont défendre de manière féroce et terriblement efficace les couples surendettés, les situations précaires dans lesquelles ils se sont engouffrés et dont ils n'arrivent plus à sortir.



Emmanuel Carrère décrit avec justesse et énormément d'émotion tous ces destins croisés. Il y a à la fois plusieurs livres dans ce même ouvrage, on y parle de tsunami, de mort, de cancer, de surendettement, de justice, d'amour, d'amitié... Autant de sujets qui ont marqué l'auteur au cours de ces quelques années et qui nous prouvent, à travers ce récit, l'importance des gens qui nous entourent, leur interaction sur notre propre destin. Un peu comme un journal, il raconte d'une façon si passionnée, émouvante et parfois terrible, tout simplement, la vie. Avec justesse et sobriété, il s'est mis à l'écart pour nous montrer au grand jour les héros du quotidien.



D'autres vies que la mienne, si cela m'était possible...
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D'autres vies que la mienne

C'est ma première rencontre avec Emmanuel Carrère.



L'écrivain fait preuve de beaucoup de tact et d'une grande sensibilité pour évoquer ces moments de vie éprouvants dont il a été témoin.

Il est toujours difficile de se mettre « dans les chaussures « d'un autre, d'imaginer que chaque personne a son lot de difficultés, de souffrances et des épreuves. Il est nécessaire parfois de percevoir derrière les carapaces les tragédies et traumatismes qui traversent nos semblables.



Les tragédies racontées par Emmanuel Carrère nous secouent particulièrement car nous avons tous vécu « en direct » via des centaines d'images la dévastation provoquée par le tsunami et nous avons tous perdu un être cher d'une maladie grave.



L'auteur plonge sa plume fine et intuitive dans l'encrier des jours pour livrer un mélange de scènes tendres, drôles, dramatiques et mélancoliques.

Mais le message voulu et qui persiste après la dernière page tournée, c'est la question du courage, de la difficulté à se reconstruire et de continuer à avancer malgré les coups durs du destin.



Délicat et bienveillant comme un baume !





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L'Adversaire

Bien sûr ! je me rappelle de l’affaire Romand. Comment peut-on, si longtemps, s’inscrire dans le mensonge ? Dix-huit ans d’une vie fictive, enfin, en partie vraie seulement, une part infime. Partant à son travail, vers un bureau imaginaire et œuvrant au sein d’un organisme de renommée mondiale, parmi d’illustres chercheurs où praticiens dont aucun, pourtant, n’a jamais entendu parler de lui. Jean-Claude Romand a tué sa femme et ses enfants, ses parents, puis tenté en vain, tenté tout de même, de se supprimer. Tout cela est vrai, en cela, il n’y a rien à démontrer, c’est bien la triste réalité. Ce qu’a tenté Emmanuel Carrère, c’est de rendre compte de l’incompréhensible. D’analyser le parcours forcément solitaire de cet homme, au quotidien engoncé dans un costume imaginaire et se ressourçant dans la forêt jurassienne, au cœur de laquelle il trouvait clémence et sérénité, n’ayant aucun compte à lui rendre, à elle. Difficile démarche que celle de cet auteur, quand il entre en contact avec Jean-Claude Romand, dans le contexte que l’on sait et afin d’établir un mode de communication. Une approche qui ne rend rien acceptable en dehors du seul jugement de procédure, mais qui nous ouvre une voie vers l’entendement.
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La Classe de neige

« La classe de neige » a obtenu le prix Femina en 1995, ce titre aux résonnances douces de souvenirs d'enfance pourrait laisser penser que nous sommes en présence d'un roman léger et joyeux, il n'en est rien.



Nicolas part en classe de neige avec sa classe. Il n'en a pas envie mais sa maîtresse a insisté, c'est l'occasion de se faire une place dans le groupe. Toutefois une appréhension, partagée par les parents qui redoutent un accident de car, amène le père à conduire Nicolas au lieu de résidence de la classe de neige. Malheureusement, Nicolas oublie son sac de voyage dans le coffre de la voiture de son père, il tombe malade, et commence à s'inquiéter de ne pas recevoir de nouvelles de celui-ci. En quelques lignes, le malaise est déjà bien présent, il ne fera que croitre. A partir de l'oubli de son sac, Nicolas voit son séjour à la montagne se transformer en véritable cauchemar.



Après un début presque banal, l'auteur installe une atmosphère lourde et oppressante ; une menace plane sur Nicolas et le lecteur est amené à se plonger dans l'angoissante imagination de Nicolas où le réel et l'imaginaire s'imbriquent pour ne faire qu'un. Le lecteur ignore d'où le danger va surgir, quel forme il va prendre, mais il devine que quelque chose est en marche. La classe de neige est un roman du non-dit qui est continuellement une source de tension. Certaines choses sont dites à demi-mots, d'autres sont sous-entendues. Tout au long du roman, Emmanuel Carrère donne des indices mais ne dévoile rien, il déstabilise le lecteur et le laisse imaginer et découvrir par lui-même. Ainsi, certaines révélations ne sont que suscitées et font appel à l'esprit de déduction du lecteur. Il y a un sentiment d'étouffement dans ce presque huis-clos que l'auteur nous impose pour créer un sentiment d'enfermement. Le malaise règne en maitre dans ce troublant roman où le père, absent du chalet, est pourtant omniprésent.



Emmanuel Carrère affiche une formidable efficacité en allant à l'essentiel par petites touches successives qui offrent des indices éclairant la situation et pour décrire des sentiments et la capacité des enfants à se raconter des histoires que chez les adultes on nommerait mythomanie. Le mythomane se ment à lui-même, confondant vérités et mensonges, réalité et fiction. C'est exactement ce qui arrive à Nicolas dont les hallucinations prédominent sur le réel qui ne semble plus avoir d'emprise sur lui. Ne sachant plus faire la distinction entre le réel et l'imaginaire, il devient victime de ses propres illusions, en partie pour se protéger.



Ainsi, pour échapper à une terrible réalité, en proie à des angoisses nées de son imagination, Nicolas prend ses rêves pour des réalités et se crée un univers dans lequel



La réalité va rattraper le jeune Nicolas avec la révélation finale d'une rare violence. La fin est rude et l'intrigue se termine sans que la vérité soit exprimée de façon explicite.



Emmanuel Carrère nous offre une nouvelle fois un excellent roman, écrit dans un style sobre et précis, où il décrit avec talent la psychologie d'un enfant peu sûr de lui et en recherche de reconnaissance.

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Le royaume

Encore une fois, Carrère fait du Carrère... si on aime ça, on aime Le Royaume et si on déteste ça, on déteste Le royaume ! Moi j'aime ça, profondément, ça me parle, ça m'amuse, ça m'émeut, ça m'intéresse.



Cette fois, c'est à la foi chrétienne qu'il s'attaque, à la fois la sienne propre pendant les quelques années où il l'a vécue, et celle des premiers chrétiens, notamment l'intransigeant Paul de Tarse et l'évangéliste conciliant Luc. Comme toujours, son récit est incroyablement documenté et très instructif, distinguant clairement ce qui relève de la vérité historique et ce qui relève de l'interprétation ou de l'invention.



Mais on ne serait pas chez Carrère si ça s'arrêtait là ! Il est bien le seul à pouvoir intercaler une description de vidéo porno dans une partie sur les évangiles sans paraitre irrévérencieux ou absurde. Pourquoi ? Parce qu'il fait sans arrêt preuve d'introspection, de lucidité et d'autodérision ; impossible pour moi dans ce contexte de lui tenir rigueur de son égocentrisme ou de sa mégalomanie.



Si le livre est brillant et passionnant, il peut aussi sembler difficile à aborder, car particulièrement touffu et dense. Je l'ai donc lu à petits coups, en revenant parfois en arrière, en m'arrêtant quand j'approchais l'overdose de miracles ou de sermons, en piochant parfois un chapitre, parfois 100 pages. Et je le relirai bientôt, c'est sûr.



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L'Adversaire

* Mythomanie paroxismique *



L'affaire Romand, j'en avais entendu parler un peu comme tout le monde. Le type qui se faisait passer pour un médecin et qui a tué sa femme, ses parents et ses gosses. Ca prêtait à sourire... mais comment ont-ils pu ne rien voir pendant toutes ces années ? Des cruches ? Pas certain !



Emmanuel Carrère nous entraine à la découverte de cette sordide affaire où un homme se fabrique une réalité alternative d'abord, à mon sens, pour préserver son histoire d'amour avec celle qui deviendra sa femme. Il a raté ses examens de médecine, mais à ses yeux il sera médecin. Il s'invente une carrière à l'OMS, des amitiés haut placées, des colloques à l'étranger.

Pour vivre, il pioche dans les économies de ses parents, invente des placements, arnaque ses proches qui donnent en toute confiance leur argent à ce médecin de l'OMS pour qu'il puisse les placer en Suisse. Personne ne voit rien, personne ne soupçonne rien. Jean-Claude Romand, c'est un brave gars, gentil comme tout. un bon père de famille.



Jusqu'au jour où le secret commence à s'éventer. Sa femme, ses amis, trouvent que c'est bizarre qu'on ne sait pas le joindre à l'OMS.... le déclic.

Il a préféré le carnage à la honte.



Une affaire vraiment pas comme les autres qui glace le sang. Qui connait-on vraiment ?



Carrère nous raconte son expérience avec le tueur mythomane. Il l'a rencontré, il a assisté au procès, il a correspondu avec lui et nous livre sa vérité avec maestria.



L'affaire Romand, c'était en 1993, il y a tout juste 30 ans. Il a été libéré sous conditions en juin 2019
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V13

Collaborant à l'époque (et toujours d'ailleurs) pour un journal départemental en tant que pigiste (j'y faisais alors mes débuts en 2015), l'une ds journalistes m'avait demandé d'aller sur place lors du retour des familles qui avaient assisté au match se déroulant au stade de France ce soir-là, ce fameux vendredi 13 novembre 2015 où de nombreuses vies ont été changées à jamais. Ayant simplement pu interviewer l'un des pompiers présents sur place, je m'étais juré "plus jamais ça", non, je voulais bien me consacrer à des sujets légers, culturels mais plus jamais cela, tant ce bref échange de paroles m'avait bouleversé et je me disais alors "mais qu'est-ce que je fais là, n'est-ce pas du voyeurisme malsain ?" Et pourtant, il fallait que ces voix soient entendues et toujours aujourd'hui et c'est la raison pour laquelle (enfin l'une des raisons devrais-je préciser) je tenais absolument à lire ce livre, pour entendre les paroles des parties civile mais aussi celle des accusés encore et encore, afin que l'on n'oublie pas et que l'on se répète : NON, PLUS JAMAIS CA ! J'admire le courafe d'Emmanuel Carrère et de tous les journalistes présents durant ces près de dix mois de procès, j'admire les avocats (quels qu'ils soient et les victimes qui, six ans après, ont dû se replonger dans cette nuit de l'angoisse et de la mort !



Ici, Emmanuelle Carrère ne fait pas un pathos sur tous les mots - horribles - qui ont été prononcés par les victimes, non il leur rend hommage tout simplement, tout comme il n'accuse pas de front les accusé, il fait un simple état des faits et là, encore je ne peux qu'apprécier la verbe de ce grand journaliste, romancier et tant d'autres encore qu'est Emmanuel Carrère. Lui qui a couvert, durant tout le procès, quelques 8 000 signes grand maximum pour le journal Le Nouvel Obs (et je sais combien c'est compliqué de se limiter à un nombre de caractères imposés alors que l'on voudrait dire tellement plus) tous les luundis du mois, ici, il en reprend l'essentiel mais se permet enfin de pouvoir en dire plus et en citant certains noms des parties civiles, il leur redonne vie (elles qui ont perdu soit un proche soit se sont retrouvés handicapées ou démolies moralement pour le reste de leurs vies lors de ce vendredi soir, soit en étant au Bataclan pour ce qui devait être une sortie entre amis pour un concert de rock, soit en prenant un verre avec d'autres amis installés à une terrasse d'un café), soit en allant assister à un match de foot puisqu'il y a tout de même eu une victime que l'on a tendance à trop oublier au stade de France (ce qui porte le nombre à 131 morts ces soir-là). Pour tous ceux-là, je me devais de lire cet ouvrage et ne peux que vous encourager à faire de même !



Certes, c'est une lecture dont on ne peut pas sortir indemne (et c'est la raison pour laquelle j'ai lu cet ouvrage par petites séquences et non pas d'une seule traite) mais c'est un livre-témoignage d'une grande force, extrêmement bien écrit et qu'il faut, selon moi, absolument lire ! Je ne vous cache cependant pas que ma prochaine lecture va s'avérer être beaucoup plus légère (j'en ai vraiment besoin) et si l'on ne peut pas pardonner, l'on peut au moins essayer de comprendre et c'est déjà énorme !
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V13

V13 comme Vendredi 13, ce Vendredi 13 Novembre 2015, ce doux soir d’automne, la nuit, la vie promettait d’être belle pour ces jeunes gens attablés en terrasse à La Belle Équipe, au Carillon, au Petit Cambodge, qui se pressaient d’aller à un concert de rock au Bataclan, un match de foot au Stade de France, …

Cette soirée qui s’annonçait comme une belle soirée festive pour la jeunesse parisienne a soudain basculé dans l’horreur d’une série d’attentats simultanés qui ont meurtri à tout jamais, les corps, les âmes, notre croyance d’être en paix, en sécurité en France.

Emmanuel Carrère se lance dans une entreprise un peu folle, il décide de chroniquer dans l’Obs le procès. Un procès qui va durer neuf mois, et il va y assister chaque jour, à ce procès hors-norme, 1800 parties civiles, 350 avocats, 131 victimes, une salle construire exprès pour accueillir la foule au cout de 3 millions d’euros pour le contribuable …

Emmanuel Carrère sait nous plonger dans l’ambiance de ce tribunal si particulier, et grâce à ce livre j’ai eu l’impression d’y assister à ses côtés.

Le livre est partagé en trois parties, la première est incontestablement la plus poignante, elle est dédiée aux victimes, la deuxième aux accusés (dont bien sûr Salah Abdeslam) et la troisième à la Cour.

Le récit des victimes est terrible, des frissons m’ont parcourue, j’ai été au bord de la nausée face à certains détails ; il est absolument impossible de refermer le livre pendant cette partie (sauf pour reprendre son souffle et se rassurer en se disant qu’un dingue ne va pas surgir, là devant vous tout de suite, armé d’une kalachnikov pour tirer sur tout ce qui bouge). Les émotions submergent face à ces témoignages de victimes et de familles de victimes, leurs angoisses, leurs séquelles, ceux qui s’en sortent et ceux qui ne s’en sortent pas.

Est-ce du fait de la puissance des témoignages des victimes, j’ai trouvé les chapitres consacrés aux accusés moins intéressants, avec des longueurs, je me suis un peu perdue entre tous leurs noms. J’ai regagné en attention pour les derniers chapitres consacrés aux avocats qui permettent à l’auteur de faire part d’avis juridiques très intéressants sur ce procès.

Au-delà des faits bruts relatés avec beaucoup de force et simplicité, Emmanuel Carrère se détache parfois du sujet pour pousser un peu plus loin la réflexion sur les motivations des terroristes, les peines qu’ils méritent, la notion de justice.

Cette lecture édifiante, épouvante mais fort enrichissante permet d’en découvrir plus sur ce procès historique. Je me suis posé la question du voyeurisme avant d’ouvrir le livre. Je le referme rassérénée, ce livre est avant tout une leçon d’humanité, un message d’espoir, une façon de ne pas oublier ceux qui sont morts, et aussi une volonté de voir dans les hommes, tous les hommes, même les accusés, une humanité, et une volonté, si ce n’est de leur pardonner ou de les excuser mais au moins de les comprendre, de ne pas laisser la haine prendre le pouvoir. Un pari relevé haut la main par Emmanuel Carrère (avec en plus le tour de force d’arriver à subtilement apporter de petites touches d’humour au fil de ce récit si sombre).

Plusieurs jours après cette chronique, j’ai commencé à noter les citations que j’avais relevées pendant ma lecture. Je me suis alors rendu compte que de nombreux passages marquants m’étaient restés en mémoire et que je ne les avais pas notés. Alors, chose que je ne fais jamais d’habitude, j’ai repris le livre, retrouvé les passages. Les relire m’a provoqué la même émotion que lors de la première lecture ; compassion, révolte, dégout, découragement, espoir. Ce livre, c’est sûr, je ne pourrais pas l’oublier. Merci, M. Carrère …

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V13

À vrai dire, je n'avais pas très envie de lire la chronique judiciaire d'Emmanuel Carrère du procès des attentats du 13 novembre 2015.

Toute cette souffrance exprimée par les victimes directes ou collatérales m'effrayait.



Et de fait Emmanuel Carrère sans pathos, ni superficialité — qui aurait été indécente au regard de ce qu'ont vécu et vivent encore les victimes d'islamistes aussi déterminés que jusqu'au boutiste — raconte quelque chose d'effrayant.



Mais pas seulement.



Car il dit aussi comment dans des situations extrêmes certains peuvent se révéler extraordinairement courageux, alors qu'au bord du gouffre ils viennent au secours d'inconnus. Et, ce qui peut surprendre, comment des parents de victimes trouvent la force d'échanger avec des parents, également endeuillés, de terroristes.



Et puis, il y a le portrait de ces jeunes à qui on a fait croire ou qui s'imaginent, ou pas d'ailleurs les motivations étant multiples et souvent aussi peu religieuses que possible, qu'ils vont bâtir un monde qui leur sera plus favorable en détruisant (et même en se détruisant) des ennemis qui n'en sont pas.



Pour conclure, on pourrait dire que V 13 est le reflet d'une humanité lamentable et effrayante, autant que celui d'une humanité formidablement porteuse d'espoir en l'homme, dont il fallait au moins le talent et la sensibilité d'Emmanuel Carrère pour la faire émerger de tant de malheur.
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L'Adversaire

Cette histoire est absurde et terrifiante parce qu'elle est vraie.



Jean-Claude Romand est un menteur, un homme qui ne pouvait pas décevoir. Il devait, comme disait Céline, présenter toujours comme un petit idéal universel, un surhomme du matin au soir, le sous-homme claudiquant qu'on nous a donné.



Il s'était inventé très vite une vie brillante dans laquelle il était l'ami de Bernard Kouchner et le patient de Léon Schwartzenberg. Il ramenait de faux souvenirs de ses faux voyages au Japon, échafaudait une fausse carrière prestigieuse et un faux sale cancer contre lequel il luttait courageusement et pudiquement.



Jean-Claude Romand transpirait beaucoup dans son obstination permanente à berner le vrai monde. Un jour, à 39 ans, il a su que sa concentration suintante n'allait pas suffire à mentir plus avant. Alors cet homme gentil et si modeste a pris la 22LR de rigueur, celle de Dupont de Ligonnès et des drames domestiques. Il a tué Florence, sa femme, et Caroline et Antoine, ses enfants. Puis il a regardé la télévision, fait un peu de rangement, et il est parti déjeuner chez ses parents. Avec la 22LR de rigueur. Puis il a tiré sur sa mère, de face,sur son père, de dos. Il est allé voir sa maîtresse. Il a bien essayé de l'assassiner un peu aussi. Mais il a renoncé et il s'est excusé. Il est retourné à son domicile. A 4 heures du matin, il a mis le feu au grenier, et il a avalé une boite de médicaments. Comme ça coïncidait avec l'heure de passage des éboueurs et comme les médicaments étaient périmés, comme il était à la fenêtre et comme les pompiers sont arrivés très vite, Jean-Claude Romand est le seul membre de la famille Romand qui ait survécu à Jean-Claude Romand. Voila.



L'Adversaire se rapproche par son traitement sociologique de l'excellent Tout, Tout De Suite de Morgan Sportes. Il nous apporte des éclairages intéressants sur cette histoire, quand bien même on a tout vu, et tout revu : Faites entrer l'accusé, Le Roman d'un Menteur de Gilles Cayatte, ou enfin le film avec Daniel Auteuil inspiré du présent livre.



Et c'est normal si Carrère nous éclaire de lumières absentes de ces documentaires : un livre s'adresse à un endroit de la réflexion inaccessible à la télévision ou au cinéma, qui ne laissent le temps de réfléchir à rien.



Au-delà du récit, l'auteur pose les bonnes questions, celles qui nous taraudent. Il explore les origines et les raisons du mensonge, son découpage , sa bascule, sa force. Il nous décrit les moments de sincérité possibles de Romand et nous amène à nous demander si le menteur croyait en ce qu'il avait commencé par feindre.



Le style de Carrère se prête aux beaux romans et conviendrait aux amateurs de citations ("""L'avocat général écoutait le témoin de la défense avec un sourire de chat qui digère.""" ou encore """Le destin avait voulu qu'il attrape le mensonge et ce n'était pas sa faute s'il l'avait attrapé."""). Cependant à aucun moment il n'en fait trop et l'ouvrage court reste très pudique.



Ce qui me bouleverse, ce n'est pas que tu aies menti, c'est que désormais je ne pourrais plus te croire, écrivait Nietzsche. Romand est devenu l'Incroyable au grand I. Il est libérable en 2014 et la question de la récidive se posera. Puis celle de sa réinsertion. Quel naïf au grand N est prêt à lui faire confiance ?
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Un roman russe

Emmanuel, (tu me permets de t'appeler Emmanuel? Tu crées dans ton livre une intimité si forte, une intimité que tu imposes presque au lecteur, sans le préparer, que je ne me vois pas écrire autrement ce billet sur ton livre qu'en m'adressant à toi. Mais ne t'inquiète pas, une fois fini, je repasserai au vouvoiement si je dois un jour m'adresser à toi. C'est juste le temps de quelques lignes).



Emmanuel donc,



Ça faisait longtemps que je n'avais pas lu un livre qui me laisse avec autant d'amertume, de dégoût. Après tout, chapeau bas, c'est le propos de ton livre, tu veux livrer de toi une image, en tant qu'homme, en tant que fils (mais moins en tant que père), qui pousse le lecteur à te mépriser et c'est une réussite.



Pourtant, ça partait bien, l'angle du livre était intéressant. Mêler une enquête, celle autour de ton grand-père, probablement abattu pour faits de collaboration pendant la Seconde Guerre mondiale, véritable cadavre dans le placard de ta famille, à un reportage dans un bled paumé de Russie, Kotelnitch, autour d'un Hongrois, prisonnier de guerre enfermé dans un hôpital psychiatrique pendant plus de cinquante ans. Avec tout autour l'interrogation sur tes racines russes. Mais au final, tu ne parles essentiellement que de toi, toi et ....oui, toi. La trame de fond ne sert que de décor à la mise en scène nombriliste que tu orchestres.



Certes, la trame est bien menée, je te l'accorde. Tu réussis à se faire combiner de manière fluide l'enquête, le reportage en Russie à ta relation chaotique avec Sophie, qui vient soutenir et orienter les charnières de la narration. Le désastre de ta vie amoureuse vient parfaitement se marier à la tristesse de la vie à Kotelnitch, ville morbide, aux accents de l'ex-Union Soviétique. A te croire, tu serais un aimant à malheurs, voire un amant de malheur. Je trouve surtout que tu fais un étalage exhibitionniste totalement inutile dans ce livre et que tu ferais mieux de réserver ces propos à ton psychanalyste. Ce livre est finalement un peu ta télé réalité à toi, non?

J'ai été extrêmement choquée par la minutie avec laquelle tu décris l'escalade, que dis-je, la pente descendante de ta relation avec Sophie. Soit elle t'a donné son aval pour dévoiler à la face des lecteurs les méandres de vos rapports, de vos disputes, tromperies et autres, et dans ce cas, amen. Mais il faudrait à mon sens être sacrément dérangée pour accepter cela. A sa place, j'aurais eu envie d'aller me cacher dans un trou encore plus paumé que Kotelnitch et n'en jamais sortir. Loin de moi de dire qu'elle est irréprochable (quoi que c'est ta version des faits que l'on a). Mais écrire avec autant de précisions des choses si intimes, il faut vraiment vouloir ravager quelqu'un pour le faire.



Je retiens de ton livre que tu l'as écrit pour (te) faire mal. Consciemment ou pas. Tu dis vouloir te délivrer de la souffrance que le poids de ton grand-père fait peser sur ta famille, tu t'auto-flagelles, mais en l'écrivant, tu la couches sur papier pour l'éternité et tu graves un souvenir à vif dans les yeux de ceux qui t'aiment. Sans pour autant sembler t'en émanciper, t'en affranchir davantage. Mais en alourdissant la leur. Peut-être pas après tout, je n'ai pas la prétention de savoir mieux que toi ce qu'ils ressentent.



Enfin au-delà du récit, ton mépris des gens qui ne mènent pas ton train de vie me dépasse. Oui Emmanuel, nous n'avons pas tous une famille qui a pu subventionner un mode de vie de classe moyenne voire haut de gamme, avec des passe-droits, qui permettent de faire ce que l'on veut, de prendre le temps de se décider, sans stress. Alors avant de remettre en cause Bourdieu comme tu le fais, je ne le ferai pas mais je trouverais ça drôle de te parler de mon parcours, moi qui viens du bas de l'échelle et qui ai nagé à contre-courant pour essayer de faire ce que j'aime. Et bizarrement, j'ai la tête hors de l'eau mais je ne suis pas encore à bord du paquebot de mes rêves, alors que je suis bien meilleure nageuse que bien de ceux qu'on a fait monter avant moi. Voilà pour la métaphore.

Le seul courage que tu as c'est d'admettre la condescendance que tu portes au commun des mortels. Et de dire tout haut ce que de nombreux autres héritiers privilégiés comme tu nommes ceux de ta classe pensent, mais refuseront toujours de dire en public. Tu dois penser que c'est cool de la jouer provoc', de te dire que le salariat, l'idée de devoir poser des congés payés, ça te dépasse totalement, que travailler pour gagner sa vie, franchement, c'est nul.



Là où j'ai quand même bien ri, c'est à ce passage, relatant un des dîners réunissant tes amis : "[...] quelqu'un demande à Sophie ce qu'elle fait dans la vie et où elle doit répondre qu'elle travaille dans une maison d'édition qui fait des manuels scolaires, enfin, parascolaires. Je sens que c'est dur pour elle de dire ça, et moi aussi j'aimerais mieux qu'elle puisse dire : je suis photographe, ou luthière, ou architecte; pas forcément un métier chic ou prestigieux, mais un métier choisi, un métier qu'on fait parce qu'on aime ça. Dire qu'on fait des manuels parascolaires ou qu'on est au guichet de la Sécurité sociale, c'est dire : je n'ai pas choisi, je travaille pour gagner ma vie, je suis soumise à la loi de la nécessité". Tout est dit.



Allez, je dirai quand même que ton style accroche le regard et nous retient. Jusqu'au bout, j'ai eu envie d'en savoir plus sur Ania, pauvre russe francophile et francophone, assassinée pour des raisons très troubles à Kotelnitch. Et sur le devenir de ce reportage sans queue ni tête, seul point digne d'intérêt que je retiens de ton livre.



Je vais m'empresser de vite lire au moins un autre de tes livres, pourquoi pas l'Adversaire, celui-là même qui a terriblement signé la fin de ta relation avec Sophie ?



En espérant préférer l'auteur à l'écrivain.
Lien : http://labiblidemomiji.wordp..
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L'Adversaire

Sachant que ce récit d'Emmanuel Carrère raconte l'histoire vraie de ce Jean-Claude Romand, on ne peut-être que déstabilisé à la fin de cette lecture.

Carrère relate les faits, sans prendre position, autant que l'on peut l'être.

Toute la vie de Romand ne s'est construite que sur des mensonges : faux diplômes de médecin, fausse carrière, liaison, cancer, arnaques financières au sein de sa propre famille. le poids de tous ces mensonges l'ont entraîné dans une folie meurtrière puisqu'il assassinera toute sa famille ainsi que ses parents.

Comment cet homme a-t-il pu tromper ses proches pendant tant d'années? Dans quel intérêt ? Pourquoi cette folie soudaine ?

Chacun d'entre nous pourra tenter d'y apporter des réponses, même si la vérité nous échappe.

Un récit terrible et troublant, voire "fascinant".

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La Classe de neige

Nul ne guérit de son enfance, chante Jean Ferrat.



L'enfance ce n'est pas un temps de la vie. C'est un lieu où tout est démesuré. Les chaises trop hautes, les chagrins trop profonds. Les grandes personnes trop souvent incompréhensibles. Tout au long de l'existence, l'enfance vous rappelle à ses jeux d'ombre et de lumière.



L'enfance est un refuge quand c'est un sourire qui vous y invite. C'est l'antre de la terreur quand c'est le souvenir d'une larme qui coule.



Celui qui traverse l'enfance a besoin d'une main secourable pour l'accompagner dans le grand vide de l'inconnu. Quand cette main fait défaut, l'enfant sombre dans l'abîme de la solitude. Il n'aura plus de port d'attache où trouver réconfort et consolation.



La classe de neige, c'est l'histoire d'une main qui a lâché prise. C'est émouvant.

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Limonov

S’il est un personnage de papier qu’un écrivain aspirerait à créer, un personnage à la psychologie complexe et trouble, suscitant des sentiments contrastés, à la fois repoussant et fascinant, entier et nébuleux, un personnage à la Raskolnikov ou à la Rastignac, un personnage ayant vécu mille vies, au destin riche, romanesque et aventureux...oui, s’il est un personnage de fiction qu’un écrivain rêverait de coucher sur le papier dans toutes ses contradictions et ses ambigüités, dans tous ses vices et ses débordements, dans toute sa discordante splendeur, alors sans doute que Limonov serait celui-là.

Mais Edouard Limonov n’est pas un personnage de papier, il n’est pas un héros de fiction, il est un homme bien vivant de chair et de sang auquel les méandres d’une vie romanesque, dangereuse, trépidante, « une vie qui a pris le risque de se mêler à l’Histoire », ont inspiré à Emmanuel Carrère ce superbe récit portant son nom de plume « Limonov ».



De prime abord, rien ne prédestinait ce jeune garçon nait en 1943 dans une lointaine banlieue ukrainienne à mener une vie d’aventures et de péripéties. Rien, si ce n’est une volonté farouche d’être quelqu’un, de marquer les esprits, de devenir un héros et de tout faire pour y parvenir.

Ecrivain-voyou, mercenaire, homme politique, vedette de magazines, Limonov a tout fait, tout vu, tout vécu, la misère à New-York, la gloire littéraire à Paris, la guerre dans les Balkans, la prison et l’action politique en Russie où il est devenu l’un des principaux contestataires anti-Poutine à la tête du parti politique National-Bolchevique.

Oui, Limonov est Un Personnage. Emmanuel Carrère ne s’y est pas trompé en décidant d’écrire la biographie de cet homme haut en couleurs, intransigeant, dur à cuire, bagarreur, baroudeur, sulfureux, anticonformiste et provocateur.

Car dans Limonov, il y a tout et son contraire, l’adjectif et son antonyme, le blanc et le noir dans un seul corps, le Ying et le yang dans une seule âme.

Allumé et illuminé, dingue et tordu, et dans le même temps homme éclairé, érudit, d’une intelligence remarquable, d’une mémoire prodigieuse, capable de s’astreindre à une discipline de vie et de travail rigoureuse et ascétique et, comme un sage bouddhiste, d’accéder au nirvana.

La déchéance ? Il s’y plonge jusqu’à toucher le fond et se vautrer dans la fange la plus pestilentielle pour, toute honte bue, se relever et repartir à l’assaut de la vie.

Le sexe ? Avec les femmes, cet homme au profil de chef de gang, au visage de mafieux, aux airs de petite frappe est sincère et vrai, fidèle jusqu’à l’abnégation. Avec les hommes, « Molodiets », « bon p’tit gars », l’on n’est pas un homme si l’on n’a pas vécu au moins une fois l’expérience de l’homosexualité !

La prison ? Qu’à cela ne tienne, il fera des exercices respiratoires dans la solitude de sa cellule, il interrogera ses codétenus et leur dédiera un livre !

Avec Limonov c’est tous les jours la roulette russe. Ca passe ou ça casse ! Et c’est sans doute cela qui fascine autant chez lui, cette prise de risques perpétuelle, ce caractère jusqu’au-boutiste, cette façon d’aller toujours au fond des choses quoi qu’il en coûte, cette manière de marcher dans la vie comme un équilibriste sur un fil, en surplombant l’abîme et tant pis si l’on tombe, on aura au moins vécu !

Il est le héros russe par excellence, l’ardente âme russe dans toute son exaltation, sa dureté, sa violence, sa fougue, sa générosité et son courage, sa rage et sa rusticité, il est l’âme des « possédés » de Dostoïevski, libertaire, révolté, assoiffé, un loup sempiternellement aux abois.

Puisant sa force dans chaque instant, chaque moment bon ou mauvais que la vie donne, trouvant matière à réflexion, à expérience, à enrichissement dans tous les bonheurs que la vie offre et dans tous les coups durs qu’elle assène.

Jamais chez un homme lumière et ombre n’auront été aussi marquées, aussi violemment contrastées, aussi intrinsèquement liées et indissociables.

Si ses choix de parcours ont souvent été contradictoires, si ses manières l’ont fait souvent passer pour un salaud, Emmanuel Carrère soutient que les choses sont « plus compliquées que ça », et s’applique à le démontrer au fil d’une enquête captivante en brossant le portrait d’un individu hors norme mais aussi en saisissant toute l’histoire politique de la Russie depuis l’après-guerre jusqu’à nos jours.



Un ouvrage d’une ampleur et d’une densité phénoménales qui touche autant à l’individu qu’au collectif, qui creuse l’intime et dévoile l’universel, qui aborde une partie pour englober le tout.

Avec ce ton juste, intime, amical, qui sonde aussi bien le cœur des êtres que des choses, l’auteur d’« Un roman russe » peint une formidable fresque de la Russie contemporaine, foisonnant d’anecdotes véridiques, personnelles et historiques. De l’ère communiste et son régime dictatorial à l’éclatement du bloc soviétique, de l’entrée dans un capitalisme effréné et mortifère à la démocratie pervertie des oligarques, c’est le grand ballet russe de la politique poststalinienne qu’Emmanuel Carrère, sans jamais sombrer dans le didactisme soporifique, fait virevolter et s’agiter comme dans un grand spectacle du Bolchoï.

Les grands noms de la politique s’y croisent avec ceux de la dissidence, de la littérature et des arts en un concert détonant comme une symphonie de Rachmaninov.

L’auteur, sincère, pudique et vrai, n’omet pas de s’y livrer comme dans « D’autres vies que la mienne », analysant son parcours de parisien bien né à l’aulne des tumultes et des désordres de la vie de Limonov, et dans un style tour à tour journalistique, humoristique, mesuré, quelquefois cru, toujours pertinent, fait de ce docu-fiction un cocktail éclatant de force et d’intensité.

Avec ce « coktail Limonov » aussi rafraîchissant qu’explosif, Emmanuel Carrère, au faîte de son talent, confirme qu’il est l’une des plus belles voix des Lettres françaises contemporaines.

Avec cela il nous donne le goût de redécouvrir les œuvres de Soljenitsyne ou Lermontov, de découvrir les nouvelles plumes de l’Est tel Zakhar Prilepine, et bien-sûr celle subversive et effrontée du Johnny Rotten des Lettres russes, Edouard Savenko dit « Limonov ».

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L'Adversaire

Janvier 1993, Jean-Claude Romand assassine froidement son épouse, ses deux enfants, puis ses parents. L'enquête démontre rapidement que pendant près de vingt ans Romand a menti, faisant croire à sa famille et à son entourage qu’il était médecin. En réalité, il a arrêté ses études de médecine en deuxième année, n’avait pas de travail, et passait ses journées à errer au hasard des routes, des parkings et des bars. Mais Romand n’est pas un simple menteur, il est atteint de mythomanie, c’est-à-dire « une forme de déséquilibre psychique caractérisé par des propos mensongers auxquels l'auteur croit lui-même. » Sans ressources, il a escroqué son entourage pour subvenir à ses besoins. Son épouse étant sur le point de tout découvrir, il finit par assassiner tous les siens afin d’éviter d’être confronté à la vérité et de vivre dans la honte de son mensonge.



Jean-Claude Romand avait décidé de refuser la réalité au moment de son échec aux examens, Emmanuel Carrère souligne « l’engrenage de ne pas vouloir décevoir » où « le premier mensonge en appelle un autre, et c’est toute une vie… ». Emmanuel Carrère a suivi tout le procès, a communiqué avec l’avocat de la défense et a rencontré Romand et ses amis afin de comprendre « ce qui se passait dans sa tête durant ces journées qu’il était supposé passer au bureau ». Le récit progresse par alternance d’anecdotes, d’éléments du procès et de commentaires personnels. Oscillant entre investigation journalistique, documentaire et roman, avec son écriture sobre, il évite l’écueil du sensationnel et du pathos et dose habilement récit objectif et regard subjectif, sans jamais juger l’assassin.



Il arrive que la réalité dépasse la fiction... Emmanuel Carrère interroge la notion d’identité et de l’influence et contrainte du paraître. Au lecteur de se forger sa propre opinion.



(Après 26 ans de détention, Jean-Claude Romand, condamné à perpétuité pour avoir tué son épouse, ses deux enfants et ses parents, a été libéré en juin 2019)

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V13

En ce 8 septembre 2021, Emmanuel Carrère, parce qu'il a proposé à L'Obs cette chronique au long court, franchit, comme des centaines d'autres (avocats, journalistes ou victimes), pour la première fois ces portiques de sécurité de la salle des pas perdus du Palais de justice de Paris. Des visages qui, au fil des neuf mois prévus, deviendront familiers, d'autres des amis.

Si plusieurs raisons l'ont poussé à couvrir cet événement, notamment le fait que ce procès est inédit et qu'il s'intéresse à la religion, l'essentielle est qu'il veut écouter les paroles de ceux qui ont vécu ou survécu à cette terrible nuit du 13 novembre 2015.

Chaque semaine paraît alors dans L'Obs le compte-rendu des audiences, durant lesquelles ont comparu 14 accusés, complices à des degrés divers, et se seront succédé des centaines de victimes, proches de victimes, témoins, policiers...



Cette chronique judiciaire se compose de trois parties : Les victimes, Les accusés, La cour. Dans la première, Emmanuel Carrère décrit une partie de certains témoignages, puisqu'il a bien fallu en choisir seulement quelques-uns sur les centaines. Marquants, comme beaucoup. Terribles. La deuxième donne la parole aux accusés. Des mois avant (voire des années) l'attentat jusqu'au jour fatidique, il déroule le fil des événements afin de comprendre comment chacun a pu se retrouver sur ces bancs (foi, radicalisation, départ vers la Syrie...). Enfin, la troisième est consacrée aux avocats.

Avec beaucoup de sensibilité et d'humanisme, l'auteur décrit les récits des victimes, les blessures, la difficile reconstruction, la résilience ou la colère parfois, l'impossible pardon mais aussi le monde judiciaire, la menace djihadiste toujours présente.

Outre cette immersion parfaite, glaçante et émouvante, certes, mais aussi passionnante et instructive, l'auteur, sans (essayer de) prendre parti et sans jamais verser dans le larmoyant, questionne sur les forces et faiblesses de la justice, sur la place du pardon, sur les raisons qui poussent certains hommes à commettre l'horreur...

Un témoignage édifiant, vibrant, unique en son genre...

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La Classe de neige

Bonne pioche et là encore je me dois de remercier mes amis babelionautes qui ont su aiguiser ma curiosité pour le grand talent de conteur d'Emmanuel Carrère.

On a beaucoup de difficulté à lâcher ce court roman de 171 pages tant le récit est rondement mené. Mon coeur de mère s'est immédiatement empli d'une infinie compassion pour Nicolas, ce petit garçon parti pour un séjour en classe de neige qu'il semble appréhender terriblement à cause de sa grande timidité.

Comble de la déroute pour notre petit bonhomme, son père est reparti en oubliant le sac avec tout son trousseau pour le séjour! Pour couronner le tout, on comprend que l'ouverture au monde est cruellement absente de son bagage éducatif, je vous l'ai dit, un vrai petit pioupiou qu'on aurait envie de prendre sous son aile.

Petit à petit, nous suivons l'ascension du tragique aux côtés de ce petits gars, impuissants que nous sommes!

Une classe de neige initiatique et expiatoire...

Emmanuel Carrère est désormais un auteur qui compte pour moi!
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Yoga

Un titre simple et efficace, épuré comme la finalité de cette philosophie.



Ambition louable, Emmanuel Carrère voulait partager avec nous son intérêt pour cette discipline qui l'aide à se sentir bien au quotidien. L'idée était d'écrire « un petit livre souriant et subtil sur le yoga » au sens large (méditation, arts martiaux), qui donnerait un autre point de vue que les manuels du rayon « développement personnel ». Et si on sent poindre l'ironie ou l'auto-dérision derrière les mots « souriant et subtil », on ne comprendra pourquoi que plus tard.





L'auteur commence par nous imprégner de ce mode de vie accessible à tous au quotidien, qui vise à calmer nos pensées chaotiques (les vritti), à nous rendre présents à nos vies sans avoir besoin d'expérience extraordinaire ; à réapprendre à vivre paisiblement dans le présent et accepter que le changement est inhérent à la vie.

Pour écrire ce livre par le biais d'une expérience concrète et récente, il s'inscrit à un stage de méditation en janvier 2015, dont il veut nous confier les grandes lignes, les bienfaits, les difficultés.





L'air de parler de tout et de rien, il nous initie aux notions utiles avec autant d'humour que d'intelligence, puis égraine ses pensées et anecdotes qui peuvent, de prime abord, sembler aléatoires ; Il les décrit sautant d'un sujet à l'autre, les acceptant pour ce qu'elles sont, les laissant s'apaiser et vivre leur vie en les écrivant. Ce pourrait être une première définition d'écrire : observer ses pensées sur le papier. Mais n'est-ce pas aussi celle de la méditation ? Ainsi dès le départ, on ouvre ce livre comme une méditation de l'auteur sur le yoga.





Et justement, ce que j'aime particulièrement dans la diversité de ses propos, c'est que l'auteur, en bon yogi, les ramène toujours à son fil conducteur : Il nous prend par la main pour nous guider sur un chemin, vers une destination encore connue de lui seul, et ses détours contrôlés visent toujours à mieux amener l'étape suivante.

Il ne case jamais de la culture pour épater, un souvenir pour apitoyer, ou une connaissance pour briller. Son propos, quel qu'il soit, sert toujours la réflexion et finit par nous ramener au sujet.

S'il parle au lecteur avec naturel, le discours est structuré ; l'auteur veut arriver quelque part, et il me tarde de savoir où.





J'aime aussi qu'il ait envie de partager sa démarche sans essayer de nous convaincre d'avoir la même. Sans se faire passer pour plus spécialiste qu'il n'est, il démontre au contraire l'extrême difficulté de l'exercice, se confronte parfois à l'échec. Recommence encore ; il est là pour ça, et nous aussi. Ce pourrait être une deuxième définition d'écrire : Exorciser ce qui nous ronge, afin d'apaiser nos pensées. L'écriture devient alors une aide à la méditation, qui tend elle-même à nous faire accepter ce que l'on observe. Une lecture en forme de méditation, en somme. Et c'est tellement facile, lorsqu'elle est guidée par l'auteur.





Mais durant son stage, deux événements se produisent : l'un national, l'autre plus personnel : « Je ne comptais pas seulement dire que le yoga et la méditation font se sentir bien mais qu'ils sont, beaucoup plus qu'un loisir ou qu'une pratique de santé, un rapport au monde, une voie de connaissance, un mode d'accès au réel dignes d'occuper une place centrale dans nos vies. Voilà ce que je comptais dire, à travers ma bancale expérience. Or, j'ai du mal à le dire, au retour de ma retraite. » « Bref, pour mon livre souriant et subtil sur le yoga, je me trouvais un peu emmerdé ».





En effet, le diagnostique tombe d'une maladie influant directement sur son humeur et ses pensées, qui s'emballent et peuvent devenir suicidaires, menacent son fragile équilibre. Un tsunami intérieur le submerge et manque de le noyer. A ce moment-là, il n'arrive plus à croire à la belle alternance du yin et du yang, au beau temps après la pluie. le traitement qu'il reçoit est violent et son mal-être est tel que seule la pluie semble réelle et durable, et il ne croit plus à son « petit livre subtil et souriant sur le yoga ». Pourtant, qui mieux que le yoga et la méditation pourraient l'aider à calmer la tempête qui fait rage à l'intérieur de lui ?





Alors son livre change. Il n'est plus une initiation au yoga, subtile et souriante mais un travail pratique par lequel l'auteur comprend et montre que le yoga est dans tous les gestes et décisions du quotidien auxquels il s'accroche et s'astreint pour ne pas sombrer. Il voulait nous parler de la méditation ; il va pouvoir - et devoir - faire mieux : la démonstration par l'exemple.

Troisième définition d'écrire : partir à la rencontre de soi. Comme le yoga, et c'est pour ça que la quête de l'auteur prend tout son intérêt sous cette forme littéraire. L'écriture comme une méditation.

Et n'est-ce pas justement cela le yoga ? Chercher le calme en soi quand c'est le chaos autour de vous ?





Finalement, il est subtil, ce petit livre sur le yoga : par sa construction, et des tas de petites réflexions bien placées. Et finalement, il est aussi souriant, ce livre, Monsieur Carrère : parce que vous ne vous apitoyez pas, vous ne nous faites pas pleurer - vous nous faites même sourire ; vous nous montrez la voie vers le nirvana. Et tant pis si ça semble inaccessible : le chemin est le but, et votre expérience ouvre la voie.

Un livre très humain, en forme d'acceptation, de méditation, dont le fond aurait parfaitement collé à la forme - cette fameuse forme de tai-chi - s'il avait lui aussi été tapé à un seul doigt (comprenne qui lira) ; je m'en vais le méditer encore un moment sur mon zafu on the beach (ça ferait un joli nom de cocktail…), même si une natte pliée en quatre ferait aussi bien l'affaire.





Je sais que les nuages et la pluie peuvent envahir bientôt ma plage, « mais ce jour-là je m'en fous. Ce jour-là je suis pleinement heureu[se] d'être vivant[e] ». 

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Yoga

Restons zen dans cette critique. Comme le disait le vieux maître Fopensair Hereflechir le mieux était d’attendre un jour ou deux avant de pondre, en position adéquate, un avis sur ce roman. J’ai cru en écoutant France culture un dimanche soir (erreur fatale !) que ce livre parlait de ...



- Alors jeune padawan, que pensez-vous de ce livre ?

- Je sens la force s’insinuer dans ce lignes maître Yoda ! Ce qu’il nomme le «Citta»

- Laisse-la tes pensées guider. Ne pas écouter les « vrittis » qui ton jugement peuvent influencer et du côté obscur te faire pencher !

- J’ai atteint le « Nirodha », maître Yoda !

- Alors parler tu peux maintenant.



La première partie est le cœur du livre. Elle est double, d’abord instructive pour quelqu’un qui connaît peu la sagesse orientale qui accompagne la méditation. Et, de ce fait, cette part nous interroge, et permet d’y raccrocher certains comportements issus de notre tradition occidentale (je fais la supposition qu’ici, c’est le cas majoritairement). L’autre part est biographique, l’auteur semble y livrer son intimité. J’ai cru comprendre à posteriori, et surtout sans chercher à creuser le personnage, que ce n’est pas la première fois.

Là s’arrête le roman et son titre en lui même.

La deuxième partie évacue quasiment cette dimension méditative et se fait passer pour autobiographique. Se fait seulement passer car l’auteur avoue en même temps une part d’invention, ce qui brouille pas mal les cartes. Les îles grecques des camps de réfugiés, les établissements de soin . . . qu’est-ce qui est vrai ? Pour lui ou un ami ? Cela restera sans réponse nette.

Pour la forme, c’est très agréable à lire, fluide, souvent très intimiste. On peut lui reprocher un certain nombrilisme puisqu’il ne parle essentiellement que de lui mais il le fait intelligemment, sans trop en rajouter. Il atteint ainsi assez facilement un lecteur de la classe moyenne qui partage les codes utilisés. Il joue les désabusés, mais l’est-il vraiment ?



- Bien, jeune Padawan, mais un enseignement en as-tu tiré ?

- Oui, Maître Yoda, c’est que différentes voies mènent à la sagesse, au Nirvana, que chacune emprunte des chemins escarpés semés d’embûches. Et il n’est pas facile de sortir du cycle du « samsara ». Ce livre, dans sa première partie surtout peut permettre à un novice d’y réfléchir.

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Yoga

Le Yoga sympa et la méditation joyeuse, c'est sur quoi Emmanuel Carrère envisageait d'écrire en 2015, lorsqu il à été fracassé par une dépression mélancolique.



À près de soixante ans il apprend qu' il est bi-polaire. Que faire d"un tel diagnostic?



D' une retraite méditative et morvandiote aux funérailles de Bernard "Charlie" Maris, d'une chambre de l' hôtel Cornavin de Genève, cher aux Tintinophiles, à un lit de douleur de l'hôpital Sainte Anne de Paris, jusqu'à une fuite apaisante et reconstructive en mer Égée, dans l' île de Leros, Carrère continue à ne pas mourir.



L' écrivain s' interroge et se livre comme à son habitude avec distance et curiosité. Collage littéraire, patchwork de plusieurs livres en un, " Yoga" pourrait nous laisser croire qu'il est un rescussée de ce qu'il a déjà fait avant.



Yoga est pourtant un formidable récit linéaire, le portrait franc et humain d' un homme dans son époque.




Lien : http://www.baz-art.org/archi..
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