Citations de Emmanuel Dongala (254)
« L’archet, porté par les dernières notes arpégées du rondo final, resta suspendu un moment au-dessus du violon – le temps d’un demi-soupir – puis attaqua allegro spiritoso la coda du dernier mouvement en un éblouissant jeu de démanchés et de cadences bariolées dont les derniers trilles suraigus se perdirent dans le tutti de l’orchestre et les applaudissements de l’auditoire qui, en apnée jusque-là, n’en pouvait plus de se retenir. »
Ne plus fuir, faire face et advienne que pourra. Cet homme que je ne connaissais ni d'Eve ni d'Adam avait estimé que je n'en étais pas encore là et m'avait pressée de partir parce qu'il voulait à tout prix que je vive. Pourquoi ? Comment la bonté pouvait-elle encore exister dans ce monde ? Cette question que je me pose souvent est toujours restée une énigme pour moi. (p. 287)
Je ne sais pas pourquoi je racontais cela à une bande de gens qui n'avaient rien à apprendre dans l'art de piller puisqu'ils l'avaient déjà fait mille fois et puisque c'était la raison majeure pour laquelle nous combattions. Pour nous enrichir. Pour faire ramper un adulte. (...) Pour la puissance que donnait un fusil. Pour être maître du monde. Ouais, tout ça à la fois. Mais nos chefs et notre président nous ont ordonné de ne pas dire cela. Ils nous enjoint de dire à ceux qui nous poseraient des questions que nous combattions pour la liberté et la démocratie et cela pour nous attirer les sympathies du monde extérieur. (p.81)
Les lectures de Frederik de Augustus l'avaient tellement transformé qu'il considérait désormais comme futile tout ce à quoi il avait aspiré précédemment. Le souvenir du chevalier de Saint George et d'Alex Dumas, deux hommes qu'il avait admirés et même enviés, s'invita dans sa mémoire. Il comprit alors pourquoi une telle littérature, une littérature de combat résolument antiesclavagiste faite de témoignages, de protestations et de revendications, n'existait pas en France. Elle ne pouvait venir de personnages de leur sorte dont toute l'entreprise consistait à devenir aussi français que les français de France, à oublier et faire oublier leurs racines pour finalement essayer de se fondre, incolores, dans une société où il n'y avait aucune place pour leur singularité.
Il découvrait là une humanité misérable vivant au jour le jour, dont la pauvreté contrastait de façon brutale avec le luxe, les plaisirs et les occupations de ceux qui fréquentaient le Palais Royal si proche. Il saisit tout d'un coup ce que dénonçaient les philosophes dans leurs pamphlets et le réquisitoire dressé par l'orateur juché sur un escabeau qu'il avait entendu devant le café du Caveau; il finit par concéder que leurs propos, qu'il avait jugé jusque là bien trop virulents, n'étaient pas sans fondement. Il pensa aussitôt aux mots d'un baron autrichien qu'il avait lus dans la bibliothèque de Soliman à Vienne lorsqu'il préparait son voyage pour la France. "le monde est un grand corps dont Paris est le cœur". Un corps bien malade, pensa -t-il. Il était maintenant sûr d'une chose, il y avait beaucoup de souffrances dans ce cœur du monde qu'était Paris en ce mois d'avril 1789.
Quand les hommes politiques ne se cachent plus derrière les forces de l'ordre et se placent en première ligne, cela veut dire que la situation est sérieuse. Dans ces cas-là, il faut être sur le qui-vive car ils ont alors la langue si mielleuse que, si vous n'y prenez garde, ils peuvent vous revendre votre propre slip sans que vous vous en rendiez compte.
Mais qu'attendre des gens d'un pays qui avaient honte de reconnaître l'existence de la maladie et camouflaient la réalité sous le terme « syndrome inventé pour décourager les amoureux »?
Tu ne savais pas que les mots pouvaient avoir ce pouvoir enivrant. Plus tu parles, plus tu es exaltée, plus tu te sens sortir de toi-même, tu n'es plus toi. (p.171)
Comme l'a montré l'exemple de Tamara, en démocratie être minoritaire ne veut pas nécessairement dire qu'on a tort. (p.181)
Elle dit qu' elle connaît votre souffrance parce qu' elle distribue des dons dans les villages, mais depuis quand madame, les bonnes oeuvres sont-elles un moyen de lutter contre la pauvreté dans un pays ? (p.276 / Babel, 2012)
La ficelle avait été tellement grosse qu'il be cessait chaque fois d'ajouter "démocratiquement élu" à son titre de député, comme s' il en doutait lui-même. (p.108)
C'est cela qui est magnifique avec un fusil. Qui peut vous résister? on nous avait dit que le pouvoir c'est au bout du fusil et c'était vrai...
Tu enlèves le panier que tu portes sur la tête et le tiens par les anses. Cela te permet de balancer plus amplement tes bras et de marcher ainsi plus vite. Tu as hâte d'arriver au chantier avant que les premiers véhicules d'acheteurs ne se présentent pour leur annoncer la décision que vous avez toutes prise hier à l'unanimité. Tu as été choisie comme porte-parole et, même si tu n'as accepté cette fonction que contrainte et forcée, il ne faut pas décevoir celles qui ont placé leur confiance en toi. Cependant, tu n'arrives pas à écarter de ton esprit les inquiétudes de tantine Turia ; tu te rassures toi-même en te disant qu'elle se trompe, que votre décision n'a rien à voir avec la politique, et que vous vous battez tout simplement pour votre pain quotidien.
D'ailleurs, n'étaient-ce ces grands panneaux aux ronds-points qui affichaient le portrait du président de la République en veston-cravate, en tenue de sport en train de courir le marathon, en blouse d'infirmier en train d'administrer aux enfants des vaccins contre la polio, son épouse à ses côtés, avec une truelle à la main en train de poser la première pierre d'une école ou d'un hôpital, sur un tracteur en train de lancer la construction d'une route, sur un voilier en tenue de skipper, sans tous ces panneaux, tu n'aurais jamais su à quoi ressemblait sa bouille. Ta seule préoccupation était de savoir comment tu allais faire pour casser au plus vite la quantité de pierre nécessaire pour entrer en possession de cet argent dont tu avais un besoin si urgent. L'idée d'en revendiquer un nouveau prix n'avait pas été préméditée, elle s'était imposée toute seule, peu à peu, par effraction presque.
Méréana est une jeune femme africaine comme elles doivent être nombreuses à l'être. A la lecture de ce roman, on découvre un peu plus la douleur mais aussi et surtout le courage et la dignité de ces femmes qui se battent juste pour vivre, pas de grands discours, pas de grandes envolées politiques, juste l'envie de changer leur quotidien qu'elles trouvent injuste.
J'ai été époustouflé, happé par cette lecture. Le "tu" que l'auteur emploie y est sans doute pour beaucoup, Méréana, ça a été moi pendant ces quelques 400 pages, du coup j'avais du courage, de la dignité, et le sens du bien commun, pendant au moins cette lecture!!
Avec ce roman on plonge dans la vie quotidienne des femmes, des hommes de ce pays et c'est drôlement bien fait (on se prend à lire avec l'accent de là-bas. ;-)
Elles savent maintenant que la vie offre d'autres alternatives pour manger, s'habiller et se soigner que de casser la pierre.
Ta tête se met à tourner. Jamais tu n'avais vu autant de luxe, jamais tu n'aurais imaginé que, dans ce pays, il suffisait de traverser un portail pour se retrouver de l'autre côté du miroir, dans un monde où la pauvreté et la misère n'existent pas et où l'on n'est pas obligé de casser la pierre pour survivre. Un monde où l'on ne meurt probablement pas, car comment la mort pourrait-elle vous atteindre quand on vit au milieu d'un luxe aussi insolent ?
On l'avait applaudi en même temps qu'il s'applaudissait lui-même comme cela se faisait dans le pays de Lénine, notre modèle.
( p.172)
“Halte, Toi qui avances vers moi, je suis un roi, un chef puissant, les étrangers et leurs mbulu-mbulu sont derrière moi, arrête sinon ils te briseront…” Le Masque ne s’arrête pas. Bizenga fait signe à son garde qui brandit son fusil, le dirige vers la créature qui avance et tire presque à bout portant. Mais le Masque continue d’avancer, les balles ne peuvent pas le tuer, idiot, elles se transforment en eau, ce n’est pas la sueur que tu vois sur son corps, ce sont les plombs qui ont fondu comme une motte d’argile sous la pluie.
Un jour, une vingtaine d’ouvriers harassés refusèrent de reprendre le travail malgré les menaces de l’ingénieur en chef. Le contremaître tira cinq hommes au hasard parmi lesquels Djermakoye, il leur attacha un collier de dynamite autour du cou et les fit sauter. Les autres reprirent immédiatement le travail.
Leurs chefs leur demandèrent de justifier l’utilisation de chaque cartouche. La réponse fut simple, ils coupèrent la main droite de tous les individus indociles qu’ils abattaient. Cependant, toutes les cartouches n’étaient pas utilisées pour la répression : parfois ils s’en servaient pour du gibier, parfois elles étaient tout simplement perdues par des coups de feu déclenchés par maladresse. Dans ces cas-là, pour éviter la fureur des maîtres étrangers, ils ramenaient quand même des mains justificatives, soit en coupant des mains d’hommes vivants, soit en profitant de la mort naturelle de quelqu’un pour lui arracher une main.