Citations de Fatou Diome (712)
Malheureux celui qui lit sa gloire dans le regard versatile du public.
On ne réussit pas pour soi, on ne cherche à briller que pour propager l'éclat d'une lignée si bien que les jalousies d'aujourd'hui prennent leur source dans les hiérarchies d'hier.
« Les amitiés d’enfance résistent parfois au temps,
Jamais à la distance. »
Ma grand-mère m’a appris très tôt comment cueillir les étoiles : la nuit il suffit de poser une bassine d’eau au milieu de la cour pour les avoir à ses pieds.
L'insignifiant pour les uns était grandiose pour les autres. Et rien n'était mièvre, parce que tout correspondait à une sensibilité. Même dépouillé de tout, chacun garde sa palette d'émotions et varie les couleurs de son ciel !
La vie est un dortoir d'été où nous dormons tous à poil, le premier qui se réveille demande aux autres de cacher leur derrière, mais personne n'est dupe : en désignant les tares des autres on ne fait qu'avouer les siennes.
Moi qui voulais tout partager avec toi, je regrette d'avoir joué les cachottiers, alors que j'ai toujours pu compter sur ta compréhension. Tu sais, ma douce, maintenant, j'ai le temps de repenser à mes erreurs, à notre vie. Ici, j'ai croisé Mâma, tu sais, le vieux pêcheur, nous l'avons retrouvé ici ; je lui ai confié mes remords et il m'a dit : "Les humains se plient en quatre pour honorer leurs crédits financiers, mais négligent trop souvent leurs dettes de mots, qui font pourtant plus de mal. Dire les choses n'améliore pas forcément la vie des gens, mais les non-dits la pourrissent à coup sûr." Alors, pardonne-moi, ma douce, d'être parti avec des mots que je te devais.
Quand on parle de l'identité d'un écrivain, je réponds : foutaise! Lire un auteur par et pour ses origines n'est que pure hérésie littéraire. La fragilité de l'humain, les questions existentielles et la vision du monde que les bons auteurs savent nous transmettre rendent toutes les frontières poreuses. Tentaculaire, la généalogie littéraire surplombe toutes les barrières. Nous sommes dispersés sur le globe, mais la littérature nous tisse des liens. Gens de même lecture, gens de même questionnement, gens de même sensibilité au monde, gens de même révolte, gens de même quête. Par le livre, on se trouve des dénominateurs communs et on se reconnaît, au-delà des petits tiroirs identitaires.
On croit tout prendre aux morts, alors qu'on perd tant des vivants. Il y a des héritages qui ne tiennent pas dans un grenier, ce sont souvent les meilleurs. Pourtant, sur chaque cadavre, il y aura toujours des vautours, ainsi va la nature. Inassouvi, le besoin d'engranger.
Sur la balance de la mondialisation, une tête d'enfant du tiers-monde pèse moins lourd qu'un hamburger
C'est curieux, quelle que soit la dimension sociale, morale et physique d'un homme, on arrive toujours à le ranger entre les deux jambes d'une femme.
Ce n'est pas vivre qui est difficile, mais le processus par lequel on passe pour accepter de vivre, avec tout ce qu'on porte en soi.
Les malheurs ne s’amputent pas, même dans le formol de la mémoire, ils se réveillent tôt ou tard pour vous confronter à la limite de votre endurance. On imagine que le temps apaise les peines, puisqu’il cautérise les plaies, comme si le bien-être n’était qu’une affaire de peau lisse.
« On traîne sa faim comme on traîne un fagot de bois trop lourd, mais on ne la jette sur la figure de personne. Et, afin de ne pas exploser de rancœur, on respire, on découvre les vertus apaisantes du bouddhisme. Et lorsqu’on n’a plus assez d’énergie pour poursuivre l’exercice, on savoure l’extase que procure l’inanition. On dépose les armes, car même les plus vaillants guerriers se laissent vaincre par la faim. Ratatiné sur une natte, on poursuit du regard des libellules chimériques pour ne pas attraper les mouches. Mais plus que la faim, c’est la frustration qui colle au tapis. L’attente d’un repas plonge n’importe qui dans une détresse similaire à celle qu’on éprouve enfant, en guettant une mère qui n’arrive pas. »
« Ici, tout appareil hors d’âge et hors d’usage patiente dans un coin, en attendant le nécessiteux, adroit et imaginatif capable de lui offrir une nouvelle vie. Les réparateurs font preuve d’une habilité d’experts qui ferait pâlir les meilleurs ingénieurs des grandes firmes occidentales….. C’est sûr, avec des devises pour lancer ne industrie autonome et des hommes aussi astucieux pour la servir, l’Afrique lancerait son avenir au galop. »
« Avant de regretter les morts, il faut aimer les vivants. »
« Les lois contre l’immigration changent en permanence, tels des pièges sans cesse repositionnés afin de ne laisser aucune chance au gibier. Ainsi, dans cette chasse qui ne dit pas son nom, le chemin de la veille devient le guet-apens du lendemain, quand la mauvaise foi des politiques légitime tous les appâts. Mais que faire quand, inconsciente ou suicidaire, la proie se montre aussi entêtée que le chasseur ? ».
La seule rampe à laquelle on puisse s'agripper sans craindre de s'effondrer est la volonté personnelle.
Il est des nouvelles qui s'abattent sur vous, tel un lasso de gaucho, pour vous traîner vers un tout autre destin.
Quand dire ne sert plus à rien, le silence est une ouate offerte à l'esprit. (page 11)
Partout, on marche, mais jamais vers le même horizon. En Afrique, je suivais le sillage du destin, fait de hasard et d'un espoir infini. En Europe, je marche dans le long tunnel de la performance qui conduit à des objectifs biens définis. Ici, point de hasard, chaque pas mène vers un résultat escompté; l'espoir se mesure au degré de combativité.
Evoquer mon manque de France sur ma terre natale serait considéré comme une trahison, je devais porter cette mélancolie comme on porte un enfant illégitime, en silence et en contrition. Enracinée partout, exilée out le temps, je suis chez moi là où l’Afrique et l’Europe perdent leur orgueil et se contentent de s’additionner sur une page, pleine de l’alliage qu’elles m’ont légué.
Un jour, on se découvre vide de ce que l’on ignorait porter en soi, une part de l’autre, une part de vie qui s’ajoutait à la nôtre et nous fortifiait. L’absence se mesure à la fragilité qu’elle suscite en nous.