AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Flannery O`Connor (62)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Les braves Gens ne courent pas les rues

Les braves gens ne courent pas les rues, c'est vrai, mais les bons livres non plus. Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais d'après moi, Flannery O' Connor a signé l'un de ceux-là, indubitablement. Flannery O'Connor, c'est d'abord un style, une façon bien à elle de dépeindre ses personnages, de les ficher dans des lieux qu'on imagine sans peine et qu'on croit voir défiler devant nous dans chacune de ses nouvelles.



Une part prégnante de ce style tient aussi à l'humour, omniprésent sous sa plume, mais pas de cet humour gras, qui colle aux doigts, aux pages, au texte. Non, imaginez plutôt un regard en coin, pétillant, espiègle, non dénué d'ironie, de sarcasme même, parfois, et qui balaye de temps à autre les draps de votre corde à linge, comme les souffles d'une gentille brise d'été.



Tout ceci donne une impression de tranquillité, de légèreté, de plaisant, de micro farce. Vous roulez paisiblement, avec le ron-ron du moteur, sourire aux lèvres, vitre baissée, un coude à la portière et puis PAF !, au moment où vous vous y attendiez le moins, subitement, Flannery O'Connor change de ton, donne un grand coup de volant et serre le frein à main à bloc.



Demi-tour à la barbare, vos pneus crissent à vous rompre les tympans, votre sourire s'évapore, vous vous retrouvez hébétés à contre-sens dans un nuage de poussière. le moteur calé. Silence. Vos commissures s'affaissent, vos yeux s'arrondissent, votre front se plisse, une inquiétude sourde et noire volète maintenant par saccade autour de vous, comme une vaurienne chauve-souris. Tandis qu'un fort malaise s'empare de vous, elle vous laisse là, Flannery, en plan au beau milieu de la campagne, le cul sur votre siège, le volant entre les mains et les guibolles qui flageolent, dans l'incertitude la plus totale, à ne plus savoir si vous devez en rire ou en pleurer, à ne plus savoir qu'en penser, ni où vous êtes, ni comment vous vous appelez.



Voilà, c'est ça le style Flannery O'Connor dans Les braves Gens ne courent pas les rues. C'est une expérience littéraire particulièrement savoureuse, typique, typée, et comme tout ce qui est typique et typé, qui ne conviendra pas forcément à tout le monde. En tout cas, quand ça accroche, ça vous laisse un goût unique dans le palais et je ne serais pas surprise que cette auteure ait influencé grandement quelqu'un comme Alice Munro.



Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas. Alors je suis allée voir d'un peu de plus près qui était cette écrivaine, dont le renom n'avait jusqu'ici que vaguement effleuré mon oreille. Je découvre une drôle de personne, sosie quasi parfaite de mon ex-tante Ghislaine avec laquelle je ne partage pas que des bons souvenirs. Je lis que la dame était fervente catholique et comprends à présent pourquoi je lui trouvais un air de bigote effarouchée, un ferment de bonne-soeur. Mais comment diable cette évadée du couvent arrive-t-elle à pondre par dizaines des nouvelles fulgurantes, troublantes, dérangeantes ?



À la lecture, j'aurais presque cru qu'elle était puissamment athée et qu'elle voyait d'un oeil revêche la pratique religieuse. C'est étonnant, pour moi, les deux visions du personnage ne cadrent pas du tout l'une avec l'autre : dans l'une je perçois une brave pécore moralisatrice, très sage, très propre sur elle, rigide (avec ou sans f devant), assise sur les bancs de l'église, les cuisses bien serrées avec ses petits gants blancs et son sac à main sur les genoux ; de l'autre, je vois un regard acéré, féroce, lucide sur la société, des sens aiguisés, à fleur de peau, ultrasensibles, ultrajouissibles, ultracontagieux ne s'interdisant aucune outrance.



Voilà le mystère Flannery O'Connor pour moi. La seule réponse que j'aie pu trouver jusqu'à présent, c'est que sur le berceau de la dévote, un ange de la littérature a déposé le génie, le germe rare dont tous les écrivains marquants sont infusés, aussi improbable que puisse être leur milieu d'extraction.



Alors, c'est vrai, toutes les nouvelles de ce recueil ne m'ont pas toutes autant plu les unes que les autres. Certaines m'ont même franchement laissée indifférente : ce fut le cas par exemple d'Un heureux Événement ou des Temples du Saint-Esprit. Mais en revanche, je considère des nouvelles comme Tardive rencontre avec l'ennemi, Les braves Gens ne courent pas les rues ou encore La Personne déplacée comme des petits chefs-d'oeuvre, chacune à leur façon, surtout si l'on considère que l'auteure n'avait que 28 ans lors de la publication.



En somme, je vous dis bravo, chère Flannery O'Connor et merci pour ce moment que vous m'avez fait passer. Pour le reste, souvenez-vous que les bonnes critiques ne courent pas les rues et que celle-ci ne déroge pas à la règle. Comme toutes les autres, elle ne reflète que mon avis du moment, ce qui doit forcément vous inciter à prendre du recul avec toutes et à songer qu'elles ne signifient, dans le fond, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1688
Mon mal vient de plus loin

J'avais été très positivement impressionnée par le recueil de nouvelles, Les braves Gens ne courent pas les rues, et c'est avec une certaine ferveur que je me suis engagée dans la découverte de celui-ci.



À beaucoup d'égards, la technique, la vigueur et le rythme de la narration en sont à peu près les mêmes, et, peut-être même, plus aboutis encore que dans le recueil précédent. Toutefois, mon plaisir de lecture y a été beaucoup, beaucoup, beaucoup moins fort, et ce pour une raison essentielle : le propos religieux y est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus présent et, en ce qui me concerne, cela me fatigue ou m'agace, voire les deux à la fois.



Dans Les braves Gens ne courent pas les rues, bien sûr, certaines nouvelles pouvaient s'y interpréter avec une lecture " religieuse " mais, et c'était là tout leur intérêt d'après moi, cette lecture n'était pas obligatoire et semblait laissée à la juste appréciation du lecteur. Ici, point de tout cela : vous n'échapperez pas à la phase interprétative, manière de prêche ou de sermon au service d'une pensée, laquelle pensée ne m'apparaît pas aller si loin que ça.



A priori, c'est très dommage car ça m'a presque à chaque fois gâché le plaisir qu'avait suscité le début des nouvelles. Elle est toujours aussi forte, Flannery O'Connor, pour dépeindre des personnages, les faire vivre, les faire vibrer sous nos yeux, en quelques phrases, leur donner tout le pesant, toute l'épaisseur d'une vie en quelques paragraphes. Mais finalement pour quoi ? Pour nous assommer à la fin d'un sermon — ou d'une parabole, ce qui est tout comme. Et là, ma liberté de lectrice s'insurge : j'aime à rester libre de mes interprétations ; j'aime quand un(e) auteur(e) ne me contraint pas, ouvre ou, du moins, laisse libre accès à plusieurs portes de sortie interprétatives.



Voilà pourquoi j'aime moins ce recueil : religion, religion, religion et encore de la religion, alors qu'elle avait su amener bien d'autres thématiques, les relations inter-ethniques dans les états du sud des États-Unis, les relations de subordination familiale, la maladie, la charité, etc.



Il est à noter toutefois que le recueil est d'une remarquable homogénéité (ce qui n'était pas le cas des braves Gens ne courent pas les rues), les nouvelles sont toutes d'une tenue, d'une qualité, d'une intensité comparables, recelant une charge similaire de sujets abordés.



Le dénominateur commun à tout cela est le mal, d'abord, et surtout le mal tapi dans le bien apparent. Presque toujours il y est question de personnages qui veulent se donner bonne conscience (la mère dans Tout ce qui monte, la propriétaire dans Greenleaf, le grand-père dans Vue sur les bois, la mère encore dans Mon mal vient du plus loin et dans le Confort du foyer, le père dans Les Boiteux entreront les premiers, la brave pécore dans Révélation, Parker dans le Dos de Parker et enfin tant le père que la fille dans le Jour du jugement).



Invariablement, le message de Flannery O'Connor est que tout le mal que vous vous donnerez pour faire le " bien " ou l'apparemment bien ne fera que se retourner contre vous, que vous ne ferez que vous ridiculiser et qu'exprimer, dans le fond, votre incroyable vanité à prétendre faire le bien autour de vous. Il y aura bien entendu votre lot de condescendance ordinaire vis-à-vis de la (ou des) personne(s) aidée(s). Bref, tous vos efforts ne vous conduiront, selon l'auteure, qu'à faire de vous une personne puante d'un point de vue authentiquement moral.



Bon, personnellement, je lui laisse cette interprétation et n'en pense rien de particulier. Toutes les questions relatives à la foi, au bien et au mal en général me laissent totalement indifférente. Ce que j'aime en littérature, c'est de voir évoluer des personnages, c'est qu'au travers d'eux un(e) auteur(e) me révèle l'expérience de la vie qu'il ou elle a lui-même accumulée dans son regard. Or, ici, j'ai peine à croire que Flannery O'Connor puisse n'avoir qu'une vision si univoque, finalement, si étriquée, elle qui a pourtant des qualités d'observation exceptionnelles.



Voilà, le problème est là, selon moi, dès lors qu'un(e) auteur(e) se met en peine de vouloir m'édifier, d'une part cela ne m'édifie pas du tout et d'autre part, cela appauvrit, cela me gâche le plaisir que j'aurais eu à découvrir son oeuvre. Ce fut déjà le cas, par exemple, d'un Samuel Richardson dans Clarissa. Une base, un matériau, une maîtrise stylistique et littéraire sensationnels mais une impression finale sabotée par cette sale manie de vouloir m'obliger à en penser ce que lui veut que j'en pense alors que j'aurais été si heureuse de pouvoir effectuer mes propres choix dans l'interprétation.



Il me reste à dire deux mots du travail du traducteur, l'inégalable, le génial Maurice-Edgar Coindreau, le découvreur, le passeur, l'Hermès messager auprès du public francophone de toute cette littérature du sud des États-Unis, les Faulkner, Steinbeck, Hemingway, Caldwell, McCullers et j'en passe. C'était un très fin lettré, un admirable manieur de mots, qui sut parfois trouver des miracles de formule, comme ici, dans ce titre, si différent de l'original, Everything that rises must converge, qu'on pourrait maladroitement traduire en français par " Tout ce qui monte doit converger ". Non, ici, il est allé cherché un vers de Racine, à l'acte I, scène 3, lorsque Phèdre confie à Oenone : « Mon mal vient de plus loin ». Quel brio, M. Coindreau, exactement comme pour ce « Et » magique que vous avez su ajouter au titre d'un autre ouvrage de l'auteure, ET ce sont les violents qui l'emportent, pour rendre The Violent bear it away. Un « Et » qui donne toute sa force au titre francophone. Chapeau bas.



Pour conclure, ici, selon moi, des qualités d'écriture suffisamment rares pour être signalées, mais ce quelque chose de déplaisant, de fondamentalement religieux et collant comme un truc malodorant sous une chaussure, qui vous incommode et vous met mal à l'aise. Toutefois, le dernier mot, souvenez-vous qu'il vous appartient toujours, car le mieux, c'est encore, je crois, de vous en faire votre propre opinion, par vous-même, si le coeur vous en dit, car ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
Commenter  J’apprécie          1153
Les braves Gens ne courent pas les rues

« La personne déplacée », dernière des dix nouvelles de ce recueil, évoque le drame des familles slaves contraintes de fuir leur patrie envahie.



Publiée en 1954, « la personne déplacée » était polonaise ; en cet hiver 2022 le lecteur la visualise ukrainienne, avec un nom imprononçable « quelque chose comme Gobblehook » comme Mrs McIntyre et Mrs Shotley l’avait appelée avant de la renommer plus simplement en « Guizac ».



Quand la famille Guizac est recueillie dans la ferme des McIntyre, elle se révèle plus productive et plus compétente que les employés autochtones. M Guizac fait merveille au volant du tracteur et autres engins agricoles, qu’il sait réparer, et ses connaissances agricoles sont incontestables.



Avec avidité, Mrs McIntyre voit immédiatement le profit apporté par « la personne déplacée » qui va largement compenser la dépense consentie pour les héberger. Les employés, au fin fond de la campagne étasunienne, voient d’un mauvais oeil la concurrence et la perturbation ainsi provoquée par la guerre en Europe.



En quarante pages, Flannery O’Connor, démonte avec férocité et humour une certaine compassion pour les réfugiés qui est une caricature de la vraie solidarité. Les portraits des personnages sont aussi concis que précis et l’intrigue haletante et saignante.



« Les braves gens ne courent pas les rues » … espérons qu’aujourd’hui, nous hébergerons « la personne déplacée » d’Ukraine … sans tragédie !
Commenter  J’apprécie          800
La Sagesse dans le sang - Les Braves gens n..



« Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l’étiquette grotesque par le lecteur du Nord, à moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l’étiquette réaliste ».

(Flannery O'Connor)



J'avais croisé sans le savoir Flannery O'Connor il y a bien longtemps, via l’adaptation de son roman « La sagesse dans le sang » par John Huston. Le genre de film où l'on ne capte pas tout mais qui laisse une impression de malaise durable. Je les ai enfin retrouvés sur Babelio dans la critique de jeff2u12, grâce lui soit rendue.



Dans ce premier roman, on suit les pérégrinations de gens qui ont juste assez de neurones pour tenir leurs sphincters et proférer des absurdités. Ils sont ballotés par la vie et tentent parfois des initiatives désastreuses. Alors forcément, leurs comportements sont erratiques et leurs vies miteuses ne vont pas vers le beau.



Dans son deuxième roman « Et ce sont les violents qui l’emportent », un jeune garçon, élevé dans une ferme isolée par son grand-oncle fou de Dieu se retourne à la mort de ce dernier vers son oncle instituteur athée. Il est encore malléable, se tournera-t-il vers le bien (entrer dans le monde moderne) ou vers le « bien » (aller de par le monde prêcher la rédemption) ?



Ses nouvelles ne sont pas moins dérangées. Cette édition de ses œuvres complètes en contient 26 des 31 qu’elle a écrites. On suit encore le même genre de personnages mais on a moins le temps de fouiller les arcanes de leurs pensées ou actions, ce qui les rend plus brutales. Il y est souvent question de personnages moins abrutis que la moyenne, mais imbuvables et qui se font généralement quand même poisser par la triste réalité de leurs environnements. D’autres sont justes des tranches de vies pitoyables, sans qu’un drame ne survienne.



On se demande un peu où elle voulait en venir, ce qu’elle voulait raconter de son Sud des États-Unis, depuis sa triple position d’outsider.



D’abord parce qu’elle était malade, atteinte d’un lupus héréditaire très invalidant qui avait tué son père alors qu’elle avait 15 ans et qui l’emporterait avant ses 40 ans. Ses dix dernières années ont été un calvaire dont la seule joie était l’écriture. Et peut-être aussi les oiseaux, notamment les paons de la ferme de sa mère où elle s’était réfugiée dès les premiers symptômes, à 25 ans.



Elle était ensuite catholique dans un arrière-pays très marqué par les baptistes, une sorte d’extrémistes protestants mi-allumés mi-affairistes (on croise quelques uns de ces prêcheurs ambulants qui deviendront bientôt télé-évangélistes). Pour elle, ce n’est pas anodin, elle a écrit que ce qu’elle écrivait était fortement imprégné de sa foi. Et pourtant, je n’ai pas vu en quoi. Si c’était juste pour dire que les « concurrents » baptistes sont des abrutis dangereux, c’est réussi. Mais les deux prêtres catholiques qui apparaissent dans deux nouvelles ne sont pas dépeints de façon élogieuse non plus. Et j’ai du mal à imaginer que ses ambitions se limitaient à ça.



Parce qu’elle était enfin une intellectuelle, échouée par les circonstances dans un univers d’une bêtise crasse, mélange détonnant de religion et de manque d’éducation, de pauvreté (à des degrés divers) et d’avidité, de fractures sociales apparemment inconciliables (entre blancs et noirs ; entre petits blancs « white trash » et ceux s’en tirant un peu mieux) et de constante pression sociale (chacun observe ses prochains à la recherche de la petite bête).



C’est sur ce monde qu’elle porte un regard d’une lucidité effarante, et c’est peut-être ce qu’elle a voulu laisser : une description sans fard de la façon dont la vie de ses concitoyens est ruinée par la bassesse de leurs pensées et ambitions. Tout ça en évitant soigneusement le moindre souffle épique, on n’est pas chez Faulkner.



Elle ne manifeste que très rarement de l'empathie pour ses personnages et pourtant, elle les décrit et les fait vivre avec un réalisme extraordinaire. Mais elle ne se considère surtout pas supérieure et traite sans plus d’aménité tous ceux qui pourraient lui ressembler. Il y a plusieurs diplômés d’université, tous d’une pusillanimité consternante. Et dans deux nouvelles émouvantes, elle se paie gentiment la fiole d’une intellectuelle infirme et d’une vieille fille qui se veut écrivain, qui rappellent étrangement sa propre situation.



Au-delà de ces histoires navrantes mais prenantes, cette femme reste un mystère. Peut-être sa correspondance donnerait-elle des clés, mais je préfère en rester là. Lui conserver cette aura d’étrangère à son propre monde et qui a pourtant si bien su le dépeindre.

(Et quand je pense que c’est ce terreau qui a engendré la musique que j’aime le plus au monde, cela me fascine totalement).
Commenter  J’apprécie          6713
Les braves Gens ne courent pas les rues

A l’époque où les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) dominent les grandes villes et occupent les hautes sphères du pouvoir, dans les années 50, Flannery O’Connor, native du Sud, écrit ses nouvelles inspirées par l’Amérique profonde et ses grands espaces où se déploient des personnages étranges et surprenants, énigmatiques, truculents ou misérables. Un monde perdu et disparu où Noirs et Blancs se côtoient -en se regardant de travers-, l’évocation d’une certaine misère sociale, une succession d’histoires parfois très courtes, ponctuées de chutes parfois brutales. Racontées avec humour ou intensité dramatique, certaines de ces nouvelles-mais moins de la moitié selon moi- bien ciselées illustrent ce passé lointain d’une Amérique peu connue…
Commenter  J’apprécie          5726
Les braves Gens ne courent pas les rues

Etonnamment, c'est par Katherine Pancol que je suis arrivée à Flannery O'Connor. La Katherine Pancol des débuts, je précise, pas celle des derniers temps et des best-sellers démagos. Celle qui s'est inspirée de 'Les braves gens ne courent pas les rues' pour choisir le titre d'un de ses meilleurs romans 'Les hommes cruels ne courent pas les rues' et a fait étudier à son héroïne les nouvelles de Flannery O'Connor dans un cours de creative writing...



Longtemps après cette lecture, je m'en suis souvenue et j'ai décidé de suivre à mon tour les braves gens du Sud des Années 1950. Le bilan est toutefois un peu mitigé : j'ai beaucoup apprécié le style, à la fois précis et très évocateur, ainsi que la façon de camper en 5 lignes au début de chaque nouvelle une histoire et des personnages. Ca m'a fait penser à Alice Munroe, l'écrivain qui m'a fait aimer les nouvelles. Une qualité d'écriture qui ne court pas les rues...



Cela dit, c'est difficile d'être marqué par des histoires si courtes, tantôt vaines et tantôt insensées, en tout cas au message souvent mystérieux pour moi. Ainsi des deux premières nouvelles du recueil, celles du serial-killer en vacances et du petit garçon qui se jette dans le fleuve, que j'ai terminées en me demandant 'et alors ?'. J'ai mieux aimé 'La personne déplacée', chronique brillante et terrifiante du racisme et de la méchanceté ordinaires ou même 'Un heureux événement' qui nous met dans la tête d'une drôle de femme...



Parfois datées et pas politiquement correctes dans leur vocabulaire, les histoires nous plongent vraiment dans les Etats du Sud des Etats-Unis juste après la seconde guerre mondiale. Une ambiance très rurale, souvent déprimante avec son lot d'intolérance, de bêtise et d'obscurantisme religieux. Mais une ambiance intéressante à découvrir.
Commenter  J’apprécie          531
L'Habitude d'être

Je me suis plongée dans la correspondance de Flannery O’Connor suite à la lecture de Savannah de Jean Rolin où il relit, au cours de son voyage de retour sur les pas de Kate Barry sa compagne disparue, « L’habitude d’être » dans un exemplaire ayant appartenu à celle-ci. Elle y a souligné de nombreux passages dont celui-ci :

Il faut aimer ce monde tout en luttant pour le supporter. » et cela résume toute la vie de Flannery et peut-être aussi celle de Kate.



J’avais aimé les romans et nouvelles de cette auteure et je peux dire après la lecture de cette correspondance qu’elle est devenue pour moi une amie précieuse qui m’a conquise avant tout par sa vivacité, son regard acéré auquel rien n’échappe, son attention envers ses correspondants et envers son entourage et enfin sa simplicité et son courage.

Flannery O’Connor communique une envie de vivre et une énergie qui vous sort de tous les moments d’abattement.

Cette correspondance avec ses amis éditeurs, écrivains ou simples lecteurs permet de mieux comprendre son oeuvre où l’on retrouve des personnages et des anecdotes de sa vie quotidienne que l’on aurait pu croire étriquée, restreinte par la maladie contraignante dont elle souffre alors qu’elle exacerbe son intelligence aigüe des êtres et des choses qu’elle observent d’un oeil parfois impitoyable mais toujours en exerçant son sens de l’humour et non sans un fond de tendresse. J’aime aussi son humilité et qu’elle ne se sente pas au-dessus du lot :



"Je n’ai vraiment pas l’impression que l’artiste ait le droit de se situer au-dessus du commun des mortels. Et d’abord c’est qui le commun des mortels ? J’avoue que je l’ignore. J’en viens à détester ce titre d’artiste, s’il vous place au-dessus des autres alors qu’il ne désigne qu’un certain métier, une façon d’essayer de communiquer et l’espoir d’y parvenir. La matière employée n’est pas plus noble qu’une autre et la volonté de faire de son mieux existe dans n’importe quelle sorte d’activité."





Pour mieux cerner cette jeune femme pleine de vie voilà ce que dit d’elle, dans sa postface intitulée « Dans l’amitié de Flannery" , Gabrielle Rolin qui l’a rencontrée une fois et a correspondu avec elle :

… derrière ses lunettes d’écaille, ses yeux s’ouvrirent, clairs, aigus, si gourmands de vie, qu’ils forçaient le sourire (…) L’irrespect lui fouettait les sangs. Adossée à l’oreiller, elle me décrivit les plaisirs de la ferme : araignées géantes, moustiques venimeux, orties empoisonnées, et des fous comme s’il en pleuvait.



(…)Sa résignation tenait du défi, son sens du comique se nourrissait d’épreuves. Jamais je n’ai rencontré un esprit aussi libre, aussi indifférent aux mode, catégories, étiquettes, volant aussi droit au but : sa vérité



(…) Son drame , c’est qu’il ne savait pas quoi faire de sa souffrance, dit-elle un jour à propos d’un jeune suicidé. Pour sa part, elle en avait l’usage. Elle tirait de ses épreuves, de son angoisse, de ses doutes, la force de les supporter. Non pas de les apprivoiser mais d’en découvrir les richesses, la face cachée, le mystère et la promesse, d’y puiser une raison d’être et d’écrire.



Il n’y a rien à ajouter si ce n’est « Lisez Flannery O’Connor ! » en particulier cette correspondance qui donne envie de découvrir ou redécouvrir ses textes.

Commenter  J’apprécie          451
Pourquoi ces nations en tumulte?

Quand on connait un peu l'oeuvre de Flannery O'Connor et qu'on ouvre un nouvel opus, on sait qu'il y a peu de chance qu'on tombe du lit en découvrant les thèmes qu'elle a choisi de traiter. Depuis le temps, on y est habitué, pas de raison de bifurquer.

Et en effet, ça ne change pas et c'est tant mieux parce qu'en se lançant dans un livre (ici, un recueil de nouvelles) de Flannery, on sait ce qu'on vient y chercher et ce serait une bien mauvaise blague que d'être sournoisement trompé sur la marchandise.

Enfin, tout ça pour dire qu'avec Pourquoi ces nations en tumulte ?, on retrouve les sujets de prédilection de cette immense écrivaine, à travers un condensé de dénonciations baleinantes de l'hypocrisie humaine, du racisme bien pensant (« Alors là moi j'ai aucun problème avec les gens de couleur... quoi ? t'as un nègre pour voisin ? han, t'as pas peur ? déménage vite hein, on sait jamais »), de la cruauté sociale et de la bêtise parfois (souvent) crasse.

En résumé Flannery pointe du doigt cette disposition merveilleusement anthropienne qui veut qu'à chaque fois qu'on se retrouve devant une double conjoncture, on évite toujours soigneusement de choisir le chemin de la bienveillance pour s'engouffrer, tout heureux, dans celui de la charognerie.



« Géranium », la première et plus connue des nouvelles de ce recueil mêle tous ces ingrédients et d'emblée on est plongé dans de la bonne connerie humaine bien poisseuse.

Les textes suivants embrassent sans surprise le même fil rouge de vies sans intérêt dans les grandes villes ou les coins les plus reculés du Sud profond. Flannery O'Connor, en bonne montreuse d'ours, nous convie à observer tous ces gens médiocres ; plus que ça même elle nous invite carrément à jouer les Peeping Tom et on se retrouve vite fait à regarder par le trou de la serrure ces personnages mesquins et suffisants qui, plutôt que d'essayer d'améliorer leurs conditions, préfèrent surnager dans leurs flaques de boue et en rejeter la faute sur le voisin, plus pauvre, plus coloré, moins croyant...



Ces nouvelles font partie des toutes premières créations de Flannery O'Connor et si on sent bien la virtuosité et l'émergence de ce qui deviendra ses antiennes au cours de sa courte, bien trop courte, carrière littéraire, on n'atteint pas encore exactement l'excellence de son recueil phare qu'est Les braves gens ne courent pas les rues, mais nul doute qu'à la lecture de ces écrits originels, on est témoin de la genèse du talent de celle qui sera quelques décennies plus tard considérée comme la prêtresse de la southern literature.

Une réputation qu'elle n'aura pas usurpée. Oh que non.



Commenter  J’apprécie          444
Les braves Gens ne courent pas les rues



Dans mon voyage littéraire interstellaire, ce sont comme autant d'astres à découvrir, d'étoiles qui me clignent de l'oeil, ces autrices et auteurs mythiques que j'ai la chance enfin d'approcher, parmi lesquelles la grande Flannery O'Connor, qui malgré une vie brève et marquée par une maladie incurable, a produit une oeuvre littéraire stupéfiante, qui ne ressemble à aucune autre.



Et j'en débute la lecture par celle du célèbre recueil de dix nouvelles « Les braves gens ne courent pas les rues », dont la première donne son titre au livre. Une lecture que je projetais de faire depuis longtemps, et voilà que c'est accompli, donnant l'envie d'en lire d'autres et je projette de poursuivre ma découverte par « Mon mal vient de plus loin ».



Une oeuvre féroce dans sa description cruelle de toutes les facettes du mal, de la bêtise à la méchanceté, et féroce aussi par son humour qui donne encore plus de relief aux travers détestables de notre humanité.

Mais, selon l'autrice, catholique convaincue et fervente, dans un Sud des Etats-Unis où la tradition protestante sert souvent de paravent aux pires comportements, cette vision où les humains sont mesquins, bêtes et méchants, c'est celle d'une humanité ratée qui ne peut être sauvée que par la rédemption divine (Ceci dit, on n'est pas obligé de la croire totalement pour la lire!)



Car dans toutes ces nouvelles, ce sont des êtres au mieux d'une grande bêtise, comme ce grand-père borné et raciste de « le Nègre factice », qui, en voulant montrer à son petit- fils ce qu'est la grande ville, se perdra, et ne devra son salut qu'à un noir de cette ville, ou bien ces deux jeunes écervelées de « Les temples du Saint-Esprit », ou encore cette femme rondouillarde qui refuse avec force l'idée d'enfanter et sur laquelle s'abat une grossesse qu'elle nie dans «Un heureux évènement » , ou enfin ce grotesque général de cent quatre ans, amateur de jolies filles, qui assiste à la soutenance de Thèse de sa fille de soixante six ans!

Mais il y a aussi des prédicateurs fous dont les discours vont conduire à la mort un enfant exalté dans « Le fleuve », un jeune vendeur de bibles qui se révèle être un horrible pervers dans « Braves gens de la campagne », etc…

Et enfin il y a tout ce monde des petits propriétaires blancs, sournois, mesquins, racistes, imbus d'eux-mêmes, dont la cupidité, la volonté de pouvoir sur l''autre, l'employé, donc « l'inférieur», peut conduire au crime atroce dans « La personne déplacée », la plus extraordinaire selon moi des nouvelles, tant par sa construction que par son écriture.

Et pour terminer, celle qui donne le titre au livre, où comment la parole voulue bienfaisante d'une vieille grand-mère sera sans effet sur un féroce assassin évadé de prison.

En fait, tout le monde est bête et/ou méchant, les enfants avec ceux qui les hébergent, la fille avec sa mère, ou son père, le grand-père avec son petit-fils, les propriétaires avec leurs employés, les prêtres, les prédicateurs, personne n'est épargné.



Mais si c'est cruel, qu'est ce que c'est drôle. On rit, jaune certes, mais on rit de toute cette accumulation invraisemblable de la laideur humaine.

Et le lecteur est entrainé par ces histoires, par leur rythme et leur écriture, l'emploi de l'argot, si bien rendu par le traducteur, une personne que l'on oublie souvent, et qui est si importante pour nous restituer la substance d'un livre.

Car il faut lire la façon dont c'est raconté, l'humour décapant, la construction, la concision, l'art de la chute, souvent terrible, parfois moins.

Et puis, Flannery O'Connor est une autrice du Sud des États-Unis, de ce Sud de petites gens, misérables, qu'ils soient blancs, et encore plus « nègres », un mot que l'on ne peut plus écrire, mais qui correspond bien au contexte des années 1930-1940.

Mais aussi une autrice bien différente, de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, de l'autre écrivaine du Sud, Carson McCullers, à l'écriture poétique et pleine d'humanité.

Ici, c'est la description cruelle et tellement drôle de l'être humain dans toute sa bêtise et sa malfaisance .

Mais, bien sûr, il n'y a aucun intérêt à comparer O'Connor et Mc Cullers, c'est comme si on voulait comparer Beethoven et Mozart, Rembrandt et Picasso, les chutes du Niagara et le Lac Majeur, ou même Poutine et Staline (encore que…).
Commenter  J’apprécie          395
Les braves Gens ne courent pas les rues

La Georgie dans les années 50, racontée en dix nouvelles implacables.

En quelques mots, nous voici dans la chaleur étouffante du Sud: bouteilles de coca-cola gardées au frais, chemins poussiéreux, blancs et noirs cohabitant, décrits sans complaisance.

Flannery O'Connor a l'art du portrait: l'aspect physique, la manière de se tenir, la voix, le regard, les pensées, tout y passe, et ce sont en général les dames qui trinquent.

Apparaît de temps en temps une gamine plus maligne que le reste et qui a un air de Frankie Adams - Carson McCullers -, ce sera elle qui portera ce regard critique et pourtant naïf sur ces mesquineries mêlées de stupidité qui l'entourent.



Ces dix nouvelles, à l'atmosphère bien caractéristique, sont un délice à lire, bien que l'arrière-goût soit amer. Et c'est confinée chez elle, dans sa grande demeure, que Flannery O'Connor écrira ces récits sur son univers contemporain.
Commenter  J’apprécie          382
Et ce sont les violents qui l'emportent.

Habiter au fin fond d'une clairière avec son grand-oncle pour unique compagnie et passer son temps entre prières et travaux des champs, c'est tout sauf drôle pour le jeune Francis Marion Tarwater mais quand le grand-oncle qui travaillait déjà bien du bigoudi devient mystiquement dément sur sa fin et décide qu'il fera de son protégé le prophète que Dieu lui a ordonné d'offrir au monde, ça devient carrément du délire.

Heureusement, après quelques simagrées le vieux fini par casser sa pipe. Tarwater va enfin pouvoir mettre les voiles et aller se frotter de près à cette chose abstraite connue sous le nom de civilisation. Enfin ça c'est ce qu'il croit, et nous avec, mais c'est compter sans les quatorze années d'un véritable lavage de cerveau évangéliste qui se rappellent à son bon souvenir à chaque fois qu'il pense les laisser derrière lui. En rejoignant ce qui lui reste de famille dont un oncle ayant échappé à l'idéologie du vieillard en son temps et devenu (blasphème !) instituteur, Tarwater pense se laver de cet enseignement théologique trop lourd pour son âge. Alors, oubliera-t-il la leçon dite et répétée que Dieu a une mission pour lui et pourra-t-il enfin, dans la canicule poussiéreuse du Sud profond, commencer une vie normale ?



Une vie normale... Voilà bien une notion inconnue de Flannery O'Connor, grande dévote catholique qui, après le magnifique La Sagesse dans le Sang continue avec Et ce sont les Violents qui l'emportent sa croisade contre le fondamentalisme fanatique du Sud, des faux prophètes aux fous de Dieu et toute la congrégation évangéliste en général qu'elle n'a rencontrée que trop souvent dans sa Georgie natale et nous délivre par le biais des jeunes années de Francis Tarwater une oeuvre captivante, fiévreuse et brutale sur l'embrigadement, l'impossible rédemption et bien sûr la violence car s'il y a un livre qu'elle connaît par coeur Flannery O'Connor, c'est certainement le plus célèbre au monde et dont l'un des personnage principal du nom de Matthieu dit en substance : "Depuis le temps de Jean-Baptiste jusqu'à présent, le royaume des cieux se prend par violence, et ce sont les violents qui l'emportent".

Commenter  J’apprécie          360
Les braves Gens ne courent pas les rues

Livre dont on entend beuacoup parler et que j'ai lu par curiosité. Flannery 0'Connor décrit l'Amérique du rêve américain, mais, hélas, pour ses personnages la vie n'est pas un rêve.

Dans chacune de ces dix nouvelles, des braves gens sont confrontés à des salauds et s'en tirent tant bien que mal, souvent plutôt mal.

Une grand-mère est en butte à la famille de son fils qui l'héberge et lui fait sentir chaque jour combien elle a de la chance et pourquoi elle doit accepter leurs railleries sans broncher...

La brave Mrs Connin a la charge du fils d'un couple de marginaux qui la font tourner en bourrique et moque ses croyances religieuses.

Dèjà en but aux taquineries de Mrs Pritchard, la femme de son fermier, Mrs Cope a trop bon coeur et se fait flouer par le fils d'une ancien employé.

Nelson, né à Atlanta n'a que dix ans mais un caractère bien trempé, il en fait voir de toutes les couleurs à son grand-père Mr Head. Quand ce dernier décide de lui donner une leçon, les choses partent en vrille.

Mr Shiflet, un trimardeur manchot, n'hésite pas à flouer une vieille femme et sa fille handicapée.

Un vieux général de 104 ans doit assister à la remise de diplôme de sa fille de 62 ans...

Ruby cherche à se persuader qu'elle couve une maladie grave alors qu'elle n'est qu'enceinte de quatre mois, une catastrophe pour elle...

Des portraits d'une Amérique proche de celle des Raisins de la colère. La pauvreté y est omniprésente, la religion aussi qui donne aux braves gens une explication facile, acceptable et rassurante des raisons de leur situation.

Vous avez quatre abcès dentaires mais Dieu aurait pu vous en donner cinq ou plus, remerciez-le assure Mrs Cope à Mrs Pritchard, en rajoutant je ne manque jamais de remercier Dieu chaque jour, des grâces qu'il me fait...

Certains pourraient rire des situations décrites par l'auteure, mais si elle fait preuve d'un humour parfois grinçant, le drame n'est jamais loin ramenant le lecteur à la triste réalité.

Zones rurales abandonnées, villes segmentées en quartiers et ghettos, services publics et sociaux cruellement absents, indifférence des citoyens entre eux, travail partisan de la police, enfance laissée en déshérence...

Dans cette société, malheur à celui qui est sur le dernier barreau de l'échelle sociale, il est le bouc émissaire idéal pour celui qui le précède et qui en fait la source de tous ses maux. Réflexe connu du petit blanc ciblant le noir ou l'immigré.

Paradoxe maintes fois vérifié jusqu'à aujourdh'ui dans l'Amérique de Trump où l'on a glorifié celui qui exploite pour vilipender les étrangers, les noirs où les communistes supposés être à l'origine de tous les malheurs de la société.

Livre de référence qu'il faut lire absolument. Pour son côté rageur et iconoclaste. Pour sa remise en cause de l'obscurantisme religieux. Pour son côté libérateur. Pour son actualité malgré son grand âge.

Rien n'a changé ou si peu entre l'année de sa première publication en 1953 et 2021. Les braves gens ont toujours du souci à se faire, les salauds ont de beaux jours devant eux...
Commenter  J’apprécie          344
Un heureux évènement suivi de La Personne Déplacée

Si vous rêvez d'un peu de douceur, de sérénité, en cette période difficile, ne lisez pas ces deux nouvelles! Extraites du recueil si bien intitulé : " Les braves gens ne courent pas les rues" ( au sens premier du terme, ce pourrait être un bon slogan pour rester chez soi...), elles ne sont pas faites pour vous redonner le moral!



La première dont je préfère le titre américain " A stroke or good fortune", un coup de chance, car il est moins explicite, nous présente la rondelette Ruby, qui a bien du mal à monter les escaliers pour rejoindre son logement et qui rêve de déménager... Tous les gens qui gravitent autour d'elle sont peu sympathiques, comme elle, même si l'on comprend ses réticences au vu de son enfance. J'ai moyennement aimé cette histoire.



La deuxième" La Personne Déplacée "est excellente. L'auteure observe au scalpel le microcosme d'une ferme du Sud des Etats-Unis, où vient travailler une famille de polonais ayant échappé aux camps. Le racisme primaire s'exerce ici avec force , et bêtise évidemment, venant à la fois de Mrs Shortley, blanche employée depuis quelques temps avec son mari dans la ferme, ainsi que deux Noirs, qui voient d'un mauvais oeil la grande efficacité que déploie " La Personne Déplacée"...



L'observation juste et non dénuée d'humour que Flannery O' Connor fait de ses semblables est certes fort pessimiste, mais elle montre bien que leurs peurs personnelles, inconscientes très souvent , leur ignorance peut les mener aux pires pensées, aux pires actes...



J'ai aimé découvrir l'univers sombre et acéré de l'auteure mais j'ai besoin maintenant d'un peu de zénitude... Au programme, un roman de contemplation japonaise...
Commenter  J’apprécie          347
Et ce sont les violents qui l'emportent.

« Il décida de creuser la tombe sous le figuier, parce que le vieillard serait bon pour les figues. Le sol était sablonneux à la surface et dur comme de la brique en dessous, et, en le frappant, la bêche rendait un son métallique. Cent kilos de montagne morte à enterrer, pensa-t-il, un pied sur la bêche et penché en avant, les yeux fixés sur le ciel blanc à travers les feuilles des arbres. »



C’est Francis Marion Tarwater, un adolescent perturbé qui tente de creuser cette tombe. Il a environ 14 ans et vivait avec son grand-oncle dans une clairière à l’écart de tout. Le corps à enterrer c’est celui de ce fanatique religieux, fou à lier. Il l’avait tout simplement enlevé, encore bébé, au seul membre de sa famille encore vivant : son oncle Rayber, libre penseur. Tarwater n’a quasiment connu personne d’autre que ce grand-oncle. Et il est tout aussi dangereux que lui.



Sa soudaine liberté le pousse alors à rechercher Rayber. D’autant plus que son grand-oncle lui avait confié une mission quasi-prophétique : baptiser par tous les moyens le fils de Rayber, un enfant atteint d’un handicap mental.



Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu du Flannery O’Connor et je pensais que ce roman pourrait aujourd’hui me paraître vieillot ou dépassé. J’ai lu par exemple il y a quelques mois « Le Diable, tout le temps » de Donald Ray Pollock, qui boxe dans la même catégorie et qui m’avait sonné. Cette chère Flannery, allait-elle encore être à la hauteur ? Je ne vous fais pas languir plus longtemps : oui, elle garde pour moi une longueur d’avance sur toute la concurrence dans le registre des thrillers métaphysiques fortement marqués par un christianisme exacerbé.



Evidemment, d’autres lecteurs pourraient objecter que toute cette symbolique est bien lourde : eau et feu, folie et meurtre, bien et mal, douleur et devoir moral. Ils pourraient aussi juger que le style est ampoulé et que le références bibliques, omniprésentes, ne facilitent pas la tâche d’un lecteur qui les ignorerait…



Pour ma part ce roman m’a fait forte impression, tout comme, il y a très longtemps, la lecture de « Les braves gens ne courent pas les rues », un recueil de nouvelles inégalable dans ce genre cruel. Ici, tout comme chez Donald Ray Pollock, tous les personnages sont des bourreaux en puissance. Le Mal mène le monde, c’est la seule leçon à en tirer.

Commenter  J’apprécie          302
Les braves Gens ne courent pas les rues

Le recueil est composé de dix nouvelles dont l'action se situe dans le Sud des Etats-Unis dans les années 50, un Sud arriéré, pétri de religion, croyances et préjugés, pas encore sorti de la guerre de sécession et de la ségrégation.

Les rapports de classe et de race sont exacerbés, entre les maîtres et les serviteurs, les propriétaires et les ouvriers agricoles. Les noirs, "nègres" dans le livre, font partie du paysage, en arrière plan, pas vraiment humains, inspirant le désintérêt, voire la peur. Ce sont des ombres qui se profilent à l'horizon. Les juifs rescapés de la Shoah apparaissent également.

Il y a toujours un plus faible que soi, à qui on peut asséner des vérités, avec qui pérorer, mais parfois les situations connaissent des retournements spectaculaires, ou de brusques accélérations dramatiques, comme dans la première nouvelle Les braves gens ne courent pas les rues, qui commence comme une comédie et bascule subrepticement dans l'horreur, en nous cueillant à froid.

Les historiettes relatent fréquemment des rencontres fortuites, malencontreuses entre des personnages suffisants, trop sûrs d'eux, naïfs, et des escrocs, psychopathes qui les ensorcellent et manipulent.

Ce sont parfois des histoires de duperie, de supercherie, où des vieilles filles au physique ingrat, handicapées, sous le joug de leur mère, sont la proie de bonimenteurs et autres charlatans.

Les prédicateurs sont légion, mais la religion n'apporte aucune rédemption, aucun secours, dans ce monde violent, où paranoïa, jalousies et haine de l'autre dominent, et où la mort interrompt souvent le cours des évènements.

Et pourtant, le ton des récits est léger, badin, masquant la cruauté sous des dehors cocasses, et c'est ce qui en fait l'originalité et la puissance narrative.

Où Flannery O'Connor est-elle allée puiser son inspiration ? Dans son histoire personnelle, marquée par une grave maladie invalidante qui l'emportera, après son père, à l'âge de 39 ans, par une vie à la ferme avec sa mère, dans un contexte de religion et de racisme ? Elle a incontestablement fait preuve de dons d'observation stupéfiants qui lui ont permis de livrer des contes alliant noirceur et véracité sociale.

Leur lecture m'a permis de mieux appréhender le Southern Gothic, et de mesurer l'influence que Flannery O'Connor a eue sur des écrivains, parmi lesquels Joyce Carol Oates.

Commenter  J’apprécie          284
Flannery O'Connor - Oeuvres complètes : Roman..

J’ai lu récemment trois recueils de nouvelles, l’un où l’amour tient la première place, un recueil d’une poésie magnifique et le troisième où j’ai pris une baffe monumentale, c’est de celui-ci qu’il va être question.

Ne vous laissez pas berner par le titre, Flannery O’Connor est une adepte de la litote.

Une histoire de grand-mère un peu casse-couille débute la série de nouvelles, la famille envisage un petit voyage et la grand-mère va obtenir gain de cause pour une petite virée au Tennessee, je me suis un rien laissée endormir par cette gentille famille et je vous assure que le réveil est brutal.

Après cette première nouvelle qui m’avait laissée un peu assommée je m’attendais au pire et j’avais bien raison, la nouvelle « Le fleuve » est d’une violence inouïe sous des dehors convenus et bien pensants et un rien dépassés, Flannery O’Connor s’y connait en humour noir, cruauté en tous genres, elle cultive allègrement le ridicule, quant à la bonté des hommes, elle nous laisse entendre qu’elle est parfois plus horrible que consolante, la preuve avec la nouvelle apparement réconfortante de cette vieille fille simplette que sa mère parvient enfin à caser…

Elle nous mène en bateau Flannery, elle rit de nous, de nos préjugés, de nos jugements à l’emporte pièce, prenez cette nouvelle où un vendeur de bibles séduit une jeune femme à la jambe de bois, quel altruisme direz-vous, l’auteur avec un brin de perversion va vous faire revenir sur votre jugement premier.

La nouvelle qui m’a le plus touchée c’est celle qui a trait à « La personne déplacée » où les personnages rivalisent de bêtise et de méchanceté face à un travailleur immigré trop courageux et compétent pour son bien.

On ressort un peu sonné, admiratif de l’art de l’auteur pour cette mise en scène d’une humanité égoïste, mesquine, cruelle, ridicule, bigote, et souvent grotesque.

Un monde de petits blancs racistes et xénophobes, qui vivent eux mêmes dans une misère profonde, et pourtant l’auteur parvient à nous faire rire, un rire grinçant je vous l’accorde, mais rire quand même.

Il a fallu deux ans à l’auteur pour écrire ces dix nouvelles, dont au moins la moitié sont des chefs-d’oeuvre absolus. Aucun sentimentalisme, aucune mièvrerie, l’humour est ravageur et cinglant.

J’avais beaucoup aimé son roman, Ce sont les violents qui l’emportent, mais ses nouvelles sont largement au dessus.

Cecilia Dutter a écrit un essai biographique sur Flannery O’Connor :

« Son œuvre est un pied-de-nez au prêt-à-penser consensuel. Elle nous bouscule, nous secoue, torpille nos préjugés et nos pauvres évidences pour nous révéler l’envers du décor »




Lien : http://asautsetagambades.hau..
Commenter  J’apprécie          287
La sagesse dans le sang

L'univers de Flannery O'Connor, née dans le sud des Etats-Unis, est sombre, à la fois prosaïque et surnaturel. Dans ce roman écrit en 1952, le personnage principal, Hazel Motes, âgé d'une vingtaine d'années et fils de pasteur, rentre de la seconde guerre mondiale. Il découvre que son village a été abandonné et décide de devenir le prédicateur d'une église sans Christ. Son parcours le met en relation avec un simple d'esprit qui cache en lui un grand secret, un faux aveugle prêchant la bonne parole et sa fille, Sabbath, prématurément corrompue par la misère mais seule du roman à être dotée de lucidité. Tous ces personnages, moitié escrocs, moitié mystiques, sont en quête d'un absolu qui se cache obstinément derrière leur ligne d'horizon.

En début de lecture le style précis et imagé de Flannery O'Connor (traduite ici par Maurice-Edouard Coindreau, qui fut aussi le traducteur de Faulkner) se met au service avec humour et dérision d'un quotidien terriblement terne, au point d'en être désespérant. Mais on verse progressivement dans une réalité complexe, un peu folle et inquiétante, à l'instar de l'ambiance exaltée et misérable dans laquelle baignent les pauvres blancs, abandonnés à la déréliction d'une religiosité débridée et à la rigueur implacable de la solitude et du dénuement.

Pourtant leur quête se poursuit sans trêve, jusqu'à la délivrance. La trouveront-ils ?

Flannery O'Connor, auteure catholique dans un monde protestant, sculpte des textes d'une étonnante liberté de questionnement métaphysique. Nul doute qu'Hazel Motes, malgré son athéisme agressif, n'en soit l'étonnant porte-parole.

Elle est incontestablement l'un des maîtres de la littérature américaine.
Commenter  J’apprécie          273
Les braves Gens ne courent pas les rues

Merci à Guillaume Galienne et sa magnifique émission "ça ne peut pas faire de mal" sur France Inter. C'est grâce à lui que j'ai acheté ce recueil de nouvelles. Je suis très surprise d'être la première à en faire la critique, et un peu intimidée, du coup...

C'est excellent. C'est du grand art, d'autant que l'art de la nouvelle n'est certainement pas des plus aisés. C'est concis, percutant, parfois glaçant. Elle nous conte le destin de petites gens dans le sud des Etats Unis, des destins sombres, parfois terribles: une famille partant en vacances, enfants insupportables et belle-mère envahissante, qui rencontre un serial killer; un jeune garçon, délaissé par ses parents, tombant sous la coupe délétère d'un prédicateur illuminé...

En quelques mots, l'atmosphère est donnée, une atmosphère lourde, où couvent violence, racisme, méchanceté et peur de l'autre.

Une grande plume, qui rivalise sans peine avec les novellistes talentueux que sont Raymond Carver et Alice Munroe.
Commenter  J’apprécie          192
Flannery O'Connor - Oeuvres complètes : Roman..

Dans ce recueil de nouvelles, Flannery O’Connor nous entraîne dans les profondeurs de l’âme humaine de ses contemporains, mettant à jour leurs bassesses, leurs compromissions et leurs faiblesses. Des hommes violents, narcissiques, des femmes castratrices, baignant dans une fausse religiosité, des enfants handicapés, névrosés… Les nouvelles se succèdent dans un crescendo d’échecs, de cruautés et de fins tragiques. Ainsi, dans la nouvelle, Vue sur les bois, un grand-père n’aura de cesse de monter sa petite fille contre son fils qu’il méprise jusqu’au dénouement tragique. Dans Braves gens de la campagne, une jeune fille unijambiste, en manque d’amour, se fait duper par un charlatan.

Une telle noirceur est parfois étouffante pour le lecteur qui espère, en vain, un peu d’humanité. Pour Flannery O’Connor, le mal existe : il est la conséquence de nos compromissions et de nos lâchetés. Et le meilleur moyen de le débusquer est de le mettre en lumière. Pour cela, elle va utiliser le grotesque afin de provoquer chez son lecteur un choc salutaire. Là réside le génie de Flannery O’Connor : dans sa capacité à décrire des personnages et des situations ordinaires qui glissent vers l’absurde par un phénomène de distorsion.



Pour apprécier ces nouvelles, il faut préciser que Flannery O’Connor appartient au groupe d’écrivains du Sud qui évoluent dans une société marquée par le traumatisme de la guerre civile et l’humiliation de la défaite. Il faut ajouter qu’elle est catholique et que sa vision du monde est marquée par le péché et son corollaire, la rédemption. Explorer l’âme humaine à l’aune de l’histoire du salut est à la racine de son écriture. Et à partir d’un territoire, la Géorgie, qu’elle connaît intimement pour y avoir habiter toute sa vie. Cette religiosité n’est pas spécifique à Flannery O’Connor. Tout le Sud est habité par l’intuition que l’homme est créé à l’image de Dieu mais que le péché originel a terni cette image que seule la grâce donnée en Jésus-Christ peut restaurer. Pour elle, écrire n’est pas distraire le lecteur mais susciter chez lui une réaction à la hauteur de l’enjeu qu’elle perçoit dans le monde et qu’elle devine dans le lointain : la perte totale des repères et du sens de la vie qui mènent l’humanité vers l’abîme.

(édition américaine : Complete stories)

Commenter  J’apprécie          140
Et ce sont les violents qui l'emportent.

Un roman placé sous le signe du bien et du mal et de la guerre qu’ils se livrent depuis Caïn et Abel.

C’est une plongée dans les ténèbres que ce roman qui démarre sur une sorte de coup de folie. Un vieil homme, certain d’être un élu de dieu, a kidnappé son petit-neveu tout bébé, il a élevé celui-ci dans la certitude d’être un prophète, il l’a soustrait à toutes les influences qu’il considérait comme pernicieuses, pas d’amis, pas d’école, pas de distractions à part les sermons dont il abreuve largement le monde alentour et l’accès à son alambic.



A sa mort Francis Marion Tarwater va se retrouver seul et entame un retour vers ses origines. Il part à la recherche de George Rayber un oncle qui a tenté de le soustraire à la folie du vieil homme mais l’a abandonné à son sort, il a quatorze ans et ne connait que haine et colère comme sentiments.

Le mal est fait, il entend des voix, son grand-père lui a intimé l’ordre de baptiser Bishop l’enfant handicapé de son oncle, il s’y refuse mais l’emprise du vieil homme est encore très prégnante et quand il découvre l’enfant qui « avait les yeux légèrement enfoncés sous le front, et ses pommettes étaient plus basses qu’elles n’auraient dû être. Il était là, debout, sombre et ancien, comme un enfant qui serait enfant depuis des siècles. » il ne sait plus.



La tragédie est en marche sur fond de fournaise sudiste



Cette histoire est traitée avec un humour corrosif et féroce que j’avais rarement rencontré jusqu’ici. Flannery O’Connor nous montre la face cachée de la foi religieuse, celle qui déclenche souffrance, cruauté, superstitions ridicules mais dangereuses c'est d'autant plus courageux et surprenant qu'elle était elle-même très croyante.



C’est l’Amérique sous l’emprise de la Bible et des prédicateurs de tous poils.

On ne sait ce qui l’emporte, le grotesque ou l’effroi, l’auteur utilise les sentences bibliques comme des fers rouges, le titre du roman sortant de l'Evangile de Matthieu, ses personnages se dirigent droit vers la damnation.



Il y a du Jérôme Bosch dans ce roman, comme le peintre Flannery O'Connor mêle l’enfer et le grotesque.

Son biographe et traducteur Maurice-Edgar Coindreau dit qu’elle n’avait « aucune illusion sur la vraie nature d'une humanité qu'elle estimait plus ridicule encore que méchante ».

Flannery O’Connor a écrit deux romans ayant pour acteurs le prophète grotesque qui nous ferait rire s’il n’était aussi dangereux, les héros marginaux dont on aurait pitié s’ils n’étaient aussi violents. C’est absolument saisissant et éprouvant à la fois.



C’est le premier roman que je lis de l’auteur mais je sais que j’y reviendrai.
Lien : http://asautsetagambades.hau..
Commenter  J’apprécie          130




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Flannery O`Connor (516)Voir plus

Quiz Voir plus

Molière

Qui est l’auteur de cette pièce de théâtre ?

Molière
Jean-Jacques
Michelle
Gertrude

25 questions
29 lecteurs ont répondu
Thème : Le Bourgeois Gentilhomme de MolièreCréer un quiz sur cet auteur

{* *}