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Critiques de Flannery O`Connor (62)
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Mon mal vient de plus loin

J'avais été très positivement impressionnée par le recueil de nouvelles, Les braves Gens ne courent pas les rues, et c'est avec une certaine ferveur que je me suis engagée dans la découverte de celui-ci.



À beaucoup d'égards, la technique, la vigueur et le rythme de la narration en sont à peu près les mêmes, et, peut-être même, plus aboutis encore que dans le recueil précédent. Toutefois, mon plaisir de lecture y a été beaucoup, beaucoup, beaucoup moins fort, et ce pour une raison essentielle : le propos religieux y est beaucoup, beaucoup, beaucoup plus présent et, en ce qui me concerne, cela me fatigue ou m'agace, voire les deux à la fois.



Dans Les braves Gens ne courent pas les rues, bien sûr, certaines nouvelles pouvaient s'y interpréter avec une lecture " religieuse " mais, et c'était là tout leur intérêt d'après moi, cette lecture n'était pas obligatoire et semblait laissée à la juste appréciation du lecteur. Ici, point de tout cela : vous n'échapperez pas à la phase interprétative, manière de prêche ou de sermon au service d'une pensée, laquelle pensée ne m'apparaît pas aller si loin que ça.



A priori, c'est très dommage car ça m'a presque à chaque fois gâché le plaisir qu'avait suscité le début des nouvelles. Elle est toujours aussi forte, Flannery O'Connor, pour dépeindre des personnages, les faire vivre, les faire vibrer sous nos yeux, en quelques phrases, leur donner tout le pesant, toute l'épaisseur d'une vie en quelques paragraphes. Mais finalement pour quoi ? Pour nous assommer à la fin d'un sermon — ou d'une parabole, ce qui est tout comme. Et là, ma liberté de lectrice s'insurge : j'aime à rester libre de mes interprétations ; j'aime quand un(e) auteur(e) ne me contraint pas, ouvre ou, du moins, laisse libre accès à plusieurs portes de sortie interprétatives.



Voilà pourquoi j'aime moins ce recueil : religion, religion, religion et encore de la religion, alors qu'elle avait su amener bien d'autres thématiques, les relations inter-ethniques dans les états du sud des États-Unis, les relations de subordination familiale, la maladie, la charité, etc.



Il est à noter toutefois que le recueil est d'une remarquable homogénéité (ce qui n'était pas le cas des braves Gens ne courent pas les rues), les nouvelles sont toutes d'une tenue, d'une qualité, d'une intensité comparables, recelant une charge similaire de sujets abordés.



Le dénominateur commun à tout cela est le mal, d'abord, et surtout le mal tapi dans le bien apparent. Presque toujours il y est question de personnages qui veulent se donner bonne conscience (la mère dans Tout ce qui monte, la propriétaire dans Greenleaf, le grand-père dans Vue sur les bois, la mère encore dans Mon mal vient du plus loin et dans le Confort du foyer, le père dans Les Boiteux entreront les premiers, la brave pécore dans Révélation, Parker dans le Dos de Parker et enfin tant le père que la fille dans le Jour du jugement).



Invariablement, le message de Flannery O'Connor est que tout le mal que vous vous donnerez pour faire le " bien " ou l'apparemment bien ne fera que se retourner contre vous, que vous ne ferez que vous ridiculiser et qu'exprimer, dans le fond, votre incroyable vanité à prétendre faire le bien autour de vous. Il y aura bien entendu votre lot de condescendance ordinaire vis-à-vis de la (ou des) personne(s) aidée(s). Bref, tous vos efforts ne vous conduiront, selon l'auteure, qu'à faire de vous une personne puante d'un point de vue authentiquement moral.



Bon, personnellement, je lui laisse cette interprétation et n'en pense rien de particulier. Toutes les questions relatives à la foi, au bien et au mal en général me laissent totalement indifférente. Ce que j'aime en littérature, c'est de voir évoluer des personnages, c'est qu'au travers d'eux un(e) auteur(e) me révèle l'expérience de la vie qu'il ou elle a lui-même accumulée dans son regard. Or, ici, j'ai peine à croire que Flannery O'Connor puisse n'avoir qu'une vision si univoque, finalement, si étriquée, elle qui a pourtant des qualités d'observation exceptionnelles.



Voilà, le problème est là, selon moi, dès lors qu'un(e) auteur(e) se met en peine de vouloir m'édifier, d'une part cela ne m'édifie pas du tout et d'autre part, cela appauvrit, cela me gâche le plaisir que j'aurais eu à découvrir son oeuvre. Ce fut déjà le cas, par exemple, d'un Samuel Richardson dans Clarissa. Une base, un matériau, une maîtrise stylistique et littéraire sensationnels mais une impression finale sabotée par cette sale manie de vouloir m'obliger à en penser ce que lui veut que j'en pense alors que j'aurais été si heureuse de pouvoir effectuer mes propres choix dans l'interprétation.



Il me reste à dire deux mots du travail du traducteur, l'inégalable, le génial Maurice-Edgar Coindreau, le découvreur, le passeur, l'Hermès messager auprès du public francophone de toute cette littérature du sud des États-Unis, les Faulkner, Steinbeck, Hemingway, Caldwell, McCullers et j'en passe. C'était un très fin lettré, un admirable manieur de mots, qui sut parfois trouver des miracles de formule, comme ici, dans ce titre, si différent de l'original, Everything that rises must converge, qu'on pourrait maladroitement traduire en français par " Tout ce qui monte doit converger ". Non, ici, il est allé cherché un vers de Racine, à l'acte I, scène 3, lorsque Phèdre confie à Oenone : « Mon mal vient de plus loin ». Quel brio, M. Coindreau, exactement comme pour ce « Et » magique que vous avez su ajouter au titre d'un autre ouvrage de l'auteure, ET ce sont les violents qui l'emportent, pour rendre The Violent bear it away. Un « Et » qui donne toute sa force au titre francophone. Chapeau bas.



Pour conclure, ici, selon moi, des qualités d'écriture suffisamment rares pour être signalées, mais ce quelque chose de déplaisant, de fondamentalement religieux et collant comme un truc malodorant sous une chaussure, qui vous incommode et vous met mal à l'aise. Toutefois, le dernier mot, souvenez-vous qu'il vous appartient toujours, car le mieux, c'est encore, je crois, de vous en faire votre propre opinion, par vous-même, si le coeur vous en dit, car ceci n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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Les braves Gens ne courent pas les rues

A l’époque où les WASP (White Anglo-Saxon Protestant) dominent les grandes villes et occupent les hautes sphères du pouvoir, dans les années 50, Flannery O’Connor, native du Sud, écrit ses nouvelles inspirées par l’Amérique profonde et ses grands espaces où se déploient des personnages étranges et surprenants, énigmatiques, truculents ou misérables. Un monde perdu et disparu où Noirs et Blancs se côtoient -en se regardant de travers-, l’évocation d’une certaine misère sociale, une succession d’histoires parfois très courtes, ponctuées de chutes parfois brutales. Racontées avec humour ou intensité dramatique, certaines de ces nouvelles-mais moins de la moitié selon moi- bien ciselées illustrent ce passé lointain d’une Amérique peu connue…
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L'Habitude d'être

Ce recueil de correspondance de Flannery O'Connor est intéressant pour mieux cerner la personnalité d'une des auteures les plus originales et les plus percutantes du sud américain. Malheureusement, à partir de la moitié environ, les lettres n'ont plus qu'un seul sujet : la religion catholique, redemption, grâce, etc... En plus, Flannery O'Connor, contrairement à ce qu'on pourrait penser, ne s'intéresse pas spécialement à la littérature sudiste et ne donne aucun point de vue sur Faulkner, Caldwell, et autres grands noms de cette catégorie. Au contraire, Mauriac et Bernanos sont cités très souvent et O'Connor se place résolument dans cette veine des auteurs catholiques.

Pour le lecteur que je suis, fan des écrits de Flannery O'Connor et athée volontariste, ça devient vite fastidieux et agaçant, toutes ces bondieuseries et le manque total d'intérêt pour le reste.

Ma maladie comme offrande divine pour assurer ma rémission, mes paons dans mon cottage, la religion catholique dans tous ses états, etc etc etc



Pas indispensable de tout lire mais instructif pour un fan de l'auteure, de réaliser à quel point elle était fervente de "la vraie religion" (la sienne bien sur comme pensent tous les intégristes)
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Flannery O'Connor - Oeuvres complètes : Roman..

Dans ce recueil de nouvelles, Flannery O’Connor nous entraîne dans les profondeurs de l’âme humaine de ses contemporains, mettant à jour leurs bassesses, leurs compromissions et leurs faiblesses. Des hommes violents, narcissiques, des femmes castratrices, baignant dans une fausse religiosité, des enfants handicapés, névrosés… Les nouvelles se succèdent dans un crescendo d’échecs, de cruautés et de fins tragiques. Ainsi, dans la nouvelle, Vue sur les bois, un grand-père n’aura de cesse de monter sa petite fille contre son fils qu’il méprise jusqu’au dénouement tragique. Dans Braves gens de la campagne, une jeune fille unijambiste, en manque d’amour, se fait duper par un charlatan.

Une telle noirceur est parfois étouffante pour le lecteur qui espère, en vain, un peu d’humanité. Pour Flannery O’Connor, le mal existe : il est la conséquence de nos compromissions et de nos lâchetés. Et le meilleur moyen de le débusquer est de le mettre en lumière. Pour cela, elle va utiliser le grotesque afin de provoquer chez son lecteur un choc salutaire. Là réside le génie de Flannery O’Connor : dans sa capacité à décrire des personnages et des situations ordinaires qui glissent vers l’absurde par un phénomène de distorsion.



Pour apprécier ces nouvelles, il faut préciser que Flannery O’Connor appartient au groupe d’écrivains du Sud qui évoluent dans une société marquée par le traumatisme de la guerre civile et l’humiliation de la défaite. Il faut ajouter qu’elle est catholique et que sa vision du monde est marquée par le péché et son corollaire, la rédemption. Explorer l’âme humaine à l’aune de l’histoire du salut est à la racine de son écriture. Et à partir d’un territoire, la Géorgie, qu’elle connaît intimement pour y avoir habiter toute sa vie. Cette religiosité n’est pas spécifique à Flannery O’Connor. Tout le Sud est habité par l’intuition que l’homme est créé à l’image de Dieu mais que le péché originel a terni cette image que seule la grâce donnée en Jésus-Christ peut restaurer. Pour elle, écrire n’est pas distraire le lecteur mais susciter chez lui une réaction à la hauteur de l’enjeu qu’elle perçoit dans le monde et qu’elle devine dans le lointain : la perte totale des repères et du sens de la vie qui mènent l’humanité vers l’abîme.

(édition américaine : Complete stories)

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Les braves Gens ne courent pas les rues

10 nouvelles, ayant pour cadre la Géorgie autour des années 1950. Flannery O'Connor restitue une atmosphère qu'on a du mal à imaginer désormais, celle du sud rural américain, délaissée par les écrivains qui après guerre, lui ont souvent préféré la ville. C'est noir, cynique, drôle parfois, mais jamais léger.

Un peu déçu, cependant, car j'avais entendu beaucoup de bien au sujet de Flannery O'Connor, et j'ai trouvé la lecture un peu lente, peu fluide. Cause originelle, traduction laborieuse ou peut-être plus simplement un lecteur (moi) dans un mauvais jour.
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Les braves Gens ne courent pas les rues

Le recueil est composé de dix nouvelles dont l'action se situe dans le Sud des Etats-Unis dans les années 50, un Sud arriéré, pétri de religion, croyances et préjugés, pas encore sorti de la guerre de sécession et de la ségrégation.

Les rapports de classe et de race sont exacerbés, entre les maîtres et les serviteurs, les propriétaires et les ouvriers agricoles. Les noirs, "nègres" dans le livre, font partie du paysage, en arrière plan, pas vraiment humains, inspirant le désintérêt, voire la peur. Ce sont des ombres qui se profilent à l'horizon. Les juifs rescapés de la Shoah apparaissent également.

Il y a toujours un plus faible que soi, à qui on peut asséner des vérités, avec qui pérorer, mais parfois les situations connaissent des retournements spectaculaires, ou de brusques accélérations dramatiques, comme dans la première nouvelle Les braves gens ne courent pas les rues, qui commence comme une comédie et bascule subrepticement dans l'horreur, en nous cueillant à froid.

Les historiettes relatent fréquemment des rencontres fortuites, malencontreuses entre des personnages suffisants, trop sûrs d'eux, naïfs, et des escrocs, psychopathes qui les ensorcellent et manipulent.

Ce sont parfois des histoires de duperie, de supercherie, où des vieilles filles au physique ingrat, handicapées, sous le joug de leur mère, sont la proie de bonimenteurs et autres charlatans.

Les prédicateurs sont légion, mais la religion n'apporte aucune rédemption, aucun secours, dans ce monde violent, où paranoïa, jalousies et haine de l'autre dominent, et où la mort interrompt souvent le cours des évènements.

Et pourtant, le ton des récits est léger, badin, masquant la cruauté sous des dehors cocasses, et c'est ce qui en fait l'originalité et la puissance narrative.

Où Flannery O'Connor est-elle allée puiser son inspiration ? Dans son histoire personnelle, marquée par une grave maladie invalidante qui l'emportera, après son père, à l'âge de 39 ans, par une vie à la ferme avec sa mère, dans un contexte de religion et de racisme ? Elle a incontestablement fait preuve de dons d'observation stupéfiants qui lui ont permis de livrer des contes alliant noirceur et véracité sociale.

Leur lecture m'a permis de mieux appréhender le Southern Gothic, et de mesurer l'influence que Flannery O'Connor a eue sur des écrivains, parmi lesquels Joyce Carol Oates.

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Les braves Gens ne courent pas les rues



Dans mon voyage littéraire interstellaire, ce sont comme autant d'astres à découvrir, d'étoiles qui me clignent de l'oeil, ces autrices et auteurs mythiques que j'ai la chance enfin d'approcher, parmi lesquelles la grande Flannery O'Connor, qui malgré une vie brève et marquée par une maladie incurable, a produit une oeuvre littéraire stupéfiante, qui ne ressemble à aucune autre.



Et j'en débute la lecture par celle du célèbre recueil de dix nouvelles « Les braves gens ne courent pas les rues », dont la première donne son titre au livre. Une lecture que je projetais de faire depuis longtemps, et voilà que c'est accompli, donnant l'envie d'en lire d'autres et je projette de poursuivre ma découverte par « Mon mal vient de plus loin ».



Une oeuvre féroce dans sa description cruelle de toutes les facettes du mal, de la bêtise à la méchanceté, et féroce aussi par son humour qui donne encore plus de relief aux travers détestables de notre humanité.

Mais, selon l'autrice, catholique convaincue et fervente, dans un Sud des Etats-Unis où la tradition protestante sert souvent de paravent aux pires comportements, cette vision où les humains sont mesquins, bêtes et méchants, c'est celle d'une humanité ratée qui ne peut être sauvée que par la rédemption divine (Ceci dit, on n'est pas obligé de la croire totalement pour la lire!)



Car dans toutes ces nouvelles, ce sont des êtres au mieux d'une grande bêtise, comme ce grand-père borné et raciste de « le Nègre factice », qui, en voulant montrer à son petit- fils ce qu'est la grande ville, se perdra, et ne devra son salut qu'à un noir de cette ville, ou bien ces deux jeunes écervelées de « Les temples du Saint-Esprit », ou encore cette femme rondouillarde qui refuse avec force l'idée d'enfanter et sur laquelle s'abat une grossesse qu'elle nie dans «Un heureux évènement » , ou enfin ce grotesque général de cent quatre ans, amateur de jolies filles, qui assiste à la soutenance de Thèse de sa fille de soixante six ans!

Mais il y a aussi des prédicateurs fous dont les discours vont conduire à la mort un enfant exalté dans « Le fleuve », un jeune vendeur de bibles qui se révèle être un horrible pervers dans « Braves gens de la campagne », etc…

Et enfin il y a tout ce monde des petits propriétaires blancs, sournois, mesquins, racistes, imbus d'eux-mêmes, dont la cupidité, la volonté de pouvoir sur l''autre, l'employé, donc « l'inférieur», peut conduire au crime atroce dans « La personne déplacée », la plus extraordinaire selon moi des nouvelles, tant par sa construction que par son écriture.

Et pour terminer, celle qui donne le titre au livre, où comment la parole voulue bienfaisante d'une vieille grand-mère sera sans effet sur un féroce assassin évadé de prison.

En fait, tout le monde est bête et/ou méchant, les enfants avec ceux qui les hébergent, la fille avec sa mère, ou son père, le grand-père avec son petit-fils, les propriétaires avec leurs employés, les prêtres, les prédicateurs, personne n'est épargné.



Mais si c'est cruel, qu'est ce que c'est drôle. On rit, jaune certes, mais on rit de toute cette accumulation invraisemblable de la laideur humaine.

Et le lecteur est entrainé par ces histoires, par leur rythme et leur écriture, l'emploi de l'argot, si bien rendu par le traducteur, une personne que l'on oublie souvent, et qui est si importante pour nous restituer la substance d'un livre.

Car il faut lire la façon dont c'est raconté, l'humour décapant, la construction, la concision, l'art de la chute, souvent terrible, parfois moins.

Et puis, Flannery O'Connor est une autrice du Sud des États-Unis, de ce Sud de petites gens, misérables, qu'ils soient blancs, et encore plus « nègres », un mot que l'on ne peut plus écrire, mais qui correspond bien au contexte des années 1930-1940.

Mais aussi une autrice bien différente, de ce que j'ai pu lire jusqu'à présent, de l'autre écrivaine du Sud, Carson McCullers, à l'écriture poétique et pleine d'humanité.

Ici, c'est la description cruelle et tellement drôle de l'être humain dans toute sa bêtise et sa malfaisance .

Mais, bien sûr, il n'y a aucun intérêt à comparer O'Connor et Mc Cullers, c'est comme si on voulait comparer Beethoven et Mozart, Rembrandt et Picasso, les chutes du Niagara et le Lac Majeur, ou même Poutine et Staline (encore que…).
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La Sagesse dans le sang - Les Braves gens n..



« Tout ce qui vient du Sud sera affublé de l’étiquette grotesque par le lecteur du Nord, à moins que le sujet ne soit réellement grotesque, auquel cas, il recevra l’étiquette réaliste ».

(Flannery O'Connor)



J'avais croisé sans le savoir Flannery O'Connor il y a bien longtemps, via l’adaptation de son roman « La sagesse dans le sang » par John Huston. Le genre de film où l'on ne capte pas tout mais qui laisse une impression de malaise durable. Je les ai enfin retrouvés sur Babelio dans la critique de jeff2u12, grâce lui soit rendue.



Dans ce premier roman, on suit les pérégrinations de gens qui ont juste assez de neurones pour tenir leurs sphincters et proférer des absurdités. Ils sont ballotés par la vie et tentent parfois des initiatives désastreuses. Alors forcément, leurs comportements sont erratiques et leurs vies miteuses ne vont pas vers le beau.



Dans son deuxième roman « Et ce sont les violents qui l’emportent », un jeune garçon, élevé dans une ferme isolée par son grand-oncle fou de Dieu se retourne à la mort de ce dernier vers son oncle instituteur athée. Il est encore malléable, se tournera-t-il vers le bien (entrer dans le monde moderne) ou vers le « bien » (aller de par le monde prêcher la rédemption) ?



Ses nouvelles ne sont pas moins dérangées. Cette édition de ses œuvres complètes en contient 26 des 31 qu’elle a écrites. On suit encore le même genre de personnages mais on a moins le temps de fouiller les arcanes de leurs pensées ou actions, ce qui les rend plus brutales. Il y est souvent question de personnages moins abrutis que la moyenne, mais imbuvables et qui se font généralement quand même poisser par la triste réalité de leurs environnements. D’autres sont justes des tranches de vies pitoyables, sans qu’un drame ne survienne.



On se demande un peu où elle voulait en venir, ce qu’elle voulait raconter de son Sud des États-Unis, depuis sa triple position d’outsider.



D’abord parce qu’elle était malade, atteinte d’un lupus héréditaire très invalidant qui avait tué son père alors qu’elle avait 15 ans et qui l’emporterait avant ses 40 ans. Ses dix dernières années ont été un calvaire dont la seule joie était l’écriture. Et peut-être aussi les oiseaux, notamment les paons de la ferme de sa mère où elle s’était réfugiée dès les premiers symptômes, à 25 ans.



Elle était ensuite catholique dans un arrière-pays très marqué par les baptistes, une sorte d’extrémistes protestants mi-allumés mi-affairistes (on croise quelques uns de ces prêcheurs ambulants qui deviendront bientôt télé-évangélistes). Pour elle, ce n’est pas anodin, elle a écrit que ce qu’elle écrivait était fortement imprégné de sa foi. Et pourtant, je n’ai pas vu en quoi. Si c’était juste pour dire que les « concurrents » baptistes sont des abrutis dangereux, c’est réussi. Mais les deux prêtres catholiques qui apparaissent dans deux nouvelles ne sont pas dépeints de façon élogieuse non plus. Et j’ai du mal à imaginer que ses ambitions se limitaient à ça.



Parce qu’elle était enfin une intellectuelle, échouée par les circonstances dans un univers d’une bêtise crasse, mélange détonnant de religion et de manque d’éducation, de pauvreté (à des degrés divers) et d’avidité, de fractures sociales apparemment inconciliables (entre blancs et noirs ; entre petits blancs « white trash » et ceux s’en tirant un peu mieux) et de constante pression sociale (chacun observe ses prochains à la recherche de la petite bête).



C’est sur ce monde qu’elle porte un regard d’une lucidité effarante, et c’est peut-être ce qu’elle a voulu laisser : une description sans fard de la façon dont la vie de ses concitoyens est ruinée par la bassesse de leurs pensées et ambitions. Tout ça en évitant soigneusement le moindre souffle épique, on n’est pas chez Faulkner.



Elle ne manifeste que très rarement de l'empathie pour ses personnages et pourtant, elle les décrit et les fait vivre avec un réalisme extraordinaire. Mais elle ne se considère surtout pas supérieure et traite sans plus d’aménité tous ceux qui pourraient lui ressembler. Il y a plusieurs diplômés d’université, tous d’une pusillanimité consternante. Et dans deux nouvelles émouvantes, elle se paie gentiment la fiole d’une intellectuelle infirme et d’une vieille fille qui se veut écrivain, qui rappellent étrangement sa propre situation.



Au-delà de ces histoires navrantes mais prenantes, cette femme reste un mystère. Peut-être sa correspondance donnerait-elle des clés, mais je préfère en rester là. Lui conserver cette aura d’étrangère à son propre monde et qui a pourtant si bien su le dépeindre.

(Et quand je pense que c’est ce terreau qui a engendré la musique que j’aime le plus au monde, cela me fascine totalement).
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La Sagesse dans le sang - Les Braves gens n..

LES ŒUVRES ( presque) COMPLÈTES de FLANNERY O’ CONNOR

Ce livre comprend ses 2 romans, La sagesse dans le sang, et, Et ce sont les violents qui l’emportent, ainsi que 3 recueils de nouvelles, Les braves gens ne courent pas les rues, Mon mal vient de plus loin et, Pourquoi ces nations en tumulte.

FLANNERY O’ Connor, c’est une voix tout à fait particulière dans le sud des États Unis. Elle naît en 1925 meurt en 1964, c’est une fervente catholique au milieu d’un océan de protestantisme. D’autre part elle est atteinte d’un lupus érythémateux qui la clouera dans la ferme de ses parents et qui l’emportera à 39 ans. Elle est violente dans l’expression de ses personnages, elle a des formules lapidaires et ses descriptions sont peu aimables. Ses écrits sont remplis d’évangélistes de toutes sortes, moitié escrocs moitié illuminés. Elle pratique un humour noir, un peu macabre. Elle vit au milieu de « petits blancs racistes, de nègres menteurs, de faux prophètes » Elle a la plume bien acérée et en même temps comique.

Elle a vécu toute sa vie au milieu d’une foule d’animaux dont une centaine de paons. En la lisant, j’ai souvent pensé à Caldwell, mais en plus méchant, en plus radical. C’est un pur hasard de discussion qui nous vaut de connaître O’ Connor en Europe. En effet lors d’une entrevue entre Maurice Edgar Coindreau et William Goyen, ce dernier lui parla d’une jeune femme de Savannah qui écrivait des nouvelles un peu « trash ». Coindreau qui était le traducteur de Faulkner, Steinbeck , Hemingway, Dos Passos et Capote ( excusez du peu) s’empressa d’en parler chez Gallimard qui l’édita.

Lisez cette femme, c’est une plume assez unique.
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La sagesse dans le sang

La sagesse dans le sang, premier roman de Flannery O'Connor est une œuvre fascinante par la laideur extrême de ses personnages, des êtres humains désespérés et jamais aimables.

Wise Blood est une histoire de foi - la lutte avec la foi, la foi en colère et égarée qui a très peu à voir avec les éléments fondamentaux de la théologie chrétienne et plus à voir avec les faux prophètes affamés.



La sagesse dans le sang est l'histoire de Hazel Motes. À seulement 22 ans, Hazel rejette la foi de sa famille et quitte la maison pour fonder une nouvelle église - l'Église sans Christ. Les efforts de Haze dans la petite ville de Taulkinham le relient à des gens qui sont plus déconnectés que lui.

Un prédicateur de rue "aveugle" et sa fille dégénérée, ainsi qu'un étrange jeune homme, Enoch Emery, influencent les expériences de Hazel de manière inattendue.



Autant les habitants de cette ville arriérée sont perdus, d'une manière presque comique, autant ils ne comprennent pas les affirmations d'Hazel d'une église sans Christ. Elle devient rapidement l'église du Christ sans Christ, à l'opposé de ce qu'elle entendait.



L'écriture d'O'Connor est souvent féroce, animale, tranchante, terrifiante, énergique et obsédante.

Je voudrais ajouter captivante.

Le personnage principal est un type horrible, un rustre sans aucune qualité rédemptrices mais on ne peut pas lutter contre le désir de le suivre jusqu'au bout. Réussira-t-il à chasser Dieu de sa vie ?



O'Connor déterre le désespoir et les désirs sordides des petites villes d'Amérique.



Seulement deux romans, 31 nouvelles et quelques essais,

en 39 ans de vie …

Flannery O'Connor a laissé une trace essentielle.



La connait-on assez en France?
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Les braves Gens ne courent pas les rues

« La personne déplacée », dernière des dix nouvelles de ce recueil, évoque le drame des familles slaves contraintes de fuir leur patrie envahie.



Publiée en 1954, « la personne déplacée » était polonaise ; en cet hiver 2022 le lecteur la visualise ukrainienne, avec un nom imprononçable « quelque chose comme Gobblehook » comme Mrs McIntyre et Mrs Shotley l’avait appelée avant de la renommer plus simplement en « Guizac ».



Quand la famille Guizac est recueillie dans la ferme des McIntyre, elle se révèle plus productive et plus compétente que les employés autochtones. M Guizac fait merveille au volant du tracteur et autres engins agricoles, qu’il sait réparer, et ses connaissances agricoles sont incontestables.



Avec avidité, Mrs McIntyre voit immédiatement le profit apporté par « la personne déplacée » qui va largement compenser la dépense consentie pour les héberger. Les employés, au fin fond de la campagne étasunienne, voient d’un mauvais oeil la concurrence et la perturbation ainsi provoquée par la guerre en Europe.



En quarante pages, Flannery O’Connor, démonte avec férocité et humour une certaine compassion pour les réfugiés qui est une caricature de la vraie solidarité. Les portraits des personnages sont aussi concis que précis et l’intrigue haletante et saignante.



« Les braves gens ne courent pas les rues » … espérons qu’aujourd’hui, nous hébergerons « la personne déplacée » d’Ukraine … sans tragédie !
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La sagesse dans le sang

Ce livre est terrible. L'adaptation par John Huston est terrifiante. La folie totale qui est l'aboutissement logique d'une vision radicale de la mortification liée à la philosophie évangélique n'a jamais été aussi bien mise en scène que dans ce récit. C'est très éprouvant de lire La sagesse dans le sang (ou de voir le film) mais c'est une étape dans le long chemin (le mien) sur la route du rejet total de toutes les églises.
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Les braves Gens ne courent pas les rues

C’est le dernier livre que j’ai lu en 2021. Un roman bilingue américain de Flannery O’Connor. J’ai été agréablement surprise de découvrir un auteur féminin qui écrit presque comme un homme avec une acuité et une finesse toute féminine. Dans cet ouvrage, quatre nouvelles. La première donne le titre au recueil. Ensuite, succède « Un cercle dans le feu », « Tardive rencontre avec l’ennemi » et « Braves gens de la campagne ». J’ai aimé les quatre avec une préférence pour la seconde.

Flannery O’Connor a eu une courte vie. Elle est décédée avant ses quarante ans. Elle a écrit sur les habitants du sud des Etats-Unis. On y retrouve la forte fois catholique de cette population ségrégationniste.

Dans « Les braves gens ne courent pas les rues », nous faisons la connaissance de la famille Wesley. La grand-mère maternelle, les parents, les deux jeunes enfants et le bébé. Toute la petite famille quitte Atlanta dans une voiture direction la Floride. John et June Star sont deux garnements insupportables ; la grand-mère n’est pas en reste. Elle est bien mise mais en contrepartie, c’est un véritable poison, caustique. Leur route rencontre celle de deux évadés de prison.

« Dans un cercle de feu », nous rencontrons Mrs Cope et sa fille et Mrs Pritchard. Mrs Cope qui est veuve et très dévote, adore jardiner. Mrs Pritchard travaille avec son mari dans la ferme de Mrs Cope. Leurs existences autosuffisantes sont bientôt envahies et bousculées par trois jeunes adolescents, diaboliques et rusés.

Dans « Tardive rencontre avec l’ennemi », Flannery O’Connor nous livre la vision réduite du monde du général Sash – qui n’est pas plus général que moi et sa petite-fille chez laquelle il vit. Une promiscuité qui n’offre rien de réjouissant au vieil homme qui perd un peu la boule. A cent quatre ans, la verdeur s’est peu à peu amoindrie. Sa petite-fille qui n’est plus très jeune non plus doit recevoir son diplôme de fin d’études. Le récit invite à un irrésistible fou-rire.

Puis, dans « «Braves gens de la campagne », un démarcheur de Bible fait irruption dans la vie d’une vieille fille unijambiste.

Ces quatre nouvelles confrontent les protagonistes à l’irrémédiable cruauté des relations humaines où l’amour n’existe plus. Ont-ils su ce que vivre ensemble voulait dire ? Les relations intergénérationnelles sont biaisées par la violence. Et la religion est dressée comme un rempart contre les autres. L’auteure a un talent d’écriture qui transmet aux lecteurs un aspect visuel et sonore. On y entend une voix précieuse, profonde.

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Les braves Gens ne courent pas les rues

En quelques lignes, le lecteur plonge dans l’ambiance particulière de chacune de ses nouvelles. Elles sont très éclectiques, certaines passionnantes, d’autres nettement moins.

Le décor est celui du sud des Etats-Unis, dans ces zones sinistrées et rurales où règne la pauvreté, la misère et l’ignorance. Celle qui m’a le plus touchée est la dernière nouvelle intitulée « La personne déplacée ». Il est question ici d’immigration, de racisme et de bêtise humaine qui conduisent à des conséquences dramatiques pour tous les protagonistes. Celle-ci est vraiment la plus belle de toutes les nouvelles.

Le reste est assez mitigé : un serial-killer qui se retrouve nez à nez avec une famille qui a fait un détour sur la route des vacances ; un grand-père et son petit-fils en balade à Atlanta ; un vendeur de Bibles qui cache bien son jeu ; un vieux général qui assiste à la remise de diplôme de sa fille ; un jeune garçon qui est fasciné par un prédicateur etc.

Le style d’écriture est fluide, concis, parfois glacial. En quelques mots, l’auteur nous plonge dans le quotidien de ces villes rurales délaissées, dans la vie des petites gens qui sont englués leur train-train quotidien, empêtrés dans leur égoïsme, leurs préjugés et leur manque d’ouverture d’esprit.

Bref, des nouvelles qui ne sont pas joyeuses mais qui décrivent bien la bêtise de l’être humain.
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Les braves Gens ne courent pas les rues

Portraits colorés et cruels de la mesquinerie ordinaire, de la perversion des mœurs, de la dépravation commune, de l’immoralité hargneuse d’un siècle accoutumé trop vite au confort jusqu’à la mauvaise foi, ce recueil de nouvelles, dont le fatidique est conforté par l’absence de chute, exprime la sudation âpre et pittoresque d’une corruption humaine. Il fallait certainement la verve d’un auteur du sud des États-Unis pour parvenir à ce déploiement de désespérance artiste, où une espèce d’ardeur climatique exhausse les passions et les fait culminer à un haut degré de banale perfidie. Dans ces intrigues, les êtres sont laids, vils, irrécupérables, cupides à n’importe quel âge, et personne n’est sauvé, la foi est toujours escroquerie ; c’est la description d’une humanité monstrueuse et peut-être de rien d’autre qu’une humanité strictement normale. Chaque effort de style est une pointe qui s’inscrit dans l’intention d’un sarcasme ou d’un coup, mais vérace et insidieux, révélateur, au comique grotesque, au ridicule grave par conséquences ; rares sont les effets esthétiques qui ne s’appliquent pas à une forme de dénigrement – parfois des paysages seulement, pour lesquels l’auteur conserve manifestement de l’affection et de la tendresse, sont dépeints par contraste et par touche avec beauté et pureté. Mais les moindres espoirs humains, caractères, pensées et actes, sont systématiquement laminées et désenchantés, au point que les nouvelles sont assez prévisibles : tout est une déception lourde dans le monde d’O’Connor, tout idéal a fui ou ne sert que de prétexte, rien d’heureux ne peut advenir, aucune surprise hormis une cinglante ironie. Les personnages ne font que conserver des impressions qu’ils poursuivent mécaniquement, comme dans la mémoire des enfants demeure une poignée d’images vives, et c’est seulement la sensation capricieuse qui, incitant à les reproduire, mène des envies et perpétue des mœurs. Sans profondeur, incapables de se connaître si malhonnêtes qu’ils sont, extrêmement nuisibles à autrui et à toute continuité de valeur dans une société qui aurait besoin non d’exemples mais seulement d’homogénéité pour se conduire, tous incarnent la stupide brutalité de l’anodin, le morgue réflexe du troupeau habitué à ne pas réfléchir et à ne rien relativiser. Ils constituent un vacarme d’égoïsme intérieur qui déforme la vérité et abîme le monde ; ils fondent le bruit lancinant des hommes qui ne s’y entendent plus intrinsèquement et réciproquement, qui ne disposent plus de la sérénité et du détachement pour s’écouter, sans plus d’accès à une forme de sagesse ; ils méritent les maux qu’ils reçoivent car infligés par d’autres comme eux, leurs semblables : rien que des automates stylés, déshumanisés et partiellement ou totalement crétins, des aliénés. Ces personnages vraisemblables, sans éthique, aux convictions toujours intéressées, aux horizons raccourcis à des avantages mesquins, dont toute morale est amputée de l’essentiel et réduite à des conventions, fondent leur doctrine sur leur superficielle image et sur le profit personnel, inconstants et piteux ; ils incarnant les proverbes auxquels ils résolvent leur existence et avec lesquels ils s’expriment, se répètent et rassurent. Toutes leurs résolutions sont mensonges ou faussetés accordés à une mode, ils se contentent de penser avec la voix populaire, la voix hideusement médiocre de leur temps progressiste et grégaire, la voix universellement inavouée des monstres ordinaires et déculpabilisés qui refusent de s’admettre bien tranquilles et sans souci.

C’est à cette peinture crue qu’O’Connor destine ce recueil, représentation fauve d’une Amérique à la bêtise immorale, hypocrite et malsaine, typiquement piètre et néfaste ainsi que contagieuse, mais je prétends que ce n’est pas, à la différence d’un Roadl Dahl dont le style lui ressemble, par volonté d’humour piquant, même si l’on peut provisoirement s’amuser de ces caractères sordides. La façon dont ils se rapportent à la normalité honteuse exclut la légèreté et le seul divertissement, on ne se détache pas de ces êtres révoltants qui évoquent un voisin dont l’auteur révèle l’imbécile perfidie : le mal est quotidien et répugne. Il y a une juste haine chez O’Connor, une dureté, un dégoût immense et une exclusion. Une lourde entreprise de déni et de scandale sourd de ces récits qui n’ont pas l’ingéniosité pour excuse, qui ne se complaisent à aucune littérarité badine et primesautière, qui ne se vouent pas à l’astuce et au piment, qui ne consistent pas en spiritualité d’épate et de clins d’œil. On ne saurait lire, je pense, ces nouvelles avec une satisfaisante complétude en se focalisant seulement sur des effets d’exagération et de distance. Les passages ponctuels de style pittoresque, où curieusement se distingue une façon de négligence, comme des inaboutis volontaires, linéaments singuliers de coloration forte qui conserve quelque chose d’impossible ou de flou, style personnel de l’indistinct, idiosyncrasie de la note, produisent un art d’une certaine discontinuité, insistant sur le poids et sur la masse, sur la pesanteur, sur l’atmosphère brute, effet d’indécision des contours et profondeur de l’air, que j’ai trouvé assez semblable chez William Faulkner.

Or, ces récits, hormis pour le rendu particulier d’une composition brûlante au service de cette vision sombre, hormis en somme pour un impressionnisme, sont à mon avis d’un intérêt assez faible, sans intrigue, sans développement pertinent, sans construction très préméditée : on croit un auteur qui, sur une histoire délibérément sans génie, abandonne sa plume aux portraits en actes de mœurs déliquescents et suivant une logique irrémédiable. O’Connor semble souvent partir d’une situation issue d’un souvenir qui est plutôt un bain d’ambiance, puis elle allonge et dilue cette sensation comme une lumière, sans illusion de tentative d’intrigue, comme de ces myopes qui veulent insister sur la clarté sans vouloir définir des traits et des faits. L’exigence est en reste, l’exigence d’une intelligence « mâle », en dépit d’une sensibilité versée au cynisme. Ces nouvelles manquent de nouvelles, elles existent à l’état de principe mais guère à celui de réalité, ce sont des textes qui parlent d’une mentalité, mentalité sous-jacente à la banalité, d’un puissant éblouissement des mœurs salis, mais ne relatant presque rien, paraissant s’épuiser dans l’invraisemblance d’une théorie de la grossièreté morale dont les personnages sont les victimes consentantes. Ces portraits turpides ne présentent pas l’avantage d’une véritable mise en scène, ils sont exposés dans l’infamie de leur si peu d’événement, le lecteur est enfermé d’emblée dans la roture de leur ignominie, sans élévation, au point qu’on peut s’interroger s’il aurait mieux valu en faire des essais ou de purs portraits, plus efficacement que de faux acteurs de récits. C’est ce que contient ce recueil de plus lassant, la réitération d’un type humain dont on présente les variétés d’un unique univers, mais sans véritable distanciation artiste, sans du moins de ces reculs ou implications qui eussent fait de chaque nouvelle une superbe pièce de joaillerie, qu’il s’agît d’une perfection sur l’ordinaire ou sur l’extraordinaire. C’est un peu morne et inachevé, sans révélation, enseignement tacite et peu leste, insuffisamment subtil et, quoique rédigé avec le style maîtrisé de l’étouffante chaleur, c’est d’une spontanéité évoquant l’impréparation des plumes ardentes qui n’ont pas beaucoup plus à dire qu’une ou deux idées sans cesse retournées qu’on élance. Il n’y a pas de supériorité dans ces nouvelles, du moins pas d’écrasante puissante littéraire : on y trouve bien du Steinbeck, en effet, mais Steinbeck tient plus longtemps sa force évocatrice et il réalise, lui, de véritables intrigues qui laissent durablement un goût de bien plus parfaites compositions.


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Et ce sont les violents qui l'emportent.

Et ce sont les violents qui l'emportent" plaira à tout lecteur qui a la nostalgie du temps où l'intégrisme que l'on craignait le plus est était chrétien et non musulman. C'était aussi l'époque, où une écrivaine de la gauche comme O'Connor écrirait des phrases comme: "Il était fier du fait qu'il avait répondu aux questions avec l'astuce d'un nègre." ("He prided himself on having answer the questions with the cunning of a negro.") (p. 103)

Hélas, ce roman en 2020 reste toujours très actuel car il décrit bien la culture des blancs du sud des États-Unis où se trouve la clientèle électorale la plus fidèle à Donald Trump. Dans trois semaines nous saurons s'il lui en reste d'autres.

"Et ce sont les violents qui l'emportent" est un calvaire à lire. Tarwater, le protagoniste, est un monstre. Abusé physiquement, émotionnellement et finalement sexuellement, il devient un évangéliste qui noie les gens qu’il baptise. Malgré ses moments abominables, c'est un livre à lire pour tous ceux qui veulent comprendre les É.-U.
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Les braves Gens ne courent pas les rues

Livre dont on entend beuacoup parler et que j'ai lu par curiosité. Flannery 0'Connor décrit l'Amérique du rêve américain, mais, hélas, pour ses personnages la vie n'est pas un rêve.

Dans chacune de ces dix nouvelles, des braves gens sont confrontés à des salauds et s'en tirent tant bien que mal, souvent plutôt mal.

Une grand-mère est en butte à la famille de son fils qui l'héberge et lui fait sentir chaque jour combien elle a de la chance et pourquoi elle doit accepter leurs railleries sans broncher...

La brave Mrs Connin a la charge du fils d'un couple de marginaux qui la font tourner en bourrique et moque ses croyances religieuses.

Dèjà en but aux taquineries de Mrs Pritchard, la femme de son fermier, Mrs Cope a trop bon coeur et se fait flouer par le fils d'une ancien employé.

Nelson, né à Atlanta n'a que dix ans mais un caractère bien trempé, il en fait voir de toutes les couleurs à son grand-père Mr Head. Quand ce dernier décide de lui donner une leçon, les choses partent en vrille.

Mr Shiflet, un trimardeur manchot, n'hésite pas à flouer une vieille femme et sa fille handicapée.

Un vieux général de 104 ans doit assister à la remise de diplôme de sa fille de 62 ans...

Ruby cherche à se persuader qu'elle couve une maladie grave alors qu'elle n'est qu'enceinte de quatre mois, une catastrophe pour elle...

Des portraits d'une Amérique proche de celle des Raisins de la colère. La pauvreté y est omniprésente, la religion aussi qui donne aux braves gens une explication facile, acceptable et rassurante des raisons de leur situation.

Vous avez quatre abcès dentaires mais Dieu aurait pu vous en donner cinq ou plus, remerciez-le assure Mrs Cope à Mrs Pritchard, en rajoutant je ne manque jamais de remercier Dieu chaque jour, des grâces qu'il me fait...

Certains pourraient rire des situations décrites par l'auteure, mais si elle fait preuve d'un humour parfois grinçant, le drame n'est jamais loin ramenant le lecteur à la triste réalité.

Zones rurales abandonnées, villes segmentées en quartiers et ghettos, services publics et sociaux cruellement absents, indifférence des citoyens entre eux, travail partisan de la police, enfance laissée en déshérence...

Dans cette société, malheur à celui qui est sur le dernier barreau de l'échelle sociale, il est le bouc émissaire idéal pour celui qui le précède et qui en fait la source de tous ses maux. Réflexe connu du petit blanc ciblant le noir ou l'immigré.

Paradoxe maintes fois vérifié jusqu'à aujourdh'ui dans l'Amérique de Trump où l'on a glorifié celui qui exploite pour vilipender les étrangers, les noirs où les communistes supposés être à l'origine de tous les malheurs de la société.

Livre de référence qu'il faut lire absolument. Pour son côté rageur et iconoclaste. Pour sa remise en cause de l'obscurantisme religieux. Pour son côté libérateur. Pour son actualité malgré son grand âge.

Rien n'a changé ou si peu entre l'année de sa première publication en 1953 et 2021. Les braves gens ont toujours du souci à se faire, les salauds ont de beaux jours devant eux...
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Et ce sont les violents qui l'emportent.

« Il décida de creuser la tombe sous le figuier, parce que le vieillard serait bon pour les figues. Le sol était sablonneux à la surface et dur comme de la brique en dessous, et, en le frappant, la bêche rendait un son métallique. Cent kilos de montagne morte à enterrer, pensa-t-il, un pied sur la bêche et penché en avant, les yeux fixés sur le ciel blanc à travers les feuilles des arbres. »



C’est Francis Marion Tarwater, un adolescent perturbé qui tente de creuser cette tombe. Il a environ 14 ans et vivait avec son grand-oncle dans une clairière à l’écart de tout. Le corps à enterrer c’est celui de ce fanatique religieux, fou à lier. Il l’avait tout simplement enlevé, encore bébé, au seul membre de sa famille encore vivant : son oncle Rayber, libre penseur. Tarwater n’a quasiment connu personne d’autre que ce grand-oncle. Et il est tout aussi dangereux que lui.



Sa soudaine liberté le pousse alors à rechercher Rayber. D’autant plus que son grand-oncle lui avait confié une mission quasi-prophétique : baptiser par tous les moyens le fils de Rayber, un enfant atteint d’un handicap mental.



Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu du Flannery O’Connor et je pensais que ce roman pourrait aujourd’hui me paraître vieillot ou dépassé. J’ai lu par exemple il y a quelques mois « Le Diable, tout le temps » de Donald Ray Pollock, qui boxe dans la même catégorie et qui m’avait sonné. Cette chère Flannery, allait-elle encore être à la hauteur ? Je ne vous fais pas languir plus longtemps : oui, elle garde pour moi une longueur d’avance sur toute la concurrence dans le registre des thrillers métaphysiques fortement marqués par un christianisme exacerbé.



Evidemment, d’autres lecteurs pourraient objecter que toute cette symbolique est bien lourde : eau et feu, folie et meurtre, bien et mal, douleur et devoir moral. Ils pourraient aussi juger que le style est ampoulé et que le références bibliques, omniprésentes, ne facilitent pas la tâche d’un lecteur qui les ignorerait…



Pour ma part ce roman m’a fait forte impression, tout comme, il y a très longtemps, la lecture de « Les braves gens ne courent pas les rues », un recueil de nouvelles inégalable dans ce genre cruel. Ici, tout comme chez Donald Ray Pollock, tous les personnages sont des bourreaux en puissance. Le Mal mène le monde, c’est la seule leçon à en tirer.

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L'Habitude d'être

Bien connue outre-Atlantique, c’est une nouvelliste hors-pair du sud profond de l’Amérique.

Son recueil le plus célèbre « Les braves gens ne courent pas les rues » donne le ton de l’ensemble de son oeuvre.

Mais ne vous y trompez guère, il y a dans chaque nouvelle un bijou d’humour féroce, de descriptions de personnages ciselés au marteau et au ciseau, de paysages à l’eau forte.


Mais ce n’est pas tout, il y aussi -et surtout- la correspondance de Flannery O’Connor.

J’aime énormément les correspondances : Kafka, Bukowski, Van Gogh, Flaubert, Céline… 
C’est un lieu privilégié qui offre un regard singulier sur les auteurs que nous admirons. 
La correspondance de Flannery O’Connor « L’habitude d’être » est une de mes préférées!

On rit, on rit, on rit croyez-moi, cette auteure a une sens de l’humour crépusculaire, une délicieuse autodérision, tout cela sur des sujets tantôt graves, tantôt frivoles, mais toujours étudiés avec la profondeur qu’on lui connait déjà dans son oeuvre d’écrivaine.

A découvrir de toute urgence!
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La sagesse dans le sang

Hazel Motes est un jeune vétéran de la Seconde Guerre mondiale de retour dans son Tennessee natal. Démuni et désabusé, il s'improvise prédicateur ambulant, à l'instar de son défunt grand-père. Debout sur le capot d'une vieille voiture, il harangue les passants à la sortie des cinémas en faisant la promotion de son « Église sans Christ », une Église sans fard qui ne permet aucun espoir de rédemption. Ma foi, les adeptes ne se bousculent pas au portillon. Hazel amorce ainsi sa descente aux enfers.



Si vous cherchez des personnages attachants, oubliez ça. Ici, le protagoniste et presque tous ceux qu'il croise sur son chemin sont affreux, sales et méchants. O'Connor nous offre une fable lugubre jusqu'à l'absurde, d'autant plus fascinante quand on sait que l'autrice était une fervente catholique qui a vécu la majeure partie de sa (courte) vie adulte entourée de paons, retirée du monde.
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