François Cheng

La beauté, il le sait maintenant, n'est pas cette forme seulement extérieure, fixée une fois pour toutes, qu'on peut à sa guise poser sur une étagère comme une statuette. La vraie beauté est élan même vers la beauté, fontaine à la fois visible et invisible, qui jaillit à chaque instant depuis la profondeur des êtres en présence. Puisque la beauté est rencontre, toujours inattendue, toujours inespérée, seul le regard attentif peut lui conférer étonnement, émerveillement, émotions, jamais identiques.

"La Mort entraîne la mort, mais la Vie engendre la vie", les sages anciens l'ont dit avec une confondante simplicité. Ce que les morts laissent aux vivants - si ces morts ont été, non des semeurs de mort, mais de vrais vivants -, c'est certes un chagrin inconsolable, mais aussi un surcroît de devoir de vivre, d'accomplir la part de vie dont les morts ont dû apparemment se séparer, mais qui reste intacte. C'est la manière pour les vivants de remettre les morts dans la Voie de la Vie ; c'est la manière pour eux de ne pas succomber à la mort.

La beauté, il le sait maintenant, n'est pas cette forme seulement extérieure, fixée une fois pour toutes, qu'on peut à sa guise poser sur une étagère comme une statuette. La vraie beauté est élan même vers la beauté, fontaine à la fois visible et invisible, qui jaillit à chaque instant depuis la profondeur des êtres en présence. Puisque la beauté est rencontre, toujours inattendue, toujours inespérée, seul le regard attentif peut lui conférer étonnement, émerveillement, émotion, jamais identiques.

Il avait donc hésité. Lui qui était spécialisé dans la prédiction du destin des autres était incapable de rien présager pour lui-même.

Les morts sont parmi nous, plus vifs que les vivants,
Nous intimant d'être à l'écoute. Initiés
Par-delà douceur et douleur au grand secret,
Ils n'auront de cesse qu'ils ne nous l'aient confié.

La poésie ne se sert pas d'un langage; elle est l'art du langage même.

D'ordre proprement initiatique, ce voyage a procuré au poète des moments d'exaltation et de ravissement d'une rare intensité. Après avoir affronté tous les périls et pénétré les mystères que recelaient les grandes entités dont la nature était composée, il connut une véritable plénitude d'être. Il a chanté la "splendeur céréale" qu'offraient les champs en terrasses épousant le rythme tellurique, les montagnes en leur élan originel et leur jeu de métamorphoses, le Fleuve au courant irrésistible comme incarnant une Cause et un Désir.

Entre eux, entente à demi-mot,
Sans que le mot entier soit dit.
Un jour pourtant, l'un le dira,
Quand l'autre ne sera plus là.

Toi le féminin
Ne nous délaisse pas,
Qui n’est point douceur
Ne survivra pas
--------------------------------------------------
Toi le féminin
Ne nous délaisse pas,
Hormis en ton sein
Quel lieu pour renaître ?

Nous rions, nous trinquons. En nous défilent les blessés,
Les meurtris ; nous leur devons mémoire et vie. Car vivre,
C'est savoir que tout instant de vie est rayon d'or
Sur une mer de ténèbres, c'est savoir dire merci.

La lumière n'est belle qu'incarnée, à travers
Un vitrail ou le verre d'une bouteille de vin ...
Consentons donc au sort d'être un œil fini
Qui se fait reflet de l’Éclat infini.

à ceux qui habitent la poésie

Tu ouvres les volets, toute la nuit vient à toi,
Ses laves, ses geysers, et se mêlant à eux,
Le tout de toi-même, tes chagrins, tes émois,
Que fait résonner une très ancienne berceuse.

Le Vide. C’est alors qu’au fond de soi
S’ouvre à nouveau la Voie qui du Rien
Avait fait naître le Tout, où la vie
Vécue se découvre en neuve partance.

Lorsque nous nous parlons,
Le rêve est à venir;
Lorsque nous nous taisons,
Il est là, à cueillir.

Un jour si je me perds en toi,
me rappelleras tu mon nom ?
Un jour en toi si tu me retrouves,
me révéleras tu ton nom ?

Creuser vers la profondeur du dedans,
C’est affronter les défis du dehors.
Plus on gravit la transcendance sans nom,
Plus on appréhende en soi le sans fond.

Envoi

Ne quémande rien. N'attends pas
D'être un jour payé de retour.
Ce que tu donnes trace une voie
Te menant plus loin que tes pas.

Un grand vent nous parcourt, nous traverse,
de tout son tam-tam de véhémence.
Ce qui était rompu est relié,
nous nous livrons à la délivrance.

Qui accueille s'enrichit, qui exclut s'appauvrit.
Qui élève s'élève, qui abaisse s'abaisse.
Qui oublie se délie, qui se souvient advient.
Qui vit de mort périt, qui vit de vie sur-vit.

Homme de blessures faites aux autres,
rongé de remords,
Tandis qu'un saint le pousse hors de lui,
la meute le dévore.