Citations de François Cheng (1657)
En théorie comme en pratique, tout système absolu conduit inévitablement à l'obscurantisme ou au pouvoir dictatorial.
Dans la relation que je fais ici de ces rencontres et propos n'entre aucune vanité. Je ne vois pas comment la vanité pourrait avoir sa place dans une vie qui jusqu'au bout se mesure à quelque chose d'infiniment plus grand qu'elle, et qui en est simplement la servante.
Très tôt [RILke ] a compris que la mort, au lieu d'être un simple agent exterminateur, est en réalité la part la plus personnelle, la plus intime de chaque vie. C'est elle qui, du trefond de chaque être, le pousse à devenir et à s'accomplir. Refuser de la dévisager et ainsi restreindre notre vie à ce côté-ci, c'est s'am puter d'une partie agissante de notre être, c'est enfermer notre existence dans un état peureux, étriqué. Dans cette optique, tout vrai poète a pour vocation la voie orphique ;par son chant, il maintient vivace le lien de dialogue entre les vivants et les morts. C'est là la condition nécessaire pour que le destin humain retrouve sa dignité et sa liberté.
Au cours de ma vie, longue, j'ai eu à lire maints textes ayant trait à mes ouvrages, des études, des thèses, des actes de colloques, des articles de revue. Je les ai lus chaque fois avec respect et gratitude, parce que chacun de ces textes apporte un éclairage et, par là, une certaine révélation à un auteur comme moi qui ai toujours travaillé dans la solitude, au fond de ma nuit .s'y ajoute le fait que, de par mon itinéraire passablement hors norme, je suis devenu un être complexe qui échappe à ma propre compréhension. Ces études ont l'avantage de m'aider à y voir plus clair.
Chère amie,
Lorsque j’ai reçu votre première lettre, je vous ai répondu immédiatement.
Ce qui est au-dehors, nous ne le connaissons
Que par la vue de l’animal ; car dès l’enfance
On nous retourne et nous contraint à regarder
En arrière le monde des formes, et non l’Ouvert
Qui dans les yeux de l’animal est si profond,
Libre de mort. Nous les humains, nous ne voyons qu’elle.
L’animal libre a toujours son déclin derrière lui ;
Devant lui, Dieu. Quand il avance, c’est
Vers l’éternel, comme coule une source.
RILKE
Cantos toscans (I)
extrait 19
L’aube sur le mur à photos
Que renvoie l’ancien miroir :
Tant de visages perdus
Aux rêves encore éveillés...
L’aube dans le miroir humain,
Réveillant morts et vivants,
Se donne un visage, un nom.
Cantos toscans (I)
extrait 17
Tant que parle la voix, notre regret
Sera ce qu’à temps nous n’aurons pas fait :
Ce que les vivants nous n’aurons pas vu,
Ce qu’aux mourants nous n’aurons pas dit.
Vallon désert à la source tarie,
Vieil olivier au double rejeton...
Chante un coucou. Qui l’entend ? Qui répond ?
Cantos toscans (I)
extrait 16
Nous avons contourné l’automne, résolus
À ne plus mourir de nostalgie, à laisser
Les arbres porter haut leur cime, et le pré
Dévaler vers l’étang où une feuille, en sa chute
Troue le reflet du ciel. Entre racine et feu
Nous advenons regard, nous advenons visage
Et le mot sera dit, et « tu ne mourras pas. »
Cantos toscans (I)
extrait 14
Nous songeons à nous en évader
C’est là pourtant que sont nos racines :
Vieux sol aux fidèles printemps-automnes
À la source aux sangs humains mêlée
Tout peut y renaître, si Désir est
Selon l’interne loi du vrai, du beau
Sans qu’un seul pétale n’y soit délaissé.
Cantos toscans (I)
extrait 11
Ivre de clarté terrestre,
L’ange du visible est passé.
L’étranger, lui, venu des sources
Et de nuages, a nostalgie
Du vallon irrévélé ;
Assis au creux de la pénombre,
À l’écoute de l’ocre de Sienne.
Cantos toscans (I)
extrait 8
(Cyprès) A
Lorsque arrive le vent,
Nous nous donnons entiers.
Au loin, mille papillons
Déchirent l’horizon.
Nous restons immobiles,
Pour être enfin, d’ici,
La sève, l’élan, le chant
Cantos toscans (I)
extrait 7
D’un instant à l’autre,
L’éclair va passer,
La foudre va passer,
La campagne est pleine
De frayeur, d’attente.
Une tourterelle rappelle
Les anciens oracles.
Cantos toscans (I)
extrait 6
Rocher couché parmi les sables
- vieux lions replié sous son pelage
De lichens immémoriaux
Et sa crinière de pins dressés -,
Son destin n’est plus qu’espérance.
De quoi ? Il ne sait. Son cri
Que parfois un aigle entend.
Où sommes-nous, en effet ? En France. ce coin de terre censé être le plus tolérant et le plus libre, où il règne néanmoins comme une « terreur »intellectuelle, visualisée par le ricanement voltairien.
En réalité, nous n’avons cessé de dialoguer avec la mort, avec notre propre mort et avec nos morts. Chacun porte le deuil forcément depuis son enfance. Pour moi, la mort n’est pas ce couperet qui à un moment donné fatal, tombe, et hop, ça y est on n’en parle plus. Pas du tout, la mort est partie intégrante de la vie, même la contemporaine intime de la vie. La mort, bien sûr, c’est une force négative qui a fixé la condition tragique de l’homme, ça nous sommes tous d’accord. Et d’un autre côté, la mort, à sa manière, est une force positive parce que c’est la mort qui permet de nous renouveler, c’est la mort qui nous oblige à nous transformer et à nous dépasser. [...] Cette idée d’unicité de notre être et de tous les instants de notre vie, c’est à cause de la présence de la mort.
Toutes ces passions qui nous habitent sont impulsées par notre conscience de la mort. Mon propos n’est pas de me complaire dans un climat mortifère, au contraire. La mort pour moi devient le moteur le plus dynamique de notre vie si nous réussissons à l’intégrer dans notre vision complète de la vie.
_ François Busnel : …L’âme ou l’esprit ?
F.C. : Voilà !
_
_ Je parle d’abord de l’âme :
Tout corps vivant est animé
Ca veut dire que, dans un corps vivant, il a un ensemble d’organes qui sont animés,
Et dans le même temps, il y a dans ce corps, une force qui les anime.
_
_ Les anciens désignaient cela par le couple anima – animus,
c’est-à dire plus concrètement, c’est âme et corps.
_
_ Qu’est-ce qui donne à l’âme cette force d’animer ?
Et là, toutes les cultures donnent la même réponse
_
_ Parce que l’’âme est reliée au souffle de vie
C’est-à-dire souffle vital
Donc, l’âme est une notion universelle
Seulement, voilà, à partir d’une certaine époque,
_
_ récente d’ailleurs, en Occident,
l’homme émancipé, fier de son esprit, qui a conquis la matière
41 40 rejette l’âme, rejette l’idée même de l’âme
La considérant comme un résidu de l’obscurantisme religieux.
_
_ Il s’agit là, d’une amputation, qui est un appauvrissement
Et qui comporte ses dangers
Parce que cet homme qui ne jure que par son esprit
Qui ne jongle qu’avec le dualisme corps-esprit
Il ne sait pas que ce dualisme corps-esprit,
Finit souvent, par la soumission de l’esprit, à la tyrannie du corps,
Tant il est vrai que, les désirs qui habitent le corps, sont impérieux et insatiables
En sorte que, ce dualisme corps-esprit,
Prôné par beaucoup de théoriciens, par beaucoup de penseurs
Aboutit, à une sorte d’hédonisme, lassant et morbide
Qui est un système clos.
_
_ Alors que, le répète, la constitution de notre être est ternaire et non pas duelle
Ternaire, c’est-à dire corps-âme et esprit.
F.B. Où se situe la conscience dans tout cela ?
F.C. La conscience, bien sûr, appartient à l’esprit.
_ Mais il y a une part inconsciente de la conscience qui fait partie de l’âme
Je continue un petit peu, très peu…
L’esprit est basé sur le langage, sinon personne n’aurait pu développer son esprit
Donc, il a un caractère, justement, conscient et général,
Qui permet l’organisation rationnelle de la société
Et qui permet des recherches très poussées dans le domaine scientifique
Mais l’âme, c’est cette part la plus sensible, la plus intime
Qui nous donne la capacité de ressentir, d’aimer
De tendre vers une forme de création artistique, qui relève de l’âme.
Et puis, surtout, de se relier intuitivement à une forme de transcendance
Qu’il perçoit comme une patrie native
Qui n’est pas un résultat d’un raisonnement
Ces deux aspects esprit et l’âme permettent, chez l’homme
un mouvement circulaire qui est ouvert, qui est toujours ouvert.
Me voici, pierre d'attente,
Où es-tu, source amie ?
Il suffit que tu viennes,
Pour que soit mélodie.
Que la nuit soit peuplée de fantômes, c'est inévitable; d'expérience je le sais. Je vais jusqu'à croire que c'est souhaitable. Sinon la nuit serait décevante. Du même coup décevant aussi, le jour. Celui-ci n'est-il pas issu de la nuit?