Citations de François Cheng (1654)
A l’aube des années 80, soit trente ans après mon arrivée en France, tout à coup je me suis senti prêt à amorcer une création personnelle dans cette langue. J’ai réellement éprouvé cette félicité de nommer toute chose à neuf comme au matin du monde !
Que je sois devenu un écrivain français, un poète français, cela tient du miracle. C’est le résultat indéniablement d’une passion acharnée. Mon apprentissage a été marqué par le découragement, voire le désespoir.
Dans le même temps où j’ai embrassé la littérature je suis devenu un instable, un révolté incapable de m’adapter à la vie normale. [...] Moi-même j’ai fait de nombreuses fugues lors desquelles j’ai connu la faim et toutes sortes de blessures tout en infligeant des blessures aux autres et au premier chef à mes parents. Depuis ce moment je me considère toujours comme un errant, un homme toujours en marche, même maintenant, ou en quête. Etre en quête signifie qu’on ne se laisse pas enfermer dans des cadres pré-établis. Voulant être le témoin de la vie toute entière on est à la recherche de ce que la vie peut offrir de vrai et de beau tout en essayant d’avoir le courage de dévisager ce que la vie peut produire de mal.
Dès cette époque, avant l’âge de dix ans, je suis devenu un être déchiré, hanté à la fois par la beauté du monde et par le mal qui le ronge. Je savais déjà que si je voulais saisir la vérité de la vie, je ne devais jamais oublier de tenir ces deux bouts, de chercher à atteindre une vérité qui rende compte de tout le bien et de tout le mal dont l’humanité est capable.
Toutes ces passions qui nous habitent sont impulsées par notre conscience de la mort. Mon propos n’est pas de me complaire dans un climat mortifère, au contraire. La mort pour moi devient le moteur le plus dynamique de notre vie si nous réussissons à l’intégrer dans notre vision complète de la vie.
La poésie est à la pointe du langage humain. Etant à la pointe, elle a pour mission justement de donner une résonance qui permet à notre esprit d’aller au-delà de la mort et par là de rejoindre la source cachée de la vie. Il n’y a que le langage poétique qui répond plus ou moins à notre désir d’aller rejoindre un certain au-delà de notre destin.
J’ai été marqué par l’Occident aussi bien par la tradition grecque, que par la tradition judéo-chrétienne. C’est à cause de tout de détour et encore une fois par la langue française... le fait d’écrire en français, pour moi, ce n’est pas simplement le fait d’avoir emprunté une autre langue pour dire ce que j’aurais pu dire en chinois aussi. Pas du tout, le détour par la langue française m’a permis de sortir complètement de moi-même, d’entrer dans l’intimité d’un autre. Ici, l’autre c’est toute la tradition occidentale véhiculée par la culture française et la langue française.
En réalité, nous n’avons cessé de dialoguer avec la mort, avec notre propre mort et avec nos morts. Chacun porte le deuil forcément depuis son enfance. Pour moi, la mort n’est pas ce couperet qui à un moment donné fatal, tombe, et hop, ça y est on n’en parle plus. Pas du tout, la mort est partie intégrante de la vie, même la contemporaine intime de la vie. La mort, bien sûr, c’est une force négative qui a fixé la condition tragique de l’homme, ça nous sommes tous d’accord. Et d’un autre côté, la mort, à sa manière, est une force positive parce que c’est la mort qui permet de nous renouveler, c’est la mort qui nous oblige à nous transformer et à nous dépasser. [...] Cette idée d’unicité de notre être et de tous les instants de notre vie, c’est à cause de la présence de la mort.
En Chine, j’ai passé toute mon adolescence, cette période de croissance, en pleine guerre de 1937 jusqu’à 1945. On était sous-alimentés et mal soignés par les médecins donc je pensais même mourir à 20 ans, et puis j’ai dit à 30 ans, et puis 40 ans, 50 ans... et je ne sais pas comment se fait-il que maintenant j’ai dépassé 80 ans. Ce n’est absolument pas par coquetterie, je dis la vérité. Il y a cet étonnement disons qui m’a permis de réaliser certaines choses que j’ai désirées depuis longtemps de faire.
[Mon prénom chinois] Chi-hsien veut dire "célébrer la sagesse" et toute ma vie je me suis rebellé contre ce prénom, je n’ai jamais cherché la sagesse alors que parfois en France on me prête cette qualité. Alors que ce n’est absolument pas la sagesse que je cherche, c’est la passion. Toutes mes démarches sont fondées sur la raison quand même mais une raison ouverte.
"C’est en creusant vers la profondeur qu’on peut vraiment atteindre l’universel"
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C’est-l’âme est souvent la source d’héroïsme :
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_ Jeanne d’Arc, de Gaulle à un certain moment,
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_ Et tout près de nous, le Cololel Beltrame
Qui est allé au devant des terroristes
Ce n’est pas un acte de raisonnement, c’est une force d’âme qui les anime
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F.B. Où se situe la conscience dans tout cela ?
F.C. La conscience, bien sûr, appartient à l’esprit.
_ Mais il y a une part inconsciente de la conscience qui fait partie de l’âme
Je continue un petit peu, très peu…
L’esprit est basé sur le langage, sinon personne n’aurait pu développer son esprit
Donc, il a un caractère, justement, conscient et général,
Qui permet l’organisation rationnelle de la société
Et qui permet des recherches très poussées dans le domaine scientifique
Mais l’âme, c’est cette part la plus sensible, la plus intime
Qui nous donne la capacité de ressentir, d’aimer
De tendre vers une forme de création artistique, qui relève de l’âme.
Et puis, surtout, de se relier intuitivement à une forme de transcendance
Qu’il perçoit comme une patrie native
Qui n’est pas un résultat d’un raisonnement
Ces deux aspects esprit et l’âme permettent, chez l’homme
un mouvement circulaire qui est ouvert, qui est toujours ouvert.
LES DITS DE FRNCOIS CHENG
« l’esprit « raisonne », tandis que l’âme « résonne » »
_ L’âme n’a rien de mièvre, ni de flou
En français On dit « force d’âme »
François Cheng : Est-ce que je peux évoquer l’âme ?
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_ François Busnel : …L’âme ou l’esprit ?
F.C. : Voilà !
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_ Je parle d’abord de l’âme :
Tout corps vivant est animé
Ca veut dire que, dans un corps vivant, il a un ensemble d’organes qui sont animés,
Et dans le même temps, il y a dans ce corps, une force qui les anime.
_
_ Les anciens désignaient cela par le couple anima – animus,
c’est-à dire plus concrètement, c’est âme et corps.
_
_ Qu’est-ce qui donne à l’âme cette force d’animer ?
Et là, toutes les cultures donnent la même réponse
_
_ Parce que l’’âme est reliée au souffle de vie
C’est-à-dire souffle vital
Donc, l’âme est une notion universelle
Seulement, voilà, à partir d’une certaine époque,
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_ récente d’ailleurs, en Occident,
l’homme émancipé, fier de son esprit, qui a conquis la matière
41 40 rejette l’âme, rejette l’idée même de l’âme
La considérant comme un résidu de l’obscurantisme religieux.
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_ Il s’agit là, d’une amputation, qui est un appauvrissement
Et qui comporte ses dangers
Parce que cet homme qui ne jure que par son esprit
Qui ne jongle qu’avec le dualisme corps-esprit
Il ne sait pas que ce dualisme corps-esprit,
Finit souvent, par la soumission de l’esprit, à la tyrannie du corps,
Tant il est vrai que, les désirs qui habitent le corps, sont impérieux et insatiables
En sorte que, ce dualisme corps-esprit,
Prôné par beaucoup de théoriciens, par beaucoup de penseurs
Aboutit, à une sorte d’hédonisme, lassant et morbide
Qui est un système clos.
_
_ Alors que, le répète, la constitution de notre être est ternaire et non pas duelle
Ternaire, c’est-à dire corps-âme et esprit.
Ame soeur
Entends-tu ce qui
Vient de l’heure, ce qui
Vient du coeur,
à l’heure
De l’abandon, à l’heure
Du crève-coeur,
Ce battement
depuis
La naissance
Les entrailles maternelles,
Déchirant
l’écorce
Terrestre, ce battement
Qui cherche à se dire,
Qui cherche
à se faire
Entendre, entends-tu
Ame sœur
Ce cri d’avant- vie, plein
D’une étrangère nostalgie
De ce qui avait été
Rêvé et comme à
jamais
Vécu, matin de brume
D’un fleuve, nuage
Se découvrant
feuillage,
Midi de feu d’un pré, pierre
Se dévoilant pivoine, toute
La terre embrasée, tout
Le ciel incandescent
En une seule promesse,
En une seule invite
Ne rate pas le divin
Ne rate pas le destin,
Entends-tu ce qui
Vient de la flamme
Du cœur, à l’heure
Du crève
cœur, ce cri
Surgi un jour, à ton
Insu, en toi-même,
Le transparent,
le transportant,
Le transfigurant, seul cri
Fidèle à l’âme en attente,
Ame sœur.
Le noir est une couleur, le blanc aussi ;
Tous deux participaient de l'Origine.
L'un appelant l'autre, l'un complétant l'autre,
Entre eux sans cesse la Vie fulgure, fait signe.
Certains d'entre eux vont se montrer incrédules, d'autres vont s'intéresser, d'autres encore ricaneront ou s'indigneront. C'est normal. Chacun butine ce qu'il cherche; chacun entend ce qu'il chante.
L’homme moderne est cet être revenu de tout, fier de ne croire à rien d’autre qu’à son propre pouvoir. Une confuse volonté de puissance le pousse à obéir à ses seuls désirs, à dominer la nature à sa guise, à ne reconnaître aucune référence qui déborderait sa vision unidimensionnelle et close. (…) Il se complait dans une espèce de relativisme qui dégénère souvent en cynisme ou en nihilisme.
Chacun est désireux de confronter son expérience à celle des autres, persuadé qu’une vérité de vie surgira de ce que les chinois appellent le souffle du Vide médian, ce souffle suscité par une authentique intersubjectivité.
Sur le mont du mandarin de cuivre (Li Po)
Mandarin de cuivre,
haut lieu de ma joie.
Mille ans je resterais,
sans l'ombre d'un regret.
Je danse à ma guise :
ma manche flottante
Effleure d'un coup
tous les pins des cimes !