Citations de François Cheng (1653)
Ce rai d’après-midi pénétrant
Ton sombre logis, toi l’avorton,
Tu le sais l’ange venu de loin,
De la nuit des temps : annonciation.
Apprends-nous, nuit, à toucher le fond,
À gagner le non-lieu où sel
Et gel échangent leur secret,
Où souffle et source refont un.
Sais-tu entrer dans la douleur
du monde de toute ton âme,
Pareil au papillon de nuit
se jetant dans la flamme ?
Être en attente, c’est être attentif
À tous signes annonçant l’advenance.
Si Dieu est, il est aussi dans l’attente ;
De l’advenance, nous sommes partie prenante.
Tu te souviens des noms ; tu entends
Le tien. Quelqu’un doit se souvenir
De tout. D’outre-ciel une voix pérenne
Tisse la toile à n’en plus finir.
Tout d’un coup je dis tu,
Sachant que tu es là.
Le clair val s’étant tu,
Ne s’entend que moi — toi.
Notre trouble vie se déroule sur fond
D’un Dieu méconnu. À chaque désastre,
Nous butons ou chutons sur lui, toujours
Le même, inaltérablement autre…
Tout le drame d’ici se joue
au sein d’une autre réalité ;
L’autre, invisible et sans limites,
suspend l’ici en son Ouvert.
Le monde attend d’être dit,
Et tu ne viens que pour dire.
Ce qui est dit t’est donné :
Le monde et son mot de passe.
Il est là, depuis toujours là,
étant la Voie même.
Il est là, toujours avec nous,
base même de nos voix.
Scintillement de l’être, par la fente
d’un volet mal fermé ;
Bruissement de l’être, par le trou
d’une mémoire en jachère.
Amitié vivifiante, comme entre plante et pluie.
Amour submergeant comme la marée aspirée par la lune.
Quand le destin lance son oracle, les humains n’ont plus qu’à obéir.
«Et dire qu'il faut laisser tout cela!»
Phrase mélancolique qui a le don de nous rappeler qu'aucun bonheur n'est indéfiniment répétable, que tout bonheur est miracle. Cela étant, il n'en demeure pas moins que la promesse du bonheur constitue le versant clair de la vie.
En dépit des malheurs nombreux que celle-ci nous réserve, elle offie tout de même un nombre possible de bonheurs petits ou grands, si bien qu'un esprit positif pourrait se permettre d'affirmer que, de fait, la vie est truffée de miracles - sans compter qu'elle est elle-même une apparition miraculeuse.
Immense paradoxe donc : la conscience de la mort qui nous taraude est loin d'être une force purement négative, elle nous fait voir la vie non plus comme une simple donnée, mais bien comme un don inouï, sacré.
Elle nous insufle le sens de la valeur en transformant nos vies en autant d'mlÎtés uniques.
Nous vient ici à l'esprit l'adage lapidaire de Malraux:
«Une vie ne vaut rien, mais rien ne vaut une vie. »
Le vrai toujours
Est ce qui tremble
Entre frayeur et appel,
Entre regard et silence.
Si de mes doigts je te griffe,
M’ouvriras-tu ta main ?
Si, aveuglé, je te blesse,
Me donneras-tu ton sang ?
Pu-sa-man
Ruban d’arbres, tissé de brumes diffuses
Ceinture de montagnes à l’émeraude nostalgie
Le soir pénètre le pavillon :
Quelqu’un s’attriste, là-haut
Vaine attente sur le perron
Les oiseaux se hâtent au retour
Est-il donc voie de retour pour les humains ?
Tant de kiosques le long des routes, de loin en loin
//Li Bo
Lamentation sur Chen-tao
Le sang des jeunes venus des dix contrées
Emplit les froids marécages de Chen-tao
Longue plaine, ciel désert, les cris se sont tus :
Quarante mille volontaires péris en un jour
Les Tartares reviennent, flèches toutes saignantes
Ils boivent en hurlant sur la place du marché
Le peuple, vers le nord, les yeux brillés de larmes
Jour et nuit, guette l’arrivée de l’armée
//Du Fu
D’un coup, je me déchargeai d’un souci qui pesait sur moi depuis que je fréquentais les musées en Occident. Celui de suivre servilement, faute de critères personnels, les manuels d’histoire de l’art, de me soumettre à la hiérarchie des valeurs qu’on m’imposait. Désormais j’aurai ma propre clé. Devant toute œuvre, je mettrais en avant mon état « maladif » et me demanderais chaque fois si oui ou non elle me guérit, me comble, me tire hors des ornières du dégoût et me réconcilie avec la vraie vie.
Lors même que tout n'est que douleur, j'ai marché droit vers toi. Lors même que tout se révèle trop tard, j'ai marché droit vers toi. Pour un instant encore, je suis avec toi, Jing Ko.
Moi femme silencieuse, étouffée de souffrances tues, à moi l'audace de dire enfin mes sentiments.
Durant mes jeunes années, parce que j'étais sans défense aucune, on m'a prise et possédée. Plus tard, toujours sans défense, j'ai été livrée aux désirs des hommes. Par miracle, je me trouve ici, délivrée. Suis-je pour autant maîtresse de mon destin ? Comme j'aimerais répondre oui ! Ce que je sais du moins : pour la première fois de ma vie, je me suis donnée à un homme, et c'est toi. Lors même que tout n'est que douleur, lors même que tout se révèle trop tard. Ô femme apparemment docile, néanmoins marquée au sceau d'un désir informulé, si infini que plusieurs vies ne suffiront pas pour le sonder !