Citations de Françoise Mallet-Joris (143)
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« Plus on prend de précautions plus on en souligne l’importance, de cet acte d’écrire, de peindre, de composer, qui engage, même s’il n’est pas engagé ; ce regard sur la vie qui juge même s’il refuse les termes de jugement. Et pourquoi serait-il réservé à l’art, d’ailleurs, cet instant de vérité ? Pourquoi l’artiste serait-il le seul à devoir répondre à cette belle définition de Léautaud : « Qu’est-ce qu’un écrivain, ou que doit-il être ? Un homme qui pèse ses mots, non seulement avant d’écrire, mais encore avant de parler… » Pourquoi dès le moment où l’homme emploie les mots, n’en serait-il pas responsable ? Le romancier le plus subtil rejoint là le peintre le plus mystique, et les précautions nuancées de Huxley n’en disent pas plus long ni moins que les mots rocailleux de Van Gogh : « C’est une chose admirable de regarder un objet et de le trouver beau, et de le retenir, et de dire ensuite : je vais me mettre à le dessiner, et de travailler alors jusqu’à ce qu’il soit reproduit. » Oui Il est beau de regarder un objet, d’en prendre conscience, de le vivre. Mais chacun le peindra à sa façon ? Mais ce regard posé sur l’objet ne sera jamais le même, ce jugement porté toujours différent ? Sans doute.
Elle ne vit pas dans la vie réelle, elle rêvasse tout le temps. Rêver est une chose terrible.
Aux autres de le définir...Moi, les définitions....
Des scrupules, si raffinés soient-ils, ne sont qu'un cadeau qu'on se fait à soi-même.
L'argent n'est pas que l'argent.
Elle pleure. Elle se laisse embrasser, cajoler, consoler par lui de lui-même. Elle a peut-être tort? Elle a peut-être, à un moment donné, dit quelque chose, fait quelque chose… L'immense culpabilité féminine, informe s'abat sur elle. D'ailleurs ne s'est-elle pas mise en colère, n'a-t-elle pas crié, pleuré, en somme "fait une scène"? L'angoisse l'envahit comme une vague tiède, un peu écœurante de savoir qu'elle va, tout de suite, être apaisée.
Je prends Marceline, rien que Marceline, un poète, une mère, une amante,
un gagne-petit du théâtre et du livre, une bohème secourable à tous,
bonapartiste fervente-vous saviez ? Enfin Marceline dans sa totalité
, et j'essaie de reconstituer ce que peut être le don d'écrire, la nécessité
d'écrire, son rapport avec la vie, s'il faut tenir compte de ceci ou de
cela, si on peut se permettre d'être amoureux à fond, ce qui est "bon" pour
l'oeuvre et ce qui est nuisible, ce que c'est que la spontanéité dans l'art,
ou la sincérité. (p. 28)
Si je vous garantis qu'il est "sain d'esprit" ? Qui de nous peut s'en vanter, ma mère ? On peut se prendre au jeu, on se laisse aller parfois à l'extravagance qui est en nous, on ne refoule pas certains instincts... Tout est dans le but, ma mère. Tout est dans le but ! L'Eglise elle-même... Et qui de nous n'est jamais contraint, pour le bénéfice de l'autorité, de dissimuler, de jouer un rôle un peu sévère, de cacher une spontanéité, une joie innocente qui nuirait à la discipline ? C'est le contraire, et c'est la même chose, le but !
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859), poète romantique qui annonça Lamartine, flamande (de la Flandre française) et se proclamant telle, mère de six enfants dont un seul lui survécut, amoureuse de l'amour mais aussi de la justice, de l'harmonie, Marceline ajoute à toutes ces parentés que je ressens une énigme, presque un défi. (p.13)
-Révélateur, pierre de touche, Marceline n'est pourtant pas mon modèle: elle est inimitable. elle me révolte, me bouleverse, m'exaspère parfois-je ne cesse pas de l'aimer, ni de l'admirer pour autant. Elle me déconcerte aussi-alors je me retourne vers mon passé. Etais-je ainsi ? ai-je vraiment écrit cela ? et je me déconcerte moi-même.-
De Christophe à Juste
"si je signais ces petites choses là (jamais jusqu'à la fin il ne dira mes toiles, ni mes tableaux, ça porte malheur) ça t'ennuierai que je signe Matthyssen ?
"Non, répond Juste imperturbable
"Tu me donnes ton nom ? dit Christophe en rigolant à demi
"Je te donne mon nom, répond Juste imperturbable
Même sur sa tombe on lira Christophe Matthyssen 1903,1943
Jamais frère et soeur ne se ressemblèrent aussi peu.Et pourtant ils appartenaient au même tableau.
Le grand cri de l'accouchement est un cri de colère;naître! Qu'est ce que naître sinon trahir?
Moi. - Pourquoi est-ce qu'on aurait du mérite ?
Vincent. - Et s'il n'en arrivait pas, de hasard ?
Moi. - Il y en a toujours.
Pauline. - Qu'est-ce que le hasard ? C'est les livres, le hasard ?
Moi. - Voilà. Pour moi, c'est les livres, le hasard.
Elle tourna vers moi son visage tragique, eut un geste d'impuissance. "Franca, si vous voulez, je prendrai quelqu'un pour quelques mois, et je vous trouverai une clinique pour vous désintoxiquer. - A quoi ça servirait-il ? murmura-t-elle. - Mais enfin, Franca, vous étiez contente ici, on s'entendait bien, vous aimiez bien les enfants..." Sans doute, semblait dire son regard noir, désespéré, mais qu'est-ce que cela pose, un sentiment, à coté de ce besoin de disparaître, de s'oublier, de s'anéantir ? même ses sentiments ne lui appartenaient pas. Elle était ç ce point dépouillée, pauvre de tout, sauf d'une certaine bonté, d'une pitié universelle et résignée, qu'elle inspirait une sorte de respect. Elle partit.
Et cet être est une femme, et cette femme devient belle ! L’histoire de Cendrillon a failli être vécue. Ne dit-on pas que Marie l’a inspirée ? Un peu de ruse dans sa pantoufle, et Cendrillon triomphait. Mais le conte devient amer quand le roi que l’amour a séduit par le plus noble instinct, le goût de la générosité, de la grandeur, de l’estime, laissera échapper l’amour à cause d’un amour moins beau qu’on lui présente, un amour qui fait des concessions.
Parce qu’elle n’a jamais faibli, elle n’est pas entrée à onze ans au couvent comme le voulait sa mère, elle a triomphé de sa gaucherie, de sa laideur passagère d’adolescente, de l’ignorance dans laquelle on l’avait laissée ; elle est devenue l’amazone infatigable, la danseuse pleine de grâce, la savante et presque la précieuse que célébra Somaize, sous le nom de Maximiliane ; par sa seule volonté bandée, sa fierté, son courage, l’enfant trop brune et mal aimée est devenue la jeune fille d’un roi.
Quel sera le sort de Marie dans l’au-delà, nul n’en sait rien, mais sur cette terre elle aura le sort de ceux qui n’entrent pas dans le jeu, quelle qu’en soit la raison : la solitude.
Elle ne joue pas, parce que le gain ne l’intéresse pas assez. Son bien le plus précieux, celui qu’elle a toujours préservé, l’enfant farouche, l’adolescente laide et méprisée, la jeune fille aimée d’un roi, c’est ce que Corneille eût appelé « sa gloire » et qui est tout simplement elle-même. Une image d’elle-même à laquelle elle restera fidèle jusqu’au bout, au prix de tous les sacrifices, et Dieu seul saura si c’était une image, ou un mirage, et si tous les biens terrestres de Marie Mancini, future connétable Colonna, auront été sacrifiés à l’achat de la perle unique de l’Écriture ou jetés en holocauste aux pieds d’une idole dérisoire.
Ce jeune Louis XIV dont Marie Mancini est sûre qu’il sera le plus grand roi du monde, de ces rois dignes de Tacite et de Sénèque et pourquoi non ? aussi du Grand Cyrus et de L’Astrée. Un roi héroïque et galant, stoïque et érudit, bon cavalier, bon danseur et grand politique, bel idéal de jeune fille naïvement savante, instruite et ignorante, touchante dans son bel orgueil intact.
Marie danse en face du roi, presque chaque soir. Marie participe à une loterie de bijoux, et gagne, bien sûr, des rubis magnifiques. Les machineries élèvent vers le ciel des nuages en carton : Marie, la malaimée, la malgracieuse, l’étrange et singulière enfant qu’il fallait reléguer dans un couvent, la jeune fille morose au front buté que refusait La Meilleraye, figure Vénus dans l’Olympe de pacotille que le bal suscite pour un soir. Elle figurera l’Été, le Siècle d’or, une Étoile, une Fée, une Déesse, et tout le monde le trouvera parfaitement naturel. Elle est transportée dans un monde incroyable où, tout à coup, elle règne.