" Je voulais seulement dire que rien n'est dans l'anecdote, mais, si on a une unité, tout est dans l'anecdote." (p. 172)
Inclassable, entre roman, essai et autobiographie, ce texte est un véritable tourbillon à l'écriture assortie, à travers lequel éclosent mille pensées et réflexions sur tous les sujets de la vie, les graves, les futiles, les tristes et les gais, et au fond, sur notre rôle à jouer lors de notre passage sur Terre.
C'est essentiellement ce questionnement puissant, fortement influencé par la foi catholique de l'autrice, qu'elle partage avec nous, à sa façon pétillante et légère, mais pourtant infiniment réfléchie.
Lors de ma première lecture de cet ouvrage, au lycée, je n'avais pas perçu ce message. Je n'avais gardé que le souvenir des aventures quotidiennes truculentes d'une famille d'artistes des années 1970, famille de "bobos" comme on dit aujourd'hui, croquant la vie à pleines dents dans un foutoir indescriptible, et donnant priorité au partage et à l'hospitalité plutôt qu'au rangement et au ménage.
Dans cette maison, tout le monde va et vient à sa guise : enfants, amis, femmes de ménage, gens de passage, animaux... On s'écoute, on discute, on échange, on vit et on s'aime, tout simplement.
Avec le quotidien de Françoise, on a une idée de ce qui prendra le nom de "charge mentale" pour une femme, une mère, qui doit cumuler tant de tâches, entre travail, enfants, maison, formalités administratives et vie sociale. Sa vie est chargée, bondée comme une rame de métro aux heures de pointe, agrémentée de stress, d'insomnies, de migraines, d'un agenda prêt à craquer, avec toujours l'angoisse de ne pas faire assez, pas assez bien, aux yeux des autres, comme à ceux de Dieu.
Car Françoise est croyante. Elle a découvert la foi et ses ambivalences : soutien un jour et pression le lendemain. de la Foi, il est beaucoup question, tout ici y est relié ou presque et Françoise considère sa vie à l'aune de sa conversion et de ses "devoirs" de croyante accomplie.
Mais il y a aussi la Vie, qui emporte tout sur son passage, joyeuse, tempêtueuse, animée, colorée, chantante et si variée, qui nous entraîne dans le sillage de cette grande famille. On apprend avec elle le désordre, la culpabilité, mais aussi le lâcher-prise et l'envie de redonner des priorités à son quotidien.
De tous ceux qui gravitent autour de cette maison, on en reconnaitra aussi forcément certains... vous savez, les névrosés, les pleurnichards, les profiteurs, les vieilles tantes aigries... Et ça crée une certaine proximité, une intimité avec cette famille. On s'y reconnaît en quelque sorte.
Et puis, on aborde des sujets d'une actualité saisissante : la pauvreté, la société de consommation, les inégalités sociales, l'injustice, l'éducation, l'écologie... Et là, j'ai été surprise par le fatalisme et la résilience qui émanaient des réflexions de l'autrice, mettant souvent en avant la religion et la foi chrétiennes, telles des carapaces, permettant l'acceptation de ce qui n'est pas humainement tolérable.
Ces nombreuses considérations et tous ces questionnements religieux, philosophiques, éthiques et politiques, tout intéressants qu'ils soient, et pourtant toujours initiés par des souvenirs et anecdotes divers, ont tout de même contribué à certaines répétitions et à un certain essoufflement dans le rythme de ma lecture.
Malgré tout, ici,
Françoise Mallet-Joris se met à nu, nous exposant, par le biais de conversations avec ses enfants, ses convictions, ses doutes, ses expériences. Elle intègre sa spiritualité à son mode de vie, une foi plutôt "moderne" et "féministe" qui la met parfois en porte à faux sur certains points dogmatiques, mais qu'elle assume ouvertement.
Elle écrit comme elle pense. C'est parfois fluide et limpide, parfois plus tortueux, mais on finit toujours par comprendre son cheminement, qu'on y adhère ou non. Car elle écrit avec son âme, avec son coeur et avec une profonde humanité, délivrée des attentes et des carcans de la société.
Une belle redécouverte, une lecture qui donne à réfléchir sous ses airs distrayants.
"... Je décortique ces choses qui pour moi ne sont pas des livres, mais des petits moments de ma vie, de petits messages à la fois dérisoires et extrêmement sérieux envoyés un peu au hasard, comme des bateaux de papier dans un ruisseau - et j'espère, bien sûr, qu'ils arriveront, qu'ils sont arrivés..."
(p. 163 - 164 : entretien de Françoise avec une journaliste, à propos de son travail, de son oeuvre)
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