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Citations de Georges Didi-Huberman (124)


Allemand de tout son cœur et de toute sa vie, Victor Klemperer s’est vu, du jour au lendemain, exclu de la société allemande et persécuté, menacé de mort par son régime politique élu. Cela parce qu’il était Juif. Il était fils de rabbin, en effet. Pourtant, adulte, il avait fait des choix typiques de sa génération : il avait épousé une protestante et s’était, par ailleurs, assez tôt converti au protestantisme – la condition habituelle pour avoir une chance d’obtenir un poste dans l’université d’alors. Radicalement allemand (par langue et par culture) et radicalement non religieux (par esprit des Lumières), on le verra cependant, au cours de son Journal, et les conditions de vie empirant dramatiquement, réfléchir de façon de plus en plus aiguë à la condition existentielle d’où son malheur découlait, sa condition d’être juif.
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Il y a tout lieu d’être pessimiste, mais il est d’autant plus nécessaire d’ouvrir les yeux dans la nuit, de se déplacer sans relâche, de se remettre en quête de lucioles.
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(p. 25)
Les militaires ou les dirigeants politiques se moquent souvent du papier : in "tigre de papier" est, sans doute, bien plus fragile et inefficace pour prendre le pouvoir qu'un bataillon correctement armé. Devant notre feuille de papier, il ne nous reste donc souvent qu'à pleurer notre impouvoir. Mais il arrive qu'une modeste liasse de feuillets survive aux bataillons, aux militaires et aux dirigeants eux-mêmes, par delà tout partage entre vainqueurs et vaincus. Telle est la puissance du papier : l'inscription à l'encre ou au crayon et la surface de cellulose sont capables de persister plus longtemps que nous autres humains. La feuille de papier, si fragile soit-elle, si exposée soit-elle à l'autodafé, n'est-elle pas susceptible de survivre à son auteur, à son censeur comme à son lecteur ?
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Au Paradis, la grande lumière se répandra partout en sublimes cercles concentriques : ce sera une lumière de cosmos et de dilatation glorieuse. Ici, au contraire, les lucciole errent faiblement -comme si une lumière pouvait gémir- dans une sorte de poche sombre, cette poche à péchés faite pour que « chaque flamme contienne un pécheur » […].
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Dans le monde historique qui est le nôtre - loin, donc, de toute fin ultime et de tout Jugement dernier -, dans ce monde où "l'ennemi n'a pas fini de triompher" et où l'horizon semble offusqué par le règne et par sa gloire, le premier opérateur politique de protestation, de crise, de critique ou d'émancipation, doit être appelé image en tant que ce qui se révèle capable de franchir l'horizon des constructions totalitaires. Tel est le sens d'une réflexion, à mon sens capitale, esquissée par Benjamin sur le rôle des images comme façon d'"organiser" - c'est-à-dire, aussi, de démonter, d'analyser, de contester - l'horizon même de notre pessimisme foncier.
(p. 101)
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Israel Galván, lui aussi, bégaie légèrement quand il parle. Ses phrases cherchent toujours le sens le plus court et le plus serré, comme s’il dansait. D’un côté, bien sûr, sa danse est l’envers de sa parole […] D’un autre côté, j’aurais envie de dire qu’il danse comme il parle […] Il sait terminer sans “clôturer” […] Il danse avec son geste comme fait un chanteur avec son poème : il le coupe et l’entrecoupe, il l’attaque comme on brise un diamant, il en dégage tous les éclats et jette en l’air les bribes, les fusées.
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Les images ne nous disent rien, nous mentent ou demeurent obscures comme des hiéroglyphes tant qu'on ne prend pas la peine de les lire, c'est-à-dire de les analyser, de les décomposer, de les remonter, de les interpréter, de les distancier hors des "clichés linguistiques" qu'elles suscitent en tant que "clichés visuels".
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Prendre position, c'est se situer deux fois au moins, sur les deux fronts au moins que comporte toute position puisque toute position est, fatalement, relative. Il s'agit par exemple d'affronter quelque chose; mais, devant cette chose, il nous faut aussi compter avec tout ce dont nous nous détournons, le hors-champ qui existe derrière nous, que nous refusons peut-être mais qui, en grande partie, conditionne notre mouvement même, donc notre position.
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Georges Didi-Huberman
Il n'est pas d'image qui ne soit migrante. Toute image est une migration. Les images ne sont jamais autochtones.
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Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne « débarquent » pas de rien ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venues de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous les enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). L’autochtonie que vise, aujourd’hui, l’emploi paranoïaque du mot « identité », n’existe tout simplement pas, et c’est pourquoi toute nation, toute région, toute ville ou tout village sont habités de peuples au plu- riel, de peuples qui coexistent, qui cohabitent, et jamais d’«un peuple» autoproclamé dans son fantasme de « pure ascendance ». Personne en Europe n’est « pur » de quoi que ce soit – comme les nazis en ont rêvé, comme en rêvent aujourd’hui les nouveaux fascistes –, et si nous l’étions par le maléfice de quelque parfaite endogamie pendant des siècles, nous serions à coup sûr génétiquement malades, c’est-à-dire « dégénérés ». Les réfugiés d’Idomeni sont apparus à Niki Giannari comme des spectres parce qu’elle comprenait ceci que, lorsqu’un spectre nous apparaît, c’est notre propre généalogie qui est mise en lumière, en cause et en question. Un spectre serait donc notre « étranger familial ». Son apparition est toujours réapparition. Il est donc un être ancestral : un parent – lointain, certes – qu’on a souvent peur de voir revenir à la maison, parce que, s’il revient, c’est probablement pour rouvrir parmi nous une secrète et persistante blessure relative à la question généalogique. (p. 31)

Georges Didi-Huberman - Eux qui traversent les murs
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Et nous devons nous-même devenir des lucioles, former une communauté du désir, une communauté de lueurs émises, de danses malgré tout, de pensées à transmettre.
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«  Le don d'attiser dans le passe l'étincelle de l'espérance n'appartient qu'à l'historiographe intimement persuadé que, si l'ennemi triomphe, même les morts ne seront plus en sûreté. Et cet ennemi n'a pas fini de triompher. »W. Benjamin -1940
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"Absolument" parlant, il n'y a plus rien à voir de cela. Mais l'après de cette histoire, où je me situe aujourd'hui, n'a pas été sans travailler lui aussi, travailler à retardement, travailler "relativement". C'est ce dont je me rends compte en découvrant, le coeur serré, ce pullulement bizarre de fleurs blanches sur le lieu exact des fosses de crémation.
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Sur quelques-unes de mes photographies, on ne voit que les arbres, comme si mon regard avait cherché sa respiration par delà les barbelés. Mais les barbelés sont bien là, avec leurs poteaux de ciment et leurs conducteurs électriques. Tout cela rendu si discret par la force visuelle des troncs d'arbres alentour, si présent pourtant puisqu'ils indiquent dans cette banale forêt un lieu de massacre organisé.
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«Ils montent des échafauds, et dessus montent des décors, et dedans montent des mystères. Ils jouent. Ils se réunissent pour assister au spectacle. Ils meurent, remplis des beautés de la scène. Ils s'enterrent debout.»«Ainsi ils frémissent, sans secours. Le silence - glas qui ne sonne déjà plus - leur enseigne que la religion elle-même est empoisonnée ; dévastée, infecte, tarée. Tu me racontais qu'à Bourg-en-Bresse, l'image de saint Roch, n'ayant pas respecté son contrat votif, qui est de gratifier le peuple de quelque miracle, on se mit à jeter toutes les ordures dans sa chapelle.»Extrait du livre :- Machiavel écrit une lettre, et écrire signifie, ce jour-là : Réponds-moi, qui que tu sois, si tu es encore vivant. (Lettre à retranscrire n fois pour ne serait-ce qu'entrevoir l'idée d'un Machiavel en pleurs :.)-J'ose difficilement poser ma main trem­blante sur cette page pour commencer une si atroce histoire. Plus je réfléchis sur cette grande misère, plus je sens de répugnance pour une si terrible description. Mes yeux ont tout vu et maintenant, une fois encore, la narration me tire des larmes de douleur. Je ne sais par où commencer et volontiers je laisserais tomber ma plume, mais l'ardent désir de savoir si vous êtes encore vivant me fait passer sur mes tremblements.- Loin derrière un rideau, une femme observe, pas moins demi-morte que lui, Niccolo Machiavel se tacher les doigts d'une encre très fade.- Mais à la peste il faut bien un narrateur, un qui puisse, qui ose dire mes yeux ont tout vu, il faut bien, tâche lourde ou non, un arpenteur du désastre, un mélancolique, un dont la maladie différait un peu des autres, maladie à la mort, non maladie mortelle, encore. Un qui pressent qu'il n'arrive pas à mourir.
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Comment la victoire des démocraties occidentales sur les totalitarismes de l’Allemagne hitlérienne et de l’Italie fasciste aura-t-elle transformé, « sécularisé » voire prolongé un phénomène culturel dont l’apogée se trouve parfaitement mise en scène dans le Triumph des Willens filmé par Leni Riefenstahl ?
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L’histoire ne produit des tables rases que selon le point de vue des vainqueurs. Si l’on sait les regarder, cependant, les destructions dans l’histoire laissent toujours des vestiges ou des traces, qu’elles soient matérielles ou spirituelles. Nous marchons peut-être dans un paysage de cendres et nous nous sentons incapables de reconstruire pour l’heure quelque chose à partir de ce « rien » désespérant ? Eh bien, commençons par creuser ici-même où nous sommes : creusons dans la cendre. C’est là aussi que réside la grande leçon de Walter Benjamin. Il parlait de ruines, sans doute, et même de ruines amoncelées sur d’autres ruines. Mais cela voulait justement dire qu’il faut creuser dans le terreau des temps pour en ramener quelque chose de vivant ou, plutôt, de survivant.
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Si l'étranger constitue un paradigme politique fondamental - au point qu'on pourrait presque juger une société au sort qu'elle réserve à ses étrangers -, l'étrange serait son corollaire esthétique fondamental, celui qui apparaît dans les récits de Franz Kafka ou dans l'effet d"inquiétante étrangeté" analysé par Freud à la même époque. (...) L'étranger comme l'étrangeté ont pour effet de jeter un doute sur toute réalité familière. Il s'agit, à partir de cette mise en question, de recomposer l'imagination d'autres rapports possibles dans l'immanence même de cette réalité.
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Le titre choisi par Niki Giannari consone évidemment – c’est même une quasi-citation – avec la phrase inaugurale du Manifeste communiste : «Un spectre hante l’Europe », que Marx et Engels avaient aussitôt identifié en déclarant : « C’est le spectre du communisme ». Entre- temps, Jacques Derrida aura écrit un livre important – qu’a lu Niki Giannari –, Spectres de Marx, en repartant des questions éthiques et politiques induites par l’état d’apartheid comme par toutes les conjurations – voire les « déclarations de mort » – brandies depuis la peur obsidionale de l’étranger et l’ignorance de ce qu’hospitalité veut dire : à savoir la crainte que le « spectre », celui qui revient depuis un autre lieu ou un autre temps, ne devienne notre concitoyen et, pire, notre égal. Mais voici que Niki Giannari fait subir, au schéma communiste de Marx et Engels, deux transformations radicales au moins. D’abord, il y a « des spectres » et non un seul. Ensuite, ces « spectres qui hantent l’Europe » sont des êtres concrets, des êtres humains, qui incarnent nos relations éthiques ou politiques et n’ont, par conséquent, rien à voir avec une idée générale, si puissante soit-elle (comme l’est celle du communisme) dans notre culture européenne.
Cette mise au pluriel est fondamentale. Elle s’accorde d’ailleurs avec le geste de témoignage qui a conduit Niki Giannari à arpenter, des jours durant, le camp d’Idomeni avec Maria Kourkouta et ses amis du Dispensaire social de Thessalonique. Tout cela nous parle de différences, de multiplicités, de singularités, de corps sensibles, et non pas de quelque notion utopique – ou stratégique – issue de la philosophie politique. Niki Giannari, en cela, se situerait sans doute dans la perspective ouverte par Hannah Arendt lorsque celle-ci, dans Qu’est-ce que la politique ?, opposait l’homme de la théologie ou de l’ontologie (voire de la philosophie politique) à la pluralité des hommes qu’exige toute pensée du politique en tant que telle. La forme filmique choisie dans Des spectres hantent l’Europe contribue d’ailleurs fortement à maintenir cette exigence : on y voit en effet beaucoup de monde, mais on ne voit ni « masse » de population, ni « classe », ni « entité » unique ou générale. La patience des plans et l’art du cadrage – voire l’écoute des diverses langues parlées dans le camp – nous font voir chacun, un à un, différent, singulier, fût-il égal dans son destin : dans sa même volonté, devant la même frontière, de passer. (p. 33)

Georges Didi-Huberman - Eux qui traversent les murs
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Pendant que les heures passent
dans cet entre-deux plein de boue,
dans ces terribles barbelés
je comprends qu'ils sont déjà passés.
Apatrides, sans-foyer.

Ils sont là.
Et ils nous accueillent
généreusement
dans leur regard fugitif,
nous, les oublieux, les aveugles.

Ils passent et ils nous pensent. (p. 19)

Niki Giannari - Des spectres hantent l'Europe (Lettre de Idomeni).
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