AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782707343918
92 pages
Editions de Minuit (05/10/2017)
4.42/5   12 notes
Résumé :
« Apatrides, sans-foyer. Ils sont là. Et ils nous accueillent Généreusement dans leur regard fugitif, nous, les oublieux, les aveugles. Ils passent et ils nous pensent. » « Passer. Passer quoi qu'il en coûte. Plutôt crever que ne pas passer. Passer pour ne pas mourir dans ce territoire maudit et dans sa guerre civile. Avoir fui, avoir tout perdu. Passer pour tenter de vivre ici où la guerre est moins cruelle. Passer pour vivre comme sujets du droit, comme simples ci... >Voir plus
Que lire après Passer, quoi qu'il en coûteVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Georges Didi-Huberman et Niki Giannari écrivent, dans Passer, quoi il en coûte, un livre de frontière. Un livre de frontière maintenant que les régions frontalières sont ciselées, découpées par de hauts murs de barbelés. Point de passage. Barrières baissées. Rouge et noir du sang. Fils aux épines comme des ronces le long d'un champ interdit.

Le livre, divisé en deux, laisse d'abord la parole à la poétesse grecque et à son long chant, « Des spectres hantent l'Europe » qui reprend la phrase inaugurale du Manifeste du Parti Communiste : « Un spectre hante l'Europe », pour la détourner au profit d'un témoignage sur ces « spectres » qui arpentent nuit et jour le camp d'Idomeni. « Des spectres hantent l'Europe » est aussi le titre d'un documentaire qu'elle réalise avec la cinéaste Maria Kourkouta en 2016 [1] et qui met des images sur ces « êtres concrets » qui, aux frontières, attendent et espèrent « passer, quoi qu'il en coûte ». Êtres que nous avons tendance à rabattre dans le néant des concepts.

Ensuite, Georges Didi-Huberman, dans un texte intitulé « Eux qui traversent les murs », tente non pas de commenter le poème et le film de Niki Giannari, mais de penser ce qu'implique la position du témoin, le geste du témoignage, face à ce qui n'est plus seulement une abstraction politique, mais une réalité concrète, singulière et plurielle. Lui dont le travail consiste, depuis des années, à penser, après Aby Warburg et Walter Benjamin, les notions de hantise et de survivance, telles qu'elles investissent le règne moderne des images, trouve dans la position existentielle du migrant à la frontière une question posée non seulement au statut des images, mais aussi au statut de l'autre tel qu'il réfléchit notre place de témoins.

On ne témoigne jamais pour soi. On témoigne pour autrui. le témoignage vient d'une expérience bouleversante, souvent ressentie comme indicible et dont le témoin, depuis la position qu'il occupait (position d'actant, de souffrant ou de regardant), doit faire foi aux yeux d'autrui, aux yeux du monde entier. Il donne alors forme à ce qu'il doit – d'une dette éthique – comme à ce qu'il voit. le témoin fait foi, doit, voit et donne : depuis une expérience qu'il a vécue, quel que soit le mode de cette implication, vers toutes les directions de l'autrui. Il donne sa voix et son regard pour autrui.
p. 27

« Des spectres hantent l'Europe » – Écrire la nécessité du passage

D'abord, il y a la lettre à « Des spectres [qui] hantent l'Europe [2]» de Niki Giannari, le long poème, le chant qui ne se termine pas, la question répétée « Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Où vont-ils ? » que traduit Maria Kourkouta en français, mais qui n'est pas mieux comprise, qui ne fait pas sens entièrement. Qu'est-ce qu'un spectre, en effet, sinon ce que « je regarde [3]», mais qui m'échappe comme « apparition d'autre chose » et qui est, comme l'écrit la poétesse, « presque oubliée du regard ».

Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Où vont-ils ?

Il semble qu'ils soient ici depuis toujours.

Ils se cachent

et, au moment où le danger disparaît,

ils réapparaissent

comme l'accomplissement d'une prophétie

presque oubliée du regard.
p. 11

Poème du soulèvement des mots, du soulèvement des images. Poème qui, comme la nuit, vient du sol, qui, comme la nuit, vient de la terre, dure, sombre et têtue et qui, comme la nuit, ne se termine pas : poème qui continue, qui se murmure dans les campements de toiles encrassées, dans les tunnels des mégalopoles mondiales, aux abords des autoroutes périphériques, sous les ponts où brûlent, dans de petites enclaves de tôle, un feu de honte et de regret, où brûlent, pêle-mêle, « les morts que nous avons oubliés / les engagements que nous avons pris et les promesses, / les idées que nous avons aimées, / les révolutions que nous avons faites, / les sacrements que nous avons niés, »

Lire la suite sur litteralutte.com : https://www.litteralutte.com/passer-quoi-quil-en-coute/
Lien : https://www.litteralutte.com..
Commenter  J’apprécie          10
Associant littérature spécialisée, poésie et art visuel, les Éditions de Minuit publient un ouvrage hybride, à la croisée de plusieurs arts et disciplines. le livre court, mais ardent, et incontestablement politique, prend place au coeur de l'actualité, celle des migrants et de la déshumanisation progressive de la société vers une haine toujours plus incisive de l'étranger. Un must have !
Commenter  J’apprécie          40

Citations et extraits (24) Voir plus Ajouter une citation
Le titre choisi par Niki Giannari consone évidemment – c’est même une quasi-citation – avec la phrase inaugurale du Manifeste communiste : «Un spectre hante l’Europe », que Marx et Engels avaient aussitôt identifié en déclarant : « C’est le spectre du communisme ». Entre- temps, Jacques Derrida aura écrit un livre important – qu’a lu Niki Giannari –, Spectres de Marx, en repartant des questions éthiques et politiques induites par l’état d’apartheid comme par toutes les conjurations – voire les « déclarations de mort » – brandies depuis la peur obsidionale de l’étranger et l’ignorance de ce qu’hospitalité veut dire : à savoir la crainte que le « spectre », celui qui revient depuis un autre lieu ou un autre temps, ne devienne notre concitoyen et, pire, notre égal. Mais voici que Niki Giannari fait subir, au schéma communiste de Marx et Engels, deux transformations radicales au moins. D’abord, il y a « des spectres » et non un seul. Ensuite, ces « spectres qui hantent l’Europe » sont des êtres concrets, des êtres humains, qui incarnent nos relations éthiques ou politiques et n’ont, par conséquent, rien à voir avec une idée générale, si puissante soit-elle (comme l’est celle du communisme) dans notre culture européenne.
Cette mise au pluriel est fondamentale. Elle s’accorde d’ailleurs avec le geste de témoignage qui a conduit Niki Giannari à arpenter, des jours durant, le camp d’Idomeni avec Maria Kourkouta et ses amis du Dispensaire social de Thessalonique. Tout cela nous parle de différences, de multiplicités, de singularités, de corps sensibles, et non pas de quelque notion utopique – ou stratégique – issue de la philosophie politique. Niki Giannari, en cela, se situerait sans doute dans la perspective ouverte par Hannah Arendt lorsque celle-ci, dans Qu’est-ce que la politique ?, opposait l’homme de la théologie ou de l’ontologie (voire de la philosophie politique) à la pluralité des hommes qu’exige toute pensée du politique en tant que telle. La forme filmique choisie dans Des spectres hantent l’Europe contribue d’ailleurs fortement à maintenir cette exigence : on y voit en effet beaucoup de monde, mais on ne voit ni « masse » de population, ni « classe », ni « entité » unique ou générale. La patience des plans et l’art du cadrage – voire l’écoute des diverses langues parlées dans le camp – nous font voir chacun, un à un, différent, singulier, fût-il égal dans son destin : dans sa même volonté, devant la même frontière, de passer. (p. 33)

Georges Didi-Huberman - Eux qui traversent les murs
Commenter  J’apprécie          30
On ne témoigne jamais pour soi. On témoigne pour autrui. Le témoignage vient d’une expérience bouleversante, souvent ressentie comme indicible et dont le témoin, depuis la position qu’il occupait (position d’actant, de souffrant ou de regardant), doit faire foi aux yeux d’autrui, aux yeux du monde entier. Il donne alors forme à ce qu’il doit – d’une dette éthique – comme à ce qu’il voit. Le témoin fait foi, doit, voit et donne : depuis une expérience qu’il a vécue, quel que soit le mode de cette implication, vers toutes les directions de l’autrui. Il donne sa voix et son regard pour autrui. L’autrui du témoin ? C’est, d’abord, celui qui n’a pas eu le temps ou la possibilité de signifier son geste ou sa douleur : c’est le réfugié d’Idomeni quand il demeure muet, occupé aux tâches de l’immédiate subsistance. C’est, ensuite, celuiqui n’a pas le temps ou le courage d’écouter cet acte ou cette souffrance : c’est le nanti de la grande ville quand il demeure indifférent, occupé aux tâches de sa vie confortable. Le témoignage se tient donc « entre deux autruis », il est en tout cas un geste de messager, de passeur, un geste pour autrui et pour que passe quelque chose.
À Idomeni, Niki Giannari et Maria Kourkouta ont décidé de témoigner : modestement, sans aucune stratégie « médiatique » (comme c’était le métier des photojournalistes, comme ce fut le cas pour l’artiste Ai Weiwei, par exemple). Mais en regardant poétiquement, fût-ce à travers un point de vue implacable et documentaire. Maria était comme Dante, mais avec une caméra (et même deux). Niki était Virgile. Maria a composé une série de visions : des plans de cinéma. Une première partie du film – la plus longue, en images numériques, sonores, en couleurs – se compose de plans fixes où se voient et s’entendent les vies et les voix mêmes, dans toutes les langues, de ceux qui voulaient passer la fron- tière à Idomeni et se sont mis à donner de la voix, à porter plainte, à se soulever contre l’empêchement qui leur en était fait. La seconde partie du film, en pellicule 16 millimètres noir et blanc, se compose de plans brefs, muets, caméra à l’épaule.
Dans ce film on voit donc la vie des réfugiés à Idomeni. Il n’y a là rien d’univoque : gestes contre gestes, corps singuliers contre règles générales, paroles d’espoir ou de colère, d’angoisse ou de tendresse. Toute une population qui se forme à partir de son simple désir de passer, mais qui piétine dans la boue pour attendre, interminable-ment, un verre de thé chaud. Les plans de Maria Kour- kouta décrivent souvent les sortes de boucles que cette attente suppose, comme dans La Divine Comédie les spectres tournaient en rond dans les limbes du Purgatoire. C’est pour donner voix à ces gestes, à ces visages, que Niki Giannari a composé le texte qu’on vient de lire. Il s’agissait de phraser quelque chose de ce qui fut regardé, écouté, éprouvé dans le camp, puis revu dans les rushes. C’est devenu la voix même – par l’entremise de la poétesse, musicienne et chanteuse Lena Platonos – du film intitulé, comme le texte, Des spectres hantent l’Europe. (p. 27)

Georges Didi-Huberman - Eux qui traversent les murs
Commenter  J’apprécie          20
Après tout, les réfugiés ne font que revenir. Ils ne « débarquent » pas de rien ni de nulle part. Quand on les considère comme des foules d’envahisseurs venues de contrées hostiles, quand on confond en eux l’ennemi avec l’étranger, cela veut surtout dire que l’on tente de conjurer quelque chose qui, de fait, a déjà eu lieu : quelque chose que l’on refoule de sa propre généalogie. Ce quelque chose, c’est que nous sommes tous les enfants de migrants et que les migrants ne sont que nos parents revenants, fussent-ils « lointains » (comme on parle des cousins). L’autochtonie que vise, aujourd’hui, l’emploi paranoïaque du mot « identité », n’existe tout simplement pas, et c’est pourquoi toute nation, toute région, toute ville ou tout village sont habités de peuples au plu- riel, de peuples qui coexistent, qui cohabitent, et jamais d’«un peuple» autoproclamé dans son fantasme de « pure ascendance ». Personne en Europe n’est « pur » de quoi que ce soit – comme les nazis en ont rêvé, comme en rêvent aujourd’hui les nouveaux fascistes –, et si nous l’étions par le maléfice de quelque parfaite endogamie pendant des siècles, nous serions à coup sûr génétiquement malades, c’est-à-dire « dégénérés ». Les réfugiés d’Idomeni sont apparus à Niki Giannari comme des spectres parce qu’elle comprenait ceci que, lorsqu’un spectre nous apparaît, c’est notre propre généalogie qui est mise en lumière, en cause et en question. Un spectre serait donc notre « étranger familial ». Son apparition est toujours réapparition. Il est donc un être ancestral : un parent – lointain, certes – qu’on a souvent peur de voir revenir à la maison, parce que, s’il revient, c’est probablement pour rouvrir parmi nous une secrète et persistante blessure relative à la question généalogique. (p. 31)

Georges Didi-Huberman - Eux qui traversent les murs
Commenter  J’apprécie          40
Sur les 185 espèces de primates subsistantes, seul l'homme a un comportement migrateur. Homo sapiens n'est autre, pour finir, qu'un remarquable homo migrans. Vouloir l'oublier - le refouler, le haïr - c'est simplement s'enfermer dans les remparts de la crétinisation. Mieux vaut entendre la leçon de " ceux qui savent encore être en mouvement".
Georges Didi-Huberman - 5-14.03.2017
Commenter  J’apprécie          110
Portbou, 26 septembre de l'an 1940.
Le jour où la frontière s'est fermée, Walter Benjamin s'est donné la mort.
S'il arrivait un jour avant ou un jour après ?
Car personne n'arrive à la frontière
un jour avant ou un jour après.
On arrive dans le Maintenant. (p. 16)

Niki Giannari - Des spectres hantent l'Europe (Lettre de Idomeni).
Commenter  J’apprécie          80

Lire un extrait
Videos de Georges Didi-Huberman (32) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Georges Didi-Huberman
Georges Didi-Huberman vous présente son ouvrage "Faits d'affects. Vol. 2. La fabrique des émotions disjointes" aux éditions de Minuit. Entretien avec Jérémy Gadras.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/3041190/georges-didi-huberman-faits-d-affects-vol-2-la-fabrique-des-emotions-disjointes
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
Visitez le site : http://www.mollat.com/ Suivez la librairie mollat sur les réseaux sociaux : Instagram : https://instagram.com/librairie_mollat/ Facebook : https://www.facebook.com/Librairie.mollat?ref=ts Twitter : https://twitter.com/LibrairieMollat Linkedin : https://www.linkedin.com/in/votre-libraire-mollat/ Soundcloud: https://soundcloud.com/librairie-mollat Pinterest : https://www.pinterest.com/librairiemollat/ Vimeo : https://vimeo.com/mollat
+ Lire la suite
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (22) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
440 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}