Payot - Marque Page - Gwladys Constant - Mamie fait sa valise
Il était une fois, dans un lointain royaume, un château où vivait un roi, une reine et leur fille, la princesse Émeraude...
_Hum! hum!
_Qu'est-ce qu'il y a, Château?
_Il y a que, comme d'habitude, on me consacre une ligne, et puis c'est tout! Je mérite plus quand même.
La colère de Figaro, dans la pièce de Beaumarchais qu'on étudiait en classe de seconde, était la mienne : « Qu'avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus. » Moi aussi j'étais contre les privilèges liés à la naissance, et pas uniquement contre la fortune, cette foutue cuillère en argent destinée aux bébés chanceux, mais contre l'apparence même, contre cette loterie de la génétique qui peut faire de notre vie un paradis ou un enfer.
(p. 12)
Maman s'étonne parfois que je change de fringues tous les jours : " Tu vas pas me dire que tu transpires tant que ça, assise sur ta chaise ?! " Je songe à Astérix et Obélix, quand ils essaient d'obtenir le laisser-passer A-38 dans la maison qui rend fou. Il me semble évident que Goscinny et Uderzo ont plagié la vie des collégiens sans qu'aucun de nous ne touche jamais le moindre droit d'auteur. [à partir de l'idée stupide des parents n°3 : Vous êtes assis toute la journée]
- ça fait mal? je demande en m'emparant d'un biscuit.
- De quoi, la pénétration?
- Oui, la première fois...?
- ça fait pas mal, tu rigoles, ça fait hyper mal ! (Je repose le cookie dans l'étui.)Je te dis pas, moi, la première fois, j'en ai chialé. (Je remets l' étui dans la boîte en carton.) Mais bon, ça va...Les fois d'après....(J'éloigne la boîte de cookies. des nœuds se forment dans mon ventre.) Pour te donner une image, c'est comme d'aller chez le dentiste quand tu as une grosse carie...
(...) le véritable règlement intérieur [du collège], celui que les parents ne signent jamais parce qu'il n'est imprimé nulle part, stipule, entre autres choses, qu'il faut porter des fringues de marque, mais pas des marques trop onéreuses sous peine de se les voir voler au détour d'un cours d'EPS ; que les filles doivent avoir de la poitrine mais sans dépasser le 85C sous peine de se faire traiter de salopes ; que les mecs doivent tout faire pour sortir avec une fille et mater des films porno sur le Net sous peine de se faire traiter de pédés ; qu'il est bon d'avoir la moyenne pour éviter de se faire pourrir par les parents mais qu'il n'est pas concevable d'être en situation de réussite sous peine d'être relégué dans la catégorie la plus ringarde qui soit : intello. (...)
Vous l'aurez compris, chers parents, être un collégien épanoui présuppose d'être passé maître dans l'art de la nuance, de l'entre-deux et, au besoin, de la fourberie.
(p. 57-58)
[.......] je pense qu'au fond, j'ai toujours eu envie d'accomplir de grandes choses. Par exemple, en sixième, je voulais devenir présidente de la république. C'est la raison pour laquelle en cinquième, je me suis présentée à l'élection des délégués : j'ai été élue à l'unanimité avec mon projet d'implantation de bancs dans la cour, projet que j'ai mené à bien d'ailleurs car, enfin, toute promesse électorale doit être tenue. En quatrième, j'ai pris du galon, je suis devenue membre du conseil municipal des jeunes, où je n'ai rien mené du tout parce que c'était du flanc. Maintenant, j'ai l'âge de passer aux choses sérieuses et d'agir seule, sans élection, sans buzz, sans " j'aime " sur mon statut, juste avec le courage de mes convictions. J'écris.
Bref, le prof de maths fait des fautes d'orthographe au tableau, la prof de français sort sa calculette pour faire nos moyennes, c'est la vie. Quant à moi, je ne sais pas ce que je ferai plus tard mais je ne suis pas sûre que mon autoportrait à la manière de Basquiat ou les équations à deux inconnues me soient d'une grande utilité.
[à partir de l'idée stupide des parents n°10 : Tout ce que tu apprends en classe te sera utile un jour]
Tu te souviens des cartes postales d'antan ? Des jolis timbres pour ta collection ? De l'enveloppe que tu retournais rapidement pour lire le nom de celui qui avait pensé à t'écrire ? T'es pas un brin nostalgique de la boîte à surprises qui t'apportait des bises, au lieu de s'en prendre à ton fric ?
Il ne dira pas non plus qu’hier, mamie a oublié de venir le chercher à l’école, que Mme Dampierre était en colère et qu’elle a téléphoné. En arrivant, mamie a dit : « Je suis tellement navrée ! Je me suis endormie sur mon journal. » Côme sait bien que ce n’est pas vrai. Mamie ne lit plus le journal depuis qu’elle a perdu ses CHAUSSETTES. Tout ça à cause du fantôme ! (p. 33)
Ma fille et ma mère ont eu exactement la même note à leur commentaire littéraire : 9/20...Ma fille est contente : elle dit qu'elle progresse et qu'elle se rapproche de la moyenne.(...)Quant à ma mère, je viens de passer trente minutes au téléphone avec elle en larmes. Elle dit qu'elle est nulle, que c'est trop dur et qu'elle n'y arrivera jamais.