Citations de Hédi Kaddour (127)
De l'autre côté de la Méditerranée, Ganthier incarnait la civilisation nouvelle, ici un fils de notable rêvait d'aube rouge et faisait de lui un attardé de l'histoire.
Pour Tchekhov, une histoire originale au vingtième siècle ce serait celle d'un banquier honnête.
La lecture du journal c'est la prière du matin de l'homme moderne (...)
L'hypocrisie est l'arme des vaincus.
![](/couv/sm_CVT_Les-Preponderants_1040.jpg)
P. 307 : Ils étaient au restaurant avec Otto, un ancien officier de l’armée impériale qui tentait de se reconvertir dans la littérature. […] La première fois il s’était montré aimable avec tout le monde, sauf avec Raouf. […] Otto était content de faire la leçon à des Français, la critique de la valeur, du courage au combat, index levé pour soutenir la citation : « La parfaite valeur et la complète poltronnerie sont deux extrémités où l’on arrive rarement. » […] Et Raouf soudain, à voix dure : « Poltronnerie complète ! » Et Otto : « je vous demande pardon ? » Il y avait du mépris dans la voix de l’officier. […] « Pas complète poltronnerie, mais poltronnerie complète" » et Otto, « Peu importe ! » […] Raouf, les yeux toujours sur son verre « Non, c’est important, l’ordre des mots, a-b-b-a, la parfaite valeur et la poltronnerie complète, c’est un chiasme. » […] Et les yeux de Raouf soudain dans ceux d’Otto : « Vous comprenez pourquoi ? » Et, après un silence : « a-b-b-a, la valeur et la poltronnerie se retrouvent l’une à côté de l’autre, elles se touchent, elles frayent, parce que, au fond, elles sont de même nature, et tant pis pour la valeur. Belle mise en scène, n’est-ce pas ? »
Sur le bateau, Raouf était l’un des rares maghrébins à voyager en première classe, et le seul à ne pas porter la djellaba : on le regardait comme une curiosité, un indigène habillé à l’européenne, c’est quelqu’un qui ne joue pas le jeu
Elle supportait de moins en moins le désordre de cet homme, ses rêves de fortune, auxquels il ne croyait même pas, sa capacité à tout vouloir, à ne rien faire, à s'imaginer que le temps devait tout arranger.
Les indigènes, si on leur injecte de la modernité à bonnes doses, l’électricité, l’automobile, le cinéma, ils vont finir par marcher avec nous, une partie au moins, les modernes, qui vont se couper des fanatiques qui refusent les images, et ça privera les modernes du soutien des fanatiques. (P. 342)
Bien sûr, ces gens qui gueulent sont des patriotes, mais il y a des moments où le patriotisme c’est d’accepter sa défaite (P. 275)
Les français n’aiment pas qu’on les imite – c’est plutôt qu’ils n’aiment pas qu’on les rattrape – Ça n’est pas une question d’imitation ou de rattrapage….ils sentent qu’ensuite vous ne voudrez plus d’eux – Ce qui m’amuse c’est que vous ne supportez pas qu’ils me regardent de travers. Parce que je fais partie de vos bagages ? (P. 177)
Un indigène habillé à l’européenne, c’est quelqu’un qui ne joue pas le jeu (P. 177)
Nous autres, Européens, nous ne devons jamais frapper les indigènes, nous devons montrer que nous ne sommes pas comme eux, quand je bats mon chien, c’est toujours avec la laisse, il croit que c’est la laisse qui le bat, de temps en temps il me bouffe une laisse mais il continue à m’aimer (P. 123)
![](/couv/cvt_Waltenberg_571.jpg)
C'est quand Neuville a parlé du bromure en souriant que mon jeune physicien a voulu bondir, dit Münzenberger, je lui ai dit tout bas que l'indignation est un mauvais alcool, il a laissé Neuville pérorer, faire l'éloge du tri des stylos, sans bromure, oui, on pourra donc accélérer les cadences, pas trop fort au début, une mise au point, avec le même salaire puisqu'elles se fatiguent moins, encore plus de stylos et moins de main-d’œuvre, ou plus de quantité avec le même effectif, ou encore plus de quantité avec plus de cadences, je propose, poursuit Neuville, d'appeler ça une variable d'ajustement, comme les physiciens, Neuville sourit à Thellheim, nous devons nous aussi scientifiques, l'organisation scientifique du travail il faut environ trois millions de moteurs pour trente grammes de chair humaine, ce qui fait deux milliards et demis de moteurs pour faire fonctionner une machine humaine, j'ai entrepris de calculer la valeur quantitative du travail de ces moteurs, si un ouvrier fait ce qu'on lui dit, comment soulever en cinq gestes, comment porter, comment marcher, quelle distance à chaque pas selon sa taille, comment poser en cinq autres gestes, sur quel rythme revenir, on peut passer d'un rendement de douze à quarante-sept tonnes d'acier par jour, de douze à quarante-sept ! trois cent pour cent de gain, on met des caméras qui enregistrent les gestes, on fixe des lampes au poignet, à toutes les articulations, on sous-expose la pellicule et on obtient un film avec l’épure des mouvements du travail, le système peut être mis en place en trois semaines, mettre la fatigue en équation, apprendre à calculer, je suis arrivé aux États-Unis en 1906, avec moins d'un dollar en poche, en même temps qu'un million de personnes. Je suis aujourd'hui l'un des hommes les mieux payés du monde.
Thibault était un peu embêté, parce que c'est difficile de jouer l'émotion, la douleur,la tristesse, la protestation, l'appel, quand le fond de votre sentiment tient en une syllabe, un "ouf" qu'il ne faut surtout pas laisser percevoir
La vérité pour être comprise a d’abord besoin d’être crue ( William Blake)
…. Une Emma qui aurait survécu, qui s’avalerait à petites doses le poison de la vie conjugale.
Reste à inventer les sentiments qu'il faut pour alléger une dette, comme en littérature, quand vous me lisez c'est que vous avez confiance en moi, vous me faites crédit alors qu'à tout instant vous pouvez fermer le livre et dire foutaises, ou alors faire un pari sur la suite.
Il n'y a pas pire que l'imagination d'une timide.
... le poison de la prudence répandu par des modérés comme Publius et Pline qui, en privé, ne cachent pas leur admiration pour la grande République mais font, à l'ombre de celui qu'ils considèrent comme un tyran, de belles carrières, sans un seul retard, de magnifiques carrières d'hommes lisses, d'hommes sans couleurs, "homines nullius coloris".
Les dieux ne sont pas là pour empêcher les humains de faire des erreurs mais pour les punir quand ils en font. (p.293)