La Peau de Chagrin, roman ou plutôt la tragédie fantastique du XIXe, en trois actes racontant la tragique vie puis l’agonie de Raphaël de valentin, un personnage sur lequel nous reviendrons plus tard.
Dans un premier temps, ce dernier désire ce suicider, et c’est par des magnifiques phrases, qui par ailleurs sont parmi les plus belles phrases de la plus belle écriture que j’ai rencontrée jusqu’à maintenant que l’immense Honoré de Balzac déroulera son roman. Sauf que voilà, le roman ne se déroule pas aussi facilement qu’on pourrait l’espérer. L’écriture est certes belle, magnifique et propre à Balzac, mais parfois on se dit que c’est mieux pour le bien commun ! Elle reste ampoulée, longue et digresse selon moi, et bien que les détails soient utiles pour s’immerger dans l’œuvre, pour s’humidifier jusqu’à l’os de ce récit, de cette histoire ; elle a plus tendance selon moi à nous noyer. Des torrents de détails qui laissent l’auteur plus longtemps les yeux baignant dans le notes et explications que dans le récit en lui-même.
Contrairement à la majorité des gens, j’ai choisit de lire ce livre en premier lieu parce qu’il abordait un homme suicidaire allant se repentir et j’étais intrigué de savoir comment un si grand auteur tel que Balzac allait étudier le suicide et la mélancolie de ce jeune homme. Et sur ce point, je n’ai pas été déçu, le suicide, tantôt comparé à un « sublime poème de mélancolie » tantôt par l’horrible sentiment de solitude ; même lorsque Raphaël de Valentin levait les yeux au ciel « des nuages gris, des bouffées de vent chargées de tristesse, un atmosphère lourde, lui conseillaient encore de mourir ». Balzac a bien retranscrit la solitude et la complexité de la pensée suicidaire, en attestant que c’est une souffrance inouïe difficilement descriptible par des mots, mais que c’est la plus profonde et ignoble de toutes les misères.
Suite aux sublimes larmes pures nettoyant toute mélancolie que m’ont évoquée la tristesse et la solitude de Raphaël dans ce passage, survint celui chez l’antiquaire, en somme, la fin de mon exaltation et le début de l’ennui. Noyé sous toutes ces cascades de descriptions, seul la connaissance de la future peau de chagrin me faisait encore tenir ma lecture. Elle survint après des pages, des lignes et des mots de souffrance inutile. Enfin ! Enfin, j’entendais parler de cette fameuse peau qui a, pour une majorité de lecteurs, été le moteur de leur motivation pour lire La peau de chagrin, ce qui n’étais d’ailleurs pas mon cas et heureusement car cette peau restera assez anecdotique pendant une bonne partie du roman ; ce soi-disant personnage principal de l’histoire se fondra dans les tonnes de détails pendants les trois quarts de l’ouvrage. Toutefois j’en retiendrai l’idée principale du roman, contenue dans une ingénieuse citation : « vouloir nous brûle et pouvoir nous détruit ».
Désirez-vous vivre une vie d’exaltation et de débauche, qui vous apportera une joie intense, mais courte, et qui précipitera votre perte ou désirez-vous vivre longtemps, mais tranquillement, sans beaucoup de secousses, et avec de surcroît, l’ennui de la vie (et l’ennui de ce livre par moment) ? Balzac va nous faire méditer sur ces sujets, en nous posant un grand nombre de questions, sur la débauche, l’argent, les femmes, la bourgeoisie, et bien d’autres. Et cela rapidement lors du fameux dîner, symbolisant l’extase, l’exotisme démesuré, qui nous ferra par ailleurs réfléchir car c’est à travers toutes ces incohérences débitées et proliférées par les invités ainsi que leur ivresse, que seront placées des réflexions sur la société, la politique, mais aussi les femmes, dont une citation sur « La Parisienne », que j’ai beaucoup appréciée : « La Parisienne dont toute beauté gît dans une grâce indescriptible, vaine de sa toilette et de son esprit, armée de sa toute-puissante faiblesse, souple et dure, sirène sans cœur et sans passion, mais qui sait artificieusement créer les trésors de la passion et contrefaire les accents du cœur, ne manquait pas à cette périlleuse assemblée où brillaient encore des Italiennes (…). Des descriptions qui permettront d’introduire Acquelina et Euphrasie, deux prostituées permettant de symboliser la débauche non seulement de l’homme mais aussi de la société tout en dénonçant la place et la représentation des femmes de cette époque. A ce titre, nous pourront dire que à travers son roman, Balzac, au même titre que Stendhal dans « Le rouge et le noir » est également un psychologue (comme l’avait décrit Nietzche), qui dépeint la société et l’analyse, et cela grâce à son outil, le roman, qui est, rappelons-le un miroir que l’on promène sur le sentier, tantôt reflétant à nos yeux l’azur des cieux tantôt la fange des bourbiers de la route. Ainsi le roman de Balzac reflètera ces deux prostituées, « l’une était l’âme du vice, l’autre le vice sans âme » ; qui marqueront une première réflexion sur la débauche, sur ces femmes avide d’argent et de plaisir : « j’aime mieux mourir de plaisir que de maladie ». Toutefois, nous pourrons nous questionner si le vice, l’arrogance et la débauche de ces jeunes femmes ne sont pas, à elles seules, des maladies ayant contaminés l’âme de ces dernières, auxquelles nous avons point envie de ressembler.
Après la découverte de ces deux jeunes femmes, qui resteront assez anecdotique dans l’histoire, nous ferons une rencontre plus en profondeur de Raphaël de Valentin, qui reste tout de même le personnage principal, nous découvrirons son enfance torturée, cette enfance pleine d’illusions, d’un homme désargenté, pur qui, au même titre qu’Eugène de Rastignac, qui reviendra d’ailleurs au passage dans le roman afin de faire entrer Raphaël dans la débauche, ses illusions de jeune homme, cette « délicate fleur de sentiment, cette verdeur de pensée, cette noble pureté de conscience qui nous laisse jamais transiger avec le mal ».
Ainsi, le deuxième partie « La femme sans cœur » nous contera l’histoire de Raphaël. Et c’est dans ce registre qu’apparaîtra la douce Pauline, qui va symboliser la pureté, la gentillesse, cette fleur d’un rouge éclatant mais ombrée, par toutes les lumières de la factice société de l’époque. Pauline est cette femme parfaite, douce et aimante mais qui ne sera pas aimé par Raphaël car cette dernière est trop pauvre pour lui. Raphaël est un ambitieux, voir un opportuniste qui désire « une femme, qui elle aussi, secoue la neige, car quel autre nom donner à ces voiles de voluptueuses mousselines à travers lesquels elle se dessine vaguement comme un ange dans son nuage(…).
Cette femme riche et enviée par tous que désire Raphaël porte un nom, Foedora. Foedora, la femme qui, embellie par le maquillage représente ainsi le maquillage et les artifices de la société de son temps, car comme dit dans la dernière phrase du roman : « Foedora, elle est partout, si vous voulez, c’est la société ». Bien qu’elle soit symbolique et qu’elle serve de représentation de la frustration pour la bourgeoisie de cette époque, qui contrairement au plus précaires tels que Pauline, ne sont pas des gens intéressants ; tout n’est qu’artifice et que mensonge, tout n’est qu’argent et ces gens, bien que remplis de bourses et de paroles d’esprits, sont en réalité, les plus creux au monde. Tout en critiquant la société, et les vices des femmes, Foedora reste un personnage complexe et emblématique de ce roman, on dira même d’elle qu’ « elle peut être expliquée de tant de manières qu’elle devenait inexplicable ». Cette femme complexe et cette société artificielle seront traumatisantes pour Raphaël qui ne parviendra point à obtenir la main de Foedora ni le succès voulu par ce dernier. Sa complexité fait d’elle un personnage intriguant qui a su retenir notre attention.
Apparaîtra ensuite un autre personnage, que nous connaissons déjà, ni plus ni moins que Eugène de Rastignac, héros du célèbre roman « Le Père Goriot », qui, après avoir subi une désillusion après la mort du Père Goriot, sera comme le démon tentateur sur l’épaule gauche de Raphaël qui permettra d’ouvrir un passage de réflexion sur la débauche et sur le fait de pouvoir, qui nous détruit. Toutefois, Balzac décrira la débauche non pas comme un vice horrible, il n’est pas là pour faire la morale mais se place plus comme un philosophe qui saura dire que certes la débauche nous détruit, mais elle « est sans doute au corps ce que sont à l’âme les plaisir mystiques ».
Tout en poursuivant ces réflexions sur la débauche, le jeu et les vices, Balzac poursuivra ses réflexions fort intéressantes sur la société tels que : « Les Français sont égaux devant la loi est un mensonge inscrit en tête de la Chartre. Il n’obéira pas aux lois, les lois lui obéiront. Il n’y a pas d’échafaud, pas de bourreaux pour les millionnaires ! ». En somme, des réflexions qui nous font nous dire que les choses n’ont pas réellement changé à notre époque…
Ensuite commencera la dernière partie de cet ouvrage, « L’agonie », et disons-le nous franchement, la meilleure partie. Meilleure car elle entrera dans le vif du sujet ; meilleure car l’action se déroulera concrètement, car l’histoire nous tiendra en halène et surtout car La peau de chagrin n’aura plus un rôle anecdotique mais deviendra la réelle obsession de Raphaël, qui va se voir mourir à petit feux, après s’être rapidement détruit dans la débauche.
Ce dernier ouvrira les yeux sur Pauline, qui désormais devenue riche paraît sublime et parfaite aux yeux de Raphaël, l’argent rend beau, sûrement. Mais ce bonheur sera de courte durée, car ayant passé tout son temps à se détruire, à s’aveugler de l’illusoire Foedora, sa rétine se rétrécissait et n’apercevais plus Pauline, qui était toujours la même, bien qu’ombrée, mais présente. Raphaël s’est rendu compte trop tard de ce qu’il le rendait heureux, métaphore de la vie et qui nous invite à réfléchir sur comment réellement profiter, en espérant toujours avoir quelque chose et se rendre compte trop tard que ce que nous possédons nous convient ? Cet amour trop beau mais trop court sera merveilleusement retranscrit dans toutes les phrases passionnées et Balzac, que j’ai beaucoup apprécié.
Raphaël sera envoyé en cure, à cause de sa maladie, d’abord dans des bains, ce qui ne lui apportera rien, mais surtout à la montagne dans les eaux de Mont Dore, qui nous permettront de savourer les plus belles descriptions, la plus belle retranscription d’une tranquillité, d’une sérénité, d’une harmonie entre l’homme et la nature, comparable au chapitre X du roman réalité « Le rouge et le noir » de Stendhal, où le héros Julien Sorel aura un moment de proximité rare avec la nature. Toutefois, cette harmonie sera gâchée d’une part par l’obsession de Julien pour la peau de chagrin et sa taille, mais d’une autre part par sort : La mort. Qui ne tardera pas à arriver. Digne d’une grande tragédie antique ou classique de Racine, le héros succombera à ses douleurs dans les bras de Pauline, dans un malheur trop grand pour un bonheur ayant été trop court.
Ainsi, ce roman, qui gravitera autour de l’évolution de Raphaël, ses phases, ses philosophies et ses manières de voir la vie, nous permettront de nous donner toutes les clefs afin de nous ouvrir sur le monde et ouvrir la porte de la réflexion. Grâce à la peau de chagrin, allégorie qui symbolise notre vie et l’impact direct de notre décision sur cette dernière, grâce à ses personnages stéréotypés mais intéressants et surtout avec cette écriture magnifique mais trop chargée, Honoré de Balzac est parvenu à faire un roman qui trouve encore un écho dans notre monde et dans nos cœurs.
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