Citations de Isabel Allende (732)
Santa Maria de la Lluvia était un village somnolent et si éloigné qu'il figurait à peine sur les cartes. Quelques colons y élevaient des vaches aux très longues cornes; les autres exploitaient l'or du lit du fleuve ou le bois et le caoutchouc de la forêt à la recherche de diamants; mais la majorité végétait dans l'attente qu'une occasion quelconque leur tombe miraculeusement du ciel.
- Existe-t-il encore des Indiens qui n'ont eu aucun contact avec la civilisation ? demanda-t-il ?
- On pense qu'il en reste deux ou trois mille, mais en réalité personne ne le sait avec certitude" répliqua le docteur Omayra Torres.
Les soldats gardaient la frontière entre le Vénézuela et le Brésil. D'après la loi, ils devaient aussi protéger les Indiens des abus des colons et des aventuriers, mais dans la pratique ils ne le faisaient pas. Les nouveaux venus occupaient peu à peu la région sans que personne les en empêchât, repoussant les Indiens de plus en plus loin vers les zones inexpugnables, ou les tuant en toute impunité.
Santa Maria de la Lluvia se dressait telle une aberration humaine au milieu d'une nature écrasante, qui à tout instant menaçait de la dévorer.
Seul le bruit du moteur dénonçait la présence humaine dans l'immense solitude de la forêt.
A bord, les radios ne recevaient plus les messages personnels de Manauw ni n'assourdissaient avec leurs rythmes populaires,les hommes se taisaient tandis que la nature vibrait au son d'un orchestre d'oiseaux et de singes.
A mesure qu'ils remontaient le Río Negro, la végétation devenait plus voluptueuse, l'air plus dense et plus parfumé, le temps plus lent et les distances plus incertaines. Ils avançaient comme en rêve dans un territoire fantastique.
Il crut que c'était un requin et son cœur cessa de battre, mais le poisson fit un tour très bref et revint, curieux, s'approchant si près qu'il put voir son sourire. Cette fois son cœur fit un bond et il dut se retenir pour ne pas crier de joie. Il nageait avec un dauphin ! Les vingt minutes suivantes qu'il passa à jouer avec lui comme il le faisait avec son chien Poncho, furent les plus heureuses de sa vie. Le magnifique animal nageait autour de lui à toute allure, sautait par-dessus, s'arrêtait à quelques centimètres de son visage, l'observant avec une expression sympathique. Parfois il passait tout près et il pouvait toucher sa peau, qui n'était pas douce comme il l'avait imaginé, mais plutôt rugueuse.
Plusieurs fois par jour tombait une brève pluie torrentielle; il dut s'habituer à l'humidité constante, au fait que les vêtements ne séchaient jamais complètement.
Il ne disposait plus des commodités qu'il utilisait autrefois sans y penser, comme un lit, des toilettes, l'eau courante, l'électricité.
La nuit, des points colorés apparaissaient entre les taillis : c'étaient les yeux des caïmans épiant dans l'obscurité.
A l'aube, ils voyaient des dauphins roses sauter au milieu de l'eau et des centaines d'oiseaux passer dans l'air. Ils virent aussi des lamantins, ces gros mammifères aquatiques dont les femelles sont à l'origine de la légende des sirènes.
On était sur une planète d'eau : la vie s'écoulait à naviguer lentement, au rythme du fleuve, des marées, des pluies et des inondations. De toutes parts, il y avait de l'eau. Des centaines de familles vivaient là, qui naissaient et mouraient dans leurs embarcations sans avoir passé une seule nuit sur la terre ferme; d'autres habitaient dans des maisons sur pilotis, sur les rives.
Les deux premiers jours, ils croisèrent des embarcations de toutes sortes, depuis des canots à moteur et des maisons flottantes jusqu'à de simples pirogues taillées dans des troncs d'arbres, mais plus en amont ils se retrouvèrent seuls dans l'immensité de ce paysage.
Le début du voyage sur le Río Negro fut surtout un exercice de patience. Ils avançaient à l'allure d'une tortue et dès que le soleil se couchait, ils devaient s'arrêter pour éviter d'être heurtés par les troncs que charriait le courant. La chaleur était intense, mais au crépuscule la chaleur tombait, et pour dormir il fallait se protéger d'une couverture.
Avec tout le respect que je vous dois, professeur, dit-elle, je n'ai pas l'impression que les Indiens soient aussi féroces que vous le dites, au contraire, la guerre est plutôt un cérémonial chez eux : un rite qui a pour but d'éprouver le courage. Ils se peignent le corps, préparent leurs armes, chantent, dansent et partent faire un raid dans le shabono d'une autre tribu. Ils se menacent et se donnent quelques coups de bâton, mais il y a rarement plus de un ou deux morts. Dans notre civilisation c'est l'inverse : il n'y a pas de cérémonie, seulement un massacre.
Les paysans sans terre et les travailleurs sans emploi arrivaient en masse en quête de nouveaux horizons , mais nombreux étaient ceux qui echouaient dans des baraques, sans ressources et sans espoir.
Alex constata que Manaus, située à la confluence de l'Amazone et du Río Negro, était une grande ville moderne, avec des immeubles hauts et une circulation accablante, mais sa grand-mère le prévint que la nature y restait indomptée et qu'en période d'inondation des caïmans et des serpents apparaissaient dans les cours des maisons et dans les cages d'ascenseur. C'était aussi une ville de trafiquants où la loi était fragile et facilement battue en brèche : drogues, diamants, or, bois précieux, armes. Moins de deux semaines plus tôt, on avait découvert un bateau rempli d'une cargaison de poissons ...dont chacun était bourré de cocaïne.
En descendant de l'avion, à Manaus, la touffeur sur la peau leur fit l'effet d'une serviettte trempée dans l'eau chaude.
- Avec l'âge, on acquiert une certaine humilité, Alexander. Plus je vieillis, plus je me sens ignorante. Seuls les jeunes ont des explications pour tout.