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Citations de Jacqueline Kelen (297)


Il s’agit de passer de l’état de victime, consentant à son mal, à celui de sujet conscient et responsable, à l’état de vivant. Il s’agit de s’éveiller, de quitter son cocon ou sa chère prison de souffrances. L’homme nouveau, l’homme éveillé, n’est pas celui à qui il est arrivé des choses extraordinaires, mais celui qui a ressenti avec acuité, fulgurance, et de façon irréversible, l’obligation de se libérer. En jouant avec le mot grec pathos et le mot latin passio qui ont fourni à la langue française la « pathologie » et la « passion », où l’on ne retient que l’homme qui subit, qui souffre, tel un patient en attente de guérison, je dirai que la voie proposée par Sophocle [dans la pièce Philoctète], et par tout récit initiatique, consiste à tirer l’homme de son état pathologique, triste et passif, pour en faire un homme de passion – de haute, de noble passion. Et on ne peut vivre passionnément sans être passé par la blessure et sans l’avoir dépassée.
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Je discerne trois facteurs puissants qui permettent à coup sûr d’asservir l’être humain : la souffrance (et son corollaire le « bonheur », le plaisir, le bien-être) ; la peur (et son corollaire la « pensée positive », le « tout va bien », le triomphalisme) ; et le péché (ou la licence).
Maintenir les citoyens dans la peur et l’angoisse, ne parler que de crimes, de maladies, de chômage et de catastrophes : cela est du ressort politique et idéologique.
Maintenir l’homme dans l’obsession du péché, de la faute, dans la faiblesse, la honte et la culpabilité : cela est du ressort du religieux.
Enfin, ne parler qu’en termes de souffrance et de guérison, de mal-être et de bien-être, cela est du ressort médical et thérapeutique.
Le repentir et le pardon, liés à la fois au péché et à la souffrance, voire à la peur, contribuent bien sûr à l’entreprise de soumission générale.
Quels sont donc les antidotes, puissants comme il se doit, qui permettent à un être humain, non encore totalement laminé, d’accomplir sa noblesse et sa liberté et, d’abord, de se redresser ?
Face à la peur : assumer le risque, s’aventurer, exercer son courage, développer l’audace et le défi, dédaigner toute sécurité.
Face au péché : garder le sens de l’honneur, de la fierté, de la dignité personnelle, pratiquer les vertus, avoir le sens et le goût de la grandeur.
Face à la souffrance : cultiver le désir, l’amour de la beauté, s’adonner à la création artistique, faire silence, aimer.
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Toute mystique est une érotique en ce sens qu’elle célèbre un éros qui participe du Divin – et qui vit d’altérité et de mystère, d’éloignement et de retrouvailles. Elle chante le jeu et la joie du désir, irrésistible attirance qui mène à une contemplation éperdue.

Le désir est le médiateur inlassable entre le sensible et le spirituel, il assure le fin passage de la chair à l’esprit, de l’esprit à la chair.

Le désir illimité que ressent le mystique est l’humaine réponse donnée à l’incommensurable Amour. Dès lors, il ne s’agit pas tant de réfréner ses élans, de supprimer tous les appétits afin d’aborder au domaine éthéré de l’amour, que de faire refléter l’amour divin en un désir humain mais immense, mais flamboyant et beau. Là où l’ascèse enseigne la coupure, le détachement (pour passer de la convoitise à l’amour désintéressé, de l’éros à l’agapê), la mystique parle de noces et de miroir, unissant tous les plans de la réalité. Le sentiment d’être aimé de toute éternité éveille chez l’être humain un désir infini. Et ce désir suscité par l’Amour ne connaîtra nul répit jusqu’à l’instant improbable où il pourra savourer le temps éternel de l’union première.
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Énigme, secret, mystère correspondent à divers degrés ou divers lieux de l’âme. On pourrait proposer les comparaisons suivantes : l’énigme serait le labyrinthe ; le secret logerait en la chambre ; et le mystère serait représenté par l’espace à l’intérieur des murs et tout autour des murs. L’énigme est compliquée mais explicable : elle se résout par la sagacité et correspond au langage articulé. Le secret s’adresse au cœur, il est lié à l’amour, au sommeil, à la musique : il peut se révéler par le poème, par le chant. Quant au mystère, il demeure insondable et requiert l’adoration : devant lui, seul tient le silence. Peut-être que l’adoration muette, précédant le chant et le langage, fut le premier état de l’homme, son état paradisiaque, ébloui…

L’adoration… Cet état sublime que parfois connaît l’être humain en des moments exceptionnels, des moments qui sont la réalité pure, peut apparaître à beaucoup passivité, allégeance, voire servitude. Or l’adoration signe et célèbre la rencontre avec le divin : c’est l’assomption de la parole et l’apothéose de l’être. Mais ce chemin de sagesse demeure peu fréquenté parce que l’activité – physique, cérébrale, langagière – semble définir toute l’existence humaine.

D’abord on cherche le sens des choses, on veut percer les secrets de la Nature, de l’homme. Puis vient non la lassitude mais l’écoute, l’attentive patience – le commencement de la sagesse. Dès lors le sens s’évapore, il ne pèse plus face au mystère sans fond et sans explication. Ce sens des choses si fiévreusement scruté fait place à la beauté des choses, une beauté tranquille, incompréhensible, presque stupéfiante dans son innocence, dans sa gratuité. L’homme qui cherchait, l’homme qui voulait savoir devient un homme éperdu : désormais la louange et la contemplation emplissent son cœur et toute sa vie…
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– Peut-on conjuguer à la fois fierté et humilité ? C’est un exercice de haute voltige !
– C’est l’équilibre souverain. En lisant L’Échelle sainte de Jean Climaque, j’avais recopié cette phrase magnifique qui commence ainsi : « Sois comme un Roi dans ton cœur… » Ce n’est pas un conseil, mais un ordre pressant, un impératif qui s’adresse à chacun, tel le « viens et suis-moi » de Jésus. L’ermite du Sinaï ne dit pas : « sois un roi », ce qui pousserait à l’orgueil et à la satisfaction, mais il prend l’image du roi pour évoquer la puissance, l’éclat, la liberté aussi de qui gouverne ses passions et règne sur sa vie intérieure. Cette royauté ne s’exerce pas au vu et au su de tous, elle ne porte pas à la vaine gloire et ne réclame nul privilège. Elle s’établit dans le secret, dans le cœur caché que ne perçoivent pas les hommes, mais dans lequel plonge le regard de Dieu. C’est pourquoi Jean Climaque écrit : « Sois comme un Roi dans ton cœur, siégeant sur le trône élevé de l’humilité. » Ce trône est, comme le roi, invisible et le paradoxe n’est qu’apparent : on s’élève par l’humilité. Dans sa Règle, saint Benoît, au Ve siècle, énonce que le moine doit « gravir les degrés de l’humilité » et, se référant à l’échelle de Jacob, il ne décrit pas moins de douze degrés de l’humilité.
Conjuguer la fierté et l’humilité, c’est le roi qui n’oublie pas qu’il est un homme, nécessairement imparfait et faillible, mais ne se démet pas pour autant de ses fonctions de roi, ne renonce pas à la vocation transcendante de l’être humain. Ainsi, l’humilité et la fierté sont indissociables dans une démarche spirituelle, elles se soutiennent et se tempèrent l’une l’autre. S’il s’humilie sans arrêt, le chrétien risque de sombrer dans le dégoût et le désespoir ; mais à ne considérer que sa grandeur, il risque de s’enorgueillir et de se croire arrivé en haut de l’échelle. On rappelle souvent l’étymologie du terme humilité qui vient du latin humus, le sol ; mais cela n’entraîne pas qu’on doive se tenir plus bas que terre. J’y lis davantage la fertilité de l’humus, capable de nourrir les petites pousses spirituelles. Pour ma part, je préfère les termes de modestie, de discrétion, d’effacement, et j’attribue à une attitude véritablement humble aussi bien le silence gardé sur les mérites personnels et les progrès spirituels accomplis que sur les grâces et les lumières reçues du Ciel. Loin d’être ignorant ou accablé, l’homme humble mesure avec lucidité tout le chemin qui reste à parcourir et il s’y emploie avec patience et détermination.
J’aimerais parler aussi du repentir, un sentiment qui n’a plus guère cours à une époque où chacun se trouve des excuses à tout propos. Se repentir, au sens chrétien, ce n’est pas seulement regretter l’erreur qu’on a commise, le mal qu’on a fait, et s’en confesser, c’est se rendre compte que l’on a ainsi trahi ou terni son Image céleste, qu’on a laissé s’abîmer en soi la Gloire de Dieu. C’est pourquoi le repentir induit la réparation et le retour au Seigneur. Il est dynamique et non pas désolant : il prend appui sur la terre ferme de l’humilité afin de se redresser et de retrouver la fierté spirituelle. Se repentir, ce n’est pas se morfondre, c’est remonter la pente, et la remonter jusqu’à Dieu.
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– Vous faites une nette différence entre écrire et devenir écrivain.
– Oui, tout le monde écrit aujourd'hui, c'est-à-dire veut se raconter, « s’exprimer » selon l’injonction du temps. Or, l’écriture comme art n’est pas un exutoire ni un document, mais une création singulière et une re-création de la réalité, avec la langue appropriée. Quant à se dire écrivain, il faut attendre que beaucoup d’encre passe sous les ponts : il faut un style, un univers très reconnaissable, une approche originale, c'est-à-dire qui n’appartient qu’à soi et bien sûr, quelque chose à dire de plus vaste que sa petite personne. Ainsi, quelqu'un peut être l’auteur de nombreux livres à succès sans être du tout un écrivain, sans mériter ce beau qualificatif. Comme tout véritable artiste, un écrivain touche à l’universel et s’inscrit dans l’intemporel, loin de se réduire à l’actualité. Et il œuvre toute sa vie durant. Tel l’alchimiste qui se partage entre l’oratoire et le laboratoire, il réfléchit, écoute, fait silence, médite longuement avant d’agir sur la matière qu’est la langue, avant de travailler les mots, le rythme, les sonorités. C’est une passion puissante qui réclame une longue patience ; c’est une tâche ardue qui parfois est visitée de la grâce et reçoit l’inspiration.
– Avez-vous une discipline particulière au travail ?
– Oui, lorsque j’entre en écriture, comme on dit entrer en religion, je ne me permets aucun arrêt, aucune récréation. Chaque jour que Dieu fait, ou que Thot accorde, je m’assieds à mon bureau, sept ou huit heures d’affilée, quel que soit mon état, sans m’accorder la moindre excuse. Le soir, parfois, j’ai rédigé trois ou quatre pages que j’estime achevées, bien travaillées, parfois seulement la moitié d’une. Et je sais que, le lendemain, je serai fidèle au poste, jusqu’à ce que j’aie terminé le livre.
– Avez-vous, comme l’on dit, l’angoisse de la page blanche ?
– Non. Non pas que je suis sûre de moi, mais parce qu’écrire dépend à la fois de moi, d’un travail assidu, et ne dépend pas de moi. J’ai une sorte de confiance, ou plutôt de sereine assurance qui ressemble à la foi : je sais que j’y parviendrai parce que je serai soutenue. J’y parviendrai au mieux grâce à une ascèse rigoureuse, à mes ressources personnelles, mais aussi grâce à ceux qui dans l’invisible veillent sur mon travail et parfois me soufflent à l’oreille… Je n’écris pas pour moi, pour me dresser une statue, ni pour devenir célèbre. J’écris parce que je le dois : afin de faire fructifier ce qui m’a été donné, et par là remercier. J’essaie de révéler ce que Albert Béguin nomme « l’infini derrière les choses ». La page blanche ne me fait pas peur, elle m’invite plutôt à une extrême délicatesse : l’art d’écrire ne consiste pas à « noircir » des pages, mais à y déposer des signes, des lueurs, telles les traces que les oiseaux laissent sur la neige.
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L’élan créateur, indissociable de l’élan d’amour, défie la mort et construit sur l’irréparable. Certains ont déclaré qu’après Auschwitz (on pourrait dire, aussi bien, après le génocide du Cambodge) on ne pouvait plus écrire de poésie. Au contraire, il faut plus que jamais chanter. Non pour nier ou oublier l’horreur mais pour affirmer glorieusement qu’il y a plus fort qu’elle : la beauté, l’amour, unis dans l’œuvre d’art. Je pense aussi au peintre Hundertwasser dont la biographie indique un trou de quelques années, en face de quoi l’artiste a sobrement écrit : « chagrin d’amour ». Et puis la vie repart, la création reprend. Le peintre a-t-il fait une nouvelle rencontre ? Ce n’est pas sûr, du reste devenir amoureux n’est pas en notre pouvoir. Mais il a eu le courage de se remettre à la tâche (et cela est donné à tous). En créant, l’amour revient aussi, de façon circulaire, et l’amour à son tour alimente l’œuvre. C’est toujours l’histoire du jeune homme plein de foi et de vigueur face au vieil Amfortas qui perd tout son sang. L’élan créateur vient là pour panser les blessures et leur donner sens. À juste titre l’artiste peut se sentir, comme le chevalier et comme Don Quichotte, porteur d’une mission cosmique, salvatrice : il ne crée pas pour affirmer son individualité, son originalité, mais pour transmettre le fil de l’Âge d’or, pour faire revenir sur terre – si souvent gaste, stérile – l’amour et la beauté, pour vaincre ou transfigurer la détresse du monde. En ce sens Kazantzákis déclarait : « Mon but quand j’écris n’est pas la beauté, c’est la rédemption. » Le grand artiste est un passeur. Il a pour tâche de maintenir le lien entre Ciel et Terre et de faire tourner la Roue.
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De même que notre époque a inventé les nouveaux pères quand le couple s’est montré défaillant, quand les divorces et les mères célibataires se sont trop accrus, afin de rassurer tout le monde, de même la tendresse comme « valeur sûre » vient à point nommé pour dissimuler le constat effarant et colmater la brèche qui grandit en Occident : le déclin du courage, la défaite de la pensée et la lâcheté ordinaire.

Tant que la tendresse sera le refuge des faibles, des couards et des paresseux, de tous ceux qui n’osent pas vivre sur d’autres registres, elle demeurera suspecte. Car la tendresse est un aboutissement, non un abêtissement. Le futur héros quitte le giron maternel, il s’éloigne de la terre natale pour découvrir, rencontrer, faire ses preuves. Le courage est premier, le courage inhérent au guerrier. C’est une vertu nomade, une énergie centrifuge. Sur le chemin le héros rencontrera l’amour, la beauté, la magie, la folie, l’horreur, la douleur, tant d’autres expériences, puis il éprouvera, s’il n’est pas mort en route, le désir du retour, le besoin de revoir son pays, sa famille, de prendre femme. La tendresse, comme la nostalgie, est une vertu tranquille – comme on parle d’un vin tranquille –, une énergie centripète. Elle n’inspire pas la quête, elle peut l’achever.

Il est aberrant de souhaiter avant tout un « homme tendre » : ce faisant on court-circuite le voyage initiatique, on bloque le développement du héros. Toutes les femmes qui continuent de demander aux hommes de « montrer leur tendresse », d’« exprimer leurs émotions », de « développer leur part féminine », etc., se trompent complètement. Il faut d’abord leur demander de montrer leur courage, leur ardeur généreuse. Le reste – la façon s’aimer – suivra… ou non. L’amour n’est pas pour les lâches. Notre monde n’a pas besoin de « gentils garçons » mais d’hommes valeureux.

Que peut valoir un amant qui n’ait fait l’expérience du voyage, du dépaysement, de la solitude, du danger ? L’amour n’est-il pas un haut défi, un rare combat singulier ? C’est pourquoi le héros du mythe n’en fait pas l’expérience tout de suite, moins pour ménager ses forces que pour les exercer et acquérir de la finesse. Et s’il s’est montré hardi dans l’épreuve, loyal dans les rencontres, il ne fuira pas la joute amoureuse et s’y livrera en jouant de toutes ses ressources – non seulement la force physique mais le raffinement, l’imagination, la magie, la ferveur, la délicatesse, le savoir… L’amour n’est pas pour les rustres ni pour les débutants.
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Jamais un héros ne souhaite se protéger – des difficultés, du mal ou du malheur, des autres, du hasard ou des intempéries. Il aime affronter, ressentir, il ne se dérobe jamais. C’est pourquoi son sens de l’épreuve va de pair avec son goût de rencontrer. Ce pourrait être une définition, parmi d’autres, du héros : celui qui va à la rencontre… Les épreuves comme les rencontres, quelle que soit leur nature, loin de perturber le héros, l’enrichissent toujours et lui offrent du nouveau. On ne sait qu’après si la rencontre est bénédiction ou douleur, qu’après l’avoir vécue. Dans le domaine initiatique, on ne peut rien prévoir mais s’attendre à tout. Ainsi certaines horribles rencontres sont des signes d’élection : le héros solaire est de taille à affronter le Mal, il ne va pas perdre son énergie à des peccadilles. Les tentations, les épreuves affreuses et les rencontres violentes sont là moins pour faire vaciller l’âme du héros que pour lui donner sa mesure. En ce sens elles ne sont pas proposées à tous. L’homme le plus malheureux est bien celui à qui il n’arrive jamais rien, dont l’existence ne connaît pas de vagues, et non celui qui traverse des périls, connaît des crises et des maladies.
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La vertu, c’est le courage de devenir ce qu’on est de plus beau.
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C’est pour dormir enfin, dormir jusqu’à la fin du monde, qu’Ulysse a déjoué tous les pièges terrestres et marins, bravé tous les périls, espéré sans relâche. Il n’a pas gagné la guerre, mais le sommeil, et il va recueillir le plus précieux des trophées : son lit. Ce n’est pas un héros fourbu qui rentre se reposer, c’est un homme qui va, grâce au sommeil si longtemps différé, définitivement échappé au temps. « Mais gagnons notre lit, ô femme ! Il est grand temps de dormir, de goûter le plus doux des sommeils ! « Le grand aède clôt son chant au seuil de la chambre des époux réunis. Son poème s’achève, le sommeil va le relayer, entonnant une ode cosmique. Tant d’années, tant de mots, tant de combats et de navigations, tant d’assonances et de rythmes pour aboutir à un lit. Pour dormir. Ulysse rejoint la bien-aimée en même temps que le sommeil – et pouvait-il, en naviguant dans les contrées périlleuses, en rêvant sous les étoiles, pouvait-il les séparer en son cœur d’homme fort ?... Souvent, je me dis que c’est ma plus belle raison de vivre et je m’emploie à dormir comme une oursonne, à célébrer l’amour et le sommeil en des chambres d’écriture. Ulysse est un héros et a mérité de passer à la postérité pour avoir donné le fin mot au sommeil de l’amour et à l’amour du sommeil.

Il entre dans la chambre, dans la nuit des merveilles. Il enlace le monde en même temps que sa bien-aimée. Il s’appelait Ulysse et elle, la plus sage des femmes, avait pour nom Pénélope. « Mon prince, lui dit-elle en s’asseyant sur le lit, vous vous êtes bien fait attendre. » Lui ne répondit pas. Il n’était revenu que pour la retrouver et pour dormir. C’est la même chose. Le même amour clair, fou, qui ne vous lâche pas. Mon guerrier, mon héros, vous vous êtes bien fait attendre, j’avais tant envie de dormir et tant envie de vous. C’est la même chose. Le même désir insensé qui vous fait vivant. Et très doucement ils refermèrent sur eux, sur leur légende, la porte de la chambre. Ils s’endormirent dans l’amour, dans les étoiles, dans leur lit, dans le corps de l’autre, on ne saura jamais. Ils dorment, ils s’aiment. C’est la même chose. Dans la voûte étoilée, la grande Ourse n’a jamais cherché à démêler les affaires humaines des entreprises divines et comme Pénélope le faisait sur la terre d’Ithaque, elle tisse serré l’amour avec le sommeil, la beauté avec le bonheur, la perfection avec la joie. Ils s’appelaient Ulysse et Pénélope. Ils ont tout oublié. Ils vivent dans l’absolu. Passez votre chemin, marchez sur la pointe des pieds et mettez un doigt devant votre bouche. Ne les dérangez pas, ils s’étaient attendus si longtemps pour dormir ensemble. Ne dévoilez pas leur secret. Le sommeil est un amour éternellement heureux.
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Toute société matérialiste évacue l’amour comme le sommeil : ils sont libres et trop ensoleillés ; ils lui font peur, en lui montrant sa petitesse.
Car le sommeil, comme l’amour et comme la joie, c’est le monde de l’excès et de l’insondable. L’être humain qui en fait l’expérience sent que l’univers vient à lui, le dilate, le déplie à des dimensions d’étoiles, que l’univers est devenu son corps. Dans le sommeil, dans l’amour ou dans la joie, je ne suis plus un individu étriqué, je suis un être cosmique ; libéré de l’existence, je me retrouve dans l’infini.
Cet excès de sensations, ce débordement voluptueux, cette démesure qui seule est l’aune des héros, des mystiques et des vrais poètes, ne peuvent qu’effarer les citoyens conformes.
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Si mon cher petit moi seul m’intéresse, si je ne peux parler que de mes soucis, de mes activités, de ma vie, il ne faut pas escompter trop d’amis. Si j’ai peur de l’autre, si en parlant j’ai peur de me dévoiler, peur d’être jugé, si j’ai peur de souffrir, je ne me risquerai pas dans l’amitié, et de la relation amoureuse je ne connaîtrai que l’aspect confiné. L’amitié ne fait pas de cadeau : là où le sentiment amoureux peut se contenter de l’attrait physique, du narcissisme à deux, l’amitié nécessite une ouverture véritable et une richesse intérieure à partager. L’amitié comme l’amour vrai commencent là où s’effacent l’égoïsme, la peur, et leur cortège mouvant.
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L’amitié au sein d’un couple rappelle à l’un et à l’autre qu’il y a un temps pour s’unir et un temps pour la solitude, un temps pour partager et un temps pour faire silence, un temps pour l’étreinte et un temps pour le retour à soi. Elle rappelle aussi que l’intimité ne se réduit pas à la relation charnelle, qu’elle requiert le partage de l’intériorité, le dialogue d’âme à âme, elle oriente et illumine une étreinte qui, au lieu de se contenter d’une satisfaction sexuelle, témoigne de la beauté, du mystère et du sacré des êtres. Là, elle devient amour.
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L’amitié libère là où le sentiment amoureux attache, elle engage là où les liens familiaux obligent. À un ami, à une amie, à quelqu'un que j’aime sans égoïsme, je peux dire : je n’ai pas « besoin » de toi, je n’ai pas de droits sur toi, mais la vie est plus belle, plus riche, plus amusante, plus douce ou plus profonde grâce à toi. L’amitié est une relation de non-désir, au sens où l’entendait Bouddha, une relation de lâcher-prise et d’abandon de l’ego : c’est certainement la raison majeure qui fait d’elle une relation sans souffrance.
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Il n’est pas sûr que les sanglots soient à l’opposé des éclats de rire, ni que les larmes silencieuses disent le contraire du sourire radieux…
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La question pour moi demeure – et ce n’est pas simplement une boutade : le nombre de médecins et de thérapeutes s’accroît-il parce que les malades sont de plus en plus nombreux ou bien y a-t-il de plus en plus de gens malades ou malcontents parce que les thérapeutes prolifèrent ? 
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