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EAN : 9782226149169
161 pages
Albin Michel (26/01/2006)
2.7/5   5 notes
Résumé :
Dans une société qui veut tout maîtriser et rentabiliser, Jacqueline Kelen nous propose ici une célébration très personnelle du sommeil, moment de grâce et de plénitude, école de liberté et exercice spirituel.

C'est dans leur sommeil que les grands héros des mythes se sentent vulnérables, mais c'est aussi en ce temps privilégié de disponibilité que Dieu choisit de parler aux hommes, comme Jacob et Joseph en font l'expérience selon la Bible.
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Ouvrage intéressant avec un thème à la fois original et profond : le sommeil. Toujours dans le canevas mythologique de Jacqueline Kelen.
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Citations et extraits (5) Ajouter une citation
En visitant le Musée du Caire, il y a plusieurs années, j’ai ressenti un profond malaise et j’ai vite quitté la salle réservée aux momies, tout en faisant pour elles une prière au ciel. Pour moi, c’était un aussi grave sacrilège d’exposer là, sous vitrine, aux regards des touristes et des curieux, des momies en détresse que de les avoir arrachées à leurs sépultures. On les dérangeait dans leur immortalité, on profanait leur corps glorieux. Que dire des scientifiques qui ont osé dérouler les bandelettes de Ramsès II et radiographier son corps maigre, à seule fin de faire des analyses qui jamais ne fourniront la moindre parcelle d’éternité ?

On ne réveille pas le chat qui dort et on n’exhibe pas une momie. Ceux qui n’ont aucun sens du mystère n’ont aucun respect de la vie : une même démarche matérialiste ouvre tranquillement les tombeaux (« les morts sont bien morts ») et pratique la vivisection (« on peut sacrifier des millions de vies pour le progrès »). Ces violeurs de sépultures et de sommeils sont à l’image d’une société qui a perdu son âme ; une société qui rassure ses citoyens en leur donnant, en échange de l’éternité, les dérisoires certitudes de combinaisons chimiques et hormonales. Je ne crois pas particulièrement à la chute originelle, mais la chute dans laquelle nous précipite une conception scientifique de l’homme, je la constate de jour en jour, avec horreur et désespoir. Et les considérations éthiques, tarte à la crème de ces profanateurs, s’avèrent impuissantes dans un tel contexte. La seule éthique qui permette de respecter les vivants et les morts est le respect du mystère, la reconnaissance de l’absolu. Je ne fais pas de différence fondamentale entre les médecins expérimentateurs des camps de concentration et certains biologistes patentés d’aujourd'hui. Si l’homme n’est qu’une mécanique, un ensemble de tuyauteries, d’hormones, de substances chimiques, on ne voit pas pourquoi on s’empêcherait de bricoler cette machine, comme le garagiste fait avec les voitures. Les humains comme les animaux deviennent du matériel de laboratoire.

La véhémence que j’exprime n’est pas un détour qui éloigne du sujet. Elle précise la richesse qui gît dans le sommeil et que tant de savants veulent réduire à néant : la qualité d’éternité. Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir, entend-on dire communément. Pour moi, tant qu’il y a le sommeil, il y a l’immortalité. Je ne m’étonne pas du tout que les contemporains consomment des somnifères en quantités énormes. Une société insomniaque est une société qui a perdu le sens de la transcendance. Les machines, les ordinateurs, les automobiles et autres engins ne dorment pas. Qu’on cesse de nous rabâcher que le sommeil est un besoin physiologique, que nos muscles et notre cerveau se reposent la nuit. Le sommeil est l’attestation ultime de notre nature spirituelle, le dernier bastion où chaque individu peut renouer librement avec l’absolu. Si nous n’étions que des hommes-machines, nous n’aurions pas envie de dormir. Ne jamais sacrifier son sommeil, dormir tout son content, c’est l’ultime résistance face à la charge matérialiste, à une pensée scientifique réductrice, face à l’entreprise d’avilissement généralisé. C’est un bouclier transparent mais efficace contre tous les violeurs de mystère et de momies qui dissèquent et expérimentent parce qu’ils haïssent la vie et la beauté.
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Dormir ensemble est empreint de noblesse, « coucher avec » a des relents de vulgarité. L’amour courtois qui illumina le Moyen Âge à l’aurore du XIIe siècle avait imaginé un rituel pour éterniser le désir et pour que la passion survive à l’étreinte de chair. Le service amoureux imposé par la dame au chevalier ou au troubadour relève de l’héroïsme. L’amour est indissociable de la prouesse : non seulement l’exploit guerrier, l’action d’éclat, mais le défi intérieur, l’affinement extrême des sentiments et sensations. Parmi les épreuves imposées figure celle du dormir ensemble. Les amants de cœur sont allongés dans le verger, dans la forêt, sous la courtine, ils peuvent même – immense faveur accordée par la dame – passer la nuit ensemble, mais si le troubadour cherche l’assouvissement, il n’est pas un amant véritable, valeureux. Cette épreuve d’amour, « asag » ou « assays », très pratiquée au XIIIe siècle, ne veut pas le mépris du corps mais l’exaltation du long désir. Rien à voir avec les tentations d’ermites au désert ni avec la maîtrise d’un Socrate dormant sans faillir auprès du bel Alcibiade. Il ne s’agit pas de dépasser les sens, de renier la chair, mais de porter la passion à son plus haut point d’incandescence, de garder le désir dans sa fraîcheur première. Une façon splendide de se maintenir dans un état de perpétuelle adoration. Le sommeil partagé permet de transfuser les âmes et d’unir les cœurs, mais refuse l’acte commun. Les caresses, les baisers, l’enlacement sont permis et même recherchés, les amants peuvent dormir nus (quelle folie !), mais la fin’amor ne sombrera pas dans « l’amars » ou la « drudaria » ordinaires. […]

Cet amour infaisable est loin d’être malheureux et, d’abord, il nous donne une leçon de magnificence, il nous rend à nos rêves d’immensité. Le désir qui, dans la nuit, s’affronte en combat singulier avec le sommeil, c’est notre humanité aux prises avec l’idéal, c’est le besoin d’accaparer face à l’horizon chimérique. Pour moi qui n’ai jamais vraiment quitté le XIIe siècle provençal et que ravit le mot de « sobramor » (excès d’amour), le rituel de l’asag est plein de sens. Amour inaccessible, non pas vain. Les héros, les mystiques, les parfaits amants savent que seul l’impossible vaut d’être tenté et que le rêve mérite d’être pris au sérieux.

Ces jeunes gens qui croyaient en l’amour démesuré devaient forcément rencontrer un jour le monde insondable du sommeil. Et ils se sont livrés à l’un et à l’autre éperdument, y reconnaissant même pureté et même mystère. La pureté indique quelque chose d’entier, sans mélange ni compromis, et le mystère est au fond la seule chose dont un poète ne puisse douter. L’expérience de l’amour au sein du sommeil partagé est un mystère devant quoi on doit faire silence.
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C’est pour dormir enfin, dormir jusqu’à la fin du monde, qu’Ulysse a déjoué tous les pièges terrestres et marins, bravé tous les périls, espéré sans relâche. Il n’a pas gagné la guerre, mais le sommeil, et il va recueillir le plus précieux des trophées : son lit. Ce n’est pas un héros fourbu qui rentre se reposer, c’est un homme qui va, grâce au sommeil si longtemps différé, définitivement échappé au temps. « Mais gagnons notre lit, ô femme ! Il est grand temps de dormir, de goûter le plus doux des sommeils ! « Le grand aède clôt son chant au seuil de la chambre des époux réunis. Son poème s’achève, le sommeil va le relayer, entonnant une ode cosmique. Tant d’années, tant de mots, tant de combats et de navigations, tant d’assonances et de rythmes pour aboutir à un lit. Pour dormir. Ulysse rejoint la bien-aimée en même temps que le sommeil – et pouvait-il, en naviguant dans les contrées périlleuses, en rêvant sous les étoiles, pouvait-il les séparer en son cœur d’homme fort ?... Souvent, je me dis que c’est ma plus belle raison de vivre et je m’emploie à dormir comme une oursonne, à célébrer l’amour et le sommeil en des chambres d’écriture. Ulysse est un héros et a mérité de passer à la postérité pour avoir donné le fin mot au sommeil de l’amour et à l’amour du sommeil.

Il entre dans la chambre, dans la nuit des merveilles. Il enlace le monde en même temps que sa bien-aimée. Il s’appelait Ulysse et elle, la plus sage des femmes, avait pour nom Pénélope. « Mon prince, lui dit-elle en s’asseyant sur le lit, vous vous êtes bien fait attendre. » Lui ne répondit pas. Il n’était revenu que pour la retrouver et pour dormir. C’est la même chose. Le même amour clair, fou, qui ne vous lâche pas. Mon guerrier, mon héros, vous vous êtes bien fait attendre, j’avais tant envie de dormir et tant envie de vous. C’est la même chose. Le même désir insensé qui vous fait vivant. Et très doucement ils refermèrent sur eux, sur leur légende, la porte de la chambre. Ils s’endormirent dans l’amour, dans les étoiles, dans leur lit, dans le corps de l’autre, on ne saura jamais. Ils dorment, ils s’aiment. C’est la même chose. Dans la voûte étoilée, la grande Ourse n’a jamais cherché à démêler les affaires humaines des entreprises divines et comme Pénélope le faisait sur la terre d’Ithaque, elle tisse serré l’amour avec le sommeil, la beauté avec le bonheur, la perfection avec la joie. Ils s’appelaient Ulysse et Pénélope. Ils ont tout oublié. Ils vivent dans l’absolu. Passez votre chemin, marchez sur la pointe des pieds et mettez un doigt devant votre bouche. Ne les dérangez pas, ils s’étaient attendus si longtemps pour dormir ensemble. Ne dévoilez pas leur secret. Le sommeil est un amour éternellement heureux.
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Le rêve indique une communication tandis que le sommeil offre un état de communion. Le savoir se tient à distance de son objet d’étude, la connaissance requiert l’intimité, la fusion. Toute expérience mystique passe par la nuit obscure, par l’abandon des facultés cognitives et par la perte de soi. Si les religions représentent le côté diurne de la vie, le mystique trouve racine dans la nuit. Le fidèle veille et prie, il cherche Dieu et ne peut s’endormir. Mais quand la rencontre survient, il peut fermer les yeux. De même, on demeure agité, sans sommeil, lorsqu’on est amoureux ; mais quand on se sent aimé, on dort dans une paix délicieuse.
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Toute société matérialiste évacue l’amour comme le sommeil : ils sont libres et trop ensoleillés ; ils lui font peur, en lui montrant sa petitesse.
Car le sommeil, comme l’amour et comme la joie, c’est le monde de l’excès et de l’insondable. L’être humain qui en fait l’expérience sent que l’univers vient à lui, le dilate, le déplie à des dimensions d’étoiles, que l’univers est devenu son corps. Dans le sommeil, dans l’amour ou dans la joie, je ne suis plus un individu étriqué, je suis un être cosmique ; libéré de l’existence, je me retrouve dans l’infini.
Cet excès de sensations, ce débordement voluptueux, cette démesure qui seule est l’aune des héros, des mystiques et des vrais poètes, ne peuvent qu’effarer les citoyens conformes.
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Vidéo de Jacqueline Kelen
https://www.laprocure.com/product/1082622/kelen-jacqueline-le-temps-de-la-bonte-le-livre-de-tobit

Le Temps de la bonté : le livre de Tobit Jacqueline Kelen Éditions du Cerf

« À vrai dire, depuis des années, ce récit que l'on date du troisième siècle avant notre ère, ce livre me fait rêver, me questionne, m'enrichit. On a entendu parler de Tobit, père et fils. Il y a une histoire de poisson. On se souvient plus ou moins. Il y a le petit chien aussi qui fait partie de l'aventure. On se doute que ça finit bien. Peut-être que l'on sait que l'ange Raphaël qui est très présent dans le récit, puisque c'est le guide du jeune homme vers la lumière, vers la renaissance spirituelle... »

Jacqueline Kelen, pour la librairie La Procure
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