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Citations de Jacqueline Kelen (297)


L'être humain ne devrait pas se plaindre ni s'en remettre toujours à l'aide d'autrui. Il a en lui toutes les ressources nécessaires, qu'il lui faut explorer et développer. La connaissance de soi requiert de l'audace et du courage, une belle persévérance, et la vie, toujours imprévisible, répond à qui lui fait confiance.
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Le conte des frères Grimm parle d'un noble projet abandonné en cours de route. Assurément, nul n'a envie de mener une vie de chien, de se faire plumer, ni d'être traité d'âne bâté ; chacun héberge au fond de soi des rêves, au moins un, qu'il compte bien réaliser un jour. Encore faut-il qu'il s'en donne les moyens et qu'il s'en montre digne. La question n'est pas d'avoir des rêves démesurés, mais de se montrer à la hauteur de ses rêves.
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Un lecteur qui s'apitoie sur le sort de la petite marchande d'allumettes ne prend en compte que le bref séjour terrestre, les réalités sociales, les difficultés de tous les jours, alors que, d'un autre point de vue, la fillette dispose du feu et de la lumière que symbolisent les allumettes, reste reliée au monde céleste et protégée par des présences invisibles. Selon quels critères jugera-t-on que telle personne est heureuse ou à plaindre ? A quelle aune mesure-t-on le parcours d'un homme : à sa réussite, ses richesses, sa renommée, son bonheur sentimental ?
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Les gens sont faciles à berner parce qu'il se font toujours des illusions.
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Je tiens à revenir sur deux écrits précis de Jean-Paul II concernant les femmes : la Lettre du Pape Jean-Paul II aux femmes, du 29 juin 1995, et surtout, beaucoup plus développée, la lettre apostolique datée du 15 août 1988 et intitulée Mulieris dignitatem (traduite en français sous le titre La Dignité et la vocation de la femme).

À la lecture de ces deux textes du siècle dernier qui reflètent encore, je le crains, la mentalité du clergé actuel, j’ai été effarée autant qu’irritée par la conception paternaliste, lénifiante et condescendante, qui est celle de votre prédécesseur à l’égard des femmes : celles-ci sont cantonnées dans le service et les tâches subalternes, leur vocation est un dévouement total et muet, elles ont à s’oublier entièrement au fil des jours afin de s’occuper des malheureux et d’éponger les misères du monde… Telle est leur « maternité spirituelle », cette sollicitude envers « les plus démunis : les orphelins, les vieillards, les enfants, la jeunesse, les prisonniers et, d’une façon générale, les personnes marginalisées ». On pourrait continuer la liste, les bancals, les demeurés, les pustuleux, etc., la femme est si bonne pour eux, et elle n'est bonne qu’à ça…

Cette vocation misérabiliste concédée à la piétaille féminine, cette abnégation sacrificielle auréolée de pseudo-sainteté font froid dans le dos : au nom d’une étrange interprétation de la caritas, combien de femmes intelligentes et fortes sont bâillonnées et asservies ! Où est la dignité des femmes dont l’« originalité », la « richesse », les « charismes » invoqués par le Pape mais jamais précisés consistent à demeurer des aides compatissantes, de pieuses subordonnées ? Ah oui, Jean-Paul II peut, en juin 1995, clamer son merci aux femmes du monde entier : qu’elles continuent de se dévouer inlassablement et dans l’ombre, mais surtout qu’elles ne parlent pas et ne prétendent à rien de plus que de servir ! Tant que, religieuses ou laïques, elles feront ce « don désintéressé d’elles-mêmes », les hommes garderont le pouvoir spirituel et s’occuperont de choses sérieuses comme la doctrine, les Écritures…

[…]

Au fond, Jean-Paul II n'est pas persuadé de la grandeur féminine, la Vierge Marie constituant la seule exception. Il se dévoile au détour d’une phrase. Évoquant les diverses femmes que Jésus rencontra durant sa vie (toutes malades, contrefaites, impures et adultères, bien sûr), le Pape ajoute avec candeur : « Le Christ parle aux femmes des choses de Dieu et elles le comprennent, dans une réceptivité authentique de l’esprit et du cœur, dans une démarche de foi. » Oui, elles le comprennent, malgré leur intelligence limitée, leur inculture et leur frivolité… Puis le Pape rappelle la « transmission par le Christ de la vérité divine aux femmes », mais il n’envisage même pas que la transmission de la Bonne Nouvelle puisse passer par elles. Tout au plus, elles feront de nos jours le catéchisme aux petits. Mais jamais la femme n'est destinée à se tourner vers des hommes bien portants, intelligents, ni à converser avec eux, à les enseigner, à les éclairer, ainsi que fit Catherine d’Alexandrie avec les philosophes de son temps.

Or, je le pense sincèrement, notre siècle a davantage besoin de prophétesses, de femmes éveillées, de mystiques au cœur brûlant, que de dames de charité et de braves religieuses. Le dévouement de ces dernières est souvent admirable, mais ce n'est pas l’unique forme de sainteté réservée aux femmes ni la seule manifestation de leur dignité.

Une femme libre ne peut plus se contenter de cette « charité » délétère, suspecte, qui a pour effet certain de l’arrimer à la terre, au corps défaillant et malade, aux souffrances du monde. Elle ne peut plus accepter cette conception morbide d’une « charité » où elle doit s’oublier et se faire oublier. Elle n’en peut plus de tout le pathos et de tout le pathologique qui s’attachent à la sainteté féminine selon le catholicisme et qui, loin de conférer dignité humaine et fierté spirituelle, conduisent au mépris de soi et à l’abaissement de l’âme. Elle, elle se sent faite pour clamer la Lumière, la Beauté, la Joie, l’Amour, la Liberté. Pourquoi refuse-t-on son chant ?
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Ayant pour Royaume la Beauté et l’Amour pour Sacerdoce, la Femme ne se préoccupe pas en premier des structures et des dogmes, mais elle est attentive à la qualité des gestes, des présences, des moindres choses. Pour elle, la beauté ne réside pas dans le pompeux ni le monumental, mais transparaît dans la simplicité, dans la justesse de l’accord, dans ce qui résonne entre monde humain et monde céleste. Ainsi, la magnificence divine peut se révéler au cœur d’une fleur ou dans le regard de bonté d’un animal.

La Beauté enjoint à une constante attention à la vie dans ses plus humbles manifestations et elle invite à toutes sortes d’égards. Elle donne à qui la perçoit un esprit de délicatesse, le sens de la louange et de la bénédiction. […]

Une femme accomplie est aussi prêtresse d’amour, Socrate le savait qui, dans le célèbre Banquet, s’efface pour laisser parler Diotime sur ce profond sujet. Éveillant le printemps dans le cœur de l’homme, elle lui donne le goût d’aimer et le garde de tomber dans la dureté, la froideur ou la barbarie. Telle la Dame courtoise – à laquelle en leur temps un Bernard de Clairvaux et un François d’Assise ont rendu hommage –, elle ravive le courage et l’ardeur, le lyrisme et l’honneur, et son amour invite à la grandeur, à un perfectionnement incessant, et le revêt de noblesse autant que de tendresse.

En sa fonction sacerdotale, la Femme a pour mission de témoigner de la puissance infinie, éternelle, de l’Amour qui œuvre en tout. Elle rappelle aussi que sans la Mystique la Théologie se refroidit jusqu'à devenir un système de pensée, un corpus doctrinal ; que l’Intellect est pauvre et limité, qu'il retentit comme une cymbale solitaire s’il ne s’allie pas à l’Amour ; et qu'il n’est de savoir véritable sans l’assentiment du Cœur.

La vision du Cœur met le jugement au large, et mène au large la raison. Grâce à une amoureuse intelligence, la Femme accorde bienveillance et sollicitude au animaux, aux arbres, à tout ce qui vit, autant qu’aux êtres humains. […]

Enfin, en qualité de prophétesse, elle va librement, sans dépendre du siècle ni des modes, et sa tâche est de libérer les êtres peureux, les esprits captifs – et ils sont légion. Elle a à délivrer une parole qui ne se conforme pas au goût du temps, à l’attente d’un public, mais qui se réfère à ce qui ne passe pas, aux valeurs éternelles. Cette parole qui ne lui appartient pas et qui s’adresse à tous allie rigueur et douceur, fermeté et joie. Elle n'est ni prédiction ni réponse oraculaire, mais révélation. Et elle prépare l’avènement du Règne de Dieu.

Si la fonction prophétique de la femme accomplie est de faire souffler la Liberté, c'est en raison de la caractéristique essentielle de l’Esprit qui réveille en chacun une liberté immense, indestructible, inouïe, qui rend tout possible.
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Une femme accomplie a à manifester la Lumière spirituelle d’une triple façon, par une fonction royale, sacerdotale et prophétique. J’entrevois ainsi la mission sacrée dévolue à la Femme :

Son Royaume est la Beauté.
Son Sacerdoce est l’Amour.
Son Prophétisme est Liberté.
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L’évolution de la société autant que le salut du monde ne sont pas possibles ni même envisageables si, d’une part, la femme n’accède pas à sa souveraineté spirituelle et si, d’autre part, cette souveraineté ne lui est pas reconnue. Et d'abord, les femmes ont à se verticaliser, non à se masculiniser, ni à devenir « plus féminines ». « Femmes dolentes, debout ! » lançait déjà Isaïe. Elles ont à se situer sur le plan de l’Esprit, au lieu de se contenter du psychique, de l’émotionnel et du sentimental. Elles ont à se perfectionner afin de manifester l’Esprit d’Amour, plutôt que de se cantonner dans l’aide, l’assistance, le bénévolat et les soins divers.
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Dans le monde actuel, la femme semble n’avoir d’autre choix que d’être voilée, déshabillée ou masculinisée, c'est-à-dire portant pantalon. Autant de trahisons à l’égard de la Femme, autant d’aliénations plus ou moins consenties.

Il faut bien le reconnaître, les vraies femmes n’ont pas la parole dans notre société ; elles ne l’ont que dans la mesure où leur discours est masculin ou bien imprégné de cette féminité suave qui ne dérange point. De même, dans le domaine religieux, on a le plus souvent affaire à une présence féminine effacée, docile, à des êtres asexués, ou bien à des femmes rigides, dogmatiques, qui ont emboîté le pas à l’homme. Voilà pourquoi me plaît par-dessus tout la « femme audacieuse », belle évidemment, qui survient tout à trac, hôte inattendu, les cheveux au vent, dans le bruissement parfumé de ses robes, pour tomber éperdue aux pieds de Jésus. Ni assujettie ni dévergondée, mais libre comme seul l’amour peut rendre libre.
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L’amitié apprend à aimer l’autre sans vouloir le capturer, sans vouloir le rendre pareil à soi, sans chercher à le changer. Elle n’entretient ni illusion ni confusion entre deux personnes, elle est un engagement, elle veut le bien de l’autre et elle partage ses joies comme ses peines.
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Loin d’apparaître comme une parente pauvre de l’amour ou sa faible compensation, l’amitié est au contraire la préceptrice, celle qui enseigne aux êtres humains à aimer dans le respect et la liberté, avec courage, perspicacité et grande attention. Elle représente un amour de qualité ; un amour qui répond présent, qui soutient, qui ne se dérobe ni ne ment, et un amour intelligent, qui guide et éclaire. On peut tout aussi bien dire qu’elle est une qualité d’amour-désintéressé, gratuit, bienveillant ; qu’elle est la bonté et la beauté de l’amour.
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L’amitié n’est pas un sentiment mais bien une vertu. Sur ce point essentiel tous les philosophes de l’Antiquité, tous les chercheurs spirituels se rencontrent.
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Qui prend en compte la souffrance de ces jeunes gens, majoritairement des filles ? Qui pense au calvaire qu'ils endurent à subir des traitements tout à fait inappropriés, qui blessent leur âme encore davantage ? Car tous les anorexiques ne cessent de le dire : leur « problème » ne réside ni dans la nourriture, ni dans la maigreur, ni dans le seul environnement familial, ni dans le psychisme… Mais sans vouloir les entendre on continue de leur prodiguer les mêmes soins routiniers et inutiles, voire nocifs.

Qu’ils soient ou non mineurs, ne peut-on enfin écouter et respecter ce qu'ils disent ? Leurs propos me semblent d’une clarté éblouissante : ils veulent devenir pur esprit, ils rêvent de beauté et d’idéal, ils ont soif de perfection, de salut, d’immensité, ils veulent échapper à l’ordinaire, à l’affligeante condition humaine… Et ils formulent tout cela simplement. Mais les spécialistes du psychisme et de la nutrition refusent catégoriquement de prêter attention à ces témoignages et de leur accorder de la valeur. Pis, ils traitent souvent ces « malades » de menteurs, de manipulateurs et autres perversités et ne font aucun cas des souffrances qu'ils éprouvent à être systématiquement niés, incompris. Il me semble pourtant que la présomption d’innocence ou de sincérité devrait être accordée aussi aux anorexiques.

Ces adolescents au corps évanescent et à l’intelligence brillante, à la volonté ferme, répètent qu'ils ne sont pas fous, qu'ils ne veulent pas mourir, que les traitements psychiatriques ou le gavage ne mènent à rien, sont hors champ ; et surtout, ils implorent qu'on cesse de leur parler de pitance et de poids : ils attendent mieux de la vie et des autres, ils veulent faire de leur existence mieux qu’un temps de dépense et de consommation…

Mais en dépit de ces propos constants, communs à tous, et en dépit d’échecs avérés depuis plus de cent ans, certains psychiatres rigides ainsi que des médecins sûrs de leur science persistent dans leur dogmatisme, déclarant que le désir d’immortalité est un fantasme, Dieu une échappatoire, les livres et l’art un dérivatif. Plus que tout, la quête de perfection et le mysticisme de ces jeunes filles les dérangent. Voici quelques phrases du psychiatre Alain Meunier à propos d’une fille anorexique, qui en disent long sur son propre univers et sa vision de l’être humain : « Elle a la dureté des gens qui savent, des croyants ; c'est une parfaite ; sa dévotion à l’absolu la ferait flirter avec le mysticisme… C'est une terroriste dans l’âme. Mue par un idéal, elle ne s’embarrasse pas de la vie. » Et il se dévoile tout à fait en avouant son « axe thérapeutique » : « Il faut casser une partie de cet univers d’anorexique, pour faire une part à la réalité de la planète Terre. »

On a vraiment affaire à un dialogue de sourds : les psychiatres n’ont qu’un monde étriqué et réaliste à proposer à des jeunes gens assoiffés d’amour et d’idéal. Il est impossible que les uns et les autres se rejoignent jamais.

Du reste, à quoi les patriciens reconnaissent-ils que l’adolescent est guéri ? Certains spécialistes l’admettent : « Les critères médicaux de la guérison ont pour particularité d’être ces modèles d’adaptation à l’ordre établi que l’anorexique récuse. »

Ces critères ne sont autres que le poids « normal », le partage des repas en famille, le cycle menstruel régulier pour les jeunes filles, plus tard le mariage et la grossesse… Il s’agit donc bien de normes sociales auxquelles tous les individus doivent se ranger. Mais les auteurs féminins de l’ouvrage sont assez lucides pour déclarer : « Celle qui ne sait comment vivre autrement qu’en refusant la nourriture n'est pas "guérie" lorsqu’elle se remet à manger. »

La conclusion est limpide : les spécialistes ne comprennent quasiment rien à l’étrange maladie qui touche en forte proportion les filles, et les traitements conventionnels échouent. À leur sortie d’hôpital, les anorexiques ont repris du poids, mais leur esprit – et c'est heureux – n'a pas changé parce que leur esprit n'est pas malade.

pp. 207-209
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À force de dépendre de leurs machines portables, de leurs écrans qui clignotent de mille jeux, les contemporains vont devenir à leur image, dénués de pensée personnelle et de sentiments profonds. Ils « fonctionnent » au lieu de vivre, ils « gèrent » leurs émotions au lieu d’aimer, et ils consomment des « produits » de beauté plutôt que de se soucier de la beauté de leur âme. Ce faisant, ils passent à côté de la vie douce et violente, de la vie toujours incontrôlable, merveilleusement imprévisible.
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La légèreté signe l’être désencombré des possessions matérielles et des certitudes, des tourments existentiels et des affres du sentiment. L’homme véritablement profond et méditatif se reconnaît à sa légèreté : il ne pontifie ni ne s’impose, il rend joyeux ceux qu’il rencontre, il est poreux et sans doute a-t-il la tête duvetée pareille à la fleur de pissenlit… La qualité spirituelle d’un individu se mesure à sa légèreté symbolisée par la danse et le vol de l’oiseau, à sa joie figurée par le rire et sa simplicité. La simplicité n’a rien à voir avec la médiocrité mais avec la limpidité, telle est la leçon du ravi. Tandis que l’intellect agite des questions et que le psychisme s’avère compliqué, le royaume de l’Esprit est clair et immensément simple. Le monde de l’esprit ne connaît ni problèmes ni pesanteur. Il n’est pas fait de certitude mais d’évidences.
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Un individu dépourvu du sens de l’honneur, de son honneur, est prêt à commettre toutes les bassesses et il peut être manipulé par tous les démagogues qui ont remplacé l’honneur par la flatterie et les nobles causes par les revendications intéressées. Or le respect de soi, essentiel au sentiment de l’honneur, est confondu aujourd'hui avec le narcissisme, la forfanterie, l’image de marque. Avoir le sens de sa dignité est la moindre des choses si l’on se dit un être humain : c’est une valeur humaniste et spirituelle essentielle. Rien à voir avec l’arrogance ni avec la délectation délétère qu’on appelle nombrilisme. Par respect de soi et par fierté personnelle, on ne s’abaissera pas à des pensées ou à des conduites viles, même si tous les autres le font ; on ne cherchera pas à « profiter », à « resquiller », même si tous les autres mentent ou manigancent. Celui qui a le sens de l’honneur n’a pas besoin du regard, du jugement ou de l’approbation d’autrui pour se conduire noblement ou, tout du moins, correctement. « La parfaite valeur, disait La Rochefoucauld, est de faire sans témoins ce qu’on serait capable de faire devant tout le monde. » L’honneur permet de mourir debout – que l’on soit athée ou persuadé de son âme immortelle – ou de faire le sacrifice de sa vie. C’est, par l’étude, la culture, l’œuvre artistique ou l’œuvre d’amour, défier la mort qui approche et partir sans un regret mais avec un grand rire. Au lieu de se morfondre, de critiquer, c’est créer, et faire circuler l’espérance joyeuse.
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Dormir ensemble est empreint de noblesse, « coucher avec » a des relents de vulgarité. L’amour courtois qui illumina le Moyen Âge à l’aurore du XIIe siècle avait imaginé un rituel pour éterniser le désir et pour que la passion survive à l’étreinte de chair. Le service amoureux imposé par la dame au chevalier ou au troubadour relève de l’héroïsme. L’amour est indissociable de la prouesse : non seulement l’exploit guerrier, l’action d’éclat, mais le défi intérieur, l’affinement extrême des sentiments et sensations. Parmi les épreuves imposées figure celle du dormir ensemble. Les amants de cœur sont allongés dans le verger, dans la forêt, sous la courtine, ils peuvent même – immense faveur accordée par la dame – passer la nuit ensemble, mais si le troubadour cherche l’assouvissement, il n’est pas un amant véritable, valeureux. Cette épreuve d’amour, « asag » ou « assays », très pratiquée au XIIIe siècle, ne veut pas le mépris du corps mais l’exaltation du long désir. Rien à voir avec les tentations d’ermites au désert ni avec la maîtrise d’un Socrate dormant sans faillir auprès du bel Alcibiade. Il ne s’agit pas de dépasser les sens, de renier la chair, mais de porter la passion à son plus haut point d’incandescence, de garder le désir dans sa fraîcheur première. Une façon splendide de se maintenir dans un état de perpétuelle adoration. Le sommeil partagé permet de transfuser les âmes et d’unir les cœurs, mais refuse l’acte commun. Les caresses, les baisers, l’enlacement sont permis et même recherchés, les amants peuvent dormir nus (quelle folie !), mais la fin’amor ne sombrera pas dans « l’amars » ou la « drudaria » ordinaires. […]

Cet amour infaisable est loin d’être malheureux et, d’abord, il nous donne une leçon de magnificence, il nous rend à nos rêves d’immensité. Le désir qui, dans la nuit, s’affronte en combat singulier avec le sommeil, c’est notre humanité aux prises avec l’idéal, c’est le besoin d’accaparer face à l’horizon chimérique. Pour moi qui n’ai jamais vraiment quitté le XIIe siècle provençal et que ravit le mot de « sobramor » (excès d’amour), le rituel de l’asag est plein de sens. Amour inaccessible, non pas vain. Les héros, les mystiques, les parfaits amants savent que seul l’impossible vaut d’être tenté et que le rêve mérite d’être pris au sérieux.

Ces jeunes gens qui croyaient en l’amour démesuré devaient forcément rencontrer un jour le monde insondable du sommeil. Et ils se sont livrés à l’un et à l’autre éperdument, y reconnaissant même pureté et même mystère. La pureté indique quelque chose d’entier, sans mélange ni compromis, et le mystère est au fond la seule chose dont un poète ne puisse douter. L’expérience de l’amour au sein du sommeil partagé est un mystère devant quoi on doit faire silence.
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La liberté de pensée ne se trouve ni à droite ni à gauche ni même dans l’anarchisme. Elle ne loge dans aucune religion, dans aucun système politique ou philosophique, pas plus dans l’athéisme que dans la laïcité. Tout cela représente des robes, des voiles et des attaches et Pensée va toute nue, tel le jeune François d’Assise abandonnant entre les mains de l’évêque les vêtements par lesquels le prélat voulait le retenir afin de le remettre dans le chemin balisé de la droite raison. Or la liberté n’a pas raison mais elle va son allure, impertinente, juvénile, elle déjoue la barbarie comme l’esprit de productivité, l’imposture intellectuelle comme la facilité. Elle est dans ce refus de tout conditionnement et de toute appartenance, elle se trouve dans la ville et dans le désert, elle passe tel un vent dans la forêt, une tempête sur la demeure provisoire.
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Pour beaucoup d’hommes, connaître l’autre, la femme en l’occurrence, passe presque nécessairement par la connaissance charnelle, et le partage sexuel se situe au début de l’amitié, c’est lui qui rend l’amitié possible. Comme si, pratiques, réalistes, ces hommes réglaient d’abord cette affaire de désir assez encombrant pour ensuite passer à un autre plan, plus paisible, en quelque sorte balayé. Ces hommes ont pour véritables amies des « ex » et ils n’en sont nullement gênés, au contraire… Pour beaucoup d’hommes, la relation sexuelle rend possible l’affection, l’intime, tandis que chez les femmes l’intimité partagée et le sentiment amènent à l’échange sexuel.
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Un des principaux griefs qu’on peut faire à l’amour sentimental est d’être exclusif et d’empêcher l’amitié, de repousser ou de délaisser les amis…
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