Citations de Jacques André Bertrand (185)
Biographie non autorisée de la Fumée
Le bruit court qu’il n’y aurait pas de fumée sans feu. Mais d’innombrable rumeurs sont dépourvues de tout fondement. Chimères.
La plupart des êtres humains s’efforcent de faire toujours un peu de fumée, en toutes circonstances. Par souci de discrétion, de protection et, à l’occasion, pour brouiller légèrement les choses. Nous faisons de même. Car il est prudent de se méfier de trop de clarté.
Le Commun des mortels, qui n’existe pas mais se révèle bien commode pour toutes sortes de démonstrations, n’y voit que du feu.
De menus objets qu'on aurait jugé indispensables -dont on se disait que ça pourrait toujours servir - finissent par paraître superflus ou carrément encombrants. On songe à s'en débarrasser. On les retrouve dans les éventaires des vide-greniers. Il arrive qu'on les rachète.
Il croyait en Dieu, ou plutôt il pensait que Dieu croyait en lui et leurs relations se faisaient sans cérémonie.
Ça commence quand, la Bêtise? Quand on croit vraiment qu'on a raison de croire ce qu'on croit. Et que celui qui pense autrement est un hérétique, un traitre, un chien d'infidèle. Un sous-homme. Un moins que rien. L'exterminer est la moindre des choses. Au nom du Peuple élu, de la communauté sacrée des fidèles, de la Race supérieure. De la seule explication possible du monde - la nôtre.
La vie continue et je ne tiens pas à avoir des idées arrêtées.
Tous les équilibres sont fragiles. A peine la nuit a-t-elle rattrapé le jour que déjà elle l'emporte sur lui. La matière et l'esprit se jouent des tours complètement irrationnel. L'instabilité s'installe.
En fait , l'équilibre est dans le balancement.La balance le comprends sur te tard.Elle cesse de vouloir concilier le jour et la nuit. Elle laisse tomber son aiguille. Elle perds du poids.L'univers lui parait plus léger.
Alors, au beau milieu du jour et de la nuit, dans la mouvance de la chair et de l'esprit, du jour et de la nuit, la balance s'en balance.
Homo sapiens, resté seul, décide de rallonger son nom - Homo sapiens sapiens - et pose ainsi les fondements de l'aristocratie.
Homo sapiens sapiens! Ecce Homo! L'homme qui sait et qui sait qu'il sait. Qui, en tout cas, croit le savoir. Ce faisant, croire n'étant pas savoir, il ignore qu'il ignore. Les nouveaux hominidés se partagent ainsi en deux camps : ceux qui croient croire et ceux qui croient ne pas croire. Les crétins intégristes qui croient tout savoir sont assez bien répartis dans les deux camps.
On observe dans la nature d'innombrables espèces de Pauvres. Elles ne sont pas protégées, au contraire des espèces de Riches. Passons rapidement sur le Pauvre con, le Pauvre type, le Pauvre ami. Le Pauvre hère (Pouvre hayre, lit-on dans "Gargantua") désignait un jeune nobliau de rien du tout, ou alors un jeune cerf. Le Nouveau Pauvre n'est pas fier, il évite de se faire remarquer, à la différence du Nouveau Riche.
Nous avons souvent discuté de quelle pouvait être la situation la plus enviable pour un enfant : un père présent, un père absent ou un statut d'orphelin à part entière. Nous avons fini par conclure qu'on ne pouvait jurer de rien, et que, de toute façon, la vie nous offrait généralement de tester tour à tour ces trois positions.
À l'automne, l'araignée, qui n'est pas plus bête qu'une autre, abandonne la vie au grand air pour s'installer en appartement. Elle est alors la malheureuse victime d'un véritable génocide en chambre que les hommes pratiquent pour plaire aux femmes. C'est un spectacle désolant que celui d'un homme poursuivant une araignée, armé d'un balai (ou d'un aspirateur). Quelquefois l'araignée réussit à disparaître (généralement sous le lit) et la femme préfère demander à l'homme de lui appeler un taxi. Certains hommes - et en particulier les naturalistes - essayent d'expliquer aux femmes que la phobie des araignées est un truc idiot, comme la plupart des phobies, mais ça prend du temps et ça n'arrange pas leurs affaires. Bien entendu, il en est ainsi dans toutes les statistiques, certaines femmes adorent les araignées et certains hommes en ont une au plafond.
(Notons que « l'araignée au plafond » est un phénomène exclusivement français ; les Anglais, par exemple, se contentent d'avoir « une abeille dans le bonnet ».)
Le capricorne déteste la jeunesse. Son enfance fut très triste, même heureuse. Adolescent, il faisait très jeune vieux. Il était déjà très âgé à sa naissance. Ca s'arrange. Le dieu du temps est avec lui.
Si la balance avait horreur de quelque chose, elle aurait horreur de la peine.
La loi du grand amour est rude
Quand on s'est trompé de chemin...
Cependant il faut bien reconnaître qu’il se fabrique beaucoup trop d’enfants. Si au moins la Terre était plate, ainsi que le pensèrent nos ancêtres, et si l’Anglais Newton n’avait pas inventé la gravitation, le surplus, poussé vers les bords, basculerait dans le vide… La vision d’individus tentant de s’accrocher à quelques arbustes au bord de l’abîme aurait pu inspirer à Hieronymus Bosch un de ses meilleurs tableaux.
Le pèse-lettre, qui évitait le détour par le bureau de poste, encouragea la littérature épistolaire. Ce n'est pas pour autant que tous les épistoliers pèsent leurs mots
Y aurait-il un mot pour dire le manque de mots ? Parlons-nous, écrivons-nous pour autre chose que pour laisser entendre le silence entre les mots ?
Il existe de nombreuses sous-espèces (ou sur-espèces) du Médecin : les Spécialistes – qui se répartissent entre eux toutes les parties du corps humain et se montrent très jaloux de leur territoire (à l’exception des célèbres Médecins sans frontières). Le Gastro-entérologue refusera catégoriquement d’empiéter sur le domaine du Proctologue, qui, de son côté, ne s’aventurera jamais sur celui du Phlébologue. Souffrir à la fois de dyspepsie, d’hémorroïdes et de varices implique de faire appel à ces trois Spécialistes, ce qui coûte la peau des fesses – qui relève du Dermatologue !
Le pigeon, c'est l'Attila des rebords de fenêtres et de balcon. La mort fécale des monuments publics et des statues équestres.
Le pire est qu'apercevant un pigeon urbain traînant sa misère sur le bord d'un trottoir, claudicant, handicapé, à demi déplumé, je m'en trouve ému. Et ce qui me reste d'estomac en est tout retourné.
La maladie, ce n'est pas seulement un problème délicat à soumettre à des spécialistes confirmés, c'est aussi un parcours administratif avec sauts d'obstacles qu'il est préférable de ne pas avoir à reprendre à zéro.
L'esprit est du jour, l'âme de la nuit.