Citations de Jean-Claude Pirotte (411)
je suis loin d'épuiser
le domaine de l'île
au fond je n'en dis rien
sinon qu'il est mystère
un des rares mystères
laissés à l'abandon
mais ce n'est qu'apparence
heureux les réprouvés
(p. 136)
nous avons choisi de partir...
nous avons choisi de partir
à la conquête d'un empire
celui des livres le désir
est né dès la première enfance
nous étions peu nombreux la chance
avait pris l'allure d'un ange
mais je fus le seul à suivre
quand les autres se découragent
j'ai d'abord connu Francis Jammes
et dans le désordre à la suite
Follain Dhôtel je ne les cite
que pour mémoire il me faudrait
mille pages de ce carnet
pour dresser l'exact inventaire
de mes espaces littéraires
Je me tiens à la fenêtre
en attendant qu’un bel être
fabuleux me fasse signe
et d’un doigt clair me désigne
pour le suivre pas à pas
sur la terre et au-delà
Avec les insomnies, on peut faire des bouquets noirs
de grandes fleurs friables et crissantes comme sable
sous les dents.
J'ai connu le bonheur, je l'ai fui. J'ignorais quel visage il montrait. Insatisfait, coupable, me voici déclinant vers la neige du temps, lourd de repentir et chargé du poids d'une existence que je croyais affranchie, et qui ne fut que ressassement.
Comme au premier jour. Jamais nous n 'enfermons avec assez de soin le souvenir du premier jour.
ainsi marchait Léon-Paul Fargue
entre les ruines des refuges
piéton de Paris sans attache
sinon le croc des solitudes
le polder est une plaine riche
d'être née sous les vagues
d'être nourrie d'embruns
et du lait de lune
on voit dans les lointains
des clochers effilés
comme des peupliers
et cela danse un peu
dans une brume pâle
et puis tout disparaît
dans le vent et dans l'espace
La paresse est un limogeage consenti, mais à peine l'impétrant se trouve-t-il en disponibilité (quelle merveille que le jargon administratif !), la paresse consacre un état de vacuité redoutable, que seule une élite rarissime supporte sans terreur.
Indifférent le paresseux ? Au contraire. Il est de la race des félins. Le paresseux se tient à l'affût, c'est un homme-chat qui regarde passer les miraculeux vols d'oiseaux dans le ciel, et cultive on ne sait quel désespoir souriant de bonne compagnie. De-ci de-là, il s'autorise un léger mouvement de griffes, qui laisse une trace infime sur la fibre des jours.
croque-mort et croque-au-sel
c'est au mètre que j'écris
les poèmes du carnet
ils sont fanés ils sont gris
canés avant d'être nés
les pages multicolores
de ce carnet pour artistes
elles m'inspirent l'horreur
de n'être pas ébéniste
ou simple cultivateur
ou fabricant de moteurs
ou notaire ou parasite
ou déjà mort à cette heure
j'espère prendre la fuite
mais le carnet me menotte
et me tient ici captif
de moi-même en quelque sorte
p.41
j'aurai passé ma vie dans les nuages
ma mère me morigéna toujours
j'écrivais des dizains page après page
où l'horreur se combinait à l'amour
où la mort enfin montrait son visage
j'espérais du ciel une pluie d'images
mais de la terre je n'attendais rien
je ne pleurais pas aux enterrements
à l'église je priais comme un chien
fou de rage avide de mauvais sang
c'est un chat mourant qui m'observe
il me demande guéris-moi
toi l'homme à qui j'accorde foi
il ne suffit pas de m'aimer
à ta façon un peu distraite
tu devrais pouvoir me soigner
si tu étais ce dieu des bêtes
que certains disent que tu es
et je lui parle doucement
maintenant au-delà des ans
il est compagnon de mes veilles
il est présent quand je m'éveille
et je suis certain qu'il m'attend
quelque part dans un creux du temps
Peut-être est-ce depuis ce jour -là que j'ai pris l'habitude d'être coupable. Et pourtant, non. Coupable on l'est de naissance, comme chacun sait. De vivre. De bayer aux corneilles. D'aimer, de ne pas aimer. D'être aimé. De croire au Père Noël. La litanie des lieux communs. (p.43)
Les couloirs de l'hôpital sont remplis de poètes qui s'ignorent. Un espoir désolé marque les visages. L'essentiel est dans tous les regards, mais manque la connaissance.
L’intuition de la mort est là, mais toujours couverte d’un voile. Or, sans la perspective ancrée en soi de la fin dernière, la poésie n’aurait aucun sens. C’est à la mort que nous parlons quoiqu’il arrive. Mais sa présence nous hausse au-dessus de nous-mêmes, et rend la vie plus précieuse. p 79 80
à l'origine des tempêtes
se trouve un verre d'eau
jamais nous n'entendrons
parler d'une tempête
dans un verre de vin
La vie n'est jamais ce qu'un vain peuple pense. Elle est riche d'abord du parfum de l'inaccompli, et du silence des nuages. Et cela m'est égal, après tout, que l'on me traite de fumiste, car les fumées familières qui nous bercent pèsent bien plus de poids dans nos souvenirs que les actes qui nous enferment.
Vieillir au fond n'est pas vieillir. Ce qui est ici recherché, espéré, découvert, c'est moins la vieillesse d'un cognac que la plénitude, la force de l'âge. Cet instant magique où tous les goûts se conjuguent en un éventail parfaitement équilibré. Tous les goûts en un seul, mais que ce seul porte en lui l'infini des nuances.
Il y avait autre chose: l'idée, si précoce, ruminée depuis l'enfance, que la vie n'est rien, n'est d'aucune valeur, et ne présente aucun intérêt, si son déroulement ou son voyage ne bascule pas dans la fiction, si le romanesque n'en constitue pas la métamorphose ou l'épiphanie radicales.
(...) Je ne suis que la créature ignorée d'un romancier prodigue
( Dhôtel, Audiberti, Queneau ?), ce n'est qu'à ce titre que je me trouve "en vie", que je "figure" et que je chemine.
( Le Cherche- Midi, 1999, p.87)
(Le promenoir magique)
alors il faut aller
vers le pays d’enfance
toujours recommencé
mais jamais découvert
ainsi que toute chose
il est à inventer
la lumière se pose
comme en un seul été
sur l’ortie et la rose
trémière du jardin
qu’une grand-mère arrose
pendant l’éternité
et si nous partions en voyage
et si nous partions en voyage
voir ce que montrent les images
nous passerions dans des tunnels
peut-être aussi dans des bordels
que sont les palaces modernes
nous verrions Zoug Milan Modène
et des lieux inimaginables
et puis des mers et puis des sables
dans les sables l'amour s'ensable
et personne n'est responsable
on terminerait le voyage
sans regarder le paysage