Citations de Jean-Luc Seigle (723)
Même si le plaisir ces dernières années c'est borné à oublier le plus souvent possible le malheur.
Ce n’est pas l’amour, ni le désir, ni la sexualité qui fait une femme mais sa prodigieuse capacité à affronter et à transformer la vie comme aucun homme ne serait capable de le faire.
Je me souviens encore des coups de ciseaux qui me blessaient le crâne, puis du bruit de la tondeuse à main ; mes cheveux qui tombaient autour de moi, des touffes épaisses qui glissaient sur mes épaules et sur mes cuisses. L’air était irrespirable et sentait la mort.
« La tentation, conclut-elle, est même une histoire biblique chez les femmes et tu penses bien que ceux qui font de la réclame le savent ! »
Elle m'amusait et j'essayais de lui expliquer que c'était surtout une émancipation non négligeable qui permettait aux femmes de travailler en dehors de leurs foyers ; et que nous les femmes devions cette avancée bien plus à Moulinex et à Electrolux qu'à Simone de Beauvoir.
Ce qui gênait mes accusateurs, c’est que je n’avais pas l’allume de mon crime. Ils auraient préféré me voir habillée comme une pute.
Et si l'ancien colonel de la guerre de 14 est venu me sauver et m'extirper de la mort ce ne fut pas par amour, mais uniquement parce qu'il connaissait sa part de responsabilité. Il est venu me sauver comme il aurait secouru un soldat qu'il aurait envoyé en première ligne à Verdun.
J'ai mis le -Requiem- sur le tourne-disque pour laisser la musique faire son travail de consolation en espérant qu'elle parvienne à extraire mes larmes, mais les morts ne pleurent pas. (p.219)
Elle pensait aussi que l'écriture d'un journal intime m'aiderait à comprendre jour après jour ces changements. Elle m'inscrivait dans une longue tradition qui avait de tout temps autorisé les jeunes filles à écrire leurs états d'âme dans leurs journaux, sans que cela dérange ni l'ordre familial ni l'ordre social. On se réjouissait de savoir que ces jeunes filles verrouillaient leurs secrets dans un carnet. (p.175)
Comment tenir quarante ans maltraitée sans répit, privée de tout ? Une lutte qui mettait en jeu mon corps tout entier jusqu'à me briser les os. Seuls les livres me permettaient de respirer à nouveau normalement, et je me suis jetée dans la lecture pour m'échapper de cette obscurité qui me compressait le coeur jusqu'à l'âme. (p.109)
L'histoire de ma vie est aussi une longue histoire des morts que je ne veux pas déranger, ni mettre en colère, même si j'espère, au plus profond de moi, réussir à leur arracher ces morceaux de moi, de moi et d'eux qu'ils ont emportés dans leur tombe, sans savoir lesquels. (p. 57)
Les grandes veuves de guerre, les vraies, celles de la Première Guerre mondiales, n'étaient pas les femmes qui avaient perdu un mari, mais celles qui avaient perdu un fils.
"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble
comme des idiots." [ Martin Luther King ]
Les pages étaient encore scellées entre elles et, à l'aide du canif que son père lui avait offert, il coupait les pages les unes après les autres avec un plaisir équivalent à celui d'un explorateur obligé de couper la végétation pour se frayer un chemin dans une forêt épaisse et noire, attaqué lui aussi par les mouches qui se multipliaient
Prendre conscience du bonheur de ce voisin discret et silencieux l'obligea à mesurer l'absence du bonheur chez lui, chez sa mère et son père.
Albert ne pensait pas à mourir, il avait juste le désir d'en finir.
Mourir ne serait que le moyen.
- Tu verras, un jour, tu auras autant besoin des livres pour vivre que de manger ou de rencontrer un ami ou même l'amour. Tu penses bien que toutes ces choses vont t'arriver. Et si par malheur tu ne ressens pas ce besoin tu seras perdu. Tu ne comprendras rien à ce qui t'arrive. Retiens bien ça: lire c'est être sauvé.
Puis elle ajouta:
- Sauvé de tout.
Mais bien plus que le contenu des livres ce sont les annotations de son frère dans les marges qui l'attirent et qu'elle lit en premier sans se soucier du contexte. Ses mots écrits au crayon à papier sont la parole de Pierre. Quand elle les lit, elle entend sa voix et sa véhémence à cause du grand nombre de points d'exclamation. (p. 226)
Rire, danser, rien de mieux pour déjouer toute cette tristesse pendant que d'autres construisent des ossuaires. Antoine a bien conscience qu'il y a souvent pas d'autres choix que la légèreté quand le désespoir s'est emparé de toute une jeunesse. Sa jeunesse. Puisque tous ceux qui ont échappé à cette guerre sont coupables de ne pas l'avoir faite. (p. 213)
Je rêve de lumière avec toi, de grand jour, mais j'écris toujours dans le noir.
C'est aussi un homme habile de ses mains. Il faut voir comment il attrape les objets sans jamais les briser ; et chaque fois qu'il me touche, ses mains ont le pouvoir de me faire réapparaitre. C'est quand il me touche que je comprends que le reste du temps, sans lui, sans ses mains, je n'ai plus de corps, je disparais.