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Critiques de Jean-Pierre Martinet (55)
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Jérôme

Une descente aux enfers ? une quête frénétique d’amour ? une expérience d’avilissement absolu ?



Un électro-choc, une trépanation sans anesthésie, en tous les cas….



Jérôme est un OVNI qui a pourtant quelques frères en déréliction….



Jérôme est une sorte de frère monstrueux d’Ignatius Reilly, dans La Conjuration des imbéciles. Comme lui il est repoussant, obèse, alcoolique, libidineux, affligé d’une mère qui l’horrifie…

Mais Jérôme n’est pas Ignatius, insolent, foutraque et drôle : Jérôme fait horreur et pitié. Il ne fait jamais rire ni sourire.



Comme le consul de Au dessous-du volcan Jérôme s’abîme dans une quête d’amour vertigineuse ; comme lui, il mène son auto-destruction tambour battant, avec une sorte de méthode désespérée : 24h et je vous donne l’immonde …

Mais il n’y a pas chez Jérôme la moindre transcendance par le crime, le sexe ou l’alcool : juste un avilissement encore plus fondamental, une solitude encore plus désespérante, une nausée existentielle encore plus viscérale…



Comme Céline, Jean-Pierre Martinet utilise le verbe, la langue, comme viatique dans son Voyage- au- bout- de- la- nuit- personnel : langue incantatoire, langue coupée, langue éructée, langue bégayante, langue inventive, langue intrusive, langue portée jusqu’à l’incandescence, jusqu’au crachat, jusqu’à l’innommable…

Mais Martinet ne s’en sert pas comme Céline pour tenter de nommer les contrées étranges de la guerre, de l’Afrique, de la rutilante Amérique ou de la misère : la langue de Martinet explore son propre microcosme- un Enfer intérieur projeté devant Jérôme par sa propre angoisse, comme une ombre portée sur le sol; le monde de Martinet est ramené à son quartier, avec son cloaque souterrain- les bas-fonds du passage Nastenka- son cimetière, son café, sa maison des Papillons-Blancs( !!!), son école de filles, son épicerie- une ville-fantasme entre Paris et Saint-Pétersbourg, pendant 24h, d’ un mois d’avril glacial et neigeux, plus hivernal que printanier.



Convoquer trois très grands livres pour tenter de parler de Jérôme c’est le mettre d'emblée au rang des toutes grandes œuvres. Et c’est ce sentiment que j’ai eu, très vite, en le découvrant, même si ma lecture n’a pas été de tout repos. J’ai dû, je l’avoue, faire des pauses, malgré ma fascination, tant la violence de ce désespoir, tant l’humanité de cette abjection m’étaient douloureuses et parfois insupportables….avant de replonger dans le marasme et le cloaque où Jérôme s’enfonce irrémédiablement, comme si j’avais été irrésistiblement entraînée par cet anti-héros monstrueux - pédophile, tortionnaire, assassin, onaniste, ivrogne mais surtout seul, désespérément et inéluctablement seul.



L’histoire est simple, on pourrait même dire linéaire : Jérôme après avoir commis un crime presque malgré lui, et avoir assisté à la mort de sa vieille mère qui assure seule sa subsistance, sort de chez lui pour fuir ces deux cadavres, et se lance dans la poursuite désespérée d’un cœur ou d’un sexe à prendre. Son fantasme porte le nom d’une petite écolière qui l’obsède jusqu’au délire : Paulina Sémilonova.



Dans sa course à l’abîme, il ne rencontre que misère sexuelle, solitude, violence, déchéance ; il refuse toute marque d’affection ou d’attention comme suspectes, exerce sa cruauté sur les êtres et les bêtes, et, dans sa paranoïa, fuit autant qu’il la recherche toute rencontre.

Comme un Diogène, cynique, Jérôme cherche un homme, ou une femme, ou une enfant, ou une poule qui le sauverait du néant. Et il parcourt jusqu’au vertige sa propre déréliction, espérant qu’une main se tende : "….tu n’as jamais réussi à vomir les hommes. Toujours en toi cet immense amour inemployé déployé je voulais dire dévoyé. Ainsi la main qui voulait caresser à force de rebuffades finit-elle par brandir un poignard. De toute manière. »





Mais cet idiot est un fin lettré : dans sa nuit apparaissent Achab, Dante, Dostoïevsky, Ulysse, Bardamu, Aragon –la séquence auprès de la putain Bérénice qui a lu "Aurélien" est une des plus touchantes du livre- Bartleby, et même le pasteur fou de La Nuit du Chasseur…L’étrange silhouette présente-absente de Solange fait penser au Dracula de Bram Stocker….Tout ce que la culture a produit de plus fort, de plus beau semble émailler de ses clartés l’univers glauque et ténébreux de Jérôme.

Jérôme, c’est aussi le parcours d’un livre-monstre : sa genèse, ses refus, les réactions horrifiées qu’il a pu susciter, qui convoque à son secours, puis épuise ses modèles, ses idoles, et entreprend de descendre dans sa propre nuit, sans faiblir.





Jérôme Bauche personnage –monstre comme les créatures fantastiques du peintre flamand qui est presque son homonyme.



Jérôme livre-monstre d’un Jean-Pierre Martinet pétri de culture mais conscient que sa puissante originalité l’assigne à l’incompréhension, au rejet.



Jérôme narration- monstre à la fois baroque et classique –unité de temps, de lieu, d’action.



Jérôme langue-monstre poétique, incantatoire, musicale…



Je remercie les quelques aficionados de ce livre qui m'ont , à Babélio, ouvert les chemins de cette cathédrale de noirceur.







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Jérôme

Jérôme Bosch est un peintre néerlandais du 15e siècle qui est à l’origine de toiles où le mystique se mêle à l’hérétique, où la monstruosité se déploie dans une prolifération d’énergie plus puissante que celle qui anime la vie quelconque et sans vigueur du commun.

Jérome Bauche est le personnage d’un roman de Jean-Pierre Martinet. Cinq siècles le séparent de son homonyme néerlandais mais une pareille vénération pour la monstruosité les rapproche. Hasard… postule-t-on sur l’état d’esprit d’un peintre dérangé et hanté par la perversion au point d’avoir engendré des œuvres telles que le « Jardin des Délices » ou la « Tentation de Saint-Antoine » pour s’infiltrer dans les affres mentaux de son digne descendant, Jérôme Bauche ? Les scènes qui s’animent sous son crâne sont des odes à la luxuriance perverse et les mots qui les décrivent pourraient très aisément former de nouvelles et sordides fresques.



En réalité, Jérôme Bauche ne semble jamais s’apercevoir de la ressemblance qui le lie à son homonyme peintre. De telles analogies ne peuvent être démontrées que par le lecteur qui dispose d’une distanciation suffisante ; Jérôme Bauche, en plein cœur de son récit, ne trouve rien d’anormal ni de monstrueux à ce qu’il décrit –quoique peut-être un peu, mais dans ce cas il s’accommode très bien des variations de son hygiène mentale.





Mais peut-être nous laissons-nous duper par le détachement apparent du personnage… Qu’est-ce qui nous indique que Jérôme Bauche n’est pas conscient des affiliations qu’il détient avec les pensées de certains personnages littéraires ? Au contraire, de nombreux indices nous portent à croire qu’il nous glisse sans cesse des allusions subtiles à seule fin d’éveiller notre intérêt. Ce bon gros bonhomme obèse, pas si indolent qu’il n’y paraît, éternel adolescent reclus dans sa chambre et partageant une idylle haineuse avec sa mère qu’il appelle « mamame », nous rappellera un Ignatius Reilly rageur, dénonçant avec une verve inspirée la désharmonie du monde moderne, les fautes de goût de ses contemporains et la vulgarité des épansions hypocrites.





« Je me sentais devenir enragé, car oui, vraiment, ce que je supportais le plus mal dans la vie, c’était l’absence d’harmonie, ces cris, cette vulgarité, comme si l’on se promenait éternellement dans une fête foraine, et au bout du compte, rien qu’un désaccord profond, une envie folle de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses propres hurlements. »





Ce dégoût s’accompagne d’un inévitable sentiment de supériorité, mégalomanie divine qui lui permet de se doter des qualités et des pouvoirs les plus convoités. On sent cette fois-ci la présence du Giovanni Papini exacerbé des jeunes années, celui qui avait écrit Un homme fini et qui prévoyait déjà d’asservir l’humanité à ses ambitions (« J’étais un être supérieur, mais j’étais le seul à le savoir : ma force n’en était que plus grande »). Mais Jérôme Bauche se détourne rapidement de ces considérations mégalomaniaques : on comprend qu’elles ne servent qu’à dissimuler un manque profond. Manque d’amour, manque de confiance en soi, manque de signification… L’existence de Jérôme est étiolée. Complètement désenchanté, ce personnage est semblable au berger de L’alchimiste qui se demande quels sont les processus qui ont œuvré à ses dépens depuis son enfance pour qu’il devienne un homme désabusé et, plus que cela dans le cas de Jérôme : névrosé voire psychotique. Quelle quantité de faits est purement spéculative ? Quels actes Jérôme accomplit-il réellement ? Si tous les évènements décrits dans le livre sont réels, alors Jérôme est un criminel sans vergogne –psychotique. Si aucun des évènements décrits dans le livre ne sont réels, alors Jérôme est plongé en plein délire –psychotique. Et si l’on flotte entre totalité assassine et spéculation absolue, le doute sur la salubrité mentale du personnage se confirme une fois de plus. Le livre qui est pur langage n’est qu’une logorrhée ininterrompue, dense et sans respiration, de pensées et de paroles qui semblent crachées sans réflexion par Jérôme. Le besoin de dire est incessant. Si la fonction de communication du personnage au lecteur ne pose parfois aucun doute, il est d’autres pages plus incertaines au cours desquelles le langage se morcèle et se fait le reflet de l’instabilité mentale du personnage :





« Alors ? Alors, je ne devais pas m’affoler, et. Car enfin, je n’avais qu’à m’arranger pour faire disparaître le cadavre de Monsieur Cloret, ce n’était pas. La magie des frontières : quand on les franchit, on repart à zéro. Ni l’herbe ni le ciel n’ont la même couleur. Ce n’était pas une tâche insurmontable, après tout. »





Nous-mêmes serions sans doute à l’image de Jérôme si nous avions partagé son vécu. Son histoire est d’une cruauté édifiante, qui dépasse à peine celle qui caractérise l’indifférence voire le plaisir masochiste que prend Jérôme à la raconter. Enfant né d’un « caoutchouc percé », « moisissure », il grandit sans père dans le sillage d’une mère amère dont les seuls souvenirs de bonheur se résument aux coups de bite que son mari infligeait à des monticules de noix ou aux truites qu’il lui fourrait par hasard dans le vagin. Entouré de peu de compagnons, Jérôme n’a jamais appris à mener des relations valorisantes avec autrui. Arrivé à l’âge adulte, il se cherche depuis longtemps, ne se trouve jamais. Le livre Jérôme décrit un tournant de cet homme qui, seulement névrosé, s’extirpera de sa langueur pour devenir actif et donner une forme à son existence. Mais quelle forme donner à un tel matériau lorsque ses idéaux sont devenus éloignés des normes et des valeurs d’une majorité qui, sans grands besoins affectifs, ne projette que des ambitions sentimentales et émotionnelles médiocres ?





Pédophile, violeur, assassin, s’en prenant aux hommes comme aux animaux, pratiquant l’onanisme dans les pots de yaourt ou dans les bus, Jérôme semble improbable, cumulant trop de tares pour être crédible. Mais sitôt qu’on le connaît un peu mieux, à peine aura-t-on commencé à partager ses obsessions, à fréquenter les individus qui l’entourent, à connaître ses idéaux et ses rêves, on s’étonnera de ne pas le voir céder à plus de comportements autodestructeurs. Né de grandes souffrances (« La souffrance c’est pas beau à voir. On plonge dans des profondeurs vertes et quand on remonte on est tellement mort que plus personne vous reconnaît. Les cernes violets sous les yeux, l’air absent, aussi quelques rides gravées dans des endroits bizarres, là où elles auraient pas dû, forcément, ça étonne, et puis les mains vides, forcément » ), ce roman en génère d’encore plus terribles. Visions sans espoirs et cyniques d’une destinée individuelle qui ne promet plus rien s’opposent au paradigme rêvé d’une fusion de tous les êtres humains dans la plus grande harmonie (« Tu te rends compte de ça, Jérôme ? TOUS les gens ont des visages différents. La vie fabuleuse, quoi. Pas un qui se ressemble. Et à l’intérieur alors, comment ça doit être ! Encore plus différent ! Encore plus étonnant ! C’est ça, la vraie merveille. Dommage qu’on s’en rende compte que quand il est trop tard et qu’on n’a plus personne à qui causer. Si on avait su on aurait vécu autrement, mais voilà. On voudrait bien recommencer, on les laisserait pas passer tous ces visages, on les questionnerait, on mettrait des choses en commun, les pas belles et les elles, seulement voilà »). Mais impossible, pas possible, et c’est là la souffrance suprême.


Lien : http://colimasson.over-blog...
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Jérôme

Comment le monde littéraire français avait-il osé, sans rougir, faire disparaître Jean-Pierre Martinet? Comment Jérôme ne compte-t-il pas encore parmi les chefs d'oeuvre du 20° siècle?



Ce roman monstre s'avère un délicieux cloaque dans lequel j'ai pataugé avec délectation. J'ai pensé à Céline et ses éructations, à Dostoievski et ses culpabilités baveuses; Martinet soutient la comparaison avec une plume qui n'appartient qu'à lui.



Pris au piège d'une prose serrée qui ne respire jamais (l'altitude n'appartient pas à l'univers de Martinet), le lecteur ne peut que poursuivre sa lecture en apnée et suivre le gros Jérôme en bas. Toujours plus bas. Dans des obsessions gluantes et des pérégrinations alcooliques. En ne cessant d'admirer son créateur.

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La grande vie

Ce livre est écrit comme on pousse un cri d’exaspération, comme on tire une balle de fusil ou la chasse d’eau, comme on recouvre un cercueil d’une pelletée de terre. En y repensant pas trop à deux fois. Le pitch ? Adolphe est un nabot hideux issu d’un père collabo et d’une mère juive exterminée par les nazis ; il travaille aux pompes funèbres près du cimetière du Montparnasse et se fait baiser sans ménagement par la concierge qui le submerge quotidiennement de ses 120 kilos. Vous voyez le tableau ? L’esprit de ce récit est bien résumé page 25 : « A vrai dire, je ne désirais pas grand-chose. Ma règle de conduite était simple : vivre le moins possible pour souffrir le moins possible. Pas très exaltant, peut-être, comme précepte, mais terriblement efficace ». C’est un texte obscène et burlesque, beau comme un cauchemar. On y trouve l’humanité de Gary, le désenchantement de Cioran, la cruauté de Céline et l’ironie morbide des penseurs russes qu’on résumera à ce proverbe : « malheureux ceux qui ont passé l’hiver, il y a l’hiver prochain ». Je vous le recommande, c’est idéal pour un dimanche ensoleillé, ensuqué par la bienveillance et les bons sentiments. Ce chef d’œuvre d’humour noir m’a été recommandé par la librairie ICI que je remercie chaleureusement. Une belle découverte qui donne envie de lire « Jérôme » du même auteur. Alors oui ce livre n’est pas long, mais c’est un concentré de jubilation. Quitte à écrire un petit livre, autant que ça vous pète à la gueule (nous en reparlerons bientôt… car il y a beaucoup à dire sur le sujet).
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La Somnolence

A propos de la Somnolence, les critiques sont unanimes : littérature extrême, c’est emballé. Tout ça parce qu’on y voit figurer quelque sang, haine, solitude… tout ça, surtout, parce que les critiques ne veulent pas faire croire aux quelques personnes qui les liront qu’ils connaissent eux aussi toute cette substance glaireuse de l’existence. Aujourd’hui, il faut avoir l’air populaire. Personne ne veut avoir un ami qui n’a que 3 amis sur facebook.





Mais non. Si le lecteur avance masqué, il dira que Somnolence est un livre d’optimisme à l’usage des vieux délaissés (apprenez à différencier lonely et alone). Martha vit seule mais peuplée dans la tête de fourbes qui l’observent et se moquent d’elle, d’un homme qui vient mais ne dit rien et d’autres êtres aléatoires au comportement évolutif. Sans doute n’existent-ils pas mais l’important, c’est qu’elle y croit. Combien de vieux n’ont pas la chance de cette Martha psychotique, qui vivent tout aussi seuls qu’elle mais n’ont aucune autre matière que leur inexistence passée pour meubler leur inexistence à venir ?





Y a pas à dire, la Somnolence est un bouquin qui redonne de l’espoir : peut-être finirons-nous fous à notre tour, envahis par les petits frelutins électriques de nos neurones, plus entourés que jamais dans la valse folle –ce que d’aucuns appellent démence sénile, les ignares.

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Jérôme

Si je devais choisir quel livre mériterait une critique, ce serait sans conteste le Jérôme de Martinet. En effet, j’en suis encore resté sidéré.

Cela fait plus de un an et demi que Jérôme trône sur ma table de chevet en tyran de mes lectures : insupportable à finir et impossible à abandonner. J’ai donc scrupuleusement inspecté mon humeur et dès qu’une embellie s’affirmait, je me permettais une incursion au pays de Bauche. Mais …

Mais commençons par le début : les bœufs ne s’en porteront mieux et sauront par conséquent encore mieux tirer la charrue. Jérôme, c’est Jérôme Bauche : personnage central aux facettes multiples, plus sombres les unes que les autres, détestable à l’excès. Soyons honnêtes, rien en Jérôme ne peut être qualifié en termes de mignon, joli, tendre. Dire que c’est un monstre serait le plus juste … et même un bon point de départ d’analyse pour montrer justement en quoi il s’échappe malgré tout à son modèle. Donc Jérôme est un monstre déjà par son physique : plus de deux mètres de haut, cent cinquante kilos, imberbe et pourvu d’un appendice sexuel qui semblerait même ridicule sur le Manneken-Pis. Mais l’habit ne fait pas le moine et plus d’un auteur nous a déjà divertis par un physique à l’opposé de la grandeur d’âme. Mais ici non … La stature du personnage serait même plaisante en comparaison à ses pensées, ses actes … Non il rêve de petites filles sur lesquelles il pourrait assouvir ses pulsions, de meurtre, de torture … Quand je vous disais un monstre, Jérôme en est un vrai … Même plus que cela ….

En fait, il est humain, profondément et irrémédiablement, même plus que tous les gentils et bons qu’il rencontre dans ses pérégrinations. Car lui ne se cache pas derrière de beaux discours, les bons sentiments : il est un monstre mais il a besoin qu’on l’écoute, qu’on lui prête attention, qu’on le touche, qu’on l’aime. Parmi tous les protagonistes il est le plus humain : on parvient à comprendre et surtout ressentir comme Jérôme même si c’est insupportable et sordide. Et rien ne nous est caché : son obsession des petites filles, ses petites tortures, ses meurtres, ses étreintes avec une pute amazone pitoyable au cœur aussi grand que son ablation du sein.

N’oublions pas de parler du style si particulier, qui m’a beaucoup fait pensé à Céline au point d’imaginer que Jérôme était une sorte d’enfant monstrueux de Bardamu, plus désespéré, moins révolté et ayant subi une monstrueuse (encore une fois ce qualificatif …) transformation génétique, mi cloporte mi homme.

Quelques citations glanées de çi de là :

« La charcutière en a profité pour m’écraser de sa pitié : mon pauvre Jérôme, mon pauvre enfant, tu diras à ta maman que je lui souhaite un prompt rétablissement. Elle a glissé dans ma poche un sac de bonbons. Une bonne occasion pour m’effleurer la queue au passage. Ce n’était pas la première fois que madame Parnot se livrait sur moi à ces attouchements furtifs. Je me suis reculé instinctivement. Elle a tapoté sa perruque blonde d’un geste désinvolte tandis que je la remerciais humblement. Moi : merci, madame. Je vais les garder pour ce soir pour les manger en regardant mon feuilleton à la télé. Et aussi pour mon lit en lisant Mickey. »

« J’ai commencé à gifler la siamoise sur le museau, gentiment d’abord, comme pour jouer, puis un peu plus fort. Pourtant, il n’y avait rien au monde que j’aime plus que les chats, mais elle non, il n’y avait rien à faire, elle me narguait, elle ne voulait pas m’avouer qui était son amant, elle se contentait d’essayer d’attraper mon nez avec sa patte, comme si j’étais là pour m’amuser. Sale chatte. Il n’y a rien de plus vicieux que les siamoises, toujours en chaleur. Je ne pouvais pas tolérer plus longtemps cette obstination à se moquer de moi. D’une main je lui ai fermé la gueule, pour qu’elle ne miaule pas, et de l’autre je l’ai étranglée. C’est si mince le cou d’un chat, si fragile, on peut le broyer entre ses mains comme un poussin. »

« Décidément. J’avais un goût prononcé pour le ridicule. Je croyais vivre un drame romantique, mais il ne s’agissait peut-être que d’un vaudeville minable, aux relents de draps sales, une caleçonnade sinistre, où le cocu déclenche les rires gras en se cachant dans l’armoire ou sous le lit pour assister aux ébats de sa femme. Solange me répétait souvent : nous cherchons partout l’absolu, et nous ne rencontrons que le grotesque et la dérision. »

Si Jérôme est monstrueux, il peut également générer un rire à son image, lourd, qui vous prend la bouche comme un rictus salvateur. Mais ce rire, cet humour se sont pour moi trop souvent rapidement dissipés pour ne laisser place qu’à une certaine nausée, de plus en plus prégnante au long des pages. Je n’ai jamais pu lire plus de vingt pages d’une traite sans m’arrêter et passer à un ouvrage tourne-page.

Car je dois bien l’avouer, Jérôme, c’est trop fort pour moi et même si c’est un des meilleurs livres que j’ai lu dernièrement, ses relents nauséeux m’empêchent de m’épancher à sa lecture. Mais à toute personne ayant apprécié Céline, je conseille fortement sa lecture : il y trouvera sûrement son bonheur !

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L'ombre des forêts

Dernière page du livre, un avertissement de l’éditeur tamponné à l’encre rouge :





« Service de presse.

Ne peut-être [sic] vendu que par un bon gros connard de soi-disant journaliste pourri bon pour la poubelle. »





D’accord. Je referme ma gamelle, un coup de flotte pour la rincer et éviter que des morceaux de gésier ne chutent une fois de plus au fond de mon sac à dos. Je sors du bungalow-réfectoire et j’entre dans le bungalow-chiottes pour me chercher une bouteille de flotte. En chemin, réfléchissant à cette énigmatique mention de l’éditeur, je me demande : Est-ce que revendre ce livre ferait de moi une journaliste ? La poubelle remplacerait-elle donc l’Enfer pour le moderne ? Je n’apprécie certes pas tous les charmes de la modernité mais si l’Enfer nous est perdu pour être remplacé par une benne à ordures, j’accepterais de reconnaître certaines vertus à cette époque.





Voilà qui est étrange : je n’avais pas encore pensé à revendre ce livre que l’éditeur me le suggère immédiatement. Suis-je en détention d’un livre dont n’importe quel lecteur aimerait aussitôt se débarrasser ? Il fait chaud dans le bungalow-chiottes. Au moins vingt-cinq degrés. L’eau croupit dans les bouteilles en plastique. Les règles dites de sobriété énergétique ne sont pas encore venues jusqu’au site industriel portuaire de Ternay. Je ne traîne cependant pas, car la lumière de ces toilettes me met mal à l’aise. Dehors, l’air est vif. [note écrite voici trois semaines] Ces écarts de température favorisent l’eczéma.





Evidemment, la maison d’édition L’Atteinte se fait défenseuse rétrospective de la mauvaise réception de son œuvre que subit en son temps Jean-Pierre Martinet. En 1987, nous dit la postface, Martinet a été occulté par les romans La fée carabine de Daniel Pennac, Le Filles de Geneviève Brisac et La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun. Quel niveau, me direz-vous. Aussi demandé-je : Martinet espérait-il vraiment plaire au tout-venant ? lui qui fait dire à l’un de ses personnages :





« Elle accéléra le pas. Elle fonçait, tête baissée. Les autres n’avaient qu’à s’écarter. Elle n’avait plus la moindre envie de sourire ni de s’excuser. D’ailleurs, ils n’avaient rien d’urgent à faire, eux. Manger, famille, travail, vacances, se reproduire en mammifères disciplinés, se distraire, jouir, les sales petites besognes, tout ce qu’elle avait toujours détesté. Elle n’avait même pas envie de leur jeter le moindre regard. De toute manière, elle ne s’était jamais senti un seul point commun avec eux. »





Je suis très contente que ce livre de Martinet soit réédité, mais est-il besoin de faire tout un tintamarre sur la supposée « littérature dangereuse » ? Je reprends le livre par le début et, cette fois, sur les premières pages, je trouve cette inscription :





« L’éditeur dédie ce livre à celles et ceux qui acceptent le danger, dans la littérature comme ailleurs. »





Le vrai danger serait plutôt de connaître habilement les règles de grammaire afin de s’éviter la redondante et démagogique formule « celles et ceux ». Quelle fatigue. Me voici renvoyée à mon adolescence. Le danger, ce fameux danger qui n’amène jamais rien que les ennuis habituels, mais dans des proportions toujours extravagantes. Le désagrément quotidien haussé à la criaillerie tragique du téléfilm.





Je me souviens à présent de ce formidable roman de Martinet que j’avais tantôt lu : Jérôme. Jérôme, qui m’avait marquée notamment par sa scène de masturbation dans un pot de yaourt, ensuite habilement repercolé pour être dégusté après le repas par un tiers. Il y aurait une psychanalyse à faire des scènes les plus marquantes que nous retenons de nos lectures, des années après les avoir achevées.





Je trouve dans l’ouvrage un petit mot adressé de Camille :





« Chère Alexandra,

Puisse cet ouvrage vous émouvoir autant qu’il l’a fait pour nous,

Au plaisir. »





Mon cœur frémit en même temps que mon regard balaie distraitement les caméras de sécurité, celles-ci m’assurant qu’aucune âme ne rode ici-bas. Je le reconnais : autour des ratés peut se débusquer la plus grande tendresse, le plus grand anéantissement, ainsi que le prouve ce petit message. En valait-ce pour autant le coup, de faire partie du sérail ? Je me dis bien que oui, mais l’avenir nous le dira. Aussi bien pouvez-vous lire ce livre si vous vous sentez également l’élan des ratés, et revendez-le ensuite si vous pensez pouvoir vous élever jusqu’à l’art du management.

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La grande vie

Le narrateur de ce court récit (50 pages) m’a rappelé ce jugement de Jean d’Ormesson sur Montaigne :   « il trouve l’homme misérable et petit, et il s’en amuse. »

● Petit, Adolphe l’est, 1,38m, sous la toise. « Pauvre et calamiteux animal », cet avorton semble avoir servi de modèle à Vélasquez pour la série de portraits qu’il a consacrés aux nabots . Il est une espèce d’hybride entre Sebastian de Morra, le bouffon, et Péral, le nain le plus célèbre du cinéma.

● Sa voisine, Madame C, concierge de son état, en est la parfaite antithèse. 2 mètres, 180 kg. Un personnage rabelaisien, revisité par un San Antonio qui voudrait donner une « hénaurme » compagne à Bérurier et dont Botero aurait fait le portrait. Sûr et certain que Sully aurait été fasciné par ses grosses mamelles !

● Cette antithèse, Martinet va s’en amuser et le burlesque jaillir. La scène où Madame C. va, pour assouvir ses pulsions sexuelles et meubler sa solitude, se servir d’Adolphe comme d’un sex toy, l’enfouissant en elle, est d’un comique achevé.

● Tout n’est pourtant pas rose dans leur quotidien, rue Froidevaux, la bien nommée, métaphore de la misère et de la déchéance humaine. C’est glauque à souhait, et J.P. Martinet met sans cesse l’accent sur les notions d’étouffement et d’enfermement, d’ennui et de solitude. Elle, dans sa minuscule loge sans wc, lui, dans un immeuble qui menace ruine «  avec vue imprenable sur les tombes » du cimetière voisin près duquel il travaille et que son patron humilie sans cesse. La rue Froidevaux est sa prison, les morts ses seuls amis...et dès qu’il en sort c’est pour tomber dans les bras de la pachydermique concierge qui en fait son esclave sexuel et n’est « pas prête à lâcher sa proie ». Telle est sa misérable condition avec comme seule règle de conduite : « vivre le moins possible pour souffrir le moins possible ». On se croirait presque chez Cioran.

● Presque, en effet, dans le fond, mais si loin pourtant dans la forme. Si ses personnages essaient de survivre dans un environnement inhospitalier et désolant, il n’y a aucun abandon au pathos chez Martinet, rien de désespérant, aucun drame, « on n’est pas heureux, mais on se marre bien ». Et c’est cela qui fait la force et l’originalité de son récit. Son art lui permet de transcender le réel, de prendre ses distances avec l’amère réalité par l’humour et l’ironie, sans cesse présents, et cela, dès le titre : la Grande Vie. Vous avez pu juger de sa grandeur dans les lignes qui précèdent ! Je vous engage à ne pas manquer le récit que le narrateur fait de la séance de cinéma porno à laquelle il assiste en compagnie de Madame C. Elle mériterait de figurer dans une anthologie de l’humour, pas du tout noir, rassurez-vous !

● Je ne vais pas vous en dire plus. Simplement que notre petit homme, brisé par l’existence, va se révolter. Tel le Django de Tarantino , il va briser ses chaînes et «éprouver un sentiment de puissance qu{’il] n’ avai{t} jamais connu auparavant ».

● Penserez-vous, à la fin de votre lecture, que ce petit homme misérable crée par celui qui a vécu tout près des terres de Montaigne « porte en lui la forme entière de l’humaine condition » ? A vous de voir.





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Jérôme

Vous connaissez, vous, Jean-Pierre Martinet ?



Personnellement, cet écrivain était pour moi un parfait inconnu, jusqu'à ce que mon intérêt soit fortement éveillé par un article élogieux publié sur un blog ami...



Je me suis alors précipitée dans la librairie la plus proche (à 300 mètres de mon lieu de travail ; si j'avais voulu le faire exprès...), et me suis procurée "Jérôme", l'un des rares romans que cet auteur eut le temps d'écrire avant son décès prématuré en 1993 (alors qu'il n'était âgé que de 49 ans).

Rien qu'en soupesant l'objet -un bel ouvrage, réédité en 2008 trente ans après une première parution couronnée d'insuccès-, je me suis surprise à penser : "Ça, c'est du lourd !"

Je ne croyais pas si bien penser...

Après quelques heures de lecture - évidemment étalées sur plusieurs jours- passées dans l'univers à la fois sordide et fantasmagorique de Jérôme Bauche, héros de cet impressionnant roman, je ne peux en effet que confirmer ce que m'avaient permis d'imaginer les louanges chantés par Edwood, à savoir que Jean-Pierre Martinet était un écrivain hors norme.



D'emblée, le lecteur est immergé dans le flot ininterrompu des pensées de Jérôme, qui nous livre ainsi, avec une volubilité qui suscite assez vite un certain malaise, ses angoisses, les manifestations de sa paranoïa, ses fantasmes, et l'obsession qui hante jour et nuit son cerveau malade, qui a pour nom Paulina Semilionova, adolescente de 15 ans qu'il traque sans répit dans un Paris devenu tentaculaire et dangereux, qu'il imagine être un faubourg de Saint-Pétersbourg. Précisons que Jérôme est quant à lui un grand garçon de 42 ans, de stature plutôt imposante (il pèse 150 kilos pour 1m90), qui vit toujours chez sa "mamane"...



Appréhender le monde par les yeux de Jérôme, c'est le voir à travers la toile élaborée d'un délire entretenu par une sorte d'hyper sensibilité à tout ce qui l'entoure et l'agresse (les odeurs, les couleurs) et construit sur la base des interprétations hallucinatoires qu'il retire de son environnement, et des individus qu'il croise ou qui l'entourent.

Dans son univers, tout perd son éventuel caractère sacré, pour se parer d'une nature sale et délétère : la maternité, l'amour, le sexe, même la vie est considérée comme vaine et laide... les petites filles y sont vicieuses et perverses, les sentiments y sont souillés. La compassion, l'espoir n'y ont pas de place.



"Il n'y a rien de plus obscène que les sentiments. Toutes ces paroles. Que l'ombre d'un ange, un jour, s'approche de toi, alors que tu fais consciencieusement ton travail de pute, les pattes écartées, comme toutes les salopes de cette planète pourrie, les mères, les soeurs, les fiancées, baisées, bourrées, enfilées, défoncées, démolies, haletantes, toujours à essayer de prolonger en jouissant le cauchemar de la vie, comme si ça ne suffisait pas comme ça, déjà, mais non, encore, encore, haletantes, trempées, retournées, malaxées, concassées, déshabillées, en hiver, en été, toujours dans des chambres étouffantes, gigotant, sautant, bavant, hurlant, oh oui que l'ombre d'un ange, par n'importe quel temps, s'approche, dans le silence absolu, et décrète la fin de cette mascarade. Car la vie n'est pas douce, et elle n'est pas bonne, contrairement à ce qu'on essaie de nous faire croire un peu partout. Pas de raisin dans la vigne, pas de figue au figuier. Les feuilles sont flétries, les eaux empoisonnées. La création est ratée, Solange le disait souvent, et les grandes villes sont des repaires de chacals, maintenant : une sale brume recouvre tout."



Jérôme nous entraîne dans une spirale qui se nourrit de sa suspicion et de son mal-être ; il devient au fur et à mesure du récit de plus en plus difficile de distinguer le réel de l'imaginaire et d'ailleurs, le héros lui-même, dont on ne sait plus par moments s'il est doté d'une intelligence supérieure ou atteint d'une grave psychose, s'y perd.

Sans laisser au lecteur le temps de reprendre son souffle, Jean-Pierre Martinet lui impose subrepticement le rythme mental de son personnage qui, le temps de la lecture, nous habite et nous plonge dans l'enfer qu'est son existence.



"Jérôme" est un récit à la fois sombre et superbe, glauque et fécond, dont l'aspect burlesque de certaines situations ne parvient pas à alléger l'atmosphère. D'ailleurs, ce n'est pas le but : il sourd de ce roman un désespoir sans fond, un dégoût de la vie qui font de cette lecture une expérience forte mais presque douloureuse.



"(...) moi, Jérôme Bauche, je savais bien que c'était du faux, du vent, putasserie fardée, que jamais rien ne rachèterait la souffrance d'être enfermé dans une montagne de chair de cent cinquante kilos appelée Jérôme Bauche, une forteresse imprenable, bouclé là-dedans, oui, et torturé tous les jours, avec une cruauté raffinée, aucune issue, pas le moindre souterrain pour revoir la lumière du jour, j'avais beau essayer de gratter le sol, parfois, je n'arrivais qu'à m'écorcher les mains, les repas à heure fixe, pas le moindre rai de jour, je grattais la terre comme les bêtes, j'embrassais le salpêtre des murs, je me barbouillais avec mon propre sang (...)".



L'écriture de Jean-Pierre Martinet -cette verve infatigable, dont le caractère parfois lancinant vous happe et vous heurte- n'est pas sans évoquer Céline. La trame du roman, et l'atmosphère qui le baigne, m'ont en revanche fait penser à certains auteurs russes, notamment Gogol, avec son "Journal d'un fou", ou encore Dostoïevski, auquel l'auteur fait référence à de nombreuses reprises.

Ceci dit, ne nous méprenons pas : le talent de Jean-Pierre Martinet est bel et bien original ; il rend certes hommage, tout au long de ce récit, à quelques-uns des écrivains qu'ils admiraient, mais lorsque l'on referme "Jérôme", on a la certitude de n'avoir jamais rien lu de semblable.
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L'ombre des forêts

Je ne connaissais pas cet auteur et je le découvre avec ce roman vraiment particulier. Quatre personnages évoluent dans la ville de Rowena, chacun avec ses angoisses, ses peurs, ses manques et autres joyeusetés. Enfermés qui dans sa folie, qui dans ses obsessions. Ils traînent leurs misères et ne se connaissent pas.

On évolue dans un univers sombre, déganté, où ces 4 personnes, qui peuvent prêter à sourire parfois par leurs comportements sans queue ni tête, nous renvoie à cette humanité perdue, qui traîne sa carcasse dans un monde où elle se sent incomprise , elle même ne comprenant plus grand chose à comment être et vivre.

Honnêtement je n’ai pas accroché parce que cette vision qu’à l’auteur de certains humains ne me parle pas. Ils existent oui mais ce n’est pas cette vision que je veux garder à l’esprit, pas du tout. Sans doute que tout est trop décousu et perturbé à mon goût.

L’écriture est belle certes mais c’est beaucoup trop noir et désespéré pour moi



Merci à masse critique Babelio et aux éditions L’atteinte pour cet envoie.
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La grande vie

La lecture de Martinet m'a été suggérée par une lectrice de la famille, lectrice que je remercie ici. J'accueille évidemment les suggestions avec bonheur même si, à cet égard, il peut m'arriver d'entretenir une attitude proche de celle qu'énonce Denis Lavant en préface de La grande vie : « Car si j’aime toujours recevoir un ouvrage inconnu, je rechigne parfois à être orienté trop ouvertement dans le choix de mes lectures. Préférant par habitude m’en remettre au hasard ou au seul ricochet poétique qui fait qu’un ouvrage en répercute d’autres et ainsi de suite comme une chambre d’écho ou un jeu de miroir, à l’infini… ».



J'avais été avisé, Martinet a une plume magnifique, mais une plume noire, une plume qui chamboule, une plume qui tourmente. Dans cette grande nouvelle, Adolphe, employé des pompes funèbres, un nain à la vie misérable, à la sexualité qui l'est tout autant, au passé familial trouble, fantasme sur les visiteuses du cimetière qu'il observe depuis son appartement. Il subit les avances de l'énorme Madame C., concierge à la sexualité insatiable qui le domine. C'est cet univers glauque que Martinet évoque en nous transposant dans la tête du narrateur, cet Adolphe qui peine à se relever et qui chemine sa vie à la limite du burlesque.



Voilà une étonnante lecture et je me promets bien d'explorer davantage l'oeuvre qui m'apparaît noire et pessimiste de Martinet.
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L'ombre des forêts

"Plus de musique. Rien. Un jour, toutes les musiques s'arrêtent, et voilà. On se retrouve à Rowena. Ni couché, ni debout. Juste là. Les bras battant l'air chaud, le regard vide. Légèrement oscillant dans l'espace. Ni douce lumière, ni atroce blancheur de ciel. Rien. Personne".



Et c'est dans cette ville fictive de Rowena, censément située à proximité de la frontière franco-allemande, mais que l'on pourrait croire au fin fond de l'impasse du monde, tant elle paraît grise et désolée, que nous fait échouer Jean-Pierre Martinet dans "L'ombre des forêts".



Nous n'y sommes pas seuls...

Nous y errons en compagnie de trois guides improbables, au gré de déambulations anxiogènes et désordonnées.

Pardon, "compagnie" n'est en réalité pas le terme approprié. Les tristes héros de Jean-Pierre Martinet sont à ce point enfermés dans la conviction de leur inutilité, de leur insignifiance, à ce point absorbés par le mécanisme de leurs obsessions, que toute possibilité de communication avec eux est proscrite.



Ainsi Monsieur, qui a engagé Céleste suite à la disparition de Roberte, sa fidèle gouvernante, préfère emprunter lors de ses allées et venues l'escalier de service de sa vaste demeure plutôt que de prendre le risque d'une rencontre impromptue avec sa nouvelle employée. Il a jeté son carnet d'adresses dans une bouche d’égout, abandonné son répondeur dans un terrain vague, et passe des heures terré dans sa chambre, sous la lumière perpétuelle de Globe Sale, le lustre avec lequel il entretient une étrange relation, que Céleste a l'interdiction formelle d'éteindre ou de nettoyer.

Peu importe, elle compense en astiquant de fond en comble le reste de la maison, de façon presque compulsive, rongée par la mauvaise conscience que lui procure la moindre seconde d'oisiveté, et par le malaise que suscite l'attitude de Monsieur envers elle.

Rose Poussière, dernier élément de ce curieux trio, a quant à elle élu domicile dans un hôtel sordide, locataire d'une chambre qu'elle quitte rarement, terrorisée à l'idée d'être dissoute par la pluie qui risquerait de la surprendre si elle mettait le nez dehors... Elle-même a miraculeusement escamoté de son esprit les quarante années durant lesquelles elle fût Edwina Steiner, dont elle nie l'existence depuis qu'elle a vécu l'horreur des camps de concentration.



Les personnages de Jean-Pierre Martinet évoluent dans une sorte de spirale qui se nourrit de leurs psychoses et de leur paranoïa. Comme transparents aux yeux des autres, ils se réfugient dans un univers intérieur où règne leur fantasmagorie personnelle, à partir de laquelle ils interprètent les signes en provenance de l'environnement extérieur, les parant d'une dimension grotesque et horrifique. A travers le prisme de leurs traumatismes, la ville, notamment, se transforme en un labyrinthe hostile, aux contours imprécis.

Et le fait de vivre dans l'espace intime qu'ils se sont créés ne leur procure ni satisfaction ni sentiment de sécurité.

S'ils tentent de se persuader qu'ils n'ont pas besoin du monde et de l'attention des autres, c'est finalement pour se protéger, parce qu'ils refusent d'affronter les risques inhérents à la relation avec autrui : celui d'être déçu, humilié, celui d'être malheureux... Mais ce faisant, ils s'exposent finalement à des dangers encore plus grands -comme celui de sombrer dans la démence-, et à des souffrances d'autant plus profondes.



Il est difficile de sortir indemne des romans de Jean-Pierre Martinet. L'atmosphère dont il nous enveloppe, grisâtre, oppressante, l'état d'esprit désespéré de ses personnages qui se heurtent, en boucle, à l'absurdité de leurs raisonnements et à leur solitude font de ces lectures une expérience parfois éprouvante, mais aussi très forte. D'autant plus forte que son écriture, par sa précision, sa justesse, a le pouvoir de nous toucher profondément.
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La Somnolence

Monologue hanté par la solitude et la folie de Martha, septuagénaire qui attend la mort en buvant du whisky, en mangeant des petits fours, en interpellant Dieu et son père pendu, en remâchant sa haine et sa vie ratée. Un texte magnifique mais où aucune place n’est laissée à l’espoir, à l’amour, à la vie tout simplement : les personnages de Martinet, quand ils ne se suicident pas, se laissent suicider. Ici, le désir et le plaisir sont toujours « troubles ». Si les adultes sont lâches et veulent, les enfants ne valent pas mieux : dans les cours d’école, des petites filles rousses, maigres, pleines de crasse, « vicieuses » massacrent de gros garçons idiots avant de se débarrasser de leurs corps. Quand on pense que « La Somnolence » est le premier roman de Martinet, publié à 31 ans, on ne peut qu’être ébloui par l’originalité de l’univers et le style de cet auteur qui s’affirmera encore un peu plus dans « Jérôme » son chef d’œuvre publié quelques années plus tard. La disparition de Martinet à 49 ans, en 1993, las de cette vie, fait regretter aux lecteurs conquis (dont je fais partie, et pas qu’un peu !) de ne pouvoir lire d’autres livres de ce très grand écrivain trop méconnu. N’ayez pas peur : ouvrez un livre de Martinet, vous ne le regretterez pas.



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L'ombre des forêts

Étrange roman noir à deux personnages, Rose Poussière qui traîne son passé d’Edwina Steiner et ses souvenirs de Mauthausen et Monsieur, l’homme fuyant sa domestique Céleste et observé dans sa chambre par « Globe Sale », un plafonnier allumé jour et nuit, l’œil dans la tombe. Auxquels il faut ajouter le Duc de Reschwig dans sa poubelle et des serveurs de bar anonymes, hostiles et abuseurs, sauf un qui cite longuement Nabokov. Le décor : nuit, crasse et canicule. L’action : insomnie, errance, attaques de panique et cuites, homicide et viol, peut-être vécus, peut-être fantasmés, enfin l’apaisement dans le suicide.



Monsieur est l’auteur de « Quelques romans publiés dans l’indifférence générale, pas de lecteurs ou si peu, le noble travail du pilon, mais ce n’était pas le pire. Le plus intolérable c’était le sentiment de honte, et d’inutilité ». Autobiographie. La noirceur c’est long, surtout dans les dialogues, et la noirceur romancée, suspect. À lire pourtant pour des éclairs dans la dépression, dignes des poètes visionnaires (voir les citations).

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Jérôme

Livre monstre d'un personnage monstre. Jérôme "Bauche" est l'homonyme du peintre flamand Jérôme Bosch. Ses pérégrinations sur 24 heures nous font déambuler dans l'horreur et dans l'esprit noir et psychotique du protagoniste. Avec ce personnage de fils humilié par sa mère, pédophile, violeur et assassin réel ou fantasmé, Jean-Pierre Martinet nous prend par la main pour nous emmener en enfer. Il y a des échos avec d'autres livres, d'autres films mais en plus noir. Ignatus Rey de la conjuration des imbéciles fait figure d'un gentil cousin à côté de Jérôme. On sent aussi l'influence de Céline et même du cinéma où l'on retrouve des réminiscences du très beau "La nuit du chasseur". Une lecture qui peut être difficile tant la langue devient au fil des pages de plus en plus morcelée, essoufflée, confuse, souillée. Un livre vertige.

Janvier 2021
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La grande vie

Le héros de ce petit livre, Adolphe Marlaud est un nabot, un avorton tel qu’il se définit lui-même, presque flatté qu’on le compare à un cafard : 1,40 m pour 38 kilos… Il intéresse cependant beaucoup ses deux voisines, il est vrai peu ragoûtantes, qui l’utilisent comme sex toy. Il est orphelin de père et de mère, le premier étant un fonctionnaire modèle ayant participé à la rafle du Vel d’Hiv’ et la seconde d’origine juive morte en camps de concentration. Il travaille dans un magasin d’articles funéraires. A part ça, sa vie est pleine d’ennui et de tristesse. Son seul but dans la vie est de tuer les chats qui s’aventurent sur la tombe de son regretté papa. Bienvenue chez Martinet, bienvenue dans la rue Froidevaux, la plus laide de « Paris »…



Dans ce texte court, on retrouve beaucoup d’éléments présents dans l’ensemble de l’œuvre de Martinet

La suite sur mon blog : http://lepandemoniumlitteraire.blogspot.com/2011/04/la-grande-vie-de-jean-pierre-martinet.html
Lien : http://lepandemoniumlitterai..
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Jérôme

Je reprends mon souffle au milieu de Jérôme. Comme après une plongée un peu longue, j'émerge tout étourdi, submergé d'impressions étranges et vaseuses. Car il s'agit là d'une plongée vertigineuse au plus sombre de l'homme. Les personnages sont grotesques, atypiques, sordides et mesquins. Les phrases sont enivrantes, étourdissantes, écoeurantes, drôles, sinistres, dérangeantes et pourtant si fluides. Un ouvrage qui vous emmène loin, sur des rivages où rodent Céline, Dostoievski. et d'autres...
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L'ombre des forêts

Le choc tragique des âmes pauvres, vaincues, en peine, en douce folie, en absence de salut.



Désormais sur mon blog : http://charybde2.wordpress.com/2014/07/08/note-de-lecture-lombre-des-forets-jean-pierre-martinet/

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Jérôme

J’avais prévu de laisser décanter Jérôme en moi. Prendre un peu de recul, en faire une analyse détachée. Pourtant, il y a comme une envie, contrastée, de partager cette œuvre tellement forte, et d’en expulser les aigreurs au plus vite. Jérôme est un livre comme on lit peu. Céline ou Dostoievski sont immanquablement convoqués à l’inspiration de Martinet. Mais il y a là une noirceur profonde, ténébreuse, dans laquelle le lecteur se trouve avalé. La rythmique inconstante, les phrases fleuves et délirantes le plus souvent, le vocabulaire parfois obscène, l’accumulation fétide en font une épreuve. Les personnages malodorants, acharnés à leur propre déchéance, étrangers à l’autre, sournois et méchants prêtent peu à l’empathie. La ville cloaque, mi-Paris mi-Pétersbourg, sorte de royaume des damnés, aspire peu à peu Jérôme et le lecteur. Et la trajectoire de ce personnage qui travaille à sa perte donne le vertige. Comme une sorte de spirale vers le rien. Après l’amour auquel il n’a jamais cru, c’est même le désir qui fuit, pour ne finalement laisser place qu’à l’étouffement. Faire taire ce monde sinistre. Vous l’aurez compris, on touche avec Jérôme à la noirceur profonde et poisseuse. Mais on touche aussi à une écriture puissante, rageuse, radicale, une vraie expérience de lecture.
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La grande vie

Trop court, trop petit, pas seulement Adolphe Marlaud, mais cette nouvelle de Martinet. J'aurais bien aimé que le plaisir de lecture ne s'arrête pas là, mais dure plus longtemps. Peut-être qu'Adolphe, lui, ne serait pas d'accord avec cette idée de prolonger l'existence encore plus, la vie, c'est déjà assez long comme ça. Il le dit : « Vivre le moins possible pour souffrir le moins possible.» Telle est sa devise. Adolphe vit dans sa cellule, un minuscule appartement donnant sur un cimetière. Il aimerait devenir invisible, comme un fantôme. Il y arrive presque, avec ses 1,40 m (souliers à talon compris) et ses 38 kilos. Il est tellement petit qu'il sert de sex toy à la concierge de l'immeuble, madame C. Comme l'homme canon au cirque qu'il dit, on ne peut s'enlever cette image de la tête. Le petit Adolphe projeté hors de madame C. On peut l'imaginer avec les lunettes, le casque d'aviateur et l'écharpe qui frétille sous le coup de projection.



C'est drôle et triste à la fois. La souffrance massive percute le pauvre Adolphe tout en finesse, presque en douceur. Martinet décrit avec subtilité les désillusions de la vie. La douleur se vit au quotidien, il n'est pas nécessaire d'en faire tout un plat. Il me semble que l'on puisse résumer la situation des personnages de - cette grande vie - par le passage suivant : « Je parle de drame, mais ce n'est pas le mot qui convient. Il n'y a pas de drame, chez nous, messieurs, ni de tragédie, il n'y a que du burlesque et de l'obscénité. On n'est pas heureux, mais on se marre bien.»
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